Contrat d’édition : 17 février 2023 Cour d’appel de Toulouse RG n° 21/04598

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Contrat d’édition : 17 février 2023 Cour d’appel de Toulouse RG n° 21/04598
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17/02/2023

ARRÊT N°91/2023

N° RG 21/04598 – N° Portalis DBVI-V-B7F-OPC5

AB/LB

Décision déférée du 14 Octobre 2021 – Pole social du TJ de MONTAUBAN 21/00068

COLSON P.

S.A.S. [11]

S.A. [6]

C/

[F] [S]

CPAM DU TARN ET GARONNE

CONFIRMATION

grosse notifiée le 17/02/2023

à

Me Cécilia ARANDEL/LRAR

Me Arnaud GONZALEZ

CCC/LRAR à

SAS [11]

[6]

Mme [N]

CPAM TARN ET GARONNE

CCC/LS a l’expert Dr [Z]

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

***

COUR D’APPEL DE TOULOUSE

4eme Chambre Section 2 – Chambre sociale

***

ARRÊT DU DIX SEPT FEVRIER DEUX MILLE VINGT TROIS

***

APPELANTES

S.A.S. [11] prise en la personne de son représentant légal, domicilié ès qualités audit siège sis [Adresse 3]

Société [6] prise en la personne de son représentant légal, domicilié ès qualités audit siège sis [Adresse 2]

représentées par Me Cécilia ARANDEL de la SCP FROMONT BRIENS substituée par Me BENYAHYA Khadija, avocats au barreau de PARIS

INTIMES

Monsieur [F] [S]

[Adresse 8]

82400 [Localité 10]

représenté par Me Arnaud GONZALEZ de l’ASSOCIATION CABINET DECHARME, avocat au barreau de TARN-ET-GARONNE

CPAM DU TARN ET GARONNE

[Adresse 9]

partie non comparante dispensée en application des dispositions de l’article 946 alinéa 2 du code de procédure civile, d’être représentée à l’audience

COMPOSITION DE LA COUR

En application des dispositions de l’article 945.1 du Code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 12 Janvier 2023, en audience publique, devant A. Pierre-Blanchard et F. Croisille-Cabrol, conseillères chargées d’instruire l’affaire, les parties ne s’y étant pas opposées. Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour composée de :

C. Brisset, présidente

A. Pierre-Blanchard, conseillère

F. Croisille-Cabrol, conseillère

Greffier, lors des débats : A. Ravéane

ARRÊT :

– Contradictoire

– prononcé publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du Code de procédure civile

– signé par C. Brisset, présidente, et par A. Ravéane, greffière de chambre.

EXPOSÉ DU LITIGE :

M. [F] [S] a été embauché suivant contrat de travail en date du 19 novembre 1979 par la sociéré [11], en qualité d’ ‘émailleur porcelaine’ sur le site de [Localité 10], spécialisé dans la fabrication d’éléments sanitaires en céramique et porcelaine.

Le salarié a développé une silicose diagnostiquée le 8 octobre 2018.

Par un avenant du 26 février 2019, il a été reclassé sur un poste administratif ‘Fonction Support’.

M. [S] a été pris en charge par décision du 28 février 2020 de la Caisse Primaire d’Assurance Maladie du Tarn-et-Garonne (CPAM) pour sa maladie professionnelle, déclarée le 8 octobre 2018, au titre du tableau n°25 « affections consécutives à l’inhalation de poussières minérales renfermant de la silice cristalline, des silicates cristallins, du graphite ou de la houille ».

Par décision du 18 mai 2020, il a été consolidé par la CPAM avec un taux d’incapacité permanente partielle (IPP) de 9 %.

Le 26 juin 2020, le salarié a été déclaré inapte à tout poste au sein de l’entreprise.

Le 20 novembre 2020, M [S] a demandé à la CPAM la mise en oeuvre de la procédure de conciliation dans le cadre de sa demande de reconnaissance d’une faute inexcusable de son employeur.

Par courrier du 31 décembre 2020, la CPAM l’a informé que son employeur ne reconnaissait pas l’existence d’une faute inexcusable et a donc constaté une impossibilité de conciliation.

Le 5 janvier 2021, M. [S] a été licencié pour inaptitude d’origine professionnelle et impossibilité de reclassement.

Par requête du 31 mars 2021, il a saisi le pôle social du tribunal judiciaire de Montauban en vue d’obtenir la reconnaissance de la faute inexcusable de la société [11].

