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Le 15 avril 2020, la société Colas rail a signé un contrat de transport ferroviaire avec la société Comptoir des calcaires et matériaux pour des prestations de transport de granulats. La société Millet rail a repris ce contrat après avoir acquis le fonds de commerce de Colas. Le 4 avril 2022, la société CCM a mis en demeure la société Millet de payer 358.258,80 euros pour un trop-perçu, ce que Millet a contesté. En conséquence, CCM a assigné Millet devant le tribunal de commerce de Valenciennes le 25 avril 2022.
Le tribunal a rendu un jugement le 4 juillet 2023, rejetant l’exception de nullité de l’assignation, déclarant prescrites les demandes de CCM pour les opérations antérieures au 25 avril 2021, et déboutant CCM de ses demandes pour les opérations postérieures. CCM a été condamnée à payer 1.200 euros à Millet pour les frais de justice. CCM a interjeté appel le 13 juillet 2023. Dans ses conclusions, CCM demande l’infirmation du jugement et le paiement de 358.248,80 euros, tandis que Millet demande la confirmation du jugement et le rejet de l’appel. CCM soutient que la part fixe facturée par Millet ne correspond pas aux transports réalisés, tandis que Millet argue que la part fixe couvre les coûts engagés, indépendamment des transports effectués. La cour a finalement infirmé le jugement du tribunal de commerce, rejeté la prescription soulevée par Millet, condamné Millet à payer 231.000 euros à CCM avec intérêts, et a ordonné la capitalisation des intérêts. Millet a également été condamnée aux dépens et à payer 3.000 euros à CCM pour les frais d’appel. |
REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
Au nom du Peuple Français
COUR D’APPEL DE DOUAI
CHAMBRE 2 SECTION 2
ARRÊT DU 17/10/2024
N° de MINUTE :
N° RG 23/03287 – N° Portalis DBVT-V-B7H-VACT
Jugement (N° 2022003074) rendu le 04 juillet 2023 par le tribunal de commerce de Valenciennes
APPELANTE
SARL Comptoir des Calcaires et Matériaux prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège
ayant son siège social, [Adresse 1] [Localité 3]
représentée par Me Patrick Kazmierczak, avocat au barreau de Douai, avocat constitué
assistée de Me Sylvie Neige, avocat au barreau de Paris, avocat plaidant
INTIMÉE
SAS Millet Rail, prise en la personne de son président domicilié audit siège
ayant son siège social, [Adresse 2] [Localité 4]
représentée par Me Fabien Chapon, avocat au barreau de Douai, avocat constitué
assistée de Me Véronique Jobin, avocat au barreau de Paris, avocat plaidant
DÉBATS à l’audience publique du 11 juin 2024 tenue par Nadia Cordier magistrat chargé d’instruire le dossier qui a entendu seule les plaidoiries, les conseils des parties ne s’y étant pas opposés et qui en a rendu compte à la cour dans son délibéré (article 805 du code de procédure civile).
Les parties ont été avisées à l’issue des débats que l’arrêt serait prononcé par sa mise à disposition au greffe.
GREFFIER LORS DES DÉBATS : Marlène Tocco
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ
Stéphanie Barbot, présidente de chambre
Nadia Cordier, conseiller
Anne Soreau, conseiller
ARRÊT CONTRADICTOIRE prononcé publiquement par mise à disposition au greffe le 17 octobre 2024 (date indiquée à l’issue des débats) et signé par Stéphanie Barbot, présidente et Marlène Tocco, greffier, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.
ORDONNANCE DE CLÔTURE DU : 14 mai 2024
Le 15 avril 2020, la société Colas rail (la société Colas) a signé un contrat de transport ferroviaire avec la société Comptoir des calcaires et matériaux (la société CCM). Ce contrat a pour objet la réalisation de prestations de transports ferroviaires de granulats.
La société Millet rail (la société Millet), qui a racheté le fonds de commerce de la société Colas, a repris ce contrat de transport selon un protocole d’accord du 29 mai 2020.
Par lettre recommandée du 4 avril 2022, la société CCM a mis en demeure la société Millet de lui régler la somme de 358.258,80 euros au titre d’un trop-perçu estimé sur ce contrat.
