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7ème Ch Prud’homale
ARRÊT N°355/2023
N° RG 20/04421 – N° Portalis DBVL-V-B7E-Q5QP
Mme [T] [S]
C/
Me [P] [B]
Association UNEDIC DÉLÉGATION AGS CGEA DE [Localité 10]
Copie exécutoire délivrée
le : 12/10/2023
à :
Me MARLOT
Me KERJEAN
Me COLLEU
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D’APPEL DE RENNES
ARRÊT DU 12 OCTOBRE 2023
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ :
Président : Monsieur Hervé BALLEREAU, Président de chambre,
Assesseur : Madame Liliane LE MERLUS, Conseillère,
Assesseur : Monsieur Hervé KORSEC, Magistrat honoraire exerçant des fonctions juridictionnelles,
GREFFIER :
Madame Françoise DELAUNAY, lors des débats et lors du prononcé
DÉBATS :
A l’audience publique du 22 Mai 2023, devant Monsieur Hervé BALLEREAU et Madame Liliane LE MERLUS, magistrats tenant seuls l’audience en la formation double rapporteur, sans opposition des représentants des parties et qui a rendu compte au délibéré collégial
En présence de Madame DUBUIS, médiatrice judiciaire
ARRÊT :
Contradictoire, prononcé publiquement le 12 Octobre 2023 par mise à disposition au greffe comme indiqué à l’issue des débats
****
APPELANTE :
Madame [T] [S]
née le 21 Mars 1970 à [Localité 10]
[Adresse 5]
[Localité 4]
Représentée par Me Eric MARLOT de la SELARL MARLOT, DAUGAN, LE QUERE, Plaidant/Postulant, avocat au barreau de RENNES substitué par Me BRIAUD, avocat au barreau de RENNES
INTIMÉS :
Maître [P] [B] Mandataire Judiciaire, es qualité de liquidateur de la SARL LE CREURER CONSEIL
[Adresse 1]
[Localité 6]
Représenté par Me Pierre-Guillaume KERJEAN de la SELARL SELARL KERJEAN-LE GOFF-NADREAU-BARON-NEYROUD, Plaidant/Postulant, avocat au barreau de SAINT-MALO substitué par Me NADREAU, avocat au barreau de SAINT MALO
Association UNEDIC DÉLÉGATION AGS CGEA DE [Localité 10] UNEDIC Délégation AGS CGEA de [Localité 10], Association déclarée, représentée par sa Directrice, Madame [W] [L], domiciliée [Adresse 3].
[Adresse 2]
[Adresse 7]
[Localité 10]
Représentée par Me Marie-Noëlle COLLEU, Plaidant/Postulant, avocat au barreau de RENNES
***
EXPOSÉ DU LITIGE
La Sarl Le Creurer Conseil exploitait une agence immobilière sous l’enseigne Avis située dans la commune de [Localité 8].
Mme [T] [S] a été engagée par la société Le Creurer Conseil selon un contrat à durée indéterminée en date du 23 mai 2016 en qualité d’assistante commerciale à temps partiel, puis à temps plein à compter du 1er octobre 2016.
Le 1 er février 2018, Mme [S] a été promue au poste de négociatrice en immobilier et Responsable d’agence.
Les relations entre les parties étaient régies par la convention collective de l’immobilier.
Par jugement en date du 19 septembre 2018, le tribunal de commerce de Saint-Malo a prononcé la liquidation judiciaire simplifiée de la Sarl Le Creurer Conseil, sans poursuite d’activité, et a désigné Me [B] en qualité de liquidateur.
Le 28 septembre 2018, Mme [S] a été élue représentante des salariés dans le cadre de la procédure de liquidation judiciaire de la société.
Par décision notifiée le 29 octobre 2018, l’inspection du travail a autorisé le licenciement de Mme [S].
Par courrier recommandé en date du 30 octobre 2018, Mme [S] s’est vue notifier un licenciement pour motif économique.
La salariée ayant adhéré au contrat de sécurisation professionnelle, son contrat de travail a été rompu le 31 octobre 2018.
