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AFFAIRE PRUD’HOMALE
RAPPORTEUR
N° RG 20/04940 – N° Portalis DBVX-V-B7E-NENN
S.A.S. PRODECOM
C/
[H]
APPEL D’UNE DÉCISION DU :
Conseil de Prud’hommes – Formation de départage de LYON
du 27 Août 2020
RG : F16/00593
COUR D’APPEL DE LYON
CHAMBRE SOCIALE B
ARRÊT DU 13 OCTOBRE 2023
APPELANTE :
Société PRODECOM
[Adresse 1]
[Localité 6]
représentée par Me Nathalie ROSE, avocat au barreau de LYON substitué par Me Dimitri FALCONE, avocat au barreau de MACON/CHAROLLES
INTIMÉE :
[G] [H]
née le 08 Mars 1969 à [Localité 8]
[Adresse 4]
[Localité 3]
représentée par Me Frédéric GUTTON de la SELEURL LAW DICE, avocat au barreau de LYON, substitué par Me Mélanie CAMBON, avocat au barreau de LYON
DÉBATS EN AUDIENCE PUBLIQUE DU : 08 Septembre 2023
Présidée par Catherine CHANEZ, Conseillère magistrat rapporteur, (sans opposition des parties dûment avisées) qui en a rendu compte à la Cour dans son délibéré, assistée pendant les débats de Mihaela BOGHIU, Greffière.
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ :
– Béatrice REGNIER, présidente
– Catherine CHANEZ, conseillère
– Régis DEVAUX, conseiller
ARRÊT : CONTRADICTOIRE
Prononcé publiquement le 13 Octobre 2023 par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l’article 450 alinéa 2 du code de procédure civile ;
Signé par Béatrice REGNIER, Présidente et par Mihaela BOGHIU, Greffière auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
********************
EXPOSE DU LITIGE
La société Prodecom exerce une activité de carrosserie au sein de son établissement de [Localité 12] (69), et une activité de distribution de pièces automobiles depuis son siège social situé à [Localité 11] (01). Elle emploie au moins 11 salariés.
Mme [G] [H] a été engagée par la société Prodecom à compter du 1er octobre 2002, dans le cadre d’un contrat de travail à durée indéterminée, en qualité de secrétaire commerciale au sein de l’établissement de [Localité 12].
La relation contractuelle était soumise à la convention collective des services de l’automobile.
Le 28 novembre 2014, l’employeur s’est vu refuser le renouvellement du bail commercial de son établissement de [Localité 12], et a décidé de cesser l’activité de carrosserie qui y était déployée.
Par lettre remise en main propre le 19 octobre 2015, il a convoqué Mme [H] à un entretien préalable en vue d’un éventuel licenciement pour motif économique, fixé au 20 novembre 2015.
Au cours de cet entretien, il lui a remis une proposition d’adhésion à un contrat de sécurisation professionnelle.
Par courrier remis en main propre le 20 novembre 2015, il lui a notifié une note d’information concernant le motif économique du licenciement envisagé.
Puis, par courrier recommandé du 10 décembre 2015, il a procédé à la notification du licenciement pour motif économique, sous réserve d’adhésion au contrat de sécurisation professionnelle, reprenant les termes de la note d’information pré-citée :
« (‘) Comme vous le savez peut-être, la Métropole de [Localité 7] est propriétaire de nos locaux depuis le 10 novembre 2006.
A cette date elle avait en effet fait valoir son droit de préemption alors que nous souhaitions nous-mêmes nous en porter acquéreurs.
Depuis lors un bail commercial renouvelable d’une durée de neuf années, expirant le 31 mars 2015, nous a été accordé.
Or l’entreprise s’est vue refuser le renouvellement du bail commercial de ses locaux actuels par exploit d’huissier de justice du 28 novembre 2014.
Ce refus de renouveler le bail commercial nous contraint ni plus ni moins qu’à cesser définitivement notre activité de carrosserie.