Le 15 avril 2022, la société Millet lui a répondu en contestant son interprétation du contrat et a refusé de payer cette somme.
Le 25 avril 2022, la société CCM a assigné la société Millet devant le tribunal de commerce de Valenciennes.
Par jugement du 4 juillet 2023, le tribunal de commerce a notamment :
– rejeté l’exception de nullité de l’assignation soulevée par la société Millet ;
– dit que les demandes de la société CCM pour toutes les opérations de transport antérieures au 25 avril 2021 sont prescrites ;
– débouté la société CCM de ses demandes pour les opérations de transports postérieures au 25 avril 2021 ;
– condamné la société CCM à payer à la société Millet la somme de 1 200 euros sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile ;
– condamné la société CCM aux entiers frais et dépens de l’instance.
Par déclaration du 13 juillet 2023, la société CCM a relevé appel de l’ensemble des chefs la concernant, hormis celui rejetant l’exception de nullité de l’assignation soulevée par la société Millet.
PRETENTIONS
Par conclusions signifiées le 30 avril 2024, la société CCM demande à la cour, au visa des dispositions des articles 1352 à 1352-9 du code civil, 1103, 1004 et 1217 du code civil, de :
– infirmer le jugement en toutes ses dispositions
et statuant à nouveau
– condamner la société Millet à lui payer la somme de 358 248,80 euros avec intérêts de droit à compter de la délivrance de l’assignation de première instance et capitalisation des intérêts en application de l’article 1343-2 du code civil ;
– débouter la société Millet de toutes demandes contraires aux présentes ; – condamner la société Millet à lui régler la somme de 5 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
– condamner la société Millet aux entiers dépens de la procédure toutes taxes comprises, ceux d’appel distraits au profit de Me Kazmierczark.
La société CCM expose que :
– la société Millet a facturé mensuellement une part fixe correspondant à un objectif annuel de 230 trains alors que ledit objectif n’a jamais été atteint ;
– la convention conclue entre les parties s’analyse en un partenariat qui envisage et décrit les engagements réciproques, sans déterminer les éléments indispensables à chaque transport, de sorte que les contrats de transport ne sont pas caractérisés et que la société Millet ne peut, pour s’opposer à la demande de remboursement, se prévaloir de l’article L 133-6 du code de commerce ;
– il n’est pas possible de déterminer le point de départ du délai d’un an, lequel part de la remise de la marchandise, qui en l’occurrence, n’a pas lieu d’être ici, puisqu’aucune livraison n’a pu intervenir en l’absence de réalisation de tout transport et qu’il s’agit d’un montant de la part fixe applicable en fonction du nombre de transports réalisés annuellement ;
– c’est donc nécessairement le délai de prescription de cinq ans qui trouve à s’appliquer en l’espèce, comme cela résulte de la première phase de l’article 12
– l’opération de transport ne doit pas être confondue avec la « commande » de transport, sauf à modifier le point de départ du délai de prescription au mépris de la disposition légale précitée, d’autant que la société Millet n’apporte aucunement la preuve de la remise de la marchandise au destinataire ou de l’offre de remise ;
– dans l’hypothèse où le délai d’un an serait applicable, le point de départ du délai d’un an serait alors nécessairement l’année N +1, soit mai 2021, la prescription n’étant pas encourue lors de la délivrance de l’assignation du 25 avril 2022.
Elle se prévaut du mécanisme de rémunération fixé à l’article 8 de la convention, lequel prévoit une part fixe et une part variable. La rémunération de la part fixe est fonction du nombre de transports réalisés puisque les parties sont expressément convenues que cette part fixe évoluera en fonction du nombre de transports suivant un barème sous forme de Bonus/malus.
Elle souligne que l’affirmation de la société Millet quant à un non-respect des obligations par son partenaire et quant à des dépenses engagées pour mettre en oeuvre ses prescription n’est pas justifiée, d’autant moins que ces éléments n’ont aucune incidence sur la détermination de la part fixe ; que la clause 8-3 vise expressément les défaillances des parties dans l’accomplissement des obligations à leur charge.
Si la part variable fait référence aux trains réalisés, c’est en raison du fait que leur constitution modifie la part de rémunération attachée.
