Contrat de sécurisation professionnelle : 18 octobre 2023 Cour d’appel de Paris RG n° 21/01369

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Contrat de sécurisation professionnelle : 18 octobre 2023 Cour d’appel de Paris RG n° 21/01369
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Copies exécutoires REPUBLIQUE FRANÇAISE

délivrées le : AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D’APPEL DE PARIS

Pôle 6 – Chambre 9

ARRÊT DU 18 OCTOBRE 2023

(n° , 2 pages)

Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 21/01369 – N° Portalis 35L7-V-B7F-CDDUB

Décision déférée à la Cour : Jugement du 26 Novembre 2020 – Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de PARIS – Section Activités diverses chambre 3 – RG n° F 19/02763

APPELANT

Monsieur [C] [W]

[Adresse 2]

[Localité 4]

Représenté par Me Karine GERONIMI, avocat au barreau de PARIS, toque : D1494

INTIMÉE

TAG WORLDWIDE FRANCE venant aux droits de la SASU WLT FRANCE

[Adresse 1]

[Localité 3]

Représentée par Me Frédéric MILCAMPS, avocat au barreau de PARIS, toque : K0186

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 12 Juin 2023, en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant M. Fabrice MORILLO, conseiller, chargé du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, entendu en son rapport, composée de :

Monsieur Philippe MICHEL, président de chambre

M. Fabrice MORILLO, conseiller

Mme Nelly CHRETIENNOT, conseillère

Greffier : Mme Pauline BOULIN, lors des débats

ARRÊT :

– contradictoire

– mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du Code de procédure civile.

– signé par Monsieur Philippe MICHEL, président et par Monsieur Jadot TAMBUE, greffier à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

RAPPEL DES FAITS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES

Suivant contrat de travail à durée indéterminée à compter du 27 février 2006, M. [C] [W] a été engagé en qualité d’opérateur graphique senior par la société Williams Lea France, aux droits de laquelle est venue la société WLT France, désormais dénommée Tag Worldwide France, celle-ci employant habituellement au moins 11 salariés et appliquant la convention collective nationale du personnel de la reprographie.

Suivant courrier recommandé du 15 novembre 2018, la société WLT France a convoqué M. [W] à un entretien préalable fixé au 27 novembre 2018 et lui a notifié les motifs économiques à l’origine de l’engagement de la procédure de licenciement, l’intéressé ayant accepté le 4 décembre 2018 le contrat de sécurisation professionnelle lui ayant été proposé.

Contestant le bien fondé de son licenciement et s’estimant insuffisamment rempli de ses droits, M. [W] a saisi la juridiction prud’homale le 2 avril 2019.

Par jugement du 26 novembre 2020, le conseil de prud’hommes de Paris a :

– débouté M. [W] de l’ensemble de ses demandes,

– débouté la société WLT France de sa demande au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

– laissé à la charge de M. [W] les entiers dépens.

Par déclaration du 27 janvier 2021, M. [W] a interjeté appel du jugement lui ayant été notifié le 30 décembre 2020.

Dans ses dernières conclusions transmises par voie électronique le 8 mai 2023, M. [W] demande à la cour de :

– infirmer le jugement et, statuant à nouveau,

– dire que son licenciement ne repose pas sur une cause réelle et sérieuse,

– fixer son salaire brut à la somme de 4 208,31,

– condamner la société Tag Worldwide France à lui payer les sommes suivantes :

à titre principal,

– Dommages-intérêts au titre du licenciement sans cause réelle et sérieuse (18 mois) : 75 749,58 euros,

à titre subsidiaire,

– Indemnité au titre du licenciement sans cause réelle et sérieuse (11,5 mois) : 48 395,56 euros,

en tout état de cause,

– indemnité compensatrice de préavis (3 mois) : 12 624,93 euros

– congés payés afférents : 1 262,49 euros,

– dommages-intérêts pour violation de la priorité de réembauche : 25 249,86 euros,