Cette décision prive en effet notre fonds de commerce d’un élément essentiel à son fonctionnement.
S’agissant d’une activité commerciale de proximité, le lieu de situation de l’entreprise, [Adresse 2] à [Localité 12], depuis près de trente ans, et déterminant aux yeux de notre clientèle.
Notre installation actuelle bénéficie d’une certaine notoriété sur l’un des axes pénétrants principaux de [Localité 7] depuis sa périphérie Est, sur un espace accessible disposant d’une superficie conséquente nécessaire aux contraintes de notre activité (notamment en terme de stationnement’).
Compte tenu du caractère facilement « interchangeable » de notre activité de carrosserie, tout déplacement géographique de nos ateliers entraînerait inévitablement un report de notre clientèle vers nos concurrents les plus proches géographiquement.
On doit observer à cet égard qu’une centaine d’entreprises concurrentes sont recensées dans un rayon de trois kilomètres autour de l’entreprise’
Les conditions d’éviction fixées par la Métropole de [Localité 7] nous interdisent en tout état de cause toute réinstallation dans un périmètre constituant la zone de chalandise principale de l’entreprise.
Le périmètre de l’interdiction de réinstallation inclut en effet une part significative des trois axes EST de circulation pénétrant [Localité 7] que sont les [Adresse 10] et [Adresse 2], le [Adresse 5] ainsi que la [Adresse 9].
Privés de nos locaux, de notre principale zone de chalandise, et de la clientèle correspondante, seule une création ou reprise d’entreprise sur un nouveau secteur géographique aurait pu être envisagée.
Or, la réglementation environnementale particulière de l’activité de carrosserie automobile soumet toute installation à des contraintes drastiques rendant de fait toute installation nouvelle en zone urbaine illusoire sauf à envisager des investissements massifs excédant les capacités financières de l’entreprise compte tenu de l’absence de rentabilité de notre activité.
Le marché de la carrosserie connaît par ailleurs les effets d’une crise structurelle à laquelle n’échappe pas notre entreprise.
De manière générale le marché subit à la fois la crise du secteur automobile en général ainsi qu’une baisse constante des réparations-collisions et des activités de peinture liées à la diminution de la sinistralité.
Cette baisse générale d’activité doit être considérée comme structurelle.
En effet, l’évolution technologique des véhicules réduit notre activité traditionnelle. La généralisation de l’utilisation de nouveaux matériaux tels que les nouveaux aciers, l’aluminium, et autres polymères, rendent plus complexes les interventions et impliquent de nouveaux procédés de soudure et d’assemblage qui nécessitent des moyens lourds de plus en plus réservés aux constructeurs.
La tendance est à ce titre à l’investissement du marché par les constructeurs qui réintègrent des ateliers dans les enseignes de leurs réseaux, voire développent leurs propres réseaux.
Ce contexte général morose se répercute directement sur l’activité carrosserie de l’entreprise.
En seulement trois années cette activité a accusé une perte nette comptable cumulée de 115 804,52 euros, son exploitation étant structurellement déficitaire.
Ces pertes chroniques ne permettent à notre entreprise, qui n’appartient pas à un groupe, d’envisager raisonnablement l’investissement massif que représenterait une création ou reprise d’entreprise sur un périmètre géographique nouveau et une clientèle différente inconnue.
Un tel investissement serait, à terme, de nature à menacer l’existence même de notre structure.
C’est dans ce contexte que nous avons dû nous résoudre à cesser définitivement notre activité de carrosserie et, par voie de conséquence, à fermer l’établissement de [Localité 12].
Une proposition de mobilité sur le site de [Localité 6] vous a ainsi été présentée.
Nous avons également préalablement recherché toute possibilité de vous reclasser en interne comme auprès des entreprises du secteur.
Diverses solutions de reclassement vous ont été ainsi présentées.
A ce titre, nous vous avons personnellement accompagné à un entretien d’embauche avec Madame [P] [S] du groupe Central AUTO/MOTORS.