Elle ajoute que lors de la première année d’exécution du contrat, la société CCM a planifié 236 trains, mais seuls 189 ont été réalisés ; qu’il est produit les annulations de transports émises par la société Millet, ce qui justifie une diminution de la part fixe annuelle de 5% pour les trains manquants jusqu’à l’objectif de 210 trains, et une diminution de 11 000 euros en-deçà de l’objectif de 210.
Par conclusions signifiées le 13 mai 2024, la société Millet demande à la cour de :
– confirmer le jugement du 4 juillet 2023 du tribunal de commerce de Valenciennes en toutes ses dispositions ;
– débouter la société CCM de son appel ;
– condamner la société CCM à lui payer la somme de 5 000 euros au titre de ses frais irrépétibles, sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;
– condamner la société CCM au paiement des entiers dépens de l’instance d’appel.
Sur la recevabilité de l’action, elle plaide que l’action de la société CCM ne pourrait concerner que les transports de la période postérieure au 25 avril 2021, compte tenu de la date de l’assignation et de l’application du délai annal de l’article L 133-6 du code de commerce.
La demande de la société CCM porte sur des transports réalisés du mois de juin 2020 au mois d’avril 2021 et les factures contestées ont été effectuées en vertu et selon les règles décrites dans le contrat de transport ferroviaire conclu entre les parties. Même dans les cas où l’opération de transport, telle que prévue au contrat de transport ne se réalise pas, la prescription est également encourue. L’argument de la société CCM sur un délai annal à compter de l’année N+1 se heurte aux dispositions de l’article L 133-6 du code de commerce, et également à l’article 12 du contrat de transport.
Sur le fond, les demandes de la société sont mal fondées et se heurtent à l’équilibre contractuel prévu par les parties compte tenu de l’isolement géographique de la carrière et de la nécessité de mobiliser des ressources pour réaliser le plan de transport fixé au contrat. La part fixe couvre les coûts fixes engagés et supportés par le transporteur, que les trains soient exécutés ou annulés. Les versements ne sont nullement des avances devant faire l’objet ensuite de restitution en fonction du nombre de trains réalisés. La part fixe est déterminée de manière forfaitaire.
L’interprétation de la société CMM vise à faire peser sur le seul transporteur le fait que les trains planifiés n’ont pas été réalisés, et ce pour des causes extérieures au transporteur. La société CCM ne rapporte pas la preuve qui lui incombe que les trains non réalisés soient imputables aux agissements du transporteur. De plus, cette interprétation confère à la clause un caractère léonin, en ce que le tractionnaire n’aurait pas le droit à la rémunération de la part fixe si la société CMM annulait tous ses trains, alors même que le transporteur a mis en place les moyens nécessaires et a engagé les dépenses pour exécuter la prestation. Cette interprétation ne reflète pas non plus la volonté des parties.
Suivre l’interprétation de la société CCM conduirait à rendre inutile la fixation de la part fixe, puisqu’il aurait suffi aux parties de prévoir, dans le contrat, un prix par train réalisé. Il existe d’ailleurs une part variable qui tient compte du nombre de trains effectivement réalisés.
Elle souligne que la société CCM est en déficit de commandes de trains, ce qui ne permettait pas de couvrir les aléas ferroviaires usuels et d’atteindre l’objectif de 230 trains.
I- Sur la prescription de la demande de la société CCM
Aux termes de l’article L 113-6 du code de commerce, les actions pour avaries, pertes ou retards, auxquelles peut donner lieu contre le voiturier le contrat de transport, sont prescrites dans le délai d’un an, sans préjudice des cas de fraude ou d’infidélité.
Toutes les autres actions auxquelles ce contrat peut donner lieu, tant contre le voiturier ou le commissionnaire que contre l’expéditeur ou le destinataire, aussi bien que celles qui naissent des dispositions de l’article 1269 du nouveau code de procédure civile, sont prescrites dans le délai d’un an.
Le délai de ces prescriptions est compté, dans le cas de perte totale, du jour où la remise de la marchandise aurait dû être effectuée, et, dans tous les autres cas, du jour où la marchandise aura été remise ou offerte au destinataire.
Aux termes des dispositions des articles 1103 et 1104 du code civil, les contrats légalement formés tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faits. Ils doivent être négociés, formés et exécutés de bonne foi. Cette disposition est d’ordre public.
