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7ème Ch Prud’homale
ARRÊT N°356/2023
N° RG 20/04507 – N° Portalis DBVL-V-B7E-Q55L
Mme [D] [M]
C/
Me [Z] [K]
Association UNEDIC DÉLÉGATION AGS CGEA DE RENNES
Copie exécutoire délivrée
le : 12/10/2023
à :
Me MARLOT
Me KERJEAN
Me COLLEU
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D’APPEL DE RENNES
ARRÊT DU 12 OCTOBRE 2023
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ :
Président : Monsieur Hervé BALLEREAU, Président de chambre,
Assesseur : Madame Liliane LE MERLUS, Conseillère,
Assesseur : Monsieur Hervé KORSEC, Magistrat honoraire exerçant des fonctions juridictionnelles,
GREFFIER :
Madame Françoise DELAUNAY, lors des débats et lors du prononcé
DÉBATS :
A l’audience publique du 22 Mai 2023 devant Monsieur Hervé BALLEREAU et Madame Liliane LE MERLUS, magistrats tenant seuls l’audience en la formation double rapporteur, sans opposition des représentants des parties et qui a rendu compte au délibéré collégial
En présence de Madame DUBUIS, médiatrice judiciaire
ARRÊT :
Contradictoire, prononcé publiquement le 12 Octobre 2023 par mise à disposition au greffe comme indiqué à l’issue des débats
****
APPELANTE :
Madame [D] [M]
née le 19 Juin 1990
[Adresse 2]
[Localité 6]
Représentée par Me Eric MARLOT de la SELARL MARLOT, DAUGAN, LE QUERE, Plaidant/Postulant, avocat au barreau de RENNES substitué par Me BRIAUD, avocat au barreau de RENNES
INTIMÉS :
Maître [Z] [K] Mandataire Judiciaire, es qualité de liquidateur de la SARL [I] CONSEIL
[Adresse 1]
[Localité 7]
Représenté par Me Pierre-Guillaume KERJEAN de la SELARL SELARL KERJEAN-LE GOFF-NADREAU-BARON-NEYROUD, Plaidant/Postulant, avocat au barreau de SAINT-MALO substitué par Me NADREAU, avocat au barreau de SAINT MALO
Association UNEDIC DÉLÉGATION AGS CGEA DE RENNES UNEDIC Délégation AGS CGEA de RENNES, Association déclarée, représentée par sa Directrice, Madame [F] [R], domiciliée [Adresse 4].
[Adresse 3]
[Localité 5]
Représentée par Me Marie-Noëlle COLLEU, Plaidant/Postulant, avocat au barreau de RENNES
***
EXPOSÉ DU LITIGE
La SARL [I] Conseil exploitait une agence immobilière sous l’enseigne Avis située dans la commune de [Localité 8].
Mme [D] [M] a été engagée par la SARL [I] Conseil selon un contrat à durée indéterminée en date du 1er février 2018, après avoir travaillé pour son compte sous le statut d’agent commercial.
Elle exerçait les fonctions de conseiller immobilier à temps partiel à hauteur de 30 heures par semaine.
Les relations entre les parties étaient régies par la convention collective de l’immobilier.
Par jugement en date du 19 septembre 2018, le tribunal de commerce de Saint-Malo a prononcé la liquidation judiciaire simplifiée de la SARL [I] Conseil, sans poursuite d’activité, et a désigné Me [Z] [K] en qualité de liquidateur.
Par courrier recommandé en date du 02 octobre 2018, Mme [M] s’est vue notifier un licenciement pour motif économique. La salariée ayant adhéré au contrat de sécurisation professionnelle, son contrat de travail a été rompu le 19 octobre 2018.
***
Sollicitant le paiement de diverses sommes et indemnités, Mme [M] a saisi le conseil de prud’hommes de Saint-Malo par requête en date du 13 novembre 2018 afin de voir :
– Dire et juger que son contrat de travail au sein de la société [I] Conseil aurait dû être transféré au repreneur de la société par application de 1’article L. 1224-1 du code du travail ;
– Dire et juger son licenciement pour motif économique privé d’effet ;
En conséquence,
– Fixer sa créance au passif de la liquidation judiciaire de la société [I] Conseil aux sommes de :
-1 350,04 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.