Cette réunion faisait directement suite à notre sollicitation préalable.
Toutefois, après avoir par ailleurs pris acte de votre refus de mobilité et des propositions internes de reclassement qui vous ont été soumises à ce jour, nous nous voyons contraints de supprimer votre emploi de secrétaire. (‘) »
Le 11 décembre 2015, Mme [H] a adhéré au contrat de sécurisation professionnelle.
Par requête réceptionnée au greffe le 15 février 2016, elle a saisi le conseil de prud’hommes de Lyon afin de contester le bien-fondé de son licenciement.
Par jugement du 27 août 2020, le juge départiteur du conseil de prud’hommes de Lyon a notamment :
Condamné la société Prodecom à verser à Mme [H] les sommes suivantes :
4 509,56 euros bruts à titre d’indemnité compensatrice de préavis, outre 451 euros bruts de congés payés afférents, assortie des intérêts légaux à compter du 17 février 2017 ;
13 530 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, assortie des intérêts légaux à compter du jugement ;
1 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
Ordonné le remboursement par l’employeur aux organismes concernés des indemnités de chômage versées à Mme [H] du jour de son licenciement au jour de la décision et ce dans la limite de 1 mois d’indemnités ;
Fixé à 2 254,78 euros la moyenne des trois derniers salaires de Mme [H] ;
Condamné la société Prodecom aux dépens.
Par déclaration du 17 septembre 2020, la société a interjeté appel de l’ensemble des dispositions de ce jugement.
Dans ses uniques conclusions notifiées, déposées au greffe le 16 décembre 2020, elle demande à la cour d’infirmer le jugement entrepris, de débouter Mme [H] de l’intégralité de ses demandes, et, à titre subsidiaire, de réduire aux plus infimes proportions la réparation d’un éventuel préjudice subi par elle.
En tout état de cause, elle demande à la cour de condamner Mme [H] aux dépens et de la condamner à lui verser la somme de 2 500 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.
Dans ses uniques conclusions notifiées, déposées au greffe le 10 mars 2021, Mme [H] demande pour sa part à la cour de confirmer le jugement entrepris, de condamner la société aux dépens et de la condamner à lui verser la somme de 2 500 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.
La clôture est intervenue le 27 juin 2023.
Conformément aux dispositions de l’article 455 du code de procédure civile, la cour se réfère, pour un plus ample exposé des moyens et prétentions des parties, à leurs conclusions écrites précitées.
MOTIFS DE LA DÉCISION
A titre liminaire, la cour rappelle qu’elle n’est pas tenue de statuer sur les demandes de « constatations » ou de « dire » qui ne sont pas, hors les cas prévus par la loi, des prétentions dans la mesure où elles ne sont pas susceptibles d’emporter des conséquences juridiques ou qu’elles constituent en réalité des moyens.
Elle n’a pas non plus à fixer le salaire moyen de la salariée, s’agissant en réalité d’un moyen à l’appui des demandes indemnitaires ou salariales.
1-Sur le licenciement
Aux termes de l’article L. 1233-3 du code du travail dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016, constitue un licenciement pour motif économique, le licenciement effectué pour un ou plusieurs motifs, non inhérents à la personne du salarié, qui repose sur une cause économique (notamment des difficultés économiques ou des mutations technologiques, mais aussi la réorganisation de l’entreprise, la cessation non fautive d’activité de l’entreprise), laquelle cause économique doit avoir une incidence sur l’emploi du salarié concerné (suppression ou transformation) ou sur son contrat de travail.
En application de l’article L1233-16, la lettre de licenciement comporte l’énoncé des motifs économiques invoqués par l’employeur.
C’est donc la lettre de licenciement qui fixe les limites du litige et c’est au regard des motifs qui y sont énoncés que s’apprécie le bien-fondé du licenciement.
