Contrat de sécurisation professionnelle : 19 octobre 2023 Cour d’appel de Dijon RG n° 22/00110

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Contrat de sécurisation professionnelle : 19 octobre 2023 Cour d’appel de Dijon RG n° 22/00110
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[X] [N]

C/

SAS SOCIÉTÉ DES ÉTABLISSEMENTS [V], prise en la personne de son représentant légal domicilié ès-qualités audit siège

Expédition revêtue de la formule exécutoire délivrée

le :

à :

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE – AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D’APPEL DE DIJON

CHAMBRE SOCIALE

ARRÊT DU 19 OCTOBRE 2023

MINUTE N°

N° RG 22/00110 – N° Portalis DBVF-V-B7G-F4CU

Décision déférée à la Cour : Jugement Au fond, origine Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de DIJON, section Industrie, décision attaquée en date du 01 Février 2022, enregistrée sous le n° 20/442

APPELANTE :

[X] [N]

[Adresse 1]

[Localité 2]

représentée par Me Mathilde GAUPILLAT, avocat au barreau de DIJON

INTIMÉE :

SAS SOCIÉTÉ DES ÉTABLISSEMENTS [V], prise en la personne de son représentant légal domicilié ès-qualités audit siège

[Adresse 4]

[Localité 3]

représentée par Me Romain CLUZEAU de la SELAS LEGI CONSEILS BOURGOGNE, avocat au barreau de DIJON, substitué par Me Martin LOISELET, avocat au barreau de DIJON

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions de l’article 945-1 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 19 Octobre 2023 en audience publique, les parties ne s’y étant pas opposées, devant Rodolphe UGUEN-LAITHIER, Conseiller chargé d’instruire l’affaire et qui a fait rapport. Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries lors du délibéré, la Cour étant alors composée de :

Olivier MANSION, Président de chambre,

Rodolphe UGUEN-LAITHIER, Conseiller,

Katherine DIJOUX-GONTHIER, Conseiller,

GREFFIER LORS DES DÉBATS : Juliette GUILLOTIN,

ARRÊT : rendu contradictoirement,

PRONONCÉ par mise à disposition au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile,

SIGNÉ par Olivier MANSION, Président de chambre, et par Juliette GUILLOTIN, Greffière, à qui la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

FAITS ET PROCÉDURE :

Mme [X] [N] a été embauchée par la société des établissements [V] (ci-après société [V]) par un contrat à durée indéterminée du 31 mai 2013 à effet au 6 juin suivant en qualité d’assistante de direction, niveau 4, échelon A.

Le 11 juin 2020, elle a été convoquée à un entretien préalable à un licenciement économique fixé au 17 suivant.

La salariée ayant accepté le contrat de sécurisation professionnelle, le licenciement lui a été notifié le 30 juin 2020 et le contrat a pris fin le 8 juillet 2020.

Par requête du 28 août 2020, elle a saisi le conseil de prud’hommes de Dijon afin de juger que son licenciement pour motif économique n’est pas justifié par une cause réelle et sérieuse et à titre subsidiaire que les critères d’ordre n’ont pas été respectés et faire condamner l’employeur à lui payer des dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et pour non-respect du délai de 5 jours ouvrables entre la convocation et l’entretien préalable à licenciement.

Par jugement en date du 1er février 2022, le conseil de prud’hommes de Dijon a jugé que le licenciement repose sur une cause réelle et sérieuse et débouté la salariée de l’intégralité de ses demandes.

Par déclaration du 10 février 2022, Mme [N] a relevé appel de cette décision.

