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COUR D’APPEL D’AIX-EN-PROVENCE
Chambre 4-5
ARRÊT AU FOND
DU 5 MAI 2022
N° 2022/
MS
Rôle N° RG 19/15119 – N° Portalis DBVB-V-B7D-BE6EJ
[U] [I]
C/
SAS UNION HOTELIERE DU CAP
Copie exécutoire délivrée
le : 05/05/22
à :
– Me Jean-louis PAGANELLI, avocat au barreau de NICE
– Me Sébastien BADIE, avocat au barreau d’AIX-EN-PROVENCE
Décision déférée à la Cour :
Jugement du Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de NICE en date du 02 Septembre 2019 enregistré au répertoire général sous le n° 18/00466.
APPELANT
Monsieur [U] [I]
(bénéficie d’une aide juridictionnelle Partielle numéro 2019/013640 du 22/11/2019 accordée par le bureau d’aide juridictionnelle de AIX-EN-PROVENCE), demeurant 25 avenue Joseph Giordan – Le Ciel de Fabron – 06200 NICE
représenté par Me Jean-Louis PAGANELLI, avocat au barreau de NICE
INTIMEE
SAS UNION HOTELIERE DU CAP, demeurant 41, boulevard du Général de Gaulle – 06230 SAINT JEAN CAP FERRAT
représentée par Me Claire PEROUX, avocat au barreau de NICE,
et Me Sébastien BADIE, avocat au barreau d’AIX-EN-PROVENCE
*-*-*-*-*
COMPOSITION DE LA COUR
L’affaire a été débattue le 20 Janvier 2022 en audience publique. Conformément à l’article 804 du code de procédure civile, Michelle SALVAN, Présidente, a fait un rapport oral de l’affaire à l’audience avant les plaidoiries.
La Cour était composée de :
Madame Michelle SALVAN, Président de Chambre
Madame Mariane ALVARADE, Conseiller
Monsieur Antoine LEPERCHEY, Conseiller
qui en ont délibéré.
Greffier lors des débats : Mme Karen VANNUCCI.
Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 28 Avril 2022, prorogé au 5 mai 2022.
ARRÊT
contradictoire,
Prononcé par mise à disposition au greffe le 5 mai 2022,
Signé par Madame Michelle SALVAN, Président de Chambre et Mme Karen VANNUCCI, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
***
FAITS ET PROCEDURE
Monsieur [U] [I] a été embauché par la société Union Hôtelière du Cap à l’enseigne « Le Grand Hôtel du Cap Ferrat » par contrat de travail à durée déterminée saisonnier renouvelé durant les années 1987 à 2017, en qualité de ‘Nageur Sauveteur Plagiste’.
Au terme du dernier contrat, M. [I] sollicitait un renouvellement pour la saison 2018 et la société Union Hôtelière du Cap lui répondait négativement en invoquant le fait que le contrat ne prévoyait aucune clause de renouvellement. La relation de travail prenait fin le 30 septembre 2017.
M. [I] a alors saisi le conseil de prud’hommes de Nice afin que soit ordonnée la requalification du contrat en contrat de travail à durée indéterminée et pour que la rupture de la relation de travail soit jugée sans cause réelle et sérieuse.
Par jugement rendu le 2 septembre 2019, le conseil de prud’hommes de Nice, a débouté M. [I] de ses demandes, a débouté la société Union Hôtelière du Cap de sa demande en application de l’article 700 du code de procédure civile et a condamné M. [I] aux dépens.
Pour se prononcer ainsi le conseil de prud’hommes a estimé que le salarié avait été employé dans le cadre de contrats saisonniers successifs qui ne couvraient pas toute la période d’ouverture de l’établissement de sorte qu’en application de l’article 14 de la convention collective nationale des Hôtels, Cafés, Restaurants la relation de travail ne pouvait être requalifiée en contrat à durée indéterminée.
