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Le « contrat de support » par lequel une société (sponsor) prend en charge le financement de la participation d’un joueur de poker à des tournois, moyennant notamment la réversion de 60 % des gains obtenus lors de ces tournois et l’acceptation de supports publicitaires, n’est pas un objet illicite. Ce contrat ne constitue pas une loterie et n’est pas contraire à l’ordre public français.
Le contrat litigieux intitulé « Contrat de support de joueur » conclu entre les parties mettait principalement i) à la charge de la société Onpok Ltd le paiement des frais d’inscription du joueur à différents tournois de poker (« buy in ») pour un montant minimum annuel de 40 000 euros, des frais de transport et des frais d’hébergement du joueur liés à sa participation aux tournois après acceptation de devis par la société, la gestion de l’image du joueur pendant le tournoi ; ii) à la charge du joueur, la représentation de la société à titre exclusif en participant aux tournois désignés par celle-ci, le paiement à la société de 60 % des gains perçus sur les tournois désignés par la société (net des frais de « buy in »), le port de tout produit publicitaire pendant les tournois (badge, casquette …), la promotion de la société pendant les tournois.
En application de l’article L. 322-2 du code de la sécurité intérieure dans sa rédaction applicable au litige, sont réputées loteries et interdites comme telles : les ventes d’immeubles, de meubles ou de marchandises effectuées par la voie du sort, ou auxquelles ont été réunies des primes ou autres bénéfices dus, même partiellement, au hasard et, d’une manière générale, toutes opérations offertes au public, sous quelque dénomination que ce soit, pour faire naître l’espérance d’un gain qui serait dû, même partiellement, au hasard et pour lesquelles un sacrifice financier est exigé par l’opérateur de la part des participants.
L’article L. 322-3 du même code ajoute que cette interdiction recouvre les jeux dont le fonctionnement repose sur le savoir-faire du joueur et que le sacrifice financier est établi dans les cas où l’organisateur exige une avance financière de la part des participants, même si un remboursement ultérieur est rendu possible par le règlement du jeu.
Même si les performances du joueur traduisent un savoir-faire certain, il demeure que le poker est un jeu dont le résultat dépend pour partie du hasard affectant la distribution des cartes. Néanmoins, le contrat conclu entre la société et le joueur n’inclut aucune opération impliquant le public et, pour autant que la société puisse être qualifiée d’opérateur au sens du texte précité, force est de constater qu’elle n’impose pas un sacrifice financier à quelque participant puisqu’elle seule avance les frais afférents aux tournois auxquels participe le joueur ; ce dernier ne supporte aucune charge financière relative aux tournois auxquels il participe et il perçoit in fine 40 % des gains.
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RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D’APPEL DE PARIS
Pôle 4 – Chambre 9 – A
ARRÊT DU 16 SEPTEMBRE 2021
Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 18/09730 – N° Portalis 35L7-V-B7C-B5WGG
Décision déférée à la Cour : Jugement du 12 avril 2018 – Tribunal d’Instance de NOGENT SUR MARNE – RG n° 11-17-000196
APPELANTE
La société ONPOK LTD, société de droit mauricien prise en la personne de son représentant légal, Monsieur Y Z dont le siège social est […], prise en la personne de son représentant légal, Monsieur Y Z, élisant domicile au Cabinet de Maître Anne-Charlotte PASSELAC, avocat associé du Cabinet ODINOT & ASSOCIES, avocats au Barreau de Paris
C/O Marceau Management LTD
[…]
[…]
représentée par Me Anne-Charlotte PASSELAC de la SELARL ODINOT & ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS, toque : L0271
substituée à l’audience par Me Antoine MERY de la SELARL ODINOT & ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS, toque : L0271
INTIMÉ
Monsieur A X
né le […] à […]
[…]
[…]
représenté et assisté de Me Cédric SEGUIN de la SELAS SELAS CS AVOCATS ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS, toque : D2149
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 29 juin 2021, en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant Mme
Patricia GRANDJEAN, Présidente de chambre, chargée du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
Mme Patricia GRANDJEAN, Présidente de chambre
Mme Fabienne TROUILLER, Conseillère
M. Benoît DEVIGNOT, Conseiller
Greffière, lors des débats : Mme Camille LEPAGE
ARRÊT :
— CONTRADICTOIRE
— par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.