Aux termes de ses dernières écritures du 12 juillet 2023, l’appelante demande de :

– réformer le jugement déféré,

– juger que le licenciement économique est dépourvu de cause réelle et sérieuse, et à titre subsidiaire que les critères d’ordre n’ont pas été respectés,

– condamner la société [V] à lui payer les sommes suivantes :

* 24 000 euros à titre de dommages-intérêts,

* 2 800 euros à titre d’indemnité pour non-respect du délai de 5 jours ouvrables entre la convocation et l’entretien préalable à licenciement,

* 4 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

– la condamner à lui remettre les documents suivants : une attestation d’employeur rectifiée en fonction de la décision à intervenir pour l’inscription à Pôle Emploi et un bulletin de salaire afférent aux condamnations sous astreinte de 150 euros par jour de retard et par document,

– juger que les condamnations prononcées emporteront intérêt au taux légal à compter de la date de réception de la convocation de l’employeur devant le bureau de conciliation,

– condamner la société [V] aux dépens.

Aux termes de ses dernières écritures du 6 mars 2023, la société [V] demande de :

– confirmer le jugement déféré en ce qu’il a débouté Mme [N] de l’intégralité de ses demandes,

– la condamner à lui régler la somme de 4 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’aux entiers dépens de l’instance.

Pour l’exposé complet des moyens des parties, la cour se réfère à leurs dernières conclusions susvisées, conformément aux dispositions de l’article 455 du code de procédure civile.

MOTIFS DE LA DÉCISION

I – Sur le bien fondé du licenciement pour motif économique :

Mme [N] conteste le bien fondé de son licenciement économique aux motifs que :

– lors de l’entretien préalable l’employeur lui a remis les documents afférents au contrat de sécurisation professionnelle (CSP – pièces n° 3 et 4) mais elle n’a pas été informée par écrit des motifs économiques conduisant à l’éventuelle rupture de son contrat de travail avant d’accepter d’adhérer au contrat de sécurisation professionnelle, le seul document écrit dont elle a été destinataire étant sa convocation à l’entretien préalable (pièce n° 2), de sorte que le licenciement est nécessairement dépourvu de cause réelle et sérieuse,

– l’employeur ne démontre pas l’existence du motif économique allégué, de sorte que le licenciement n’est pas correctement fondé sur une cause réelle et sérieuse,

– elle n’a été destinataire d’aucune proposition de reclassement et l’employeur ne justifie pas des tentatives de reclassement au sein des différentes sociétés du groupe de sorte que le licenciement s’en trouve sans cause réelle et sérieuse,

– l’employeur ne produit aucun élément permettant de s’assurer de l’application objective et loyale des critères et des points attribués alors même que d’autres assistantes apparaissent sur l’organigramme produit, ce qui infirme l’allégation selon laquelle son poste d’assistante était un poste spécifique alors même qu’il ne requiert pas de diplôme ou de formation particulière.

L’employeur oppose que :

– l’exigence d’un écrit d’information du salarié ne résulte d’aucune disposition du code du travail et n’est par ailleurs pas mentionné dans les documents liés au CSP, ni même sur le site internet de l’UNEDIC (pièce n° 21),

– Mme [N] a été informée des motifs de la rupture lors d’une réunion informelle du 8 juin 2020 avec Mme [T] [V], ce que Mme [C] et M. [L] confirment (pièces n° 9 et 10),

– le procès-verbal de la réunion du comité social et économique du 11 juin 2020 a été affiché dès le lendemain sur le panneau prévu à cet effet (pièce n° 31) de sorte que chaque salarié a pu en prendre connaissance, y compris Mme [N] qui était présente (pièce n° 22),

– le document écrit d’information devant être porté à la connaissance du salarié au plus tard au moment de son acceptation du CSP, ce procès-verbal, document écrit par définition, a été porté à la connaissance de la salariée avant que cette dernière n’accepte le CSP le 23 juin 2020,

– Mme [N] a été informée du motif économique lors de l’entretien préalable à son licenciement (pièce n° 12),

– les difficultés économiques rencontrées sont réelles et sérieuses et sont très clairement exposés dans la lettre de rupture du contrat de travail (pièce n° 8) et corroborés par les éléments d’activité produits (pièces n° 4, 23, 38, 39, 41 et 42),