L’affaire a été examinée à l’audience du 7 septembre 2021, en présence des conseils de M. [S], de la société [11] et de la société [6], partie intervenante volontaire, ainsi que de la CPAM.

Par jugement du 14 octobre 2021, le pôle social du tribunal judiciaire de Montauban a :

– dit que le présent jugement est commun à la CPAM et à la société [6],

– déclaré la décision de la CPAM du 28 février 2020 de prise en charge de la maladie de M. [S] au titre de la législation professionnelle opposable à la société [11],

– dit que la maladie professionnelle du 8 octobre 2018 de M. [S] est due à la faute inexcusable de son employeur, la société [11],

– ordonné la majoration de l’indemnité servie à M. [S] à son maximum,

– ordonné une expertise médicale de M. [S],

– désigner, pour y procéder, le Docteur [I] [Z], avec pour mission, après avoir consulté l’ensemble des éléments médicaux, entendu et examiné l’assuré : avec pour mission de :

* convoquer, dans le respect des textes en vigueur, M. [S],

* après avoir recueilli les renseignements nécessaires sur l’identité de M. [S] et sa situation, les conditions de son activité professionnelle, son statut et/ou sa formation s’il s’agit d’un demandeur d’emploi, son mode de vie antérieur à sa maladie professionnelle et sa situation actuelle,

* à partir des déclarations de M.[S], au besoin de ses proches et de tout sachant, et des documents médicaux fournis, décrire en détail les lésions initiales, les modalités de traitement, en précisant, le cas échéant, les durées exactes d’hospitalisations et, pour chaque période d’hospitalisation, le nom de l’établissement, les services concernés et la nature des soins,

* recueillir les doléances de M. [S] et au besoin de ses proches, l’interroger sur les conditions d’apparition des lésions, sur l’importance des douleurs, la gêne fonctionnelle subie et leurs conséquences,

* procéder, en présence des médecins mandatés par les parties avec l’assentiment de M. [S], à un examen clinique détaillé en fonction des lésions initiales et des doléances exprimées par elle,

* analyser, dans un exposé précis et synthétique :

– la réalité des lésions initiales,

– la réalité de l’état séquellaire,

– l’imputabilité directe et certaine des séquelles aux lésions initiales en précisant au besoin l’incidence d’un état antérieur médicalement constaté avant la maladie professionnelle,

– tenir compte de la date de consolidation fixée par l’organisme social,

* préciser les éléments des préjudices limitativement listés à l’article L452-3 du code de la sécurité sociale :

– souffrances endurées temporaires et/ou définitives : décrire les souffrances physiques, psychiques ou morales découlant des blessures subies pendant la maladie traumatique en distinguant le préjudice temporaire et le préjudice définitif, les évaluer distinctement dans une échelle de 1 à 7,

– préjudice esthétique temporaire et/ou définitif : donner un avis sur l’existence, la nature et l’importance du préjudice esthétique, en distinguant le préjudice temporaire et le préjudice définitif. Evaluer distinctement les préjudices temporaire et définitif dans une échelle de 1 à 7,

– préjudice d’agrément : indiquer, notamment au vu des justificatifs produits, si la victime est empêchée en tout ou partie de se livrer à des activités spécifiques de sport ou de loisir, en distinguant les préjudices temporaires et définitifs,

– perte de chance de promotion professionnelle : indiquer s’il existait des chances de promotion professionnelle qui ont été perdues du fait des séquelles fonctionnelles,

* préciser les éléments des préjudices suivants, non couverts par le livre IV du code de la sécurité sociale:

– déficit fonctionnel temporaire : indiquer les périodes pendant lesquelles la victime a été, pour la période antérieure à la date de consolidation, affectée d’une incapacité fonctionnelle totale ou partielle, ainsi que le temps d’hospitalisation,

– assistance par tierce personne avant consolidation : indiquer le cas échéant si l’assistance constante ou occasionnelle d’une tierce personne (étrangère ou non à la famille) est ou a été nécessaire, avant consolidation, pour effectuer les démarches et plus généralement pour accomplir les actes de la vie quotidienne, préciser la nature de l’aide prodiguée et sa durée quotidienne,

– frais de logement et/ou de véhicule adaptés : donner son avis sur d’éventuels aménagements nécessaires pour permettre, le cas échéant, à la victime d’adapter son logement et/ou son véhicule à son handicap,