***
Mme [S] a saisi le conseil de prud’hommes de Saint-Malo par requête en date du 15 novembre 2018, afin de voir :
– Dire et juger que son contrat de travail au sein de la société Le Creurer Conseil aurait dû être transféré au repreneur de la société par application de l’article L. 1224-1 du code du travail ;
– Dire et juger son licenciement pour motif économique privé d’effet ;
– Fixer sa créance au passif de la liquidation judiciaire de la société Le Creurer Conseil aux sommes de :
-12 000 euros à titre de dommages-intérêts pour perte de chance d’obtenir la continuation de son contrat de travail avec le repreneur de la société et non-respect des dispositions de l’article L. 1224-1 du code du travail ;
-2 136,20 euros outre 213,62 euros de congés payés afférents à titre de rappel de salaire sur la base du salaire minimum conventionnel ;
-10 150,96 euros outre 1 015,10 euros de congés payés afférents à titre de rappel d’heures supplémentaires ;
-2 000 euros à titre de dommages-intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail ;
– Débouter Me [B] ès qualité de mandataire liquidateur de la société Le Creurer Conseil de toutes ses demandes, fins et conclusions ;
– Fixer sa créance au passif de la liquidation judiciaire de la société Le Creurer Conseil à la somme de 2 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
– Ordonner l’exécution provisoire ;
– Déclarer le jugement à intervenir commun et opposable au CGEA.
Me [B], ès qualités de mandataire liquidateur de la Sarl Le Creurer Conseil, a demandé au conseil de prud’hommes de :
Sur la demande de Mme [S] fondée sur les dispositions de l’article L 1224-1 du code du travail :
– A titre principal: dire et juger la demande de Mme [S] irrecevable et au besoin l’en débouter;
– A titre subsidiaire : constater l’absence de transfert d’entité économique autonome ou d’entente frauduleuse, dire Mme [S] mal fondée en sa demande et l’en débouter ;
– Dire et Mme [S] mal-fondée en ses autres demandes et l’en débouter ;
– Dire et juger fondée la demande formée au titre du caractère abusif de la procédure et condamner Mme [S] à verser une amende civile ;
– Condamner Mme [S] au paiement d’une somme de 1 500 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile outre aux dépens.
L’AGS CGEA de [Localité 10] a demandé au conseil de :
– Débouter Mme [S] de l’ensemble de ses demandes ;
– Condamner Mme [S] à verser au CGEA de [Localité 10] la somme de 1 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
– Dépens comme de droit.
– et en toute hypothèse,
– rappeler les limites légales de la garantie par l’AGS.
Par jugement en date du 1er septembre 2020, le conseil de prud’hommes de Saint-Malo a :
– Dit et jugé que les demandes de Mme [S] sont recevables devant le conseil de prud’hommes de Saint-Malo.
– Fixé la créance de Mme [S] sur la liquidation judiciaire de la Sarl Le Creurer Conseil aux sommes suivantes :
– 2 136,20 euros à titre de rappel de salaire outre 213,62 euros de congés payés y afférents, pour la période du 1er février 2018 jusqu’à la fin du contrat de travail.
– Dit n’y avoir lieu à ordonner l’exécution provisoire, les dispositions de l’article R1454-28 du code du travail trouvant à s’appliquer ;
– Condamné Me [B], ès qualité de liquidateur judiciaire de la Sarl Le Creurer Conseil à verser à Mme [S] la somme de 100 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
– Débouté Mme [S] et Me [B], ès qualité de mandataire liquidateur de la Sarl Le Creurer Conseil de leurs autres demandes ;
– Déclaré ladite créance opposable au CGEA de [Localité 10], gestionnaire de l’AGS
– Condamné Me [B] ès qualité de mandataire liquidateur de la Sarl Le Creurer Conseil aux dépens.
***
Mme [S] a interjeté appel de cette décision par déclaration au greffe en date du 17 septembre 2020.
Aux termes de ses dernières conclusions transmises par son conseil sur le RPVA le 28 mai 2021,
Mme [S] demande à la cour de :
– Confirmer le jugement du conseil de prud’hommes de Saint-Malo, en ce qu’il a :
‘ Fixé sa créance au passif de la liquidation judiciaire de la Sarl Le Creurer Conseil à la somme de 2 136,20 euros à titre de rappel de salaire outre la somme de 213,62 euros de congés payés afférents, pour la période du 1er février 2018 jusqu’à la fin du contrat de travail.