– l’offre d’embauche alléguée par la salariée a été publiée le 10 décembre 2021, soit plus d’un an et demi après la rupture du contrat de travail, et correspond à un poste d’assistante commerciale et non d’assistante de direction dans le cadre de la cession au groupe GBH, entraînant un accroissement significatif des marques de rhum à distribuer sur le marché français,

– le reclassement de Mme [N] n’était pas possible du fait de l’absence de tout poste disponible au sein de l’entreprise (pièces n° 11, 14, 15, 25 et 41) et le groupe auquel Mme [N] fait référence sont deux sociétés holdings familiales dépourvues de tout poste salarié disponible à l’exclusion des deux mandataires sociaux (pièce n° 18),

– Mme [N] étant la seule salariée de sa catégorie professionnelle, les critères d’ordre n’ont pas d’objet car aucun autre salarié de l’entreprise n’exerçait des fonctions de même nature supposant une formation professionnelle commune. Les autres salariées “assistantes” évoquées sont des assistantes commerciales.

Le salarié qui adhère à un contrat de sécurisation professionnelle en signant le bulletin d’acceptation doit avoir reçu de la part de l’employeur, antérieurement à cette adhésion, un document écrit énonçant le motif économique de la rupture du contrat de travail.

Une information donnée lors de l’entretien préalable ou dans la lettre de licenciement notifiée postérieurement à son adhésion est irrégulière et rend le licenciement sans cause réelle et sérieuse.

En l’espèce, il ressort des écritures des parties et des pièces produites que la société [V] ne démontre pas qu’un tel document écrit a été remis à la salariée avant son adhésion au CSP, peu important qu’elle ait été informée verbalement lors d’une réunion préalable puis lors de l’entretien préalable ou postérieurement à l’adhésion au contrat de sécurisation professionnelle dans la lettre de licenciement.

Par ailleurs, nonobstant le fait que l’employeur justifie de l’affichage au sein de l’entreprise du procès-verbal de réunion du CSE du 11 juin 2020, une telle démarche :

– d’une part ne suffit pas pour démontrer que Mme [N] a eu effectivement connaissance de ce procès-verbal avant son adhésion au contrat de sécurisation professionnelle,

– d’autre part ne satisfait pas à l’exigence d’une information écrite remise ou adressée personnellement au salarié concerné par le projet de licenciement pour motif économique, s’agissant d’une information indirecte.

Dans ces conditions, sans qu’il soit nécessaire de statuer sur les autres moyens allégués, il y a lieu de considérer que le licenciement pour motif économique de Mme [N] est dépourvu de cause réelle et sérieuse, le jugement déféré étant infirmé sur ce point.

Compte tenu des circonstances du licenciement et de la situation de la salariée qui justifie de 7 années complètes d’ancienneté, il lui sera alloué la somme de 11 714,32 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.

II – Sur les dommages-intérêts pour irrégularité de la procédure :

L’article L1235-2 du code du travail dispose que lorsqu’une irrégularité a été commise au cours de la procédure, notamment si le licenciement d’un salarié intervient sans que la procédure requise aux articles L. 1232-2, L. 1232-3, L. 1232-4, L. 1233-11, L. 1233-12 et L. 1233-13 ait été observée ou sans que la procédure conventionnelle ou statutaire de consultation préalable au licenciement ait été respectée, mais pour une cause réelle et sérieuse, le juge accorde au salarié, à la charge de l’employeur, une indemnité qui ne peut être supérieure à un mois de salaire.

Mme [N] soutient à cet égard que l’employeur n’a pas respecté le délai de 5 jours ouvrables entre la convocation et l’entretien et sollicite en conséquence la somme de 2 800 euros à titre de dommages-intérêts.

L’employeur oppose que la lettre de convocation a été remise à la salariée le 11 juin 2020 pour un entretien le 17 juin de sorte que l’entretien ne s’est pas tenu moins de 5 jours ouvrables après et ajoute qu’en tout état de cause, l’indemnité à ce titre ne peut pas se cumuler avec une indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse déjà sollicitée et l’octroi d’une telle somme est soumise à la démonstration d’un préjudice.