L’article 1188 du code civil, après avoir rappelé que le contrat s’interprète d’après la commune intention des parties plutôt qu’en s’arrêtant au sens littéral de ses termes, précise que lorsque cette intention ne peut être décelée, le contrat s’interprète selon le sens que lui donnerait une personne raisonnable placée dans la même situation.
Il s’ensuit que, sans dénaturer les obligations qui résultent des termes clairs et précis d’une convention ni modifier les stipulations qu’elle renferme, il appartient au juge de rechercher la commune intention, d’interpréter les clauses d’un contrat les unes par rapport aux autres, en donnant à chacune le sens qui respecte la cohérence de l’acte tout entier.
Selon la société Millet, toutes les actions en justice relative aux factures établies en vertu du contrat de transport ferroviaire pour les prestations réalisées du mois de juin 2020 au mois d’avril 2021 sont prescrites, compte tenu de la délivrance de l’assignation le 25 avril 2022.
Les parties s’opposent, en l’espèce, sur la prescription applicable à l’action même menée par la société CCM, qui entend obtenir remboursement d’une partie de la part fixe qu’elle a réglée, à défaut d’avoir atteint l’objectif fixé par la convention, l’une se prévalant de la prescription annale applicable en droit des transports en application de l’article L 133-6 du code de commerce, tandis que l’autre se fonde sur le droit commun, ce qui suppose de déterminer la nature de la convention litigieuse.
En premier lieu, il sera observé qu’il n’est transmis par les parties aucun échange antérieur à la conclusion de la convention permettant de déterminer la commune intention des parties ou les éléments en pour-parler entre elles.
En deuxième lieu, de la convention, on peut retenir que :
– elle porte l’intitulé « contrat de transport ferroviaire » et expose en préambule que « le client souhaite améliorer la fiabilité de ses expéditions ferroviaires de marchandises vers les régions Ile-de-France, Hauts-de-France et Grand-Est. Le client considère que le transporteur dispose des compétences professionnelles nécessaires afin d’envisager avec lui les conditions d’une collaboration dans le cadre d’un contrat de transport, le transporteur affirmant par ailleurs disposer des capacités requises afin d’intervenir pour le compte du client » ;
– l’article 1 définit l’objet du contrat, qui est « la réalisation par le transporteur, pour le client, de prestations de transports ferroviaire de granulats’ Le modèle économique construit par le client pour l’expédition de ces marchandises par transport ferroviaire se base sur un trafic de 230 trains annuels (période s’étalant du 1er mai de l’année N au 30 avril de l’année N+1) répartis sur l’ensemble des lieux de destination listés à l’annexe1, à raison de 1 train maximum par jour et dans les conditions proposées par le transporteur dans le contrat » ;
– l’article 3 envisage les modalités de « planification des besoins prévisionnels », les articles suivants, et plus particulièrement l’article 5, prévoient le processus de la « commande de transport », pour quatre semaines glissantes, cette commande devant être établie chaque vendredi midi par le client, avec une confirmation par le transporteur de son acceptation des trains commandés pour la semaine suivante et les éventuelles propositions de modification ; l’article 6 comporte les engagements du transporteur sur la configuration des trains et l’article 7 les engagements du client sur le nombre de trains notamment ;
– l’article 8 définit le prix, les possibilités de révision ainsi que les pénalités, les parties s’opposant sur le sens à donner à l’article 8-1 qui prévoit une part fixe et une part variable, et une rémunération complémentaire ;
– suivant l’article précité, « la facturation se fera mensuellement sur la base de :
– une part fixe :
Elle rémunère l’ensemble des moyens nécessaires mis en place par le transporteur pour assurer la prestation de la gare d'[Localité 5] aux différents lieux de livraison afin de répondre à ce présent contrat.
Elle est de 2 545176.00 euros HT, soit une part fixe mensuelle de 212 098 euros HT (Ce montant correspond à un théorique de 230 trains annuels)
Il est convenu que cette part fixe évoluera suivant le barème joint sous forme de Bonus/Malus.
