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ARRÊT DU
24 Juin 2022
N° 878/22
N° RG 19/01336 – N° Portalis DBVT-V-B7D-SMWC
BR/CH
Art. 37
Jugement du
Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de VALENCIENNES
en date du
29 Avril 2019
(RG 18/00291 -section 2)
GROSSE :
aux avocats
le 24 Juin 2022
République Française
Au nom du Peuple Français
COUR D’APPEL DE DOUAI
Chambre Sociale
– Prud’Hommes-
APPELANTE :
Mme [D] [F]
[Adresse 2]
[Localité 3]
représentée par la SELARL DE ABREU, membre de l’AARPI DE ABREU-GUILLEMINOT-PHILIPPE, représentée par Me Manuel DE ABREU, avocat au barreau de VALENCIENNES, substitué par Me Corinne PHILIPPE, avocat au barreau de VALENCIENNES
(bénéficie d’une aide juridictionnelle Totale numéro 59178/02/21/01373 du 23/12/2021 accordée par le bureau d’aide juridictionnelle de DOUAI)
INTIMÉE :
S.N.C. LIDL
[Adresse 1]
[Localité 4]
représentée par Me Francis DUPONT, avocat au barreau de LILLE
DÉBATS :à l’audience publique du 17 Mai 2022
Tenue par Béatrice REGNIER
magistrat chargé d’instruire l’affaire qui a entendu seul les plaidoiries, les parties ou leurs représentants ne s’y étant pas opposés et qui en a rendu compte à la cour dans son délibéré,
les parties ayant été avisées à l’issue des débats que l’arrêt sera prononcé par sa mise à disposition au greffe.
GREFFIER : Valérie DOIZE
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ
Stéphane MEYER
: PRÉSIDENT DE CHAMBRE
Béatrice REGNIER
: CONSEILLER
Frédéric BURNIER
: CONSEILLER
ARRÊT :Contradictoire
prononcé par sa mise à disposition au greffe le 24 Juin 2022,
les parties présentes en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l’article 450 du code de procédure civile, signé par Stéphane MEYER, Président et par Nadine BERLY, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
ORDONNANCE DE CLÔTURE : rendue le 08 février 2022
Mme [D] [F] a été engagée par la SNC Lidl France à compter du 28 juillet 2014 dans le cadre de contrats de travail à durée déterminée à temps partiel successifs – hormis deux périodes d’interruption entre le 27 septembre et le 27 octobre 2014 et entre le 1er et le 7 novembre 2014 – en qualité de caisse employée libre-service.
Son dernier contrat de travail à durée déterminée a été conclu à compter du 5 janvier 2015 pour une durée minimale d’une semaine pour le remplacement d’une salariée absente.
Le 18 novembre 2015, elle a été convoquée un entretien préalable fixé au 27 novembre suivant et mise à pied à titre conservatoire.
Le 11 décembre 2015, la SNC Lidl France lui a notifié la rupture anticipée de son contrat de travail pour faute grave.
Contestant notamment le bien-fondé de cette mesure, elle a saisi le conseil de prud’hommes de Valenciennes qui, par jugement du 29 avril 2019, l’a déboutée de ses prétentions.
Par déclaration du 9 juin 2019 mentionnant ‘Objet/Portée de l’appel : Appel limité aux chefs de jugement expressément critiqués : Voir motivation en Pièce Jointe Partie 3″, Mme [F] a interjeté appel du jugement.
Par conclusions transmises par voie électronique le 7 février 2022, Mme [F] demande à la cour de :
– déclarer irrecevable ou subsidiairement mal fondée la demande de la SNC Lidl France tendant à entendre dire que la cour n’est saisie d’aucune demande ;
– infirmer le jugement déféré et :
– requalifier en contrat de travail à durée indéterminée le contrat de travail à durée déterminée du 7 novembre 2014 ou subsidiairement celui du 18 novembre 2014 ;
– dire que la rupture du contrat de travail est sans cause réelle et sérieuse ou subsidiairement non fondée sur une faute grave mais sur une cause réelle et sérieuse ;
– condamner la SNC Lidl France à lui payer les sommes de :
– 1 430,56 euros à titre d’indemnité de requalification,
– 355,95 euros, outre 35,59 euros de congés payés, ou subsidiairement 284,76 euros, outre 28,47 euros de congés payés, à titre de rappel de salaire pendant les périodes intersticielles,
– 1 287,11 euros, outre 128,71 euros de congés payés, à titre de rappel de salaire pour l’annulation de la mise à pied conservatoire,
– 421,15 euros ou subsidiairement 409,97€ à titre d’indemnité légale de licenciement,
– 1 430,56 euros, outre 143,05 euros de congés payés, à titre d’indemnité de préavis,
– 8 583,36 euros à titre de dommages et intérêts pour rupture abusive,
– 10 000 euros au titre du préjudice moral et financier distinct,
– condamner la SNC Lidl France à payer la somme de 2 500 euros sur le fondement de l’article 37 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1191.