– Infirmer le jugement du conseil de prud’hommes de Saint-Malo, en ce qu’il l’a déboutée des demandes suivantes tendant à voir :
– Fixer ses créances au passif de la liquidation judiciaire de la société Le Creurer Conseil aux sommes de :
-12 000 euros à titre de dommages-intérêts pour perte de chance d’obtenir la continuation de son contrat de travail avec le repreneur de la société et non-respect des dispositions de l’article L. 1224-1 du code du travail
-10 150,96 euros outre 1 015,10 euros de congés payés afférents à titre de rappel d’heures supplémentaires
– 2 000 euros à titre de dommages-intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail,
-2 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
Statuant à nouveau,
Avant dire droit :
– Ordonner à Me [B], es qualité de mandataire liquidateur de la Sarl Le Creurer Conseil, de communiquer à la présente procédure l’offre de reprise de la Sarl Le Creurer Conseil par M.[U] ou toute personne morale se substituant à lui sous astreinte de 200 euros par jour de retard à compter de la notification de l’arrêt ;
En tout état de cause :
– Dire et juger que son contrat de travail au sein de la société Le Creurer Conseil aurait dû être transféré au repreneur de la société par application de l’article L. 1224-1 du code du travail ;
– Dire et juger son licenciement pour motif économique privé d’effet ;
En conséquence,
– Fixer ses créances au passif de la liquidation judiciaire de la société Le Creurer Conseil aux sommes de :
-12 000 euros à titre de dommages-intérêts pour perte de chance d’obtenir la continuation de son contrat de travail avec le repreneur de la société et non-respect des dispositions de l’article L. 1224-1 du code du travail ;
– 10 150,96 euros outre 1015,10 euros de congés payés afférents à titre de rappel d’heures supplémentaires
– 2 000 euros à titre de dommages-intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail ;
-2 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
– Déclarer le jugement à intervenir commun et opposable au CGEA.
En l’état de ses dernières conclusions transmises par son conseil sur le RPVA le 13 mars 2021, Me [B], ès qualités de mandataire liquidateur de la Sarl Le Creurer Conseil, demande à la cour de :
– Déclarer recevable et bien-fondé l’appel incident interjeté par Me [B] et:
– réformant le jugement dont appel et statuant à nouveau,
– juger irrecevable la demande de Mme [S] tendant à être indemnisée d’une « perte de chance » à hauteur de 12 000 euros ;
– réformant le jugement dont appel et statuant à nouveau,
– débouter Mme [S] de sa demande au titre des frais irrépétibles.
– Réformer le jugement en ce qu’il a fixé une créance de Mme [S] au passif de la liquidation judiciaire de la Sarl Le Creurer Conseil à hauteur de 2 136,20 euros à titre de rappel de salaire, outre 213,62 euros à titre de congés payés y afférents pour la période du 1er février 2018 jusqu’à la fin du contrat de travail,
et statuant à nouveau,
– Débouter la salariée de sa demande ;
– Confirmer le jugement pour le surplus, et débouter Mme [S] de l’intégralité de ses demandes ;
– Condamner Mme [S] à verser à Me [B] une somme de 2 000 euros par application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile, outre aux entiers dépens.
En l’état de ses dernières conclusions transmises par son conseil sur le RPVA le 10 mars 2021, l’AGS CGEA de [Localité 10] demande à la cour de :
– Déclarer recevable et bien-fondé l’appel incident interjeté par le CGEA de [Localité 10] ;
-Réformer le jugement du conseil de prud’hommes de Saint-Malo en ce qu’il a fixé la créance de Mme [S] au passif de la liquidation judiciaire de la Sarl Le Creurer Conseil aux sommes suivantes :
– 2 136,20 euros à titre de rappel de salaire,
– 213,62 euros à titre de congés payés y afférents pour la période du 1er février 2018 jusqu’à la fin du contrat de travail.
– Confirmer le jugement pour le surplus ;
– En conséquence, débouter Mme [S] de l’intégralité de ses demandes ;
– Condamner Mme [S] à restituer au CGEA de [Localité 10] les sommes indûment perçues au titre de l’exécution du jugement dont appel ;
– Condamner Mme [S] à verser au CGEA de [Localité 10] la somme de 1 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
En toute hypothèse :
– Dire et juger que la garantie du CGEA ne saurait être mobilisée s’agissant de créances ne résultant pas de l’exécution du contrat de travail ;
– Débouter Mme [S] de toutes ses demandes qui seraient dirigées à l’encontre de l’AGS.
– Décerner acte à l’AGS de ce qu’elle ne consentira d’avance au mandataire judiciaire que dans la mesure où la demande entrera bien dans le cadre des dispositions des articles L.3253-6 et suivants du code du travail.
– Dire et juger que l’indemnité éventuellement allouée au titre de l’article 700 du code de procédure civile n’a pas la nature de créance salariale.
– Dire et juger que l’AGS ne pourra être amenée à faire des avances, toutes créances du salarié confondues, que dans la limite des plafonds applicables prévus aux articles L.3253-17 et suivants du code du travail.
– Dépens comme de droit.