– dommages-intérêts pour marchandage : 70 000 euros,

– article 700 du code de procédure civile : 3 000 euros,

– dire que les sommes à caractère salarial porteront intérêt au taux légal avec capitalisation à compter du 28 novembre 2019, date de délivrance de l’assignation pour convocation devant le conseil de prud’hommes en application de l’article 659 du code de procédure civile,

– dire que les sommes à caractère indemnitaire porteront intérêt au taux légal avec capitalisation

à compter du 8ème jour de la notification de l’arrêt à intervenir,

– ordonner la remise des documents de fin de contrat conformes à la décision à intervenir sous astreinte de 100 euros par jour de retard,

– condamner la société Tag Worldwide France aux dépens.

Dans ses dernières conclusions transmises par voie électronique le 5 mai 2023, la société Tag Worldwide France demande à la cour de :

– confirmer le jugement en ce qu’il a débouté M. [W] de l’ensemble de ses demandes,

– condamner M. [W] au paiement de la somme de 1 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile outre les entiers dépens.

L’instruction a été clôturée le 9 mai 2023 et l’affaire a été fixée à l’audience du 12 juin 2023.

MOTIFS

Sur le licenciement pour motif économique

L’appelant fait valoir que les difficultés économiques alléguées ne sont pas caractérisées, compte tenu notamment de l’augmentation considérable du chiffre d’affaires de l’année 2018 par rapport à l’année 2017, et que son poste n’a pas été supprimé du fait de la perte d’un client mais parce qu’il coûtait trop cher à l’entreprise. Il précise par ailleurs que l’employeur n’a pas respecté son obligation de reclassement.

La société intimée réplique que le licenciement pour motif économique était parfaitement justifié et qu’elle a respecté l’ensemble des obligations qui lui incombaient.

La lettre de notification des motifs économiques de la rupture est rédigée de la manière suivante:

«Nous sommes contraints d’envisager la rupture de votre contrat de travail pour motif économique.

En effet, les résultats cumulés des deux sociétés, fusionnés au sein de WLT France en mars 2018, au cours des trois derniers exercices annuels ont montré une chute permanente du volume d’activité de la Société ainsi qu’une rentabilité systématiquement négative de l’entreprise, qui a cumulé plus de 880 000 € de pertes au cours des 3 derniers exercices.

S’agissant de l’exercice en cours, les résultats provisoires enregistrés au mois le mois ne montrent pas d’inversion de tendance significative, avec une dégradation continue du volume

d’activité et une rentabilité toujours négative.

Le contexte dans lequel évolue l’entreprise, et plus particulièrement les décisions récentes prises par plusieurs de leurs clients, ne permet pas d’espérer un redressement rapide de cette situation dégradée, puisqu’au contraire, plusieurs d’entre eux, notamment dans le secteur bancaire, ont engagé ces derniers mois des politiques de réduction de coût qui impactent négativement les volumes d’activité de WLT France.

C’est ainsi notamment que lors de récents renouvellements de plusieurs contrats (dont DEUTSCH BANK), WLT France s’est vue contrainte d’accepter des baisses significatives de tarifs qui amputent encore aussi bien le volume d’activité que la rentabilité déjà négative de l`entreprise.

En outre, certains clients (dont DEUTSCHE BANK) ont même exprimé la décision de cesser

rapidement toute activité avec WLT France.

La Société WLT France ne peut actuellement faire face à cette situation qu’avec le support financier du groupe auquel elle appartient, situation qui ne peut se justifier sur le long terme.

En effet, depuis sa création, WLT France non seulement poursuit une activité déficitaire mais

encore accroît le volume de ses pertes, en raison d’un niveau d’activité en forte baisse et d’une structure de coûts et d’effectifs établie sur des bases d’activité bien supérieures.

Au vu de ce constat, il apparaît indispensable de cesser au sein de WLT France l’exercice d’activités opérationnelles au rendement négatif et/ou dont le client ne souhaite pas la poursuite.

C’est dans ces conditions que WLT France envisage de supprimer le poste d’Opérateur que vous occupez pour le compte du client DEUTSCHE BANK.