Elle soutient que :
– la demande de la SNC Lidl France tendant à entendre dire que la cour n’est saisie d’aucune demande est :
– irrecevable au visa de l’article 910-4 du code de procédure civile en ce que elle n’a pas été formée dans ses premières conclusions signifiées le 2 décembre 2019 et au visa de l’article 74 du même code en ce qu’elle n’a pas été présentée avant toute demande au fond ;
– mal fondée en ce que la règle invoquée, issue d’une interprétation des dispositions légales nouvelle résultant d’un arrêt du 13 janvier 2022, ne peut être appliquée rétroactivement et en ce qu’il existait une impossibilité technique justifiant de compléter la déclaration d’appel par un document annexe – le document annexé comportant 25 708 caractères ;
– le contrat de travail à durée déterminée du 7 novembre 2014 doit être requalifié en ce qu’une ouverture de magasin ne constitue pas un motif d’accroissement temporaire d’activité ;
– subsidiairement, il y a lieu de requalifier le contrat de travail à durée déterminée du 18 novembre 2014 faute de respect du délai de carence par rapport au contrat précédent ;
– ayant été contrainte de rester à la disposition de son employeur durant les périodes intersticielles, elle a droit à un rappel de salaire à ce titre ;
– son licenciement est sans cause réelle et sérieuse dans la mesure où les faits reprochés ne sont pas établis et où elle a été maintenue dans l’entreprise et laissée au contact avec les clients durant un mois après leur prétendue commission ; qu’à tout le moins les dits faits ne constituaient pas une faute grave ;
– elle a subi un préjudice moral et financier important suite à son licenciement.
Par conclusions transmises par voie électronique le 7 février 2022, la SNC Lidl France demande à titre principal de dire que la cour n’est saisie d’aucune demande, à titre subsidiaire de confirmer le jugement entrepris, et titre infiniment subsidiaire de fixer l’indemnité de requalification à 1 234,15 euros, le
rappel de salaire au titre de la mise à pied conservatoire à 598,21 euros, outre 59,82 euros de congés payés, l’indemnité compensatrice de préavis à 1 234,15 euros, outre 123,42 euros de congés payés, et les dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse à 1 234,15 euros, et enfin de condamner Mme [F] à lui verser la somme de 2 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile pour les frais exposés en cause d’appel.
Elle fait valoir que :
– la cour n’est saisie d’aucune demande dans la mesure où la déclaration d’appel ne mentionne pas les chefs critiqués du jugement et où il n’est fait état d’aucun empêchement technique justifiant de compléter la déclaration par un document annexe ; qu’elle est parfaitement recevable à invoquer ce moyen dès lors qu’il ne s’agit pas d’une exception de procédure ; que Mme [F] ne peut par ailleurs valablement opposer d’une part l’absence de rétroactivité de la règle instaurée par l’arrêt de la cour de cassation du 13 janvier 2022 en l’absence d’interprétation nouvelle d’une disposition légale, d’autre part l’empêchement technique puisque les chefs du jugement critiqués comportaient moins de 4 080 caractères ;
– il n’y a pas lieu à requalification des contrats de travail à durée déterminée dès lors que :
– les motifs pour lesquels il y a été recouru (surcroît d’activité pour un et remplacement d’un salarié absent pour les autres) étaient réels et Mme [F] n’occupait pas un emploi permanent lié à l’activité normale de l’entreprise ;
– le délai de carence a été respecté ;
– les faits reprochés à Mme [F] sont établis et constituent une faute grave ; que la salariée avait été informée du système de vidéo surveillance mis en place ;
– Mme [F] ne justifie pas s’être tenue à la disposition de l’employeur durant les périodes d’attente.