Il est constant que le jour de remise de la lettre de convocation à un entretien préalable ne compte pas dans le délai de 5 jours prévu par l’article L1232-2 du code du travail.

Par ailleurs, en application de l’article R1231-1 du même code, lorsque les délais expirent un samedi, un dimanche ou un jour férié ou chômé, ils sont prorogés jusqu’au premier jour ouvrable suivant.

En l’espèce, étant rappelé qu’un jour ouvrable correspond à tous les jours de la semaine qui peuvent être légalement travaillés, à l’exception du jour de repos hebdomadaire et des jours fériés habituellement non travaillés et compte tenu du fait que la remise de la convocation a eu lieu le jeudi 11 juin 2020, l’entretien préalable ne pouvait se tenir avant le 18 juin 2020.

Il s’en déduit que la procédure est irrégulière.

Néanmoins, il ressort des développements qui précèdent que le licenciement pour motif économique de Mme [N] est sans cause réelle et sérieuse.

Dans ces conditions, nonobstant le fait qu’elle ne justifie par ailleurs d’aucun préjudice distinct, elle n’est pas fondée à cumuler une indemnité à ce titre et les dommages-intérêts par ailleurs octroyés au titre du licenciement sans cause réelle et sérieuse.

En conséquence, la demande sera rejetée, le jugement déféré étant confirmé sur ce point.

III – Sur les demandes accessoires :

– Sur la remise des documents de fin de contrat :

Le jugement déféré sera partiellement infirmé sur ce point.

La société [V] sera condamnée à remettre à Mme [N] une attestation d’employeur conforme à la présente décision et un bulletin de salaire afférent aux condamnations prononcées.

En revanche, les circonstances de l’espèce ne justifie pas que cette condamnation soit assortie d’une quelconque astreinte.

– Sur les intérêts au taux légal :

Le jugement déféré sera infirmé sur ce point.

Il sera dit que les condamnations prononcées, s’agissant du paiement de créances indemnitaires, porteront intérêts au taux légal à compter de la mise à disposition du présent arrêt.

– Sur les frais irrépétibles et les dépens :

Le jugement déféré sera infirmé sur ces points sauf en ce qu’il a rejeté la demande de la société [V] au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

La société [V] sera condamnée à payer à Mme [N] la somme de 1 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

La demande de la société [V] au titre de l’article 700 du code de procédure civile à hauteur d’appel sera rejetée,

La société [V] succombant au principal, elle supportera les dépens de première instance et d’appel.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant par arrêt contradictoire,

INFIRME le jugement rendu le 1er février 2022 par le conseil de prud’hommes de Dijon sauf en ce qu’il a :

– rejeté la demande de Mme [X] [N] au titre de l’irrégularité de la procédure,

– rejeté la demande de la société des établissements [V] au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

Statuant à nouveau des chefs infirmés, et y ajoutant,

DIT que le licenciement économique de Mme [X] [N] est sans cause réelle et sérieuse,

Condamne la société des établissements [V] à payer à Mme [X] [N] les sommes suivantes :

* 11 714,32 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

* 1 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

CONDAMNE la société des établissements [V] à remettre à Mme [N] une attestation d’employeur conforme à la présente décision et un bulletin de salaire afférent aux condamnations prononcées,

REJETTE la demande de Mme [X] [N] au titre de l’astreinte,

DIT que les condamnations au paiement de créances indemnitaires porteront intérêts au taux légal à compter de la mise à disposition du présent arrêt,

REJETTE la demande de la société des établissements [V] au titre de l’article 700 du code de procédure civile à hauteur d’ appel,

CONDAMNE la société des établissements [V] aux dépens de première instance et d’appel.

Le greffier Le président

Juliette GUILLOTIN Olivier MANSION

 


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