Plafonnement au-delà de 270 trains : +5% soit une part fixe annuelle de 2 672 434 euros/an
De 251 à 270 trains : 2% soit une part fixe annuelle de 2 596 070,20 euros/an
De 230 trains à 250 trains : Part fixe de 2 545 176 euros/an :
De 229 à 220 trains : – 2 % soit une part fixe annuelle de 2 494 272, 48 euros
De 219 à 2010 trains : – 5% soit une part fixe annuelle de 2 417 917,20 euros/an :
Moins de 210 trains : Annulation de l part fixe correspondant à chaque train annulé : -11 000 euros
L’objectif annuel de réalisation est de 230 trains sur une période de 48 semaines.
une part variable facturée par train réalisé selon l’annexe 1 du Contrat ‘ ».
l’article 12, intitulé « Responsabilités », prévoit que « les parties assument les responsabilités de toute nature résultant de leur fait ou de l’exécution du présent contrat. D’un commun accord entre les parties, les actions nées du présent contrat seront engagées dans les conditions de droit commun. Elles se prescriront au plus tard dans un délai d’un an à compter de la date de l’opération ».
Ainsi, si la convention précitée porte la dénomination de contrat de transport, il ressort des stipulations ci-dessus détaillées que cette convention n’a pas pour but d’organiser spécifiquement une opération de transport déterminée et spécialement identifiée.
En effet, elle constitue uniquement un contrat-cadre par lequel les parties s’engagent à se confier des marchandises, selon un certain rythme et à mettre à disposition des moyens pour assurer la livraison de ces marchandises en contrepartie du paiement d’un prix, comportant une part fixe et une part variable.
Ce contrat-cadre prévoit d’ailleurs de se décliner, pour chaque opération de transports, avec une commande de transport et une acceptation de cette commande, comme l’énonce expressément l’article 5 du contrat. Ce sont cette commande et cette acceptation, relatives à des opérations déterminées, planifiées et identifiées, qui donnent naissance au contrat de transport à proprement parler.
Pour estimer applicable la prescription annale à chaque opération de transport, la société Millet invoque qu’aucune distinction n’est opérée entre opération réalisée ou non, l’article 12 se référant expressément à la prescription annale et fixant comme point de départ de celle-ci « la date de l’opération », sous-entendu de transport.
Toutefois, il ne saurait être tiré argument de cet article 12, d’une part, compte tenu de sa portée ; d’autre part, compte tenu de l’ambiguïté qu’il renferme.
En effet, l’article 12 se situe dans un paragraphe spécifique consacré aux « responsabilités » et rien ne permet d’étendre les stipulations qu’il comporte à un autre domaine. Or, la présente action de la société CCM n’est aucunement la mise en oeuvre d’une responsabilité quelconque, mais consiste en une demande de remboursement d’un trop-payé selon elle.
Au surplus, la première phrase de cet article se réfère expressément à l’engagement des actions conformément aux « conditions de droit commun », par opposition au droit spécial, ce qu’est le droit des transports par exemple, et peut être comprise comme renvoyant à la prescription quinquennale, alors que la phrase suivante de cette même stipulation évoque que « ces actions se prescriront au plus tard dans un délai d’un an à compter de la date de l’opération ».
En tout état de cause, l’action engagée par la société CCM n’est pas fondée sur une « opération de transport » à proprement parler mais sur le contrat-cadre et la prescription qui lui serait opposée ne peut courir à compter de « la date de l’opération », puisque justement l’opération de transport n’a pas été réalisée.
En outre, il doit être observé que les points de départ du délai de prescription de l’article L 133-6, à savoir la livraison ou la remise de la marchandise, ou en cas de perte, le jour où la marchandise aura été remise ou offerte au destinataire, ne peuvent trouver à s’appliquer en l’espèce, faute d’opération réalisée.
En dernier lieu, le sens même de la convention contredit l’interprétation de la société Millet. Il est expressément envisagé, d’une part, un objectif de 230 trains annuel sur une période s’étalant du 1er mai de l’année N au 30 avril de l’année N+1, d’autre part, une fixation d’un prix, avec un « prix fixe » en fonction des quantités de transports réalisés et une part variable, outre une part complémentaire.
Or, déterminer la quantité de transports réalisés suppose d’attendre que la totalité de la période prise en référence, les 48 semaines sur cette période précitée, soit écoulée, afin de faire le compte entre les parties, sans que la société Millet puisse opposer le paiement sans contestation de la facture mensuelle de l’année précédente et la prescription des demandes relatives au trop payé pour ces factures.