***
La clôture de l’instruction a été prononcée par ordonnance du conseiller de la mise en état le 22 mai 2023 avec fixation de la présente affaire à l’audience du 22 mai 2023.
Conformément aux dispositions de l’article 455 du code de procédure civile, la cour renvoie, pour plus ample exposé des prétentions et moyens des parties, aux conclusions susvisées qu’elles ont déposées et soutenues à l’audience.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Sur la demande de rappel de salaire au titre du minimum conventionnel
Le conseil de prud’hommes a fait droit à la demande de Mme [S] en considérant qu’elle ‘a été promue dans un emploi de négociatrice immobilier et responsable d’agence en date du 1 er février 2018, que l’avenant 31 du 15 juin 2006 applicable aux négociateurs VRP est inopérant en cas d’espèce, que Mme [S] au regard de son poste de responsable d’agence est fondée dans sa demande de régularisation de salaire dans la catégorie cadre C1 de la convention collective de l’immobilier’.
Mme [S] fait valoir à l’appui de sa demande de confirmation de la décision de ce chef que l’emploi de négociateur immobilier doit, a minima, correspondre à un niveau de classification conventionnelle C1, soit 1819,46 euros bruts mensuels alors que son salaire mensuel de base versé par la société Creurer était de 1604,84 euros bruts mensuels.
Le mandataire judiciaire et le CGEA répliquent que le statut de négociateur immobilier est particulier, régi par un avenant spécifique à la convention collective nationale de l’immobilier, soit par l’avenant 31 du 15 juin 2006 relatif au nouveau statut de négociateur immobilier, lequel prévoit que, sauf exception (cas des négociateurs exerçant pour des sociétés immobilières et foncières qui perçoivent une rémunération non essentiellement constituée de commissions, en raison de la spécificité de leur secteur d’activité), les négociateurs immobiliers ne sont pas classés à l’un des niveaux de la grille conventionnelle mais bénéficient du statut spécifique de l’avenant, soit une rémunération déterminée librement sous réserve d’un minimum de 950 euros mensuels.
***
Tous les négociateurs immobiliers, VRP ou non, entrent dans le champ d’application de l’avenant n°31 du 15 juin 2006 à la convention collective nationale de l’immobilier, relatif au nouveau statut du négociateur immobilier, entré en vigueur le 1 er juillet 2007.
Aux termes de l’article 4 de cet avenant, les négociateurs immobiliers VRP perçoivent un salaire minimum brut mensuel ne pouvant être inférieur à 950 euros et les négociateurs immobiliers non VRP un salaire minimum brut mensuel correspondant au Smic.
La rémunération du négociateur est composée essentiellement ou exclusivement de commissions et relève du libre accord du négociateur immobilier et de son employeur sous réserve du présent avenant, le salaire minimum mensuel brut pouvant constituer en tout ou partie une avance sur commissions.
Toutefois, le préambule dudit avenant précise que les négociateurs ne sont pas classés à l’un des niveaux de la grille conventionnelle mais bénéficient du statut résultant du présent avenant, exception faite des négociateurs exerçant des fonctions d’encadrement et bénéficiant à ce titre d’un statut cadre, qui seront classés dans la grille de l’annexe 1 de la convention collective nationale de l’immobilier.
Or, les fonctions de Responsable d’agence confiées à Mme [S] par l’avenant à son contrat de travail en date du 1er février 2018 comportent des responsabilités d’encadrement, de management de l’équipe, dont le liquidateur judiciaire ne soutient pas qu’elles n’étaient pas effectivement exercées par la salariée, laquelle justifie également qu’elle était la tutrice d’une employée de l’agence en contrat de professionnalisation. Il ne critique donc pas utilement le jugement en ce qu’il a considéré que Mme [S] répondait à la définition conventionnelle du négociateur immobilier statut cadre, ce à juste titre au vu des éléments versés aux débats.
Mme [S] a exercé cette fonction entre le 1er février 2018 et le 30 octobre 2018, date de rupture du contrat de travail, soit pendant neuf mois. Sa créance salariale à fixer au passif de la liquidation judiciaire de la société Le Creurer Conseil est donc de 1922,58 euros durant la période de 9 mois, outre 192,25 euros de congés payés afférents.
Le jugement entrepris sera en conséquence infirmé sur le montant retenu.
Sur la demande de rappel d’heures supplémentaires
Mme [S] critique le jugement qui a retenu qu’elle n’étayait pas sa demande, considérant que les mails et attestations qu’elle produit étaient insuffisamment précis. Elle fait valoir qu’au contraire elle produit des éléments suffisamment précis, notamment un tableau récapitulatif précis et commenté.