– préjudices permanents exceptionnels : dire si la victime subit des préjudices permanents exceptionnels correspondant à des préjudices atypiques directement liés aux handicaps permanents,

– préjudice sexuel : indiquer s’il existe ou s’il existera un préjudice sexuel (perte ou diminution de la libido, impuissance ou frigidité, perte de fertilité),

* établir un état récapitulatif de l’ensemble des postes énumérés dans cette mission,

– dit que l’expert pourra s’adjoindre tout spécialiste de son choix, à charge pour lui d’en informer préalablement le magistrat chargé du contrôle des expertises et de joindre l’avis du sapiteur à son rapport, et que si le sapiteur n’a pas pu réaliser ses opérations de manière contradictoire, son avis devra immédiatement être communiqué aux parties par l’expert,

– dit que l’expert devra communiquer un pré rapport aux parties en leur impartissant un délai raisonnable pour la production de leurs dires écrits auxquels il devra répondre dans son rapport définitif,

– dit que la CPAM fera l’avance des sommes allouées à M. [S] ainsi que des frais d’expertise et pourra en récupérer directement et immédiatement les montants auprès de la société [11],

– dit que l’expert déposera son rapport au greffe du pôle social du tribunal judiciaire de Montauban, situé [Adresse 1], dans un délai de six mois à compter de sa saisine,

– condamné in solidum la société [11] et [11] et la société [6] à payer à M. [S] la somme de 2 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

– réservé les dépens,

– dit que dans un délai d’un mois à compter de la notification de la présente décision, chacune des parties pourra interjeter appel du présent jugement.

Les sociétés [11] et [6] ont relevé appel de ce jugement le 17 novembre 2021, dans des conditions de forme et de délai non discutées, en énonçant dans leur déclaration d’appel les chefs critiqués.

Par conclusions visées au greffe le 24 novembre 2022, au soutien de ses observations orales, auxquelles il est expressément fait référence, les sociétés [11] et [6] demandent à la cour de :

À titre principal :

– constater que la maladie de M. [S] n’aurait pas dû être présumée comme étant professionnelle,

– constater qu’aucun lien de causalité n’existe entre l’affection de M. [S] et son travail au sein de la société [11],

– déclarer inopposable à la société [11] la décision de prise en charge par la CPAM de la maladie de M. [S] au titre de la législation relative aux risques professionnels.

En conséquence :

– infirmer en toutes ses dispositions le jugement du 14 octobre 2021 du tribunal judiciaire de Montauban,

– constater l’absence de maladie professionnelle de M. [S],

– débouter, en l’absence de maladie professionnelle, M. [S] de sa demande de reconnaissance d’une faute inexcusable prétendument commise par la société [11] et de ses demandes afférentes,

– débouter M. [S] de l’intégralité de ses demandes, fins et prétentions.

À titre subsidiaire :

constater que les conditions de la faute inexcusable ne sont pas remplies.

En conséquence :

– infirmer en toutes ses dispositions le jugement du 14 octobre 2021 du tribunal judiciaire de Montauban,

– débouter M. [S] de sa demande de reconnaissance d’une faute inexcusable prétendument commise par la société [11] et de ses demandes afférentes,

– mettre hors de cause la société [6],

– débouter M. [S] de l’intégralité de ses demandes.

A titre infiniment subsidiaire :

– rejeter la demande d’expertise de M. [S],

– débouter M. [S] de sa demande de condamnation de la société [11] à payer la provision à valoir sur la rémunération de l’expert,

– condamner M. [S] au paiement à chacune des sociétés défenderesses de la somme de 2 500 euros au titre l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux entiers dépens de l’instance.

Par conclusions visées au greffe le 23 novembre 2022, au soutien de ses observations orales, auxquelles il est expressément fait référence, M. [S] demande à la cour de :

– confirmer le jugement entrepris par le tribunal judiciaire de Montauban le 14 octobre 2021 dans toutes ses dispositions,

– débouter les sociétés [11] et [6] de l’intégralité de leurs demandes,

– condamner in solidum les sociétés [11] et [6] au paiement de la somme de 3 000 euros, au profit de M. [F] [S], au titre de l’article 700 1° du code de procédure civile, ainsi qu’aux entiers dépens de l’instance.