– 5 000,00 euros à titre de dommages-intérêts pour perte de chance d’obtenir la continuation de son contrat de travail avec le repreneur de la société et non-respect des dispositions de 1’article L. 1224-1 du code du travail –
-590,76 euros outre 59,08 euros de conges payes afférents à titre de rappel de salaire sur la base du salaire minimum conventionnel ;
-2 000,00 euros à titre de dommages-intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail ;
– Débouter Maître [Z] [K] es qualité de Mandataire liquidateur de la société [I] Conseil de toutes ses demandes, fins et conclusions ;
– Fixer sa créance au passif de la liquidation judiciaire de la société [I] Conseil à la somme de 2 000,00 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
– Ordonner1’exécution provisoire ;
– Déclarer1e jugement à intervenir commun et opposable au CGEA.
Me [K], ès qualités de mandataire liquidateur de la SARL [I] Conseil, a demandé au conseil de prud’hommes de :
– Sur la demande deMadame [M] fondée sur 1es dispositions de l’article L 1224-1 du code du travail:
– A titre principal : dire et juger la demande de Madame [M] irrecevable et au besoin l’en débouter;
– A titre subsidiaire : constater l’absence de transfert d’entité économique autonome ou d’entente frauduleuse, dire Madame [M] mal fondée en sa demande et l’en débouter ;
– Dire et juger Madame [M] mal fondée en ses autres demandes et l’en débouter ;
– Dire et juger fondée la demande formée au titre du caractère abusif de la procédure et condamner Madame [M] à verser une amende civile;
– Condamner Madame [M] au paiement d’une somme de 1 500 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile;
L’AGS CGEA de Rennes a demandé au conseil de :
– Débouter Madame [M] de l’ensemble de ses demandes ;
– Condamner Madame [M] à verser au CGEA de Rennes la somme de 1 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
– Dépens comme de droit.
En toute hypothèse, a rappelé les limites légales de la garantie des créances par l’AGS
Par jugement en date du 1er septembre 2020, le conseil de prud’hommes de Saint-Malo a :
– Dit et jugé que les demandes de Madame [M] sont recevables devant le conseil de prud’hommes de Saint-Malo ;
– Constaté l’absence de transfert d’entité économique autonome ou d’entente frauduleuse entre les sociétés SARL [I] Conseil et SARL Couni-Couna ;
– Débouté les parties de leurs demandes ;
– Laissé à chacune des parties la charge de ses dépens.
***
Mme [M] a interjeté appel de cette décision par déclaration au greffe en date du 23 septembre 2020.
Aux termes de ses dernières conclusions transmises par son conseil sur le RPVA le 28 mai 2021, Mme [M] demande à la cour de :
– Infirmer le jugement du conseil de prud’hommes de Saint-Malo, section commerce, RG n° 18/00103 en ce qu’il l’a :
‘ Déboutée de la demande tendant à dire et juger que son contrat de travail au sein de la société [I] Conseil aurait dû être transféré au repreneur de la société par application de l’article L. 1224-1 du code du travail ;
‘ Déboutée de sa demande tendant à dire et juger le licenciement pour motif économique privé d’effet ;
‘ Déboutée de sa demande tendant à fixer ses créances au passif de la liquidation judiciaire de la société [I] Conseil aux sommes de:
-1350,04 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
-5 000,00 euros à titre de dommages-intérêts pour perte de chance d’obtenir la continuation de son contrat de travail avec le repreneur de la société et non-respect des dispositions de l’article L. 1224-1 du code du travail ;
-590,76 euros outre 59,08 euros de congés payés afférents à titre de rappel de salaire sur la base du salaire minimum conventionnel;
-2 000,00 euros à titre de dommages-intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail ;
-2 000,00 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
Statuant à nouveau :
Avant dire droit :
– Ordonner à Maître [K], es qualité de Mandataire Liquidateur de la SARL [I] Conseil, de communiquer à la présente procédure l’offre de reprise de la SARL [I] Conseil par Monsieur [O] [U] ou toute personne morale se substituant à lui sous astreinte de 200 euros par jour de retard à compter de la notification de l’arrêt ;
En tout état de cause :
– Dire et juger que son contrat de travail au sein de la société [I] Conseil aurait dû être transféré au repreneur de la société par application de l’article L. 1224-1 du code du travail ;
– Dire et juger son licenciement pour motif économique privé d’effet;
En conséquence,
– Fixer ses créances au passif de la liquidation judiciaire de la société [I] Conseil aux sommes de :
-1 350,04 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement privé d’effet et sans cause réelle et sérieuse
– 5 000,00 euros à titre de dommages-intérêts pour perte de chance d’obtenir la continuation de son contrat de travail avec le repreneur de la société et non-respect des dispositions de l’article L. 1224-1 du code du travail ;
– 590,76 euros outre 59,08 euros de congés payés afférents à titre de rappel de salaire sur la base du salaire minimum conventionnel ;
-2 000,00 euros à titre de dommages-intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail ;
-2 000,00 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile
– Débouter Maître [Z] [K] ès qualité de Mandataire liquidateur de la société [I] Conseil de toutes ses demandes, fins et conclusions ;
– Déclarer le jugement à intervenir commun et opposable au CGEA.