Afin d’éviter votre licenciement, des solutions de reclassement ont été recherchées ; malheureusement, l’absence de poste disponible dans l’entreprise, le contexte de réduction des effectifs et la suppression des activités de la nature de celles que vous exercez n’ont pas permis d’identifier de telles solutions à ce jour. [‘]».

Sur l’élément causal et l’élément matériel du motif économique

Selon l’article L. 1233-3 du code du travail, constitue un licenciement pour motif économique le licenciement effectué par un employeur pour un ou plusieurs motifs non inhérents à la personne du salarié résultant d’une suppression ou transformation d’emploi ou d’une modification, refusée par le salarié, d’un élément essentiel du contrat de travail, consécutives notamment :

1° A des difficultés économiques caractérisées soit par l’évolution significative d’au moins un indicateur économique tel qu’une baisse des commandes ou du chiffre d’affaires, des pertes d’exploitation ou une dégradation de la trésorerie ou de l’excédent brut d’exploitation, soit par tout autre élément de nature à justifier de ces difficultés.

Une baisse significative des commandes ou du chiffre d’affaires est constituée dès lors que la durée de cette baisse est, en comparaison avec la même période de l’année précédente, au moins égale à :

a) Un trimestre pour une entreprise de moins de onze salariés ;

b) Deux trimestres consécutifs pour une entreprise d’au moins onze salariés et de moins de cinquante salariés ;

c) Trois trimestres consécutifs pour une entreprise d’au moins cinquante salariés et de moins de trois cents salariés ;

d) Quatre trimestres consécutifs pour une entreprise de trois cents salariés

et plus ;

2° A des mutations technologiques ;

3° A une réorganisation de l’entreprise nécessaire à la sauvegarde de sa compétitivité ;

4° A la cessation d’activité de l’entreprise.

La matérialité de la suppression, de la transformation d’emploi ou de la modification d’un élément essentiel du contrat de travail s’apprécie au niveau de l’entreprise.

Les difficultés économiques, les mutations technologiques ou la nécessité de sauvegarder la compétitivité de l’entreprise s’apprécient au niveau de cette entreprise si elle n’appartient pas à un groupe et, dans le cas contraire, au niveau du secteur d’activité commun à cette entreprise et aux entreprises du groupe auquel elle appartient, établies sur le territoire national, sauf fraude.

Pour l’application du présent article, la notion de groupe désigne le groupe formé par une entreprise appelée entreprise dominante et les entreprises qu’elle contrôle dans les conditions définies à l’article L. 233-1, aux I et II de l’article L. 233-3 et à l’article L. 233-16 du code de commerce.

Le secteur d’activité permettant d’apprécier la cause économique du licenciement est caractérisé, notamment, par la nature des produits biens ou services délivrés, la clientèle ciblée, ainsi que les réseaux et modes de distribution, se rapportant à un même marché.

Les dispositions du présent chapitre sont applicables à toute rupture du contrat de travail résultant de l’une des causes énoncées au présent article, à l’exclusion de la rupture conventionnelle visée aux articles L. 1237-11 et suivants et de la rupture d’un commun accord dans le cadre d’un accord collectif visée aux articles L. 1237-17 et suivants.

En l’espèce, au vu des différents éléments justificatifs afférents à la situation financière et comptable des sociétés Williams Lea et Tag, lesquelles ont fusionné en mars 2018 pour donner naissance à la société WLT France, ainsi que de la note d’information des délégués du personnel sur le projet de licenciements économiques du 8 novembre 2018, il est établi que le chiffre d’affaires des sociétés précitées a connu une baisse constante au cours de la période 2015/2017, soit une baisse de 51,83 % sur la période pour la société Williams Lea et une baisse de 49,65 % sur la période pour la société Tag, soit une baisse globale de 51,59 %, outre des pertes cumulées de 658 951 euros sur la période pour la société Williams Lea et de 327 532 euros sur la période pour la société Tag, soit des pertes cumulées globales de 986 483 euros, ladite baisse du chiffre d’affaires ainsi que le niveau des pertes d’exploitation apparaissant significatifs et sérieux et présentant en outre un caractère durable, à tout le moins pour les pertes d’exploitation, ainsi que cela résulte des éléments produits par l’employeur au titre de l’exercice de la société fusionnée WLT France clos le 31 décembre 2018 faisant état d’une perte de 605 838 euros pour cette seule année, portant ainsi le montant des pertes globales cumulées sur l’ensemble de la période 2015/2018 à 1 592 321 euros, la situation ayant ainsi continué de se dégrader concomitamment et postérieurement à la rupture, étant observé de ce dernier chef que l’exercice clos le 31 décembre 2019 s’est à nouveau soldé par une perte d’un montant de 713 289 euros.