Par conclusions visées au greffe le 09 janvier 2023, auxquelles il est expressément fait référence, la CPAM du Tarn-et-Garonne intervient volontairement à l’instance et demande à la cour de :

– confirmer le jugement du 14 octobre 2021 du tribunal judiciaire de Montauban, en ce qu’il a déclaré opposable la prise en charge de la maladie professionnelle de M. [S] à la société [11],

– donner acte à la caisse qu’elle s’en remet à la sagesse de la cour sur la reconnaissance de la faute inexcusable de l’employeur et sur la majoration de rente,

– donner acte à la CPAM du Tarn-et-Garonne qu’elle s’en remet à la sagesse de la cour sur la demande d’expertise et l’indemnisation des préjudices,

– condamner, le cas échéant, la société [11] à régler à la CPAM de Tarn-et-Garonne toutes les conséquences financières de la reconnaissance de la faute inexcusable, et notamment à rembourser à la CPAM l’ensemble des sommes dont l’organisme social devrait faire l’avance à M. [S] au titre : de la majoration de la rente, des dommages et intérêts qui seraient alloués, des éventuels frais d’expertise avancées par la caisse et d’une éventuelle provision.

La CPAM a été dispensée de comparution à l’audience du 12 janvier 2023, à sa demande, et s’est expressément référée à ses écritures.

MOTIFS :

Sur le caractère professionnel de la maladie de M. [S] :

Il est constant que la CPAM a reconnu le caractère professionnel de la maladie de M. [S] le 28 février 2020, et que la SAS [11] n’a pas contesté cette décision dans le délai de deux mois de sa notification.

Il est toutefois exact, comme le souligne la société [11], que dans le cadre du litige relatif à la reconnaissance de la faute inexcusable de l’employeur, ce dernier est recevable à contester l’origine professionnelle de la maladie du salarié, que la cour doit donc rechercher.

L’article L461-1 alinéa 2 du code de la sécurité sociale dispose que : ‘est présumée d’origine professionnelle toute maladie désignée dans un tableau de maladies professionnelles et contractée dans les conditions mentionnées à ce tableau’.

En l’espèce, M. [S] a développé une silicose, prise en charge par la CPAM au titre du tableau n°25 ‘affections consécutives à l’inhalation de poussières minérales renfermant de la silice cristalline, des silicates cristallins, du graphite ou de la houille’.

La SAS [11] oppose que M. [S] ne remplirait pas les conditions posées par le tableau n°25 pour bénéficier de la présomption de maladie professionnelle.

Le tableau n°25 mentionne la silicose chronique dont est atteinte M. [S] à la rubrique A 2.- ‘Silicose chronique : pneumoconiose caractérisée par des lésions interstitielles micro nodulaires ou nodulaires bilatérales révélées par des examens radiographiques ou tomodensitométriques ou par des constatations anatomopathologiques lorsqu’elles existent ; ces signes ou ces constatations s’accompagnent ou non de troubles fonctionnels respiratoires.’

Le délai de prise en charge de cette maladie professionnelle est de 35 ans sous réserve d’une durée d’exposition de 5 ans aux poussières de silice cristalline.

La SAS [11] estime que M. [S] ne prouve pas qu’il a été exposé à de telles poussières pendant au moins 5 ans au poste qu’il a occupé, qu’il ne démontre pas le lien entre sa maladie et son travail, et qu’il doit démontrer qu’il a effectué l’une des tâches énumérées au tableau n°25.

Or ce tableau fournit une ‘liste indicative des principaux travaux susceptibles de provoquer ces maladie’, il ne s’agit donc pas d’une énumération limitative.

Cette liste est la suivante :

‘Travaux exposant à l’inhalation des poussières renfermant de la silice cristalline, notamment :

-Travaux dans les chantiers et installations de forage, d’abattage, d’extraction et de transport de minerais ou de roches renfermant de la silice cristalline ;

-Travaux en chantiers de creusement de galeries et fonçage de puits ou de bures dans les mines ; Concassage, broyage, tamisage et manipulation effectués à sec, de minerais ou de roches renfermant de la silice cristalline ;

-Taille et polissage de roches renfermant de la silice cristalline ;

-Fabrication et manutention de produits abrasifs, de poudres à nettoyer ou autres produits renfermant de la silice cristalline ;

-Travaux de ponçage et sciage à sec de matériaux renfermant de la silice cristalline

-Extraction, refente, taillage, lissage et polissage de l’ardoise ;

-Utilisation de poudre d’ardoise (schiste en poudre ) comme charge en caoutchouterie ou dans la préparation de mastic ou aggloméré ;

-Fabrication de carborundum, de verre, de porcelaine, de faïence et autres produits céramiques et de produits réfractaires ;

-Travaux de fonderie exposant aux poussières de sables renfermant de la silice cristalline : décochage, ébarbage et dessablage ;

-Travaux de meulages, polissage, aiguisage effectués à sec, au moyen de meules renfermant de la silice cristalline ;

-Travaux de décapage ou de polissage au jet de sable contenant de la silice cristalline;

-Travaux de construction, d’entretien et de démolition exposant à l’inhalation de poussières renfermant de la silice cristalline ;

-Travaux de calcination de terres à diatomées et utilisations des produits de cette calcination ; Travaux de confection de prothèses dentaires.’