En l’état de ses dernières conclusions transmises par son conseil sur le RPVA le 14 mars 2021, Me [Z] [K], ès qualités de mandataire liquidateur de la SARL [I] Conseil, demande à la cour de :
– Déclarer recevable et bien-fondé l’appel incident interjeté par Maître [Z] [K] et, réformant le jugement dont appel et statuant à nouveau, juger irrecevables les demandes de Madame [M] tendant à voir :
– Fixer la créance de Madame [D] [M] au passif de la liquidation judiciaire de la société [I] Conseil à la somme de
1 350,04 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement privé d’effet et sans cause réelle et sérieuse ;
– Fixer la créance de Madame [D] [M] au passif de la liquidation judiciaire de la société [I] Conseil à la somme de
5 000,00 euros à titre de dommages-intérêts pour perte de chance d’obtenir la continuation de son contrat de travail avec le repreneur de la société et non-respect des dispositions de l’article L. 1224-1 du code du travail ;
– Confirmer le jugement pour le surplus, et débouter Madame [M] de l’ensemble de ses demandes, fins et prétentions ;
– Condamner Madame [M] à verser à Maître [Z] [K] une somme de 2 000 euros par application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile, outre aux entiers dépens.
En l’état de ses dernières conclusions transmises par son conseil sur le RPVA le 10 mars 2021, l’AGS CGEA de Rennes demande à la cour de :
-Confirmer dans son intégralité le jugement du conseil de prud’hommes de Saint-Malo ;
En conséquence :
– Débouter Madame [M] de l’ensemble de ses demandes ;
– Condamner Madame [M] à verser au CGEA de Rennes la somme de 1 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
En toute hypothèse :
– Dire et juger que la garantie du CGEA ne saurait être mobilisée s’agissant de créances ne résultant pas de l’exécution du contrat de travail ;
– Débouter Madame [D] [M] de toutes ses demandes qui seraient dirigées à l’encontre de l’AGS.
– Décerner acte à l’AGS de ce qu’elle ne consentira d’avance au mandataire judiciaire que dans la mesure où la demande entrera bien dans le cadre des dispositions des articles L.3253-6 et suivants du code du travail.
– Dire et juger que l’indemnité éventuellement allouée au titre de l’article 700 du code de procédure civile n’a pas la nature de créance salariale.
– Dire et juger que l’AGS ne pourra être amenée à faire des avances, toutes créances du salarié confondues, que dans la limite des plafonds applicables prévus aux articles L.3253-17 et suivants du code du travail.
– Dépens comme de droit.
***
La clôture de l’instruction a été prononcée par ordonnance du conseiller de la mise en état le 28 mars 2023 avec fixation de la présente affaire à l’audience du 22 mai 2023.
Conformément aux dispositions de l’article 455 du code de procédure civile, la cour renvoie, pour plus ample exposé des prétentions et moyens des parties, aux conclusions susvisées qu’elles ont déposées et soutenues à l’audience.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Sur la demande de rappel de salaire au titre du minimum conventionnel
Le conseil de prud’hommes a débouté Mme [M] de cette demande en relevant qu’elle ne produisait aucune fiche de poste ni de description de sa fonction pouvant justifier de sa classification d’agent de maîtrise et qu’elle n’était donc pas fondée en sa demande de rappel à ce titre.