Dès lors, compte tenu de la caractérisation d’une baisse significative du chiffre d’affaires et d’une augmentation concomitante des pertes au cours de la période contemporaine de la notification de la rupture du contrat de travail par rapport à celles de l’année précédente à la même période, d’une durée au moins égale à deux trimestres consécutifs s’agissant d’une entreprise d’au moins onze salariés et de moins de cinquante salariés, étant en toute hypothèse rappelé qu’il résulte des dispositions précitées que si la réalité de l’indicateur économique relatif à la baisse du chiffre d’affaires ou des commandes au cours de la période de référence précédant le licenciement n’est pas établie, il appartient au juge, au vu de l’ensemble des éléments versés au dossier, de rechercher si les difficultés économiques sont caractérisées par l’évolution significative d’au moins un des autres indicateurs économiques énumérés par ce texte, tel que des pertes d’exploitation ou une dégradation de la trésorerie ou de l’excédent brut d’exploitation, ou tout autre élément de nature à justifier de ces difficultés, ce qui est manifestement le cas en l’espèce au regard des pertes cumulées précitées (le fait que le chiffre d’affaires ait connu une progression au cours de l’année 2018 après 3 années de baisse successives, l’augmentation du nombre de salariés résultant de l’opération de fusion intervenue en mars 2018 ayant engendré un cumul des effectifs des deux sociétés ou l’acquisition de la société Taylor James en septembre 2018 étant ainsi en eux-mêmes inopérants et insuffisants pour remettre en cause l’existence des difficultés économiques précitées), la cour confirme le jugement en ce qu’il a dit que les difficultés économiques étaient caractérisées et que l’élément causal du motif économique du licenciement était ainsi établi.

S’agissant par ailleurs de l’élément matériel du motif économique du licenciement, il convient de relever à la lecture des différentes pièces versées aux débats par la société intimée, et notamment de la note d’information des délégués du personnel sur le projet de licenciements économiques du 8 novembre 2018 faisant état de la suppression des postes caractérisés par une activité non significative sur le territoire français, comprenant notamment les postes de « documents operator » et de « documents senior operator » dédiés au client DEUTSCHE BANK souhaitant se désengager, ce dernier poste correspondant à celui de l’appelant, que la suppression de poste litigieuse est caractérisée, étant observé que ladite suppression est confirmée par la responsable ressources humaines de la société (Mme [H]), aucun élément versé aux débats par l’appelant, mises à part ses seules affirmations de principe, ne permettant d’établir le caractère mensonger ou frauduleux de l’attestation établie par cette dernière.

Sur le reclassement

Selon l’article L. 1233-4 du code du travail, le licenciement pour motif économique d’un salarié ne peut intervenir que lorsque tous les efforts de formation et d’adaptation ont été réalisés et que le reclassement de l’intéressé ne peut être opéré sur les emplois disponibles, situés sur le territoire national dans l’entreprise ou les autres entreprises du groupe dont l’entreprise fait partie et dont l’organisation, les activités ou le lieu d’exploitation assurent la permutation de tout ou partie du personnel.

Pour l’application du présent article, la notion de groupe désigne le groupe formé par une entreprise appelée entreprise dominante et les entreprises qu’elle contrôle dans les conditions définies à l’article L. 233-1, aux I et II de l’article L. 233-3 et à l’article L. 233-16 du code de commerce.