Le mandataire judiciaire et le CGEA concluent à la confirmation du rejet de la demande, au motif que les quelques attestations de clients, ni datées, ni circonstanciées, ni précises, ne faisant état que de situations ponctuelles, et des échanges de Sms, ne peuvent permettre à sa demande, particulièrement tardive, plus de 9 mois après la fin du contrat de travail, de prospérer. Ils soulignent que ce n’est qu’à hauteur d’appel que Mme [S] communique pour la première fois un ‘tableau d’heures supplémentaires’ établi plus de 2 ans et demi après la fin des relations contractuelles et donc nécessairement réalisé pour les besoins de la cause.
***
Selon l’article L. 3171-4 du code du travail, en cas de litige relatif à l’existence ou au nombre d’heures de travail accomplies, l’employeur fournit au juge les éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié. Au vu de ces éléments et de ceux fournis par le salarié à l’appui de sa demande, le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d’instruction qu’il estime utiles. Si le décompte des heures de travail accomplies par chaque salarié est assuré par un système d’enregistrement automatique, celui-ci doit être fiable et infalsifiable.
Il résulte de ces dispositions, qu’en cas de litige relatif à l’existence ou au nombre d’heures de travail accomplies, il appartient au salarié de présenter, à l’appui de sa demande, des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu’il prétend avoir accomplies afin de permettre à l’employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d’y répondre utilement en produisant ses propres éléments. Le juge forme sa conviction en tenant compte de l’ensemble de ces éléments au regard des exigences rappelées aux dispositions précitées. Après analyse des pièces produites par l’une et l’autre des parties, dans l’hypothèse où il retient l’existence d’heures supplémentaires, il évalue souverainement, sans être tenu de préciser le détail de son calcul, l’importance de celles-ci et fixe les créances salariales s’y rapportant.
Mme [S] produit à l’appui de ses demandes : un tableau réalisé par ses soins des heures qu’elle estime avoir effectuées (pièce nouvelle en cause d’appel), des attestations de clients, des Sms.
Elle produit ainsi des éléments suffisamment précis qui peuvent être discutés par l’employeur.
Le mandataire judiciaire ne produit pas d’éléments. Il se réfère à l’article 19.3.2 de la CCN de l’immobilier relatif aux salariés tenus de se déplacer fréquemment dans le cadre de leurs missions, dont les fonctions imposent la plus grande autonomie dans la conduite de leur travail et l’organisation de leurs horaires, qui précise que ‘dès lors qu’ils sont seuls juges de leurs dépassements individuels d’horaires, ces dépassements ne sont pas pris en compte dans la détermination du temps de travail. Leur rémunération en tient compte.’
Au vu des éléments produits aux débats, et sans qu’il soit besoin d’une mesure d’instruction, la cour a la conviction au sens du texte précité que Mme [S], dont il n’est pas établi, eu égard à l’absence de prise en compte dans sa rémunération d’une sujétion particulière liée à la mobilité, et eu égard à la mention d’horaires de travail figurant dans son contrat de travail, qu’elle relevait de l’article 19.3.2 susvisé, a effectué, entre le 23 mai 2016 et le 15 septembre 2018, des heures supplémentaires, non payées ni récupérées, à hauteur de 2280 euros, outre 228 euros de congés payés afférents, sommes qui seront fixées au passif de la liquidation de la société Le Creurer, en infirmation du jugement.
L’arrêt sera déclaré opposable au CGEA de [Localité 10], dans les limites de la garantie légale de l’AGS.