En conséquence, s’agissant d’une convention-cadre, la prescription annale, prévue par l’article L. 133-6 du code de commerce comme par les stipulations contractuelles, ne trouve pas à s’appliquer en l’espèce.
La décision entreprise est donc infirmée et la fin de non-recevoir tirée de la prescription est rejetée.
II- Sur la demande en remboursement
En vertu des dispositions de l’article 1353 du code civil, celui qui réclame l’exécution d’une obligation doit la prouver. Réciproquement, celui qui se prétend libéré doit justifier le paiement ou le fait qui a produit l’extinction de son obligation.
En premier lieu, l’article 8-1 de la convention stipule que « la facturation se fera mensuellement sur la base de :
– une part fixe :
Elle rémunère l’ensemble des moyens nécessaires mis en place par le transporteur pour assurer la prestation de la gare d'[Localité 5] aux différents lieux de livraison afin de répondre à ce présent contrat.
Elle est de 2 545176.00 euros HT, soit une part fixe mensuelle de 212 098 euros HT (Ce montant correspond à un théorique de 230 trains annuels)
Il est convenu que cette part fixe évoluera suivant le barème joint sous forme de Bonus/Malus.
Plafonnement au-delà de 270 trains : +5% soit une part fixe annuelle de 2 672 434 euros/an
De 251à 270 trains : 2% soit une part fixe annuelle de 2 596 070,20 euros/an
De 230 trains à 250 trains : Part fixe de 2 545 176 euros/an :
De 229 à 220 trains : – 2 % soit une part fixe annuelle de 2 494 272, 48 euros
De 219 à 2010 trains : – 5% soit une part fixe annuelle de 2 417 917,20 euros/an :
Moins de 210 trains : Annulation de la part fixe correspondant à chaque train annulé : -11 000 euros
L’objectif annuel de réalisation est de 230 trains sur une période de 48 semaines.
– une part variable facturée par train réalisé selon l’annexe 1 du Contrat ‘
– rémunération de la prestation entre la gare d'[Localité 5] et la carrière ‘».
Quand bien même cette clause précise un prix calculé sur un objectif de 230 trains et n’emploie pas le terme « avance » pour qualifier le montant mensuel arrêté et déterminé en fonction de l’objectif précité, il ressort de ces termes clairs et précis qui ne nécessite aucune interprétation que la détermination définitive de la part fixe dépend de la quantité de trains réalisés sur la période de référence.
D’ailleurs, cette stipulation évoque « un théorique de 230 trains annuels » et précise expressément qu’« il est convenu que cette part fixe évoluera suivant le barème joint sous forme de Bonus/Malus ».
Ainsi, le terme fixe ne saurait être compris comme signifiant que le montant calculé sur le nombre théorique de 230 trains était définitif et ferme.
En effet, la part fixe est fixée forfaitairement. Néanmoins, le montant de ce forfait dépend de la quantité de trains programmés et réalisés effectivement, les parties ayant d’ailleurs déterminé des tranches en fonction du nombre de trains, donnant lieu à l’application d’un pourcentage sur la part fixe obtenue en fonction de l’objectif théorique.
Pour contredire cette lecture, la société Millet souligne qu’il n’est nullement fait référence dans la clause aux trains exécutés et que les parties ont été en mesure de prévoir, notamment pour la part variable, le renvoi aux trains réalisés quand elle le souhaitait, ce qui l’a conduite à retenir que le paiement de la part fixe n’est pas conditionné aux seuls transports effectivement réalisés.
Pourtant, le renvoi à des barèmes évoquant des tranches de trains particulières et surtout la dernière tranche, en deçà de 210 trains, prévoyant l’« annulation de la part fixe correspondant à chaque train annulé », sans d’ailleurs qu’il soit prévu une distinction selon la cause ou l’auteur de l’annulation du train, permet d’écarter cette objection.
Il ressort de la stipulation claire et précise, que pour le calcul de la quantité de trains dont dépend la part fixe, il convient de retenir le nombre de trains réalisés sur la période de référence, ce que confirme la dernière phrase du paragraphe spécifiant que « l’objectif annuel de réalisation [souligné par la cour] est de 230 trains sur une période de 48 semaines ».