M. [I] a interjeté appel de cette décision dans des formes et délais qui ne sont pas critiqués.
MOYENS ET PRÉTENTIONS DES PARTIES
Aux termes de ses dernières écritures notifiées le 9 décembre 2019, M. [I] soutient :
– que le fait d’employer chaque année le même salarié en contrat saisonnier pendant toute la période d’activité peut entraîner la requalification en CDI de droit commun,
– que cette requalification doit s’apprécier in concreto,
– que ses fonctions au sein de la Société Grand Hôtel du cap Ferrat – A Four Seasons Hôtel et leur dénomination démontrent qu’il exerçait un emploi indépendant de tout caractère saisonnier, lequel se rapprochait d’un emploi à titre permanent,
– que cette position est confortée par la régularité de l’emploi pendant trente ans.
M. [I] demande en conséquence d’infirmer en toutes ses dispositions le jugement et statuant à nouveau, d’ordonner la requalification du contrat de travail en contrat de travail à durée indéterminée, dire et juger que la rupture s’analyse en un licenciement sans cause réelle et sérieuse et qu’elle est abusive et vexatoire, condamner la société Union Hôtelière du Cap au paiement des sommes suivantes :
– indemnité de requalification : 2 374,02 €.
– indemnité pour licenciement abusif : 14 244 €.
– indemnité de préavis : 4 748,04 €.
– indemnité de congés payés afférents : 474,80 €.
– indemnité conventionnelle de licenciement : 7 913,24 €.
– dommages et intérêts pour préjudice distinct : 3 000 €.
– 2 500 € par application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile
condamner la société Union Hôtelière du Cap aux dépens.
Aux termes de ses dernières écritures notifiées le 9 mars 2020, la société Union Hôtelière du Cap fait valoir :
– que la durée d’emploi n’est pas un critère déterminant de la requalification en contrat à durée indéterminée,
– que l’emploi à caractère saisonnier est celui dont « les tâches sont appelées à se répéter chaque année selon une périodicité à peu près fixe, en fonction du rythme des saisons ou des modes de vie collectifs »,
– qu’il n’existe aucune limite à l’emploi sous contrat saisonnier, que la durée d’embauche n’est donc pas un critère déterminant,
– que tel est le cas en l’espèce le poste occupé par M. [I] étant par nature un emploi saisonnier,
– que , si l’article 14 de la convention collective nationale des Hôtels, Cafés, Restaurants dispose in fine : « Les contrats saisonniers conclus pendant 3 années consécutives à partir de la date d’application de la convention collective et couvrant toute la période d’ouverture de l’établissement pourront être considérés comme établissant avec le salarié une relation de travail d’une durée indéterminée sur la base des périodes effectives de travail» ces dispositions ne s’appliquent que lorsque des contrats successifs couvrent toute la période d’ouverture d’établissement,
– que M. [I] n’exerçait pas durant toute la période d’ouverture puisque le Club Dauphin dans lequel il exerçait ses fonctions n’est ouvert que du 26 avril au 29 septembre,
– que M. [I] n’a jamais reçu la mission spécifique de dispenser une quelconque formation ; qu’à l’instar de ces collègues, il devait simplement accueillir les nouvelles recrues dans son service et leur expliquer les différentes procédures propres à celui-ci
– que M. [I] exerçait une activité en Thaïlande le reste de l’année,
– qu’il n’a jamais émis avant 2018 de façon écrite le souhait de revenir chaque année,
– que les dispositions de l’article L1244-1-2 du code du travail n’étant pas rétroactives, elles n’ont vocation à s’appliquer qu’aux contrats saisonniers conclus à compter de son entrée en vigueur ; que M. [I] ne peut bénéficier du droit à reconduction prévu par ce texte applicable à compter de 2018,
– que l’ancienneté cumulée de M. [I] n’atteint environ que 7 années, si l’on additionne les différents contrats,
– que, si la société n’a pas souhaité réembaucher M. [I] en 2018 c’est en raison de son comportement sur la saison 2017 qui a donné lieu d’une part à des plaintes de plusieurs clients, – que le licenciement n’est pas vexatoire,
– que le salarié ne justifie par d’un préjudice distinct ouvrant droit à réparation.