Sur la demande de reprise de la Sarl Le Creurer Conseil par M. [U] ou toute personne morale se substituant à lui
Les parties ont produit aux débats les éléments suivants :
-les statuts constitutifs de la société Couni Couna en date du 7 novembre 2018,
-l’acte de cession du fonds de commerce de la société le Creurer représentée par Me [B] mandataire judiciaire, à la société Couni Couna dont le gérant est M. [U], en date du 14 décembre 2018,
-une offre informelle, par mail, en date du 9 août 2018, de M. [U] à M. Le Creurer de rachat de l’agence pour 50 000 euros net vendeur pour le fonds de commerce et 100 000 euros net vendeur pour les murs, (offre valable 7 jours en précisant ‘au-dessus de ce prix, aucune banque ne pourra accepter à la vue des bilans présentés’)
-le jugement d’ouverture de la liquidation judiciaire simplifiée de la société Le Creurer, rendu le 19 septembre 2018 par le tribunal de commerce de St Malo, sans poursuite d’activité, fixant la date de cessation des paiements au 30 septembre 2017,
-le courrier de convocation de la salariée à l’entretien préalable à licenciement en date du 20 septembre 2018
-le procès-verbal de consultation et d’information de la représentante des salariés (Mme [S]) en date du 16 octobre 2018 mentionnant l’avis favorable de celle-ci,
-le procès-verbal de la deuxième réunion avec la représentante des salariés (Mme [S]) en date du 18 octobre mentionnant qu’aucun repreneur n’a formulé d’offre définitive, portant également avis favorable de la représentante des salariés,
-un extrait (dans l’acte de cession susvisé) de la requête présentée le 10 octobre 2018 par le liquidateur au juge commissaire mentionnant que ‘compte tenu de l’urgence de la situation, afin que le fichier client ne perde de sa valeur, le requérant a fixé une date limite de dépôt des offres au 27 septembre 2018, pour les repreneurs potentiels déjà approchés par M. Le Creurer avant l’ouverture de la procédure’
-un extrait (dans l’acte de cession susvisé) de l’ordonnance du juge commissaire du 22 octobre 2018 autorisant la vente du fonds de commerce à M. [U] en son nom ou toute personne morale se substituant à lui, ordonnance confirmée par ordonnance du 7 décembre 2018 du juge commissaire.
Au vu de l’ensemble de ces pièces, la demande présentée par Mme [S] de production aux débats, au surplus sous astreinte, d’une ‘offre de reprise de la société Le Creurer par de M. [U] ou toute personne morale se substituant à lui’ n’est pas justifiée et elle en doit donc en être déboutée.
Sur la demande de dommages et intérêts pour perte de chance d’obtenir la continuation de son contrat de travail avec le repreneur et non-respect des dispositions de l’article L1224-1 du code du travail
Mme [S] fait valoir que si la juridiction prud’homale a justement relevé qu’elle était compétente pour traiter de cette demande, c’est à tort qu’elle a considéré qu’aucune entité économique autonome n’avait été transférée, alors qu’au contraire l’acte de cession de fonds de commerce produit après l’audience de plaidoirie en première instance par Me [B] vient confirmer qu’une entité économique autonome avait été transférée en l’espèce ; que le mandataire liquidateur a eu connaissance de l’offre de reprise de M. [U] avant la notification des licenciements pour motif économique, la demande d’acceptation de l’offre de reprise ayant été faite avant la rupture des contrats de travail, lesquels auraient dû être transférés à la société Couni-Couna gérée par M. [U] ; qu’ayant perdu une chance d’obtenir la continuation de son contrat de travail avec le repreneur de la société elle a subi un préjudice considérable, ayant été inscrite à Pôle Emploi à la date du 27 juin 2019 comme allocataire d’indemnités de chômage.
Le mandataire judiciaire et le CGEA répliquent :
-qu’en présence d’une liquidation judiciaire sans poursuite d’activité ouverte le 19 septembre 2018, le liquidateur n’avait d’autre choix que de mettre en oeuvre, dans les 15 jours requis pour permettre aux salariés de bénéficier de la garantie de l’AGS, une procédure de licenciement économique, validée tant par l’inspection du travail que par la salariée elle-même,
-que l’acquisition de l’établissement principal de la société placée en liquidation le 19 septembre 2018 sans poursuite d’activité, par une société mise en activité le 14 décembre 2018, ne permettait en aucune manière un ‘transfert’ des contrats de travail,
-qu’au-delà de ces éléments chronologiques qui caractérisent l’impossibilité d’une reprise du contrat de travail que la salariée ne souhaitait pas elle-même, en tout état de cause la seule poursuite de la même activité par une autre entreprise ne suffit pas à caractériser le transfert d’une entité économique autonome et Mme [S] ne rapporte pas la preuve d’un tel transfert,
-que Mme [S] qui allègue avoir subi un ‘préjudice incontestable’ et justifie avoir eu des contacts avec le ‘repreneur’ M. [U], sans jamais s’expliquer sur la teneur de ceux-ci ni sur son refus d’y donner suite, n’a en toute hypothèse jamais eu la moindre intention de travailler pour la Sarl Couni-Couna, ayant indiqué qu’elle avait d’autres projets, son comportement ultérieur révélant qu’il s’agissait de la création d’une agence concurrente (création dès le 8 février 2019 de sa propre agence immobilière à St Pierre de Plesguen avec ses anciennes collègues),
-qu’à supposer établie l’existence d’un transfert d’entité économique autonome imposant au cessionnaire la poursuite des contrats de travail, la condamnation de l’ancien employeur à prendre en charge les conséquences de la privation d’emploi des salariés ne peut être sollicitée que si les deux employeurs ont agi de concert et en fraude des droits des salariés, ce dont Mme [S], qui n’a pas pris la peine d’appeler à la cause le prétendu débiteur de la reprise du contrat, ne rapporte pas la preuve.