Le reclassement du salarié s’effectue sur un emploi relevant de la même catégorie que celui qu’il occupe ou sur un emploi équivalent assorti d’une rémunération équivalente. A défaut, et sous réserve de l’accord exprès du salarié, le reclassement s’effectue sur un emploi d’une catégorie inférieure.

L’employeur adresse de manière personnalisée les offres de reclassement à chaque salarié ou diffuse par tout moyen une liste des postes disponibles à l’ensemble des salariés, dans des conditions précisées par décret.

Les offres de reclassement proposées au salarié sont écrites et précises.

En l’espèce, si la société intimée soutient à juste titre qu’il résulte désormais des dispositions précitées de l’article L. 1233-4 du code du travail que, s’agissant des efforts de reclassement, ceux-ci doivent uniquement être appréciés sur les emplois disponibles situés sur le territoire national et qu’elle n’était pas tenue de proposer des offres de reclassement dans les sociétés du groupe situées à l’étranger, la cour relève cependant, au vu des seules pièces versées aux débats par la société intimée, que celle-ci ne démontre pas avoir loyalement et sérieusement étudié toutes les possibilités de reclassement sur un poste correspondant aux capacités et à l’expérience de l’appelant, notamment après mise en ‘uvre de mesures de formation ou d’adaptation, l’employeur, qui s’est ainsi abstenu de formuler des propositions de reclassement au salarié et de produire le registre d’entrée et de sortie du personnel, se contentant de procéder par voie de simple affirmation de principe en indiquant qu’aucun poste ne pouvait lui être proposé, et ce alors qu’il résulte des pièces produites en réplique par le salarié (listes des postes vacants au 16 novembre et au 30 novembre 2018) que des postes, situés sur le territoire national (Paris), étaient alors disponibles, soit notamment 2 postes d’opérateur reprographie et salle de courrier dont le rôle est de contribuer à la production quotidienne d’impression ainsi qu’aux procédures administratives du service d’impression (la fiche de poste faisant uniquement état de la nécessité d’avoir une expérience antérieure en reprographie dans un environnement similaire), lesdits postes apparaissant correspondre à l’expérience antérieure de l’appelant en qualité d’opérateur graphique senior. Si la société intimée soutient que l’appelant n’avait pas les compétences requises pour se voir proposer et occuper le poste litigieux, il sera cependant relevé qu’elle se limite à affirmer de manière péremptoire que les compétences requises pour occuper les deux postes sont différentes, et ce sans en justifier au regard des seuls éléments produits, étant observé de ce chef que, contrairement à ce qui a été retenu à tort par les premiers juges, il ne revient pas au salarié de démontrer qu’il disposait des compétences requises pour assumer les postes litigieux mais bien à l’employeur de justifier que, malgré les différentes recherches et diligences accomplies, il n’avait effectivement pas pu reclasser le salarié (l’intimée s’abstenant dans ce cadre de caractériser avec précisions les compétences distinctes requises ou le fait que le poste litigieux aurait nécessité la mise en oeuvre d’une formation initiale faisant défaut au salarié et non une simple adaptation par le biais d’une formation complémentaire).

Par conséquent, au vu de l’ensemble de ces éléments, la cour infirme le jugement et dit le licenciement pour motif économique prononcé à l’encontre de l’appelant dépourvu de cause réelle et sérieuse.

Sur les conséquences financières de la rupture

S’agissant de l’indemnité compensatrice de préavis, étant rappelé qu’en l’absence de licenciement pour motif économique fondé sur une cause réelle et sérieuse, le contrat de sécurisation professionnelle devenant sans cause, l’employeur est tenu à l’obligation du préavis et des congés payés afférents, sauf à tenir compte des sommes déjà versées à ce titre au salarié en vertu dudit contrat, seules les sommes directement versées par l’employeur au salarié pouvant être déduites de la créance au titre de l’indemnité de préavis, il convient, en application des dispositions des articles L. 1234-1 et suivants ainsi que R. 1234-1 et suivants du code du travail outre celles de la convention collective nationale du personnel de la reprographie, sur la base d’une rémunération de référence de 4 127,25 euros (compte tenu du versement d’une prime de 13ème mois), la cour accorde à l’appelant, une indemnité compensatrice de préavis d’un montant de 12 381,75 euros (correspondant à un préavis d’une durée de 3 mois) outre 1 238,17 euros au titre des congés payés y afférents, et ce par infirmation du jugement.