— signé par Mme Patricia GRANDJEAN, Présidente et par Mme Camille LEPAGE, Greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
FAITS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES
Par acte sous seing privé dénommé « contrat de support de joueur – Team Onpok » en date du 8 octobre 2015, la société Onpok Ltd, société de droit mauricien a offert à M. A X le financement de sa participation à des tournois de poker, moyennant notamment la réversion de 60 % des gains obtenus lors de ces tournois et l’acceptation de supports publicitaires.
Or, suite à un tournoi lui ayant procuré un gain de 15 100 euros, M. X a refusé de payer à la société Onpok Ltd la somme de 9 940 euros.
Saisi par la société Onpok Ltd d’une demande de paiement de cette somme de 9 940 euros, le tribunal d’instance de Nogent-sur-Marne par un jugement contradictoire rendu le 12 avril 2018, auquel il convient de se reporter, a :
— déclaré nul le contrat de droit mauricien conclu entre les parties,
— déclaré son incompétence juridictionnelle pour prononcer la mainlevée de la saisie conservatoire autorisée par ordonnance du juge de l’exécution près le tribunal de grande instance de Créteil en date du 19 juillet 2016,
— renvoyé le dossier et les parties devant le juge de l’exécution du tribunal de grande instance de Créteil pour qu’il soit statué sur ce point,
— condamné la société Onpok Ltd à payer à M. X la somme de 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
Après avoir dit que le droit mauricien était applicable, le tribunal a principalement retenu que l’objet du contrat, qu’il a qualifié de loterie, était contraire à la loi de police française tirée des articles L. 322-2 et suivants du code de la sécurité intérieure et donc illicite.
Par une déclaration en date du 17 mai 2018, la société Onpok Ltd a relevé appel de cette décision.
Aux termes de ses dernières conclusions remises le 15 octobre 2019, l’appelante demande à la cour :
— de déclarer la loi mauricienne applicable au contrat souscrit entre les parties,
— d’infirmer le jugement dont appel en ce qu’il a prononcé la nullité dudit contrat,
— de condamner M. X à lui payer la somme de 9 940 euros majorée des intérêts à taux légal à compter du 31 décembre 2015,
— d’ordonner la capitalisation des intérêts en application des dispositions de l’article 1343-2 du code civil,
— subsidiairement, en cas de nullité du contrat, de condamner M. X à lui payer la somme de 24 870 euros correspondant aux sommes versées en exécution du contrat du fait de l’effet rétroactif de la nullité et d’ordonner la capitalisation des intérêts,
— en tout état de cause, de confirmer le jugement dont appel en ce qu’il a déclaré irrecevable la demande de mainlevée de la saisie-attribution pratiquée à titre conservatoire,
— de débouter M. X de l’ensemble de ses demandes.
L’appelante détaille son activité, le type de contrats qu’elle propose – et qu’elle qualifie de contrats de sponsoring – et expose le contexte de ses relations contractuelles avec l’intimé.
Elle reproche au premier juge d’avoir commis une erreur d’appréciation en appliquant la loi de police française en l’absence de tout critère de rattachement avec le territoire français et soutient que le contrat est soumis à la loi mauricienne. Elle souligne que la convention n’a jamais été exécutée en France.
À titre subsidiaire, elle soutient que le contrat est licite au regard de la législation française, rappelant que les conditions cumulatives nécessaires à la qualification de loterie ne sont pas réunies. Elle qualifie M. X de joueur professionnel.
Plus subsidiairement, elle fait valoir que l’annulation du contrat emporterait obligation pour M. X de rembourser les sommes dont il a bénéficié. Elle conteste le caractère nouveau d’une telle demande qu’elle considère comme la conséquence du rejet de ses prétentions initiales, au visa de l’article 566 du code de procédure civile.
Par ses dernières conclusions remises le 16 octobre 2019, M. X demande à la cour :
— de confirmer le jugement dont appel en ce qu’il a débouté la société Onpok Ltd de l’ensemble de ses demandes et prononcé la nullité du contrat litigieux,
— de déclarer irrecevable et à défaut injustifiée, la demande nouvelle de la société Onpok afférente au remboursement par lui de sommes qui lui auraient été versées,
— subsidiairement, de condamner la société Onpok Ltd à lui rembourser la somme de 8 713 euros, correspondant aux versements effectués par lui sur ses gains de poker en application du contrat, outre le montant en litige pour 9 940 euros,
— à titre plus subsidiaire, d’ordonner la compensation à due concurrence entre les créances respectives des parties,
— en tout état de cause, de condamner la société Onpok Ltd à restituer la somme totale de 10 177,32
euros saisie à titre conservatoire sur ses comptes bancaires, saisie dont devra être
donné mainlevée dans le délai maximum de quinze jours faisant suite au prononcé de la
décision à intervenir, sous astreinte de 500 euros par jour de retard.