Par arrêt du 25 mars 2022, la cour d’appel de Douai a ordonné la réouverture des débats à l’audience du 17 mai 2022 à 9 heures afin de soumettre à la discussion des parties les conséquences de l’application des dispositions de l’article 1 du décret n° 2022-245 du 25 février 2022 modifiant l’article 901 du code de procédure civile sur le présent litige et de les inviter à présenter leurs observations sur ce point.
Par note d’observation enregistrée transmise par voie électronique le 1er avril 2022, Mme [F] soutient que l’annexe jointe à la déclaration d’appel et faisant corps avec cette dernière comporte les chefs du jugement critiqués de sorte que l’effet dévolutif de l’appel s’exerce.
Par note d’observation enregistrée transmise par voie électronique le 5 avril 2022, la SNC Lidl France abandonne sa demande tendant à entendre dire que la cour n’est saisie d’aucune demande.
SUR CE :
– Sur l’indemnité pour non-respect de la procédure de licenciement et le rappel d’indemnités de congés payés :
Attendu que la cour constate que Mme [F] ne maintient pas en cause d’appel les demandes tendant à la requalification des contrats antérieurs au 7 novembre 2014 ainsi qu’au paiement d’un rappel des salaires pendant les périodes d’attente antérieures à cette date, d’une indemnité pour non-respect de la procédure de licenciement et d’un rappel d’indemnités de congés payés qu’elle avait présentées en première instance ;
– Sur la requalification des contrats de travail à durée déterminée en contrat de travail à durée indéterminée :
Attendu, en premier lieu, que, selon l’article L. 1242-1 du code du travail : ‘ Un contrat de travail à durée déterminée, quel que soit son motif, ne peut avoir ni pour objet ni pour effet de pourvoir durablement un emploi lié à l’activité normale et permanente de l’entreprise.’ ; qu’il résulte de l’article L.1242-2 du même code que, sous réserve des contrats spéciaux prévus à l’article L.1242-3, un contrat de travail à durée déterminée ne peut être conclu que pour l’exécution d’une tâche précise et temporaire et seulement dans les cas qu’il énumère, parmi lesquels figure l’accroissement temporaire de l’activité de l’entreprise (2°) ;
Que c’est à l’employeur qu’il appartient de rapporter la preuve de l’absence du salarié remplacé et d’un accroissement temporaire de l’activité justifiant le recours à un contrat à durée déterminée ;
Que, selon l’article L.1245-1 du même code : ‘Est réputé à durée indéterminée tout contrat conclu en méconnaissance des dispositions des articles L.l242-1 à L.1242-4, L.l242-6 à L.1242-8, L.1242-12 alinéa 1, L.1243-11 alinéa 1, L.1243-13, L.l244-3 et L.1244-4 du même code.’ ;
Attendu qu’en l’espèce la SNC Lidl France justifie de la réalité de l’ouverture d’un nouveau magasin à [Localité 5] le 29 octobre 2014 faisant suite à la fermeture de l’ancien magasin le 28 octobre – soit une semaine avant qu’il est recouru aux services de l’appelante ; que le démarrage de ce nouvel établissement immédiatement précédé de la fermeture de l’ancien a pu valablement constituer un surcroît temporaire d’activité ayant justifié le recours au contrat de travail à durée déterminée du 7 au 16 novembre 2014 alors même que Mme [F] n’a pu être affectée dans le cadre de ce contrat à un emploi permanent compte tenu de la brièveté de sa période d’emploi ;
Attendu, en second lieu, qu’aux termes de l’article L. 1244-3 du code du travail dans sa version applicable : ‘A l’expiration d’un contrat de travail à durée déterminée, il ne peut être recouru, pour pourvoir le poste du salarié dont le contrat a pris fin, ni à un contrat à durée déterminée ni à un contrat de travail temporaire, avant l’expiration d’un délai de carence calculé en fonction de la durée du contrat, renouvellement inclus. Ce délai de carence est égal : / 1° Au tiers de la durée du contrat venu à expiration si la durée du contrat, renouvellement inclus, est de quatorze jours ou plus ; / 2° A la moitié de la durée du contrat venu à expiration si la durée du contrat, renouvellement inclus, est inférieure à quatorze