Il est demandé de dire et juger que la demande de requalification de M. [I] est juridiquement infondée, en conséquence, de confirmer le jugement en toutes ses dispositions, de débouter M. [I] de l’ ensemble de ses demandes, de le condamner à payer à la société Union Hôtelière du Cap la somme de 2.000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux dépens, ceux d’appel étant distraits,
A titre infiniment subsidiaire, en cas d’infirmation du jugement entrepris, il est demandé de :
Dire et juger que l’ancienneté de M. [I] au sein de la société Union Hôtelière du Cap est de 7 années,
Dire et juger que M. [I] ne verse aucun élément sur sa situation professionnelle actuelle et ses démarches en ce sens,
Dire et juger que M. [I] n’apporte pas la preuve d’un préjudice distinct et d’un manquement de l’employeur,
En conséquence,
Dire et juger que le salaire moyen de M. [I] s’élève à 2.045,89 € bruts,
Minorer l’ensemble de ses demandes relatives au licenciement sans cause réelle et sérieuse,
Le débouter de sa demande relative à un préjudice distinct,
Débouter M. [I] de ses demandes et le condamner au paiement d’une somme de 2.000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux dépens.
MOTIFS DE LA DECISION
M. [I] a été embauché par la société UHC au poste de nageur sauveteur plagiste nettoyeur suivant contrats à durée déterminée saisonniers entre 1990 et 1992 inclus puis entre 1999 et 2002, et enfin entre 2005 et 2017. En 2003 et 2004, M. [I] a été mis à disposition de la société par la société Adecco selon contrats d’interim. Le dernier contrat a été conclu pour 4 mois à compter du 2 mai 2017 et a pris fin le 30 septembre 2017.
Le salaire brut moyen mensuel de M. [I] s’élevait en dernier lieu à 2.374,02 € bruts.
Sur les demandes relatives à l’exécution du contrat de travail
Sur la demande en requalification du contrat de travail en contrat à durée indéterminée :
Aux termes des dispositions de l’article L 1242-2 du code du travail il est possible de recourir à un contrat de travail à durée déterminée pour des motifs limités : pourvoir au remplacement d’un salarié, faire face à un accroissement temporaire d’activité, pourvoir un emploi à caractère saisonnier ou conclure un contrat d’usage. En aucun cas le recours à un contrat de travail à durée déterminée ne doit permettre de pourvoir durablement un emploi lié à l’activité normale et permanente de l’entreprise.
La clause 5 de l’accord-cadre sur le travail à durée déterminée, mis en oeuvre par la directive 1999/70/CE du Conseil du 28 juin 1999, dispose :
« 1.Afin de prévenir les abus résultant de l’utilisation de contrats ou de relations de travail à durée déterminée successifs, les Etats membres, après consultation des partenaires sociaux, conformément à la législation, aux conventions collectives et pratiques nationales, et/ou les partenaires sociaux, quand il n’existe pas des mesures légales équivalentes visant à prévenir les abus, introduisent d’une manière qui tienne compte des besoins du secteur spécifique et/ou de catégories de travailleurs, l’une ou plusieurs des mesures suivantes :
a) des raisons objectives justifiant le renouvellement de tels contrats ou relation de
travail ;
b) la durée maximale totale de contrats ou relations de travail à durée déterminée successifs ;
c) le nombre de renouvellements de tels contrats ou relations de travail ; »
En application de la clause 8.1, « les Etats membres et/ou partenaires sociaux peuvent maintenir ou introduire des dispositions plus favorables pour les travailleurs que celles prévues dans le présent accord ». La directive a donc un caractère minimal, et les Etats ont toute latitude pour améliorer en droit interne au profit des salariés les normes issues de la dite directive. Il ne pourrait donc pas être fait grief à un Etat membre d’avoir adopté des dispositions plus favorables aux salariés que celles issues directement de l’accord-cadre.
Aux termes de l’article L. 1242-1 du code du travail, « un contrat de travail à durée déterminée, quel que soit son motif, ne peut avoir ni pour objet ni pour effet de pourvoir durablement un emploi lié à l’activité normale et permanente de l’entreprise ».
Il en résulte qu’il ne peut être recouru au contrat de travail à durée déterminée pour faire face à un « besoin structurel de main d”uvre ». Tel est le cas, par exemple, lorsque le recours au contrat à durée déterminée s’inscrit dans le cadre de l’activité normale et permanente de la société.
Il convient de rechercher si des circonstances précises et concrètes tenant notamment à l’activité en cause et aux conditions de son exercice commandaient le recours à une succession de contrats à durée déterminée saisonniers.