Faisant valoir qu’il a une activité professionnelle par ailleurs, M. X soutient qu’il est un joueur de poker amateur.
Il invoque l’illicéité du contrat au regard de la loi de police tirée des articles L. 322-2 et suivants du code de la sécurité intérieure qu’il considère applicables au litige nonobstant la désignation de la loi mauricienne dans le contrat, dès lors que la société Onpok Ltd sollicite devant un juge français la condamnation d’un citoyen français qu’elle entend faire exécuter sur le sol français.
Il soutient que le poker est un jeu de hasard sur lequel les paris sont interdits en ce qu’ils se heurtent au monopole du PMU et que la société Onpok Ltd développe donc une activité illicite.
Il fait valoir que le contrat s’assimile en réalité à la pratique d’une loterie et il conteste la qualification de contrat de « sponsoring » invoquée par la société Onpok Ltd.
Il renvoie aux obligations qui lui étaient imposées par le contrat.
Il invoque l’irrecevabilité de la demande de remboursement des sommes versées au titre de l’exécution du contrat, au visa de l’article 910-4 du code de procédure civile. En outre, rappelant que les sommes réglées par la société ne lui ont pas directement profité personnellement mais ont été versées aux organisateurs des tournois, il considère cette demande mal fondée et réclame à titre subsidiaire le remboursement par la société des sommes qu’il lui avait versées sur la base des gains précédemment réalisés.
Pour un plus ample exposé des faits, moyens et prétentions des parties, il est renvoyé aux écritures de celles-ci, conformément à l’article 455 du code de procédure civile.
L’ordonnance de clôture a été rendue le 6 avril 2021.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Le contrat litigieux intitulé « Contrat de support de joueur -team Onpok » et conclu le 8 octobre 2015 met principalement :
— à la charge de la société Onpok Ltd le paiement des frais d’inscription de M. X à différents tournois de poker (« buy in ») pour un montant minimum annuel de 40 000 euros, des frais de transport et des frais d’hébergement du joueur liés à sa participation aux tournois après acceptation de devis par la société Onpok Ltd, la gestion de l’image du joueur pendant le tournoi,
— à la charge de M. X la représentation de la société Onpok Ltd à titre exclusif en participant aux tournois désignés par celle-ci, le paiement à la société Onpok Ltd de 60 % des gains perçus sur les tournois désignés par la société Onpok Ltd (net des frais de « buy in »), le port de tout produit publicitaire Onpok Ltd pendant les tournois (badge, casquette …), la promotion d’Onpok Ltd pendant les tournois.
Il inclut une cession par M. X à la société Onpok Ltd de son droit à l’image et au son en lien avec sa pratique du poker.
Le contrat litigieux désigne explicitement la loi mauricienne comme loi applicable au contrat et les
tribunaux de Port Louis (Ile Maurice) pour connaître de tout litige s’y rapportant.
Le fait que la société Onpok Ltd, qui a contracté avec un français demeurant en France, renonce à la clause de compétence manifestement instituée à son profit et saisisse une juridiction française est indifférent à la loi applicable au litige.
L’appelante produit une consultation émanant d’un cabinet juridique mauricien qui n’est contrarié par aucun élément du dossier et dont il ressort que l’article 1964 du code civil mauricien autorise ce genre de contrat malgré le caractère aléatoire résultant du fait que le gain n’est pas certain.
Il n’est pas soutenu par M. X que ce contrat serait contraire à l’ordre public mauricien.
Par ailleurs, en application de l’article L. 322-2 du code de la sécurité intérieure dans sa rédaction applicable au litige, sont réputées loteries et interdites comme telles : les ventes d’immeubles, de meubles ou de marchandises effectuées par la voie du sort, ou auxquelles ont été réunies des primes ou autres bénéfices dus, même partiellement, au hasard et, d’une manière générale, toutes opérations offertes au public, sous quelque dénomination que ce soit, pour faire naître l’espérance d’un gain qui serait dû, même partiellement, au hasard et pour lesquelles un sacrifice financier est exigé par l’opérateur de la part des participants.
L’article L. 322-3 du même code ajoute que cette interdiction recouvre les jeux dont le fonctionnement repose sur le savoir-faire du joueur et que le sacrifice financier est établi dans les cas où l’organisateur exige une avance financière de la part des participants, même si un remboursement ultérieur est rendu possible par le règlement du jeu.