jours. / Les jours pris en compte pour apprécier le délai devant séparer les deux contrats sont les jours d’ouverture de l’entreprise ou de l’établissement concerné.’ ; que, selon l’article L. 1244-1 dans sa rédaction applicable, ‘Les dispositions de l’article L. 1243-11 ne font pas obstacle à la conclusion de contrats de travail à durée déterminée successifs avec le même salarié lorsque le contrat est conclu dans l’un des cas suivants : / 1° Remplacement d’un salarié absent ; / 2° Remplacement d’un salarié dont le contrat de travail est suspendu ; / 3° Emplois à caractère saisonnier ou pour lesquels, dans certains secteurs d’activité définis par décret ou par voie de convention ou d’accord collectif étendu, il est d’usage constant de ne pas recourir au contrat de travail à durée indéterminée en raison de la nature de l’activité exercée et du caractère par nature temporaire de ces emplois ; / 4° Remplacement de l’une des personnes mentionnées aux 4° et 5° de l’article L. 1242-2.’ ; que l’article L. 1244-4 dans sa rédaction applicable dispose quant à lui que : ‘Le délai de carence n’est pas applicable : /1° Lorsque le contrat de travail à durée déterminée est conclu pour assurer le remplacement d’un salarié temporairement absent ou dont le contrat de travail est suspendu, en cas de nouvelle absence du salarié remplacé ; / 2° Lorsque le contrat de travail à durée déterminée est conclu pour l’exécution de travaux urgents nécessités par des mesures de sécurité ; / 3° Lorsque le contrat de travail à durée déterminée est conclu pour pourvoir un emploi à caractère saisonnier ou pour lequel, dans certains secteurs d’activité définis par décret ou par voie de convention ou d’accord collectif étendu, il est d’usage constant de ne pas recourir au contrat de travail à durée indéterminée en raison de la nature de l’activité exercée et du caractère par nature temporaire de cet emploi ; / 4° Lorsque le contrat est conclu pour assurer le remplacement de l’une des personnes mentionnées aux 4° et 5° de l’article L. 1242-2 ; / 5° Lorsque le contrat est conclu en application de l’article L. 1242-3 ; / 6° Lorsque le salarié est à l’initiative d’une rupture anticipée du contrat ; / 7° Lorsque le salarié refuse le renouvellement de son contrat, pour la durée du contrat non renouvelé.’ ; qu’il résulte de la combinaison des articles L. 1244-1, L. 1243-11 et L. 1244-4 du code du travail qu’une succession de contrats de travail à durée déterminée, sans délai de carence, n’est licite, pour un même salarié et un même poste, que si chacun des contrats a été conclu pour l’un des motifs prévus limitativement par l’article L. 1244-4 du code du travail ; qu’enfin, aux termes de l’article L. 1245-1 du code du travail dans sa rédaction applicable : ‘Est réputé à durée indéterminée tout contrat de travail conclu en méconnaissance des dispositions des articles L. 1242-1 à L. 1242-4, L. 1242-6 à L. 1242-8, L. 1242-12, alinéa premier, L. 1243-11, alinéa premier, L. 1243-13, L. 1244-3 et L. 1244-4.’ ;
Attendu qu’en l’espèce le contrat de travail à durée déterminée conclu pour surcroît temporaire d’activité pour la période du 7 au 16 novembre 2014 – et donc d’une durée de 8 jours – a été suivi d’un contrat de travail à durée déterminée signé le 18 novembre 2014 ; que le délai de carence, d’une durée de 3 jours, n’a donc pas été respecté, la circonstance que le contrat du 18 novembre 2014 a été conclu pour remplacement d’un salarié absent ne pouvant permettre à l’employeur de s’affranchir de ce délai faute pour les deux contrats successifs d’avoir été conclu pour l’un des motifs prévus limitativement par l’article L. 1244-4 du code du travail ; que Mme [F] est dès lors bien fondée à demander la requalification du contrat de travail à durée déterminée conclu le 18 novembre 2014 en contrat de travail à durée indéterminée ;
Attendu qu’aux termes de l’article L.1245-2 alinéa 2 du code du travail, si le juge fait droit à la demande du salarié tendant à la requalification de son contrat de travail à durée déterminée en contrat à durée indéterminée, il doit lui accorder une indemnité qui ne peut être inférieure à un mois de salaire ; que, pour le calcul de l’indemnité, il y a lieu de se référer à la dernière moyenne de salaire mensuel, étant au surplus rappelé que l’indemnité ne peut être inférieure au dernier salaire mensuel ;