Le liquidateur judiciaire es-qualités conclut principalement que les demandes de Mme [S] sont irrecevables en ce que, s’appuyant sur la prétention qu’il n’aurait pas dû notifier des licenciements pour motif économique aux 3 salariées de la société puisque celle-ci a été entièrement reprise par M. [U], elles tendent à remettre en cause le licenciement intervenu et se heurtent aux deux décisions qui ont consacré de façon définitive la validité, tant sur la forme que sur le fond, du licenciement intervenu :
-la décision du juge commissaire du tribunal de commerce qui a ordonné une liquidation judiciaire sans poursuite d’activité,
-la décision de la Direccte d’autorisation de licenciement de Mme [S].
***
En application de l’article 1385 du code civil, l’autorité de la chose jugée n’a lieu qu’à l’égard de ce qui a fait l’objet du jugement. Il faut que la chose demandée soit la même, que la demande soit fondée sur la même cause, que la demande soit entre les mêmes parties, et formée par elles et contre elles en la même qualité.
En l’espèce, les demandes de Mme [S] ne portent pas sur la contestation de la régularité du licenciement, en la forme et le fond, ni sur la contestation des décisions du juge commissaire et de la Direccte, mais sur le non-respect du principe du transfert des contrats de travail par l’effet de la cession d’une entité économique autonome intervenu après la notification du licenciement. L’objet en est donc différent, et le jugement entrepris doit être en conséquence confirmé en ce qu’il a dit que les demandes de Mme [S] étaient recevables.
Selon l’article L1224-1 du code du travail, lorsque survient une modification dans la situation juridique de l’employeur, notamment par succession, vente, fusion, transformation du fonds, mise en société de l’entreprise, tous les contrats de travail en cours au jour de la modification subsistent entre le nouvel employeur et le personnel de l’entreprise.
Lorsqu’une poursuite d’activité est autorisée, dans le cadre d’une liquidation judiciaire, la rupture des contrats de travail n’intervient pas avant l’issue du maintien de l’activité autorisée par le tribunal, et les contrats de travail sont transférés en cas de reprise de l’activité par un repreneur, dans le cadre d’un plan de cession ou de vente de biens non compris dans le plan de cession mais correspondant à un ensemble d’éléments corporels et incorporels permettant l’exercice d’une activité qui poursuit un objectif propre et constitue une entité économique autonome.
En l’espèce, aucune poursuite d’activité n’a été autorisée, de sorte qu’il n’y avait pas lieu à transfert d’activité. L’ouverture de la liquidation judiciaire simplifiée sans autorisation de poursuite d’activité a en conséquence entraîné la cessation immédiate de l’activité de la société, la suppression des postes de travail et la rupture des contrats de travail, en l’absence de possibilité de reclassement. Le liquidateur n’avait pas d’autre choix que de procéder au licenciement de la salariée dans les 15 jours suivant le prononcé de la liquidation, pour permettre d’assurer la garantie du paiement des salaires par l’AGS.
Le contrat de travail de Mme [S] n’étant plus à proprement parler en cours, du fait de la procédure de licenciement engagée le 2 octobre 2018 par la sollicitation d’une demande d’autorisation de licenciement auprès de l’inspection du travail, même si l’autorisation de licenciement est intervenue ultérieurement, après convocation de Mme [S] par la Direccte pour une enquête contradictoire, il n’y avait donc plus lieu à transfert d’un contrat de travail en cours lorsque le juge commissaire a autorisé la vente d’actifs de la société entrant dans la composition du fonds de commerce de [Localité 8] tel qu’il se présentait alors.
Par ailleurs, si M. [U] s’était manifesté dès le mois d’août 2018 comme un repreneur potentiel, force est de constater qu’il n’a formulé aucune offre définitive de rachat dans le délai qui avait été fixé par le juge commissaire pour les offres de reprise et que Mme [S] ne démontre aucune collusion frauduleuse sur ce point entre la société en liquidation, représentée par le liquidateur judiciaire, et M. [U]. Le fait que ce dernier ait décidé de procéder au rachat d’actifs constituant ce qui restait, en l’état, des éléments du fonds de commerce de [Localité 8], ce qu’il était libre de faire puisque la liquidation judiciaire d’une société a pour but la liquidation des actifs, est sans effet sur le contrat de travail de Mme [S] dans la mesure où il n’y avait pas lieu à transfert de celui-ci en application de l’article L1224-1 du code du travail. La reprise d’une activité d’agence immobilière dans les mêmes locaux sous une autre enseigne par la société Couni Couna qui a été mise en activité le 14 décembre 2018 n’emportait pas davantage transfert du contrat de travail en application de l’article L1224-1 du code du travail.