Or, en l’espèce l’embauche de M. [I] par la société Union Hôtelière du Cap intervenait régulièrement, à la même fréquence chaque année, sur les mêmes périodes annuelles, sur un même site et suivant un mode d’organisation identique pour le même emploi.
Même si elle était intermittente la fonction de nageur sauveteur plagiste (nettoyeur)de M. [I] s’exerçait donc dans le cadre d’une activité permanente et non occasionnelle de la société Union Hôtelière du Cap.
La durée pendant laquelle les parties ont été liées a également une incidence sur la qualification de la nature temporaire de l’emploi concerné.
En conséquence, infirmant la décision déférée, la cour requalifie la relation de travail en contrat à durée indéterminée.
En cas de requalification d’un contrat de travail à durée déterminée en contrat à durée indéterminée, le salarié a droit à une indemnité de requalification qui est égale au moins à un moins de salaire (article L. 1245-2 du code du travail) et elle ne peut être inférieure au dernier mois de salaire perçu avant la saisine.
En l’espèce il sera accordé à M. [I] la somme de 2.374,02 € bruts à titre d’indemnité de requalification par voie d’infirmation du jugement déféré.
Sur les demandes relatives à la rupture du contrat de travail
La requalification du contrat de travail liant les parties conduit à analyser la rupture de la relation de travail en un licenciement.
Cette rupture est intervenue de fait le 30 septembre 2017, lorsqu’il a été mis fin à la relation de travail. Le salarié était âgé de 51 ans et percevait un salaire de 2.374,02 € dans une entreprise comptant plus de 11 salariés
En application des dispositions de la convention collective nationale des Hôtels, Cafés, Restaurants le salarié peut prétendre à une indemnité compensatrice de préavis de deux mois ainsi qu’à une indemnité calculée sur la base de l’article 32 de la dite convention.
En conséquence il convient d’infirmer le jugement déféré en ce qu’il a débouté M. [I] de ses demandes en paiement d’indemnités de rupture, et de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et il sera alloué au salarié les sommes suivantes :
– indemnité pour licenciement abusif : 14 244 €.
– indemnité de préavis : 4 748,04 €.
– indemnité de congés payés afférents : 474,80 €.
– indemnité conventionnelle de licenciement : 7 913,24 €.
Sur les dommages-intérêts pour préjudice distinct
En application de l’article 1240, du code civil, M. [I] sollicite la condamnation de la société Union Hôtelière du Cap à lui payer la somme de 3.000 € à titre de dommages intérêts compte tenu du caractère vexatoire du licenciement et du préjudice moral ainsi subi.
Au regard de la durée de la période contractuelle et des circonstances vexatoires de la rupture, sans que le salarié ne connaisse le motif du défaut de renouvellement de son contrat, M. [I] justifie d’un préjudice moral.
En conséquence, la cour infirme le jugement déféré et alloue à M. [I] la somme de 2.000 € à titre de dommages-intérêts.
Sur les dépens et les frais non-répétibles
Succombant, la société Union Hôtelière du Cap supportera les dépens.
L’équité commande de faire application au bénéfice de M. [I] des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS :
La Cour, après en avoir délibéré, statuant par arrêt contradictoire prononcé par mise à disposition au greffe, en matière prud’homale,
Infirme le jugement déféré et statuant à nouveau sur le tout,
Requalifie la relation contractuelle en contrat de travail à durée indéterminée,
Dit que la rupture de la relation de travail s’analyse en un licenciement sans cause réelle et sérieuse et vexatoire,
Condamne la société Union Hôtelière du Cap à payer à M. [I] les sommes suivantes :
– indemnité de requalification : 2 374,02 €.
– indemnité pour licenciement abusif : 14 244 €.
– indemnité de préavis : 4 748,04 €.
– indemnité de congés payés afférents : 474,80 €.
– indemnité conventionnelle de licenciement : 7 913,24 €.
– dommages et intérêts pour préjudice distinct : 2 000 €.
Condamne la société Union Hôtelière du Cap à payer à M. [I] la somme de 2 500 € en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,
Déboute M. [I] de sa demande d’indemnité de procédure en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,
Rejette toute autre demande.
LE GREFFIERLE PRESIDENT