En l’espèce, il résulte de l’enquête de la CPAM que M. [S] a été affecté de 1979 à 2018 au poste d’émailleur ; il travaillait en cabine à la finition, l’enrobage et l’émaillage de pièces sanitaires, par pulvérisation au pistolet.

Il est produit un avis de contrôle non conforme de la société [7] du 13 septembre 2002 relatif à l’exposition des salariés de la SAS [11] à la poussière de silice s’agissant des postes ‘coulage cuvettes’, ‘émaillage module I’, ‘finisseur grès salle B’, ‘contrôle Robot Grès’ et ‘robot porcelaine’.

Or M. [S] a occupé durant 39 ans le poste d’émaillage, les tâches qui y sont effectuées correspondent selon la cour à celles mentionnées au tableau n° 25 comme ‘Fabrication de carborundum, de verre, de porcelaine, de faïence et autres produits céramiques et de produits réfractaires’.

M. [S], exposé dans le cadre de son activité professionnelle aux poussières de silice durant plus de cinq ans, démontre bien remplir les conditions relatives au tableau n°25, il bénéficie donc de la présomption de maladie professionnelle ; de son côté la SAS [11] ne produit aucune pièce de nature à renverser efficacement cette présomption.

Le caractère de maladie professionnelle doit donc être retenu en l’espèce, et est opposable à l’employeur.

Sur la faute inexcusable de la SAS [11] :

Aux termes de l’article L 452-1 du code de la sécurité sociale, lorsque l’accident est dû à la faute inexcusable de l’employeur ou de ceux qu’il s’est substitué dans la direction, la victime ou ses ayants droit ont droit à une indemnisation complémentaire dans les conditions définies aux articles suivants.

Le manquement à l’obligation de sécurité et de protection de la santé à laquelle l’employeur est tenu envers le travailleur a le caractère d’une faute inexcusable lorsque l’employeur avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel était soumis le travailleur et qu’il n’a pas pris les mesures nécessaires pour l’en préserver.

Il est indifférent que la faute inexcusable commise par l’employeur ait été la cause déterminante de la maladie professionnelle subie par le salarié. Il suffit qu’elle en soit la cause nécessaire pour que la responsabilité de l’employeur puisse être engagée, alors même que d’autres fautes, en ce compris celle de la victime, auraient concouru au dommage.

Hormis pour certaines catégories de travailleurs qui bénéficient d’un régime probatoire particulier, il incombe en principe au salarié agissant en reconnaissance de la faute inexcusable de son employeur de prouver que ce dernier, qui devait avoir conscience du danger auquel il était exposé, n’a pas pris les mesures nécessaires pour l’en préserver.

En l’espèce, il appartient à cette cour de déterminer si la SAS [11] avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel M. [S] était exposé, au regard de la réglementation existante, des connaissances scientifiques et des conditions de travail de ce dernier et le cas échéant si son employeur a pris les mesures nécessaires pour l’en préserver.

Sur le plan général, plusieurs textes légaux et réglementaires ont précisé les obligations de l’employeur en termes de sécurité à apporter aux salariés qui sont exposés aux poussières d’une manière générale, tels que la loi du 12 juin 1893 (propreté, hygiène, salubrité, poussières), le décret du 10-11 mars 1894 (poussières et gaz insalubres ou toxiques), le décret du 10 juillet 1913 (nettoyage du sol) ou encore le décret du 13 décembre 1948 (masques individuels et dispositifs spécifiques contre les poussières).

La législation professionnelle a reconnu le risque lié à l’inhalation de poussières minérales en inscrivant notamment la silicose par ordonnance du 3 août 1945, au tableau n°25 des maladies professionnelles.