Le jugement entrepris doit donc être confirmé en ce qu’il a débouté Mme [S] tant de sa demande de voir dire privé d’effet son licenciement que de ses demandes subséquentes.
Sur la demande de dommages et intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail
Mme [S] soutient que le gérant de la société le Creurer lui demandait d’avancer différents frais de déplacement qui auraient dû être pris en charge par la société et qu’aucun remboursement n’a par la suite été effectué ; que notamment elle a dû prendre son véhicule personnel sur demande de ce dernier pour un déplacement à l’aéroport de [Localité 9], au cours duquel son véhicule est tombé en panne, ce qui a occasionné de nombreux frais dont aucun ne lui a été remboursé ; qu’en profitant ainsi de sa bonne foi, l’employeur a exécuté de manière déloyale le contrat de travail.
Le mandataire liquidateur et le CGEA répliquent que les prétentions de Mme [S], qui s’appuient sur de simples factures, ne sont pas étayées.
Le contrat de travail doit être exécuté de bonne foi. Toutefois la bonne foi dans l’exécution du contrat est présumée et il appartient à celui qui invoque l’exécution déloyale d’en rapporter la preuve.
Mme [S] ne produit à l’appui de sa demande qu’une facture de garage, à son nom et à son adresse personnelle, dont rien ne permet d’établir que les frais de réparation sont afférents à un déplacement professionnel, d’autant qu’elle ne justifie aucunement en avoir demandé le remboursement au cours de l’exécution de la relation contractuelle.
Si l’employeur a l’obligation de rembourser au salarié les frais professionnels engagés pour accomplir ses missions, Mme [S] ne démontre en l’espèce pas de manquement de l’employeur à cette obligation, et par conséquent pas l’exécution déloyale du contrat de travail qu’elle invoque au soutien de sa demande indemnitaire, dont elle doit être déboutée, en confirmation du jugement entrepris sur ce chef.
Sur les dépens et les demandes fondées sur l’article 700 du code de procédure civile
Il n’est pas inéquitable de laisser à chacune des parties ses frais irrépétibles d’appel.
Le mandataire liquidateur de la Sarl Le Creurer Conseil, es-qualités, succombant partiellement, sera condamné aux dépens d’appel.
Le jugement entrepris sera confirmé en ses dispositions sur ces chefs.
PAR CES MOTIFS
La cour,
Confirme le jugement entrepris, sauf en ce qu’il a fixé au passif de la liquidation judiciaire de la Sarl Le Creurer Conseil la somme de 2136,20 euros à titre de rappel de salaire pour la période du 1 er février 2018 jusqu’à la fin du contrat de contrat, au profit de Mme [S], et en ce qu’il a débouté celle-ci de sa demande de rappel d’heures supplémentaires,
Statuant à nouveau sur les chefs infirmés, et y ajoutant,
Déboute Mme [S] de sa demande de voir ordonner à Me [B], es-qualités de mandataire liquidateur de la Sarl Le Creurer Conseil, de communiquer ‘l’offre de reprise de la Sarl Le Creurer Conseil par M. [E] [U] ou toute personne morale se substituant à lui’ sous astreinte de 200 euros par jour de retard à compter de la notification de l’arrêt,
Fixe au passif de la liquidation judiciaire de la Sarl Le Creurer Conseil, au profit de Mme [S] les sommes de :
-1922,58 euros, outre 192,25 euros de congés payés afférents, à titre de rappel de salaire pour la période du 1 er février 2018 jusqu’à la fin du contrat de contrat,
-2280 euros, outre 228 euros de congés payés afférents, à titre de rappel d’heures supplémentaires,
Dit le présent arrêt opposable au CGEA Centre Ouest dans les limites de la garantie légale de l’AGS,
Déboute Mme [S] du surplus de ses demandes et Me [B], es-qualités de mandataire liquidateur de la Sarl Le Creurer Conseil, de ses demandes contraires,
Déboute les parties de leurs demandes respectives au titre des frais irrépétibles d’appel,
Condamne Me [B], es-qualités de mandataire liquidateur de la Sarl Le Creurer Conseil, aux dépens d’appel.
Le Greffier Le Président