Mme [M] critique cette disposition en faisant valoir que, conseiller immobilier VRP depuis le 1 er février 2018 elle n’était rémunérée qu’à hauteur du Smic, alors que son emploi justifiait, a minima, d’une classification d’agent de maîtrise.
Le mandataire liquidateur et le CGEA répliquent que le statut de négociateur immobilier est particulier, régi par un avenant spécifique à la convention collective nationale de l’immobilier, soit l’avenant 31 du 15 juin 2006 relatif au nouveau statut de négociateur immobilier, lequel prévoit que, sauf exception (cas des négociateurs exerçant pour des sociétés immobilières et foncières qui perçoivent une rémunération non essentiellement constituée de commissions, en raison de la spécificité de leur secteur d’activité), les négociateurs
immobiliers ne sont pas classés à l’un des niveaux de la grille conventionnelle mais bénéficient du statut spécifique de l’avenant, soit une rémunération déterminée librement sous réserve d’un minimum de 950 euros mensuels.
***
Mme [M] fonde sa demande exclusivement sur le fait qu’elle exerçait des fonctions de négociatrice en immobilier et qu’elle situe son niveau de classement conventionnel à celui d’un agent de maîtrise.
Or, tous les négociateurs immobiliers non cadres, VRP ou non, entrent dans le champ d’application de l’avenant n°31 du 15 juin 2006 à la convention collective nationale de l’immobilier, relatif au nouveau statut du négociateur immobilier, entré en vigueur le 1er juillet 2006.
Aux termes de l’article 4 de cet avenant, les négociateurs immobiliers VRP perçoivent un salaire minimum brut mensuel ne pouvant être inférieur à 950 euros et les négociateurs immobiliers non VRP un salaire minimum brut mensuel correspondant au Smic.
La rémunération du négociateur est composée essentiellement ou exclusivement de commissions et relève du libre accord du négociateur immobilier et de son employeur sous réserve du présent avenant, le salaire minimum mensuel brut pouvant constituer en tout ou partie une avance sur commissions.
Ce même article précise que les négociateurs ne sont pas classés à l’un des niveaux de la grille conventionnelle.
Le préambule dudit avenant précise que ‘les négociateurs ne sont pas classés à l’un des niveaux de la grille conventionnelle mais bénéficient du statut résultant du présent avenant, exception faite des négociateurs exerçant des fonctions d’encadrement et bénéficiant à ce titre d’un statut cadre, qui seront classés dans la grille de l’annexe 1 de la CCNI (convention collective nationale de l’immobilier)’.
Mme [M], qui était négociateur immobilier non cadre, doit par conséquent être déboutée de sa demande de rappel de salaire fondée sur l’application de la grille de salaire conventionnelle, qui ne lui est pas applicable, par voie de confirmation du jugement.