Le seul fait qu’il soit précisé en exergue de cette stipulation que la part fixe « rémunère l’ensemble des moyens nécessaire mis en place par le transporteur pour assurer la prestation de la gare d'[Localité 5] aux différents lieux de livraison afin de répondre à ce présent contrat », ou que cette acception de la clause la rendrait léonine et déséquilibrée économiquement, n’est pas de nature à modifier la lecture qu’il convient de faire de cette clause, qui claire et précise, ne nécessite aucune interprétation et a été acceptée par le transporteur en signant ladite convention.
Les remarques effectuées par le transporteur sur le nombre de trains qui auraient dû être commandés pour faire face aux aléas ferroviaires et pour arriver tout de même à l’objectif de 230 trains envisagé par la convention, sont sans emport sur le sens de la clause précitée.
Il n’existe dans la convention aucun engagement de la société CCM de réaliser ou permettre la réalisation de 230 trains.
En second lieu, il n’est pas contesté que la société CCM a réglé toutes les factures émises par la société Millet et fixant la part fixe mensuelle à un montant de 212 098 euros, correspondant à un théorique de 230 trains.
La détermination par la société CCM du nombre de trains réalisés n’est pas plus contestée par le transporteur, qui se contente d’indiquer que seuls 13 transports n’ont pas été effectués par sa faute.
Cependant, il n’est pas nécessaire de déterminer à qui incombe l’absence de réalisation des trains, puisque la clause ne distingue pas selon la cause et l’auteur de cette non-réalisation des trains. Ce débat est donc inopérant.
Le nombre de 189 transports effectivement assurés pour la période de 2020 à 2021, avancé par la société CCM ne fait l’objet d’aucune contestation de la part de la société Millet.
Ainsi, compte tenu de la clause précitée, et notamment du nombre de transports non-réalisés, en deçà de 210 trains, la dernière tranche prévue au contrat trouve à s’appliquer.
Contrairement à ce que prétend la société CCM, il n’y a pas lieu de prendre en compte l’objectif de 230 trains pour calculer le montant de la part fixe.
Il est dû 11 000 euros pour chaque train annulé en deçà de 210 trains en déduction de la part fixe payée compte tenu de l’objectif théorique de 230 trains, soit une somme de 231 000 euros.
Compte tenu de la part fixe de 2 314 176 euros payée par la société CCM , il convient de condamner la société Millet à lui rembourser le trop-perçu, soit la somme de 231 000 euros, avec intérêts au taux légal à compter de l’assignation, soit le 25 avril 2022.
Il convient d’ordonner la capitalisation des intérêts échus par année entière conformément aux dispositions de l’article 1343-2 du code civil.
III- Sur les dépens et accessoires
En application des dispositions de l’article 696 du code de procédure civile, la société Millet succombant en ses prétentions, il convient de la condamner aux dépens.
Les chefs de la décision entreprise relatifs aux dépens et à l’indemnité procédurale sont infirmés.
En application de l’article 700 du code de procédure civile, la société Millet, tenue aux dépens d’appel, est condamnée au titre des frais irrépétibles en cause d’appel à hauteur de la somme fixée au dispositif du présent arrêt, et déboutée de sa propre demande de ce chef.
La cour,
INFIRME le jugement du tribunal de commerce de Valenciennes en toutes ses dispositions ;
Statuant à nouveau des chefs infirmés,
REJETTE la fin de non-recevoir tirée de la prescription soulevée par la société Millet ;
CONDAMNE la société Millet à payer à la société Comptoir des calcaires et matériaux la somme de 231 000 euros, avec intérêts au taux légal à compter du 25 avril 2022 ;
ORDONNE la capitalisation des intérêts échus dus au moins pour une année entière conformément aux dispositions de l’article 1343-2 du code civil ;
Y ajoutant,
CONDAMNE la société Millet aux dépens de première instance et d’appel ;
CONDAMNE la société Millet à payer à la société Comptoir des calcaires et matériaux la somme de 3 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile en cause d’appel.
DEBOUTE la société Millet de sa demande d’indemnité procédurale ;
DIT que, conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile, Me Kazmierczak pourra recouvrer directement ceux des dépens dont il a fait l’avance sans avoir reçu provision.
Le greffier
Marlène Tocco
La présidente
Stéphanie Barbot