S’agissant de l’application des dispositions de l’article L. 1235-3 du code du travail, dans leur rédaction issue de l’ordonnance n° 2017-1387 du 22 septembre 2017, il sera rappelé que les dispositions de l’article 24 de la Charte sociale européenne révisée ne sont pas d’effet direct en droit interne dans un litige entre particuliers, son invocation ne pouvant dès lors conduire à écarter l’application desdites dispositions.

Par ailleurs, les dispositions des articles L. 1235-3 et L. 1235-3-1 du code du travail, qui octroient au salarié, en cas de licenciement injustifié, une indemnité à la charge de l’employeur, dont le montant est compris entre des montants minimaux et maximaux variant en fonction du montant du salaire mensuel et de l’ancienneté du salarié et qui prévoient que, dans les cas de licenciements nuls dans les situations énumérées à l’article L.1235-3-1, le barème ainsi institué n’est pas applicable, permettent raisonnablement l’indemnisation de la perte injustifiée de l’emploi.

Le caractère dissuasif des sommes mises à la charge de l’employeur est également assuré par l’application, d’office par le juge, des dispositions de l’article L. 1235-4 du code du travail.

Les dispositions des articles L. 1235-3, L. 1235-3-1 et L. 1235-4 du code du travail sont ainsi de nature à permettre le versement d’une indemnité adéquate ou une réparation considérée comme appropriée au sens de l’article 10 de la Convention n° 158 de l’OIT.

Il en résulte que les dispositions de l’article L. 1235-3 du code du travail sont compatibles avec les stipulations de l’article 10 de la Convention précitée.

Dès lors, eu égard à l’ancienneté en année complète dans l’entreprise (13 ans), à l’âge du salarié (44 ans) et à la rémunération de référence lors de la rupture du contrat de travail (4 127,25 euros) et compte tenu des éléments produits concernant sa situation personnelle et professionnelle postérieurement à ladite rupture, l’intéressé justifiant avoir bénéficié de l’allocation de sécurisation professionnelle de décembre 2018 à décembre 2019 puis avoir perçu l’allocation d’aide au retour à l’emploi de décembre 2019 à septembre 2020, la cour, à qui il appartient seulement d’apprécier la situation concrète du salarié pour déterminer le montant de l’indemnité due entre les montants minimaux et maximaux déterminés par les dispositions précitées du code du travail (soit en l’espèce entre 3 mois et 11,5 mois de salaire brut), accorde à l’appelant la somme de 45 000 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, et ce par infirmation du jugement.

Sur la demande de dommages-intérêts pour non-respect de la priorité de réembauche

L’appelant soutient qu’il a indiqué, dès le 16 janvier 2019, vouloir bénéficier de la priorité de réembauche et que la société intimée n’a pas respecté ses obligations de ce chef compte tenu des offres de postes disponibles.

La société intimée réplique avoir strictement respecté la priorité de réembauche, notamment en ce que les postes dont se prévaut l’appelant ne correspondent pas à ses qualifications et

compétences ou ne sont pas proposés par elle-même mais par d’autres entités du groupe situées à l’étranger.

Aux termes de l’article L. 1233-45 du code du travail, le salarié licencié pour motif économique bénéficie d’une priorité de réembauche durant un délai d’un an à compter de la date de rupture de son contrat s’il en fait la demande au cours de ce même délai.

Dans ce cas, l’employeur informe le salarié de tout emploi devenu disponible et compatible avec sa qualification. En outre, l’employeur informe les représentants du personnel des postes disponibles.