Sur la demande de production aux débats de l’offre de reprise de la Sarl [I] Conseil par M. [U] ou toute personne morale se substituant à lui
Les parties ont produit aux débats les éléments suivants :
-les statuts constitutifs de la société Couni Couna en date du 7 novembre 2018,
-l’acte de cession du fonds de commerce de la société [I] représentée par Me [K] mandataire judiciaire, à la société Couni Couna dont le gérant est M. [U], en date du 14 décembre 2018,
-une offre informelle, par mail, en date du 9 août 2018, de M. [U] à M. [I] de rachat de l’agence pour 50 000 euros net vendeur pour le fonds de commerce et 100 000 euros net vendeur pour les murs, (offre valable 7 jours en précisant ‘au dessus de ce prix, aucune banque ne pourra accepter à la vue des bilans présentés’)
-le jugement d’ouverture de la liquidation judiciaire simplifiée de la société [I], rendu le 19 septembre 2018 par le tribunal de commerce de St Malo, sans poursuite d’activité, fixant la date de cessation des paiements au 30 septembre 2017,
-le courrier de convocation de la salariée à l’entretien préalable à licenciement en date du 20 septembre 2018
-le procès-verbal de consultation et d’information de la représentante des salariés (Mme [T]) en date du 16 octobre 2018 mentionnant l’avis favorable de celle-ci,
-le procès-verbal de la deuxième réunion avec la représentante des salariés (Mme [T]) en date du 18 octobre mentionant qu’aucun repreneur n’a formulé d’offre définitive, portant également avis favorable de la représentante des salariés,
-un extrait (dans l’acte de cession susvisé) de la requête présentée le 10 octobre 2018 par le liquidateur au juge commissaire mentionnant que ‘compte tenu de l’urgence de la situation, afin que le fichier client ne perde de sa valeur, le requérant a fixé une date limite de dépôt des offres au 27 septembre 2018, pour les repreneurs potentiels déjà approchés par M. [I] avant l’ouverture de la procédure’
-un extrait (dans l’acte de cession susvisé) de l’ordonnance du juge commissaire du 22 octobre 2018 autorisant la vente du fonds de commerce à M. [U] en son nom ou toute personne morale se substituant à lui, ordonnance confirmée par ordonnance du 7 décembre 2018 du juge commissaire.
Au vu de l’ensemble de ces pièces, la demande présentée par Mme [M] de production aux débats, au surplus sous astreinte, d’une ‘offre de reprise’de la société [I] par de M. [U] ou toute personne morale se substituant à lui n’est pas justifiée et elle doit donc en être déboutée.
Sur les demandes de dommages et intérêts pour perte de chance d’obtenir la continuation de son contrat de travail avec le repreneur, non respect des dispositions de l’article L1224-1 du code du travail et de dommages et intérêts pour licenciement privé d’effet et sans cause réelle et sérieuse
Mme [M] fait valoir que si la juridiction prudhomale a justement relevé qu’elle était compétente pour traiter de ces demandes, c’est à tort qu’elle a considéré qu’aucune entité économique autonome n’avait été transférée, alors qu’au contraire l’acte de cession de fonds de commerce produit après l’audience de plaidoirie en première instance par Me [K] vient confirmer qu’une entité économique autonome avait été transférée en l’espèce ; que le mandataire liquidateur a eu connaissance de l’offre de reprise de M. [U] avant la notification des licenciements pour motif économique, la demande d’acceptation de l’offre de reprise ayant été faite avant la rupture des contrats de travail, lesquels auraient dû être transférés à la société Couni-Couna gérée par M. [U] ; que son licenciement est dès lors nécessairement dépourvu de tout effet ; qu’ayant perdu une chance d’obtenir la continuation de son contrat de travail avec le repreneur de la société, elle a subi un préjudice considérable, ayant été inscrite à Pôle Emploi à la date du 27 juin 2019 et allocataire d’indemnités de chômage.
Le mandataire judiciaire et le CGEA répliquent :
-qu’en présence d’une liquidation judiciaire sans poursuite d’activité ouverte le 19 septembre 2018, le liquidateur n’avait d’autre choix que de mettre en oeuvre, dans les 15 jours requis pour permettre aux salariés de bénéficier de la garantie de l’AGS, une procédure de licenciement économique, validée tant par l’inspection du travail que par la salariée elle-même,
-que l’acquisition de l’établissement principal de la société placée en liquidation le 19 septembre 2018 sans poursuite d’activité, par une société mise en activité le 14 décembre 2018, ne permettait en aucune manière un ‘transfert’ des contrats de travail,
-qu’au-delà de ces éléments chronologiques qui caractérisent l’impossibilité d’une reprise du contrat de travail que la salariée ne souhaitait pas elle-même, en tout état de cause la seule poursuite de la même activité par une autre entreprise ne suffit pas à caractériser le transfert d’une entité économique autonome et Mme [M] ne rapporte pas la preuve d’un tel transfert,
-que Mme [M] qui allègue avoir subi un ‘préjudice incontestable’ et justifie avoir eu des contacts avec le ‘repreneur’ M. [U], sans jamais s’expliquer sur la teneur de ceux-ci ni sur son refus d’y donner suite, n’a en toute hypothèse jamais eu la moindre intention de travailler pour la Sarl Couni-Couna, ayant indiqué qu’elle avait d’autres projets et son comportement ultérieur révélant qu’il s’agissait en fait de la création d’une agence concurrente (création dès le 8 février 2019 de sa propre agence immobilière à St Pierre de Plesguen avec ses anciennes collègues Mme [T] et Mme [W]),
-qu’à supposer établie l’existence d’un transfert d’entité économique autonome imposant au cessionnaire la poursuite des contrats de travail, la condamnation de l’ancien employeur à prendre en charge les conséquences de la privation d’emploi des salariés ne peut être sollicitée que si les deux employeurs ont agi de concert et en fraude des droits des salariés, ce dont Mme [T], qui n’a même pas pris la peine d’appeler à la cause le prétendu débiteur de la reprise du contrat, ne rapporte pas la preuve.