La réorganisation de l’entreprise constituant un motif économique de licenciement, il suffit que la lettre de rupture fasse état de cette réorganisation et de son incidence sur le contrat de travail ; l’employeur peut ensuite invoquer que cette réorganisation était nécessaire à la sauvegarde de la compétitivité de l’entreprise ou à celle du secteur d’activité du groupe auquel elle appartient, ou qu’elle était liée à des difficultés économiques ou à une mutation technologique, et il appartient au juge de le vérifier.
La réorganisation de l’entreprise, motivée par la nécessité de sauvegarder sa compétitivité, ne peut constituer une cause économique de licenciement que si l’employeur démontre l’existence d’une menace sur cette compétitivité et l’impossibilité d’y pallier dans le cadre de l’organisation existante.
En l’espèce, la lettre de licenciement retient comme motif la cessation de l’activité de carrosserie et consécutivement la fermeture de son établissement de [Localité 12], suite au refus du bailleur de renouveler le bail commercial, corrélées à l’impossibilité de se réinstaller à proximité et à la baisse générale d’activité du secteur de la carrosserie, se traduisant par une perte nette comptable cumulée de 115 804 euros sur 3 années.
Si la société justifie de la diminution du marché de la carrosserie et des exigences nouvelles en matière environnementale impactant cette activité, elle n’apporte aucun élément, ni dans la lettre de rupture, ni dans ses conclusions, sur la situation économique et financière de l’entreprise dans son ensemble. Elle n’établit donc pas que la réorganisation consistant en l’abandon de l’activité de carrosserie était nécessaire à la sauvegarde de sa compétitivité, alors que les pièces versées par Mme [H] montrent que le résultat de la société était positif au 31 mars 2014 (88 848 euros) et au 31 mars 2015 (74 959 euros).
La cessation de l’activité du site de [Localité 12], si elle a pu participer de choix stratégiques de l’employeur au regard du non-renouvellement du bail commercial et des contraintes du marché, n’a pas été motivée par des difficultés économiques ou la menace pesant sur sa compétitivité et ne saurait donc constituer un motif économique de licenciement.
Le jugement sera dès lors confirmé en ce qu’il a déclaré le licenciement sans cause réelle et sérieuse.
Sur les dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, les parties s’accordent sur un montant correspondant à 6 mois de salaire. L’article L.1235-3 du code du travail, dans sa rédaction applicable à l’espèce, dispose que l’indemnité, s’agissant d’un salarié ayant au moins 2 ans d’ancienneté dans une entreprise employant plus de 10 salariés, ne peut être inférieure à la rémunération brute de la salariée pendant les 6 derniers mois précédant la rupture. Le jugement sera donc confirmé de ce chef également.
Quant à l’indemnité compensatrice de préavis, son montant n’est pas contesté par la société, si bien que le jugement sera confirmé de ce chef.
2-Sur le remboursement des allocations chômage
Le licenciement étant sans cause réelle et sérieuse, il y a lieu, en application des dispositions de l’article L. 1235-4 du même code qui l’imposent et sont donc dans le débat, d’ordonner d’office à l’employeur de rembourser aux organismes concernés les indemnités de chômage versées à la salariée, dans la limite de six mois d’indemnités.
3-Sur les dépens et l’article 700 du code de procédure civile
Les dépens de première instance et d’appel seront laissés à la charge de la société.
L’équité commande de condamner la société à payer à Mme [H] la somme de 2 500 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile pour la procédure d’appel.
PAR CES MOTIFS
LA COUR
Confirme le jugement prononcé le 27 août 2020 par le conseil de prud’hommes de Lyon, sauf sur le remboursement des allocations chômage,
Statuant à nouveau et y ajoutant,
Ordonne à la société Prodecom de rembourser le cas échéant au Pôle emploi les indemnités de chômage versées à Mme [G] [H], dans la limite de six mois d’indemnités ;
Laisse les dépens d’appel à la charge de la société Prodecom ;
Condamne la société Prodecom à payer à Mme [G] [H] la somme de 2 500 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile pour la procédure d’appel .
LA GREFFIÈRE, LA PRÉSIDENTE,