A compter de l’arrêté du 17 janvier 1955, les entreprises confiant à leurs salariés des travaux d’émaillage des métaux ou de fabrication de porcelaine, faïence ou autres produits céramiques, telles que la SAS [11], ont été soumises aux obligations fixées par le décret du 16 octobre 1950 relatif aux ‘mesures particulières de prévention médicale de la silicose professionnelle'(suivi médical renforcé, tenue d’un registre spécial par l’employeur, affichage des examens).

Le décret du 6 juin 1969 a fixé des mesures particulières de protection des salariés affectés aux travaux de décapage, dépolissage ou de dessablage au jet dans tous les secteurs industriels (travail en cabine étanche, captage des poussières, port d’une cagoule ventilée, de vêtements de travail et de gants).

Le décret n°97-331 du 10 avril 1977, applicable au 1er juillet 1998, relatif à la protection de certains travailleurs exposés à l’inhalation de poussières siliceuses sur leur lieu de travail, a fixé de nouvelles valeurs d’exposition à ces poussières.

Par ailleurs, ce décret a impliqué que des contrôles d’empoussièrement soient effectués par les entreprises dans un délai de 6 mois à compter de sa publication, puis régulièrement renouvelés dans le cadre général «des obligations du chef d’établissement à évaluer et à surveiller les expositions aux risques chimiques» lors de toute modification des procédés de travail pouvant entraîner une modification de la constitution des poussières.

En outre, au moins à partir du décret du 17 août 1977, mais plus généralement dès le décret du 13 décembre 1948 (protection individuelle) et notamment le décret du 10 avril 1997, ces entreprises avaient obligation de prendre les mesures de protection collective et individuelle nécessaires pour garantir la sécurité et la santé à leurs employés.

Ainsi, avant même l’embauche de M. [S], le risque lié à l’inhalation de poussières de silice était connu et soumis à de strictes mesures de prévention.

De manière spécifique, la question des risques liés à l’inhalation de poussières de silice au sein de la SAS [11] a été évoquée par le [4] lors d’une réunion du 28 avril 1981, et cette exposition a été dénoncée par la section syndicale CGT de l’entreprise dans un tract non daté, évoquant les risques encourus par les salariés de l’atelier émaillage, ayant suscité une alerte adressée par le syndicat au [4] en 1997 ; ce tract évoque un 15ème cas de silicose déclaré en 2017 par un salarié de la SAS [11].

Le bulletin d’information de la CGT du 28 novembre 2001 précisait déjà que, lors de la dernière réunion du [4], il était évoqué l’existence de trois cas de silicoses survenus dans le secteur émaillage, et soulignait le fait que ce problème de silicose pouvait se présenter ‘partout où il y a des finitions en sec ou émaillage’.

Ce même bulletin d’information, dans son édition du 29 janvier 2002, notait la survenance d’un 4ème cas de silicose dans l’entreprise ; il était alors réclamé en réunion du [4] l’entretien et le contrôle des cabines d’émaillage, et évoqué des tuyaux d’aspiration bouchés.

De nouvelles mesures étaient réclamées le 11 mai 2004 par cette section syndicale, au regard du 7ème cas déclaré de silicose.

Ainsi, il appartient à la SAS [11] de faire la preuve de mesures de prévention prises pour prévenir ou limiter les risques liées à l’inhalation de poussières minérales par le salarié au regard des éléments réglementaires précités et des alertes émises par les représentants syndicaux via le [4].

La SAS [11] soutient avoir mis à disposition des salariés dès 1990 des masques de protection, et admet que le respect du port du masque n’était pas total de sorte qu’elle a effectué une campagne de sensibilisation en mars 1998 et rendu obligatoire le port de masques.

Or il est rappelé que M. [S] travaillait au poste d’émailleur depuis 1979.

Le rapport annuel du médecin du travail, le Docteur [E], rappelait en 1999 que la réduction de l’empoussièrement des ateliers était un objectif prioritaire, le risque de silicose étant visé dans son rapport.

M. [S] produit des photographies non datées des locaux pour démontrer cet empoussièrement général, problème sur lequel les représentants du personnel interrogeaient la direction lors d’une réunion [4] du 12 octobre 2012 (empoussièrement du hall des matières premières, de la préparation et de l’atelier maintenance), d’une réunion du 23 octobre 2012 (tuyaux d’aspiration percés dans l’atelier préparation, broyage de pièces pour recyclage de la casse dans le hall des matières premières générant un nuage de poussières dans l’atelier maintenance), et lors d’une réunion du 29 mars 2013 en ce qui concerne les problèmes d’aspiration de l’atelier émaillage, ce qui permet à la cour de considérer que ce problème visible sur les photographies n’était pas résolu en 2012.