Le mandataire liquidateur es-qualités conclut principalement que les demandes de Mme [M] sont irrecevables en ce que, s’appuyant sur la prétention qu’il n’aurait pas dû notifier des licenciements pour motif économique aux 3 salariées de la société puisque celle-ci a été entièrement reprise par M. [U], elles tendent à remettre en cause le licenciement intervenu et se heurtent aux deux décisions qui ont consacré de façon définitive la validité, tant sur la forme que sur le fond, du licenciement intervenu, soit :
-la décision du juge commissaire du tribunal de commerce qui a ordonné une liquidation judiciaire sans poursuite d’activité,
-la décision de la Direccte d’autorisation de licenciement de Mme [T] qui s’étend nécessairement au licenciement de Mme [M] licenciée dans les mêmes conditions.
***
En application de l’article 1355 du code civil, l’autorité de la chose jugée n’a lieu qu’à l’égard de ce qui a fait l’objet du jugement. Il faut que la chose demandée soit la même, que la demande soit fondée sur la même cause, que la demande soit entre les mêmes parties, et formée par elles et contre elles en la même qualité.
En l’espèce, les demandes de Mme [M] ne portent pas sur la contestation de la régularité du licenciement, en la forme et le fond, ni sur la contestation des décisions du juge commissaire et de la Direccte, mais sur le non respect du principe du transfert des contrats de travail par l’effet de la cession d’une entité économique autonome intervenu après la notification du licenciement. L’objet en est donc différent, et le jugement entrepris doit être en conséquence confirmé en ce qu’il a dit que les demandes de Mme [M] étaient recevables.
Selon l’article L1224-1 du code du travail, lorsque survient une modification dans la situation juridique de l’employeur, notamment par succession, vente, fusion, transformation du fonds, mise en société de l’entreprise, tous les contrats de travail en cours au jour de la modification subsistent entre le nouvel employeur et le personnel de l’entreprise.
Lorsqu’une poursuite d’activité est autorisée, dans le cadre d’une liquidation judiciaire, la rupture des contrats de travail n’intervient pas avant l’issue du maintien de l’activité autorisée par le tribunal, et les contrats de travail sont transférés en cas de reprise de l’activité par un repreneur, dans le cadre d’un plan de cession, ou de vente de biens non compris dans le plan de cession mais correspondant à un ensemble d’éléments corporels et incorporels permettant l’exercice d’une activité qui poursuit un objectif propre et constitue une entité économique autonome.
En l’espèce, aucune poursuite d’activité n’a été autorisée, de sorte qu’il n’y avait pas lieu à transfert d’activité. L’ouverture de la liquidation judiciaire simplifié esans poursuite d’activité a en conséquence entraîné la cessation immédiate de l’activité de la société, la suppression des postes de travail et la rupture des contrats de travail, en l’absence de possibilité de reclassement. Le liquidateur n’avait pas d’autre choix que de procéder au licenciement de la salariée dans les 15 jours suivant le prononcé de la liquidation, pour permettre d’assurer la garantie du paiement des salaires par l’Ags.
Le contrat de travail de Mme [M] n’étant plus en cours, du fait de la notification de licenciement en date du 2 octobre, même si la date de rupture effective est intervenue à l’expiration du délai dont disposait la salariée pour prendre parti sur la proposition d’adhésion au contrat de sécurisation professionnelle qui lui avait été faite, il n’y avait donc pas lieu à transfert d’un contrat de travail en cours lorsque le juge commissaire a autorisé, et ce postérieurement à la rupture du contrat de travail, la vente d’actifs de la société entrant dans la composition du fonds de commerce tel qu’il se présentait alors.