Le salarié ayant acquis une nouvelle qualification bénéficie également de la priorité de réembauche au titre de celle-ci, s’il en informe l’employeur.

En application de ces dispositions, il incombe à l’employeur d’informer le salarié licencié pour motif économique qui a manifesté le désir d’user de la priorité de réembauche de tous les postes disponibles et compatibles avec sa qualification. Il en résulte qu’en cas de litige, il appartient à l’employeur d’apporter la preuve qu’il a satisfait à son obligation soit en établissant qu’il a proposé les postes disponibles, soit en justifiant de l’absence de tels postes.

En l’espèce, étant constaté qu’un poste de « designer graphique » était disponible en janvier et février 2019 puis à nouveau en mars 2019, ledit poste n’ayant pas été proposé à l’appelant et la société intimée apparaissant à nouveau défaillante, mises à part ses seules affirmations de principe selon lesquelles l’intéressé ne disposait pas d’une expérience suffisante dans la conception et le graphisme de vente au détail, pour démontrer que ledit emploi, effectivement disponible, était incompatible avec la qualification et l’expérience de l’appelant, lequel occupait en dernier lieu les fonctions d’opérateur graphique senior et bénéficiait pourtant d’une ancienneté de 13 années au sein de l’entreprise, la cour retient que la priorité de réembauche dont bénéficiait le salarié n’a pas été respectée.

Dès lors, la cour accorde à l’appelant, sur la base de la rémunération de référence précitée de 4 127,25 euros, une somme de 5 000 euros à titre de dommages-intérêts pour non-respect de la priorité de réembauche, et ce par infirmation du jugement.

Sur la demande de dommages-intérêts pour marchandage

L’appelant fait valoir que, suite à son licenciement pour motif économique par la société Deutsche Bank intervenu en décembre 2005 et à son intégration au sein de la société intimée dans le cadre de la mise en oeuvre du processus de reclassement engagé par la société Deutsche Bank, il n’a en réalité jamais cessé ses fonctions auprès de cette dernière société (ayant désormais la qualité de cliente de l’intimée) et est toujours resté placé sous un lien de subordination exclusif avec celle-ci. Il ajoute que la société intimée a tiré profit de cette opération et qu’il en a lui-même subi un préjudice en ce qu’il a été privé des différents avantages attribués aux salariés de l’entreprise cliente ainsi que des dispositions plus avantageuses de la convention collective nationale de la banque.

La société intimée réplique que le lien de subordination de l’appelant à l’égard de la société Deutsche Bank n’est pas établi et qu’il a toujours été placé sous son unique autorité et direction depuis son embauche. Elle souligne qu’il n’est pas démontré en quoi elle aurait tiré profit du prétendu délit de marchandage, la preuve d’un préjudice subi par l’appelant n’étant pas plus rapportée.

Selon l’article L. 8231-1 du code du travail, le marchandage, défini comme toute opération à but lucratif de fourniture de main-d’oeuvre qui a pour effet de causer un préjudice au salarié qu’elle concerne ou d’éluder l’application de dispositions légales ou de stipulations d’une convention ou d’un accord collectif de travail, est interdit.

En l’espèce, au vu des différentes pièces versées aux débats, il apparaît que l’appelant, qui avait la qualité de salarié de la société intimée depuis le 27 février 2006, ne justifie pas, mises à part ses propres affirmations et déclarations de principe, de l’existence d’un lien de subordination effectif avec la société Deutsche Bank résultant de l’exécution d’un travail sous l’autorité d’un employeur qui avait le pouvoir de donner des ordres et des directives, d’en contrôler l’exécution et de sanctionner les manquements, le seul lien de subordination existant étant celui entre l’intéressé et la société intimée, et ce s’agissant notamment de l’organisation et du temps du travail, de l’évaluation de l’activité et de la réalisation des entretiens annuels d’évaluation ainsi que de la rémunération, le simple fait qu’il ait été affecté à la réalisation de travaux pour le compte d’une société cliente et qu’il ait été amené à travailler dans les locaux de celle-ci étant manifestement insuffisant de ce chef, de même que le seul fait que sa supérieure hiérarchique au sein de la société intimée soit basée à Londres, le critère relatif à l’existence d’un lien de subordination n’étant dès lors pas rempli. Il sera par ailleurs relevé qu’il n’est pas établi que la société intimée aurait réalisé une économie ou tiré un profit de l’opération alléguée par l’appelant, ni du fait que celle-ci aurait été motivée par une volonté de l’intimée de causer un préjudice au salarié ou d’éluder l’application de stipulations d’une convention ou d’un accord collectif de travail, les éléments constitutifs d’un délit de marchandage n’étant dès lors pas réunis, l’appelant ne justifiant de surcroît ni du principe ni du quantum des préjudices allégués dans ce cadre.