La société Onpok Ltd documente très largement la notoriété acquise par M. X dans la pratique du poker auprès des joueurs d’habitude au niveau international et des médias spécialisés ; il ressort notamment des pièces produites qu’après avoir obtenu de bons résultats à plusieurs tournois internationaux entre 2011 et 2014, M. X s’est particulièrement distingué en 2015 en obtenant des résultats qui ont donné lieu à plusieurs articles, à des interviews du joueur et qui ont généré pour M. X un revenu de près de 400 000 euros sur l’année.
Même si les performances de M. X traduisent un savoir-faire certain, il demeure que le poker est un jeu dont le résultat dépend pour partie du hasard affectant la distribution des cartes.
Néanmoins, le contrat conclu entre la société Onpok Ltd et M. X n’inclut aucune opération impliquant le public et, pour autant que la société Onpok Ltd puisse être qualifiée d’opérateur au sens du texte précité, force est de constater qu’elle n’impose pas un sacrifice financier à quelque participant puisqu’elle seule avance les frais afférents aux tournois auxquels participe M. X ; M. X ne supporte aucune charge financière relative aux tournois auxquels il participe et il perçoit in fine 40 % des gains.
Si le contrat litigieux fait référence aux tournois « désignés » par la société Onpok Ltd, il ressort suffisamment des éléments du dossier que M. X disposait en pratique de toute latitude pour déterminer les tournois auxquels il souhaitait participer.
En conséquence, le contrat litigieux ne constitue pas une loterie au sens des textes précités et n’est pas contraire à l’ordre public français. Aucun élément du dossier ne fait état d’une autre activité de loterie qui serait développée par ailleurs par la société Onpok Ltd.
Les motifs qui précèdent rendent sans objet la discussion élevée par les parties sur le caractère amateur ou professionnel de l’activité de jeu de M. X, aucune disposition légale n’excluant qu’un joueur ou un sportif amateur reconnu puisse bénéficier du soutien financier d’un partenaire en contrepartie de la promotion de celui-ci et, le cas échéant, d’un partage des gains.
Il n’est pas discuté que M. X n’a pas versé à la société Onpok Ltd la part revenant à celle-ci sur les gains issus de sa participation au tournoi Eureka High Roller qui s’est déroulé à Prague à la fin de l’année 2015.
Pourtant, par message électronique du 12 janvier 2016, M. X C qu’il avait ordonné à sa banque de procéder au virement de la somme correspondante ; le 21 mars 2016, M. X écrivait au dirigeant de la société Onpok Ltd qu’il comprenait son énervement lié au non paiement de cette somme, faisait état de multiples difficultés familiales et promettait le paiement avant la fin du mois de juin.
La créance réclamée par la société Onpok Ltd est donc suffisamment établie.
Le jugement dont appel étant infirmé sur ce point, M. X est condamné à payer à la société Onpok Ltd la somme de 9 940 euros augmentée des intérêts au taux légal à compter du 18 avril 2016, date de la mise en demeure.
En application de l’article 1343-2 (anciennement 1154) du code civil, les intérêts dus pour une année entière à compter du 6 mars 2017, date de la demande en justice pourront être capitalisés.
La condamnation prononcée à l’encontre de M. X par le présent arrêt rend sans objet la demande de mainlevée de la saisie-attribution pratiquée par la société Onpok Ltd qui dispose désormais d’un titre à l’encontre de M. X.
Les motifs qui précèdent rendent sans objet toutes autres prétentions des parties.
PAR CES MOTIFS
LA COUR,
Statuant après débats en audience publique, par arrêt contradictoire mis à disposition au greffe,
— Infirme le jugement dont appel en toutes ses dispositions et, statuant à nouveau,
— Dit que le contrat litigieux est soumis à la loi mauricienne ;
— Rejette la demande d’annulation du contrat litigieux ;
— Condamne M. A X à payer à la société Onpok Ltd la somme de 9 940 euros augmentée des intérêts au taux légal à compter du 18 avril 2016 ;
— Ordonne la capitalisation des intérêts dus pour une année entière à compter du 6 mars 2017 ;
— Dit n’y avoir lieu de statuer sur le surplus ;
— Condamne M. A X aux dépens de première instance et d’appel, et à payer à la société Onpok Ltd la somme de 2 000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile.
La greffière La présidente