La SAS [11] justifie avoir mis en place à compter de 1991 un suivi médical renforcé des salariés travaillant dans les zones de l’entreprise soumises à un risque d’inhalation, notamment des examens pulmonaires et cardiaques et un bilan biologique réalisés par le médecin du travail.

Aucun élément n’est produit concernant le suivi dont aurait personnellement bénéficié M. [S], les rapports du SMTI 82 visant néanmoins l’ensemble des salariés.

La SAS [11] évoque des prélèvements ponctuels d’atmosphère réalisés par la CRAM en 1988 et 1993, dans les cabines d’émaillage, et dont les résultats seraient légèrement en dessous de la valeur limite d’exposition aux poussières de silice.

S’agissant des prélèvements de 1988, dont le lieu est ignoré, les résultats ne sont pas communiqués, seul est produit le courrier d’accompagnement de la CPAM du 10 novembre 1988, ne comportant aucun commentaire.

S’agissant des prélèvements du 24 février 1993, 2 des 4 prélèvements (dont le site est ignoré) révèlent des mesures d’exposition à la silice supérieures à la valeur maximale de 1 (1,40 sur le prélèvement 4 et 2,73 sur le prélèvement 8).

S’agissant de la cabine d’émaillage il est indiqué que la première configuration permet ‘pour la première fois depuis des essais (19/09/90) à maintenir la concentration au poste juste en dessous (légèrement) de la valeur limite d’exposition’ et que ‘la deuxième configuration en revanche n’est pas satisfaisante comme le confirment les prélèvements d’atmosphère’.

Il est également produit un rapport de prélèvements de la silice effectués par [7] entre le 19 juin 2002 et le 4 juillet 2002 sur 20 postes différents de l’entreprise, pour 5 postes les prélèvements sont non-conformes aux valeurs maximales d’exposition autorisées, notamment sur le poste module 1 (émaillage).

Ces éléments ne permettent donc pas de considérer que l’ensemble des prélèvements étaient parfaitement satisfaisants.

Seuls le prélèvement sur le poste ‘ponçage berceaux’ du 3 mai 1993 et les prélèvements effectués par la société [5] en 1999 sur les postes de nettoyage wagon four 5 et opérateur de chargement/déchargement de four, permettaient de noter l’absence de silice cristallisée, or ces postes n’ont pas été occupés par M. [S].

Il en va de même pour les prélèvements effectués par la société [7] en 2003 et 2006, montrant un respect des seuils réglementaires sur les postes d’opérateur ‘robot gris’, ‘robot porcelaine’ ou cabine Shanks en 2003, et les postes d’opérateur ‘robot Kuka’, ‘carrousel 1″ et ‘carrousel 3″.

L’employeur se prévaut également de contrôles effectués par le SMTI 82 en mai 2013 et mars 2016 dont les résultats permettraient d’affirmer que les mesures étaient suffisantes si les masques étaient correctement portés.

Or le rapport de mai 2013 ne permet pas à la cour de faire cette constatation, aucun prélèvement n’y étant évoqué ; seul le rapport de 2016 évoque des valeurs d’exposition pour lesquelles le port du masque serait suffisant ‘si correctement porté’ ce qui reste hypothétique, la mesure étant, en tout état de cause, soumise au contrôle de l’employeur.

La SAS [11] justifie de travaux sur les cabines d’émaillage pour éviter l’empoussièrement à compter de 1992, avec un investissement de 25916,33 € en janvier 1998.

Pourtant, il était encore évoqué par le [4] lors d’une réunion du 27 novembre 2013 le défaut d’étanchéité des cabines d’émaillage laissant passer la poussière.

Compte tenu de la recrudescence de cas de silicose dans l’entreprise, une réunion extraordinaire du [4] s’est tenue le 6 octobre 2018 en présence de l’inspection du travail ; les membres du [4] dénonçaient encore l’absence de protection des salariés face à l’exposition aux poussières de silice.

Un plan d’action d’ampleur a alors été mis en place par l’employeur, afin de pallier les carences en matière de protection aux poussières.

Ce plan d’action de 2018 produit aux débats montre bien l’importance des mesures à prendre compte tenu de l’existant : mise en place de rideaux d’eau, de rafraîchisseurs d’air supplémentaires, nettoyage de l’usine durant les congés d’été, désencombrement de l’usine pour limiter le dépôt de silice, vérification mensuelle des aspirations, mise ne place d’appareils filtrants à ventilation assistée.