Dès lors, la cour confirme le jugement en ce qu’il a rejeté la demande de dommages-intérêts formée de ce chef.

Sur les autres demandes

Il convient d’ordonner à l’employeur de remettre au salarié des documents de fin de contrat conformes à la présente décision, et ce sans qu’il apparaisse nécessaire d’assortir cette décision d’une mesure d’astreinte.

En application des articles 1231-6 et 1231-7 du code civil, il y a lieu de rappeler que les condamnations portent intérêts au taux légal à compter de la réception par l’employeur de la convocation devant le bureau de conciliation du conseil de prud’hommes pour les créances salariales et à compter du présent arrêt pour les créances indemnitaires.

La capitalisation des intérêts sera ordonnée conformément aux dispositions de l’article 1343-2 du code civil.

Selon l’article L. 1235-4 du code du travail, il y a lieu d’ordonner à l’employeur fautif de rembourser à Pôle Emploi les indemnités de chômage versées au salarié du jour de la rupture au jour de la décision, dans la limite de trois mois d’indemnités, sous déduction de la contribution prévue par l’article L. 1233-69 du code du travail.

En application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile, l’employeur sera condamné à verser au salarié la somme totale de 3 000 euros au titre des frais exposés en première instance ainsi qu’en cause d’appel non compris dans les dépens.

L’employeur, qui succombe, supportera les dépens de première instance et d’appel.

PAR CES MOTIFS

La Cour,

Infirme le jugement sauf en ce qu’il a débouté M. [W] de sa demande de dommages-

intérêts pour marchandage et la société Tag Worldwide France de sa demande au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

Statuant à nouveau des chefs infirmés et y ajoutant,

Dit que le licenciement pour motif économique de M. [W] est sans cause réelle

et sérieuse ;

Condamne la société Tag Worldwide France à payer à M. [W] les sommes suivantes :

– 12 381,75 euros à titre d’indemnité compensatrice de préavis outre 1 238,17 euros au titre des congés payés y afférents,

– 45 000 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

– 5 000 euros à titre de dommages-intérêts pour non-respect de la priorité de

réembauche ;

Rappelle que les condamnations portent intérêts au taux légal à compter de la réception par la société Tag Worldwide France de la convocation devant le bureau de conciliation du conseil de prud’hommes pour les créances salariales et à compter du présent arrêt pour les créances indemnitaires ;

Ordonne la capitalisation des intérêts selon les modalités de l’article 1343-2

du code civil ;

Ordonne à la société Tag Worldwide France de remettre à M. [W] des documents

de fin de contrat conformes à la présente décision ;

Rejette la demande d’astreinte ;

Ordonne à la société Tag Worldwide France de rembourser à Pôle Emploi les indemnités de chômage versées à M. [W], du jour de la rupture au jour de la décision, dans la limite de trois mois d’indemnités, sous déduction de la contribution prévue par l’article L. 1233-69 du code du travail ;

Condamne la société Tag Worldwide France à payer à M. [W] la somme de 3 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

Déboute M. [W] du surplus de ses demandes ;

Condamne la société Tag Worldwide France aux dépens de première instance et d’appel.

LE GREFFIER LE PRESIDENT

 


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