Par ailleurs, si M. [U] s’était manifesté dès le mois d’août 2018 comme un repreneur potentiel, force est de constater qu’il n’a formulé aucune offre définitive de rachat dans le délai qui avait été fixé par le juge commissaire pour les offres de reprise et que Mme [M] ne démontre aucune collusion frauduleuse sur ce point entre la société en liquidation, représentée par son liquidateur judiciaire, et M. [U]. Le fait que ce dernier ait décidé de procéder au rachat d’actifs constituant ce qui restait, en l’état, des éléments du fonds de commerce de [Localité 8], après la rupture du contrat de travail de Mme [M], ce qu’il était libre de faire puisque la liquidation judiciaire d’une société a pour but la liquidation des actifs, est sans effet sur le contrat de travail de Mme [M] dans la mesure où il n’y avait pas lieu à transfert de celui-ci en application de l’article L1224-1 du code du travail. La reprise d’une activité d’agence immobilière dans les mêmes locaux sous une autre enseigne par la société Couni Couna qui a été mise en activité le 14 décembre 2018 n’emportait pas davantage transfert du contrat de travail en application de l’article L1224-1 du code du travail.
Le jugement entrepris doit donc être confirmé en ce qu’il a débouté Mme [M] tant de sa demande de voir dire privé d’effet son licenciement que de ses demandes subséquentes.
Sur la demande de dommages et intrêts pour exécution déloyale du contrat de travail
Mme [M] soutient que le gérant de la société [I] lui demandait d’avancer différents frais qui auraient dû être pris en charge par la société et qu’aucun remboursement n’a par la suite été réalisé ; qu’à titre d’exemple, lors d’un déplacement à un congrès professionnel en janvier 2018, elle a été obligée de régler les billets de train sur son compte persoennel et avancer tous les frais de la journée, le gérant de la société [I] Conseil ayant ‘oublié’ son portefeuille ; qu’en profitant ainsi de sa bonne foi, il a exécuté de manière déloyale le contrat de travail.
Le liquidateur judiciaire et le CGEA répliquent que les prétentions de Mme [M] ne sont pas étayées. Le CGEA souligne le caractère évolutif des demandes de la salariée et l’absence de tout justificatif.
***
Le contrat de travail doit être exécuté de bonne foi. Toutefois la bonne foi dans l’exécution du contrat est présumée et il appartient à celui qui invoque l’exécution déloyale d’en rapporter la preuve.
Mme [M] ne produit à l’appui de sa demande aucune facture et ne justifie aucunement avoir demandé le remboursement de frais professionnels au cours de l’exécution de la relation contractuelle. Si l’employeur a l’obligation de rembourser au salarié les frais professionnels engagés pour accomplir ses missions, Mme [M] ne démontre en l’espèce pas de manquement de l’employeur à cette obligation et n’établit donc pas l’exécution déloyale du contrat de travail qu’elle invoque au soutien de sa demande indemnitaire, dont elle doit être déboutée, en confirmation du jugement entrepris sur ce chef.
***
Il n’est pas inéquitable de laisser à chacune des parties ses frais irrépétibles d’appel.
Mme [M], qui succombe principalement, doit être condamnée aux dépens d’appel.
Le jugement entrepris sera confirmé en ses dispositions sur ces chefs.
PAR CES MOTIFS
La cour,
Confirme le jugement entrepris,
Y Ajoutant,
Déboute Mme [D] [M] de sa demande de voir ordonner à Me [K], es-qualités de mandataire liquidateur de la Sarl [I] Conseil, de communiquer ‘l’offre de reprise de la Sarl [I] Conseil par M. [O] [U] ou toute personne morale se substituant à lui’ sous astreinte de 200 euros par jour de retard à compter de la notification de l’arrêt,
Déboute les parties de leurs demandes respectives au titre des frais irrépétibles d’appel,
Condamne Mme [D] [M] aux dépens d’appel.
Le Greffier Le Président