M. [S] admet avoir obtenu un équipement de protection uniquement à compter de 1998, consistant en un masque. Le port de la cagoule ventilée en poste d’émaillage n’a été rendu obligatoire qu’en 2017 alors que les représentants du personnel attiraient l’attention de la direction sur cette nécessité dès la réunion du [4] du 27 novembre 2013, et que la législation l’évoquait dès 1969.

Il a occupé exclusivement durant toute sa carrière le poste d’émailleur, pendant 39 ans.

Ce poste fait partie de ceux visés par les représentants du personnel comme présentant un défaut de mesures efficaces de protection contre les poussières de silice jusqu’en 2018, et de ceux visés par la CPAM dans son enquête comme exposant au risque d’inhalation de poussières de silice.

Au regard de l’ensemble de ces éléments, la cour considère que la société [11] avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel était soumis M. [S] et qu’elle n’a pas pris les mesures nécessaires pour l’en préserver.

Le jugement entrepris ayant retenu la faute inexcusable de la société [11] sera en conséquence confirmé.

Sur les conséquences indemnitaires :

Sur la majoration de l’indemnité d’IPP en capital :

La faute inexcusable de l’employeur ayant été retenue par la cour, il convient de confirmer le jugement déféré ayant ordonné la majoration de l’indemnité en capital prévue par l’article L. 452-2 du code de la sécurité sociale, étant rappelé qu’il a été attribué à M. [S] une indemnité en capital en considération d’un taux d’IPP de 9 %.

Sur l’indemnisation des préjudices complémentaires :

M. [S], qui présente actuellement des troubles respiratoires et dont l’état a été déclaré consolidé le 13 mars 2020, est recevable et bien fondé en sa demande d’expertise afin d’évaluer ses différents chefs de préjudices.

Le jugement entrepris sera confirmé en ce qu’il a ordonné cette mesure.

Sur l’action récursoire de la CPAM :

Il résulte de l’article L.452-3 du code de la sécurité sociale que la caisse primaire d’assurance maladie dispose d’une action récursoire contre l’employeur dont la faute inexcusable est reconnue dans l’accident du travail ou la maladie professionnelle du salarié, pour les sommes dont elle a été amenée à faire l’avance au titre de la réparation des préjudices ainsi qu’au titre de la majoration de la rente.

Par application des dispositions de l’article L.452-3-1 du code de la sécurité sociale, quelles que soient les conditions d’information de l’employeur par la caisse au cours de la procédure d’admission du caractère professionnel de l’accident ou de la maladie, la reconnaissance de la faute inexcusable de l’employeur par une décision de justice passée en force de chose jugée emporte obligation pour celui-ci de s’acquitter des sommes dont il est redevable.

Il résulte donc de ces dispositions cumulées que lorsque la faute inexcusable de l’employeur est reconnue, ce dernier doit rembourser à la caisse la totalité des sommes dues à la victime, liées à la reconnaissance de la faute inexcusable, y compris la majoration de la rente.

En l’espèce, la faute inexcusable de la société [11] a été retenue quant à la survenance de la maladie professionnelle de M. [S].

En conséquence, le jugement entrepris sera confirmé en ce qu’il a accueilli l’action récursoire de la CPAM de Tarn-et-Garonne exercée à l’égard de la société [11] pour les sommes dont elle aura fait l’avance au titre des frais d’expertise et de l’indemnisation des préjudices de M. [S].

Sur le surplus des demandes :

Le jugement entrepris sera confirmé en ses dispositions relatives aux frais irrépétibles et aux dépens.

La société [11] et la société [6], succombantes en leur recours, seront condamnées in solidum aux dépens d’appel et à payer à M. [S] la somme de 2500€ au titre de l’article 700 du code de procédure civile pour les frais irrépétibles exposés en appel.

PAR CES MOTIFS :

Confirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions,

y ajoutant,

Condamne in solidum la société [11] et la société [6] à payer à M. [F] [S] la somme de 2500 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile, au titre des frais irrépétibles exposés en appel,

Condamne in solidum la société [11] et la société [6] aux dépens d’appel.

Le présent arrêt a été signé par Catherine BRISSET, présidente, et par Arielle RAVEANE, greffière.

LA GREFFIÈRE, LA PRÉSIDENTE,

Arielle RAVEANE Catherine BRISSET.

 


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