Attendu qu’en l’espèce il résulte de l’examen des fiches de paie de Mme [F] pour l’année 2015 que la dernière moyenne mensuelle de l’intéressée s’élève à la somme de 1 430,56 euros ; que sa demande tendant au paiement d’une indemnité de requalification à hauteur de ce montant est donc accueillie ;
Attendu que les contrats qui ont suivi le contrat de travail à durée déterminée requalifié se sont succédés sans interruption ; que Mme [F] ne peut donc valablement prétendre au paiement d’un rappel de salaire pour les périodes intersticielles – la cour ignorant au demeurant quelles périodes sont visées dans sa réclamation puisque la salariée se borne à indiquer à ce titre dans ses conclusions : ‘4*7*10.17″ – mention incompréhensible ;
– Sur la rupture de la relation contractuelle :
Attendu que, le contrat de travail à durée déterminée du 18 novembre 2014 ayant été requalifié en contrat de travail à durée indéterminée et cette requalification ayant pour effet de transformer la relation de travail qui s’en est suivie en contrat à durée indéterminée, ce sont bien les règles invoquées par Mme [F] et régissant le licenciement qui s’appliquent ;
Attendu qu’il convient de rappeler que la lettre de licenciement fixe les limites du litige ;
Que, selon l’article L.1235-1 du code du travail, en cas de litige relatif au licenciement, le juge, à qui il appartient d’apprécier la régularité de la procédure et le caractère réel et sérieux des motifs invoqués par l’employeur, forme sa conviction au vu des éléments fournis par les parties, au besoin après toutes mesures d’instruction qu’il estime utiles ; que, si un doute subsiste, il profite au salarié ; qu’ainsi l’administration de la preuve en ce qui concerne le caractère réel et sérieux des motifs du licenciement n’incombe pas spécialement à l’une ou l’autre des parties, l’employeur devant toutefois fonder le licenciement sur des faits précis et matériellement vérifiables ;
Que par ailleurs la faute grave est celle qui rend impossible le maintien du salarié dans l’entreprise et justifie la rupture immédiate de son contrat de travail, sans préavis, la charge de la preuve pesant sur l’employeur ;
Attendu qu’en l’espèce le contrat de Mme [F] a été rompu pour faute grave pour les motifs suivants :
‘Le lundi 19 octobre 2015 à 17h, vous étiez en première caisse lorsqu’une cliente a manifesté à l’encadrante présente en magasin son mécontentement concernant l’attente en caisse. La cliente s’est donc vue dirigée vers une autre caisse où elle a de nouveau longuement patienté dans l’attente de l’arrivée de votre collègue. Votre collègue s ‘est excusée auprès de la cliente dès son arrivée en caisse. / Dès cet instant, vous avez tenu des propos démesurés envers la cliente. Vous avez quitté votre caisse a deux reprises afin de l agresser verbalement en tutoyant la cliente et en lui proférant de violentes menaces. / Ces propos ont été tenus en arrière caisse devant les autres clients, devant la fille de la cliente et devant les autres salariés témoins de la scène. / Nous ne pouvons accepter un tel comportement au sein de notre enseigne. En effet, nos clients sont notre priorité et le personnel se doit d’être aimable et respectueux envers eux. / Les explications que nous avons recueillies lors de cet entretien ne sont pas de nature à modifier notre appréciation des faits. / En effet, les faits relevés portent donc gravement atteinte à l ‘image de l’entreprise et à son bon fonctionnement.’ ;
Attendu que la réalité des faits ci-dessus rapportés est établie par les témoignages précis et concordants de deux salariées du magasin Mmes [M] [K] et [J] [C] ; que toutes deux insistent sur la violence verbale dont a fait preuve Mme [F] à l’égard de la cliente Mme [E] [S], les propos ‘cassos’, ou encore ‘va te faire enculer, ferme ta gueule, pauvre merde, je te retrouverai’ ayant notamment été tenus, ainsi que sur le calme gardé par cette dernière ; que Mme [K] précise que c’est Mme [F] qui a été à l’origine de l’altercation, qu’elle s’en est à plusieurs reprises prise à Mme [S] et qu’elle-même s’est interposée afin d’éviter tout mauvais geste de la part de Mme [F] ; qu’elle ajoute que les clients présents ont été sidérés de l’attitude de la caissière, qualifiée d’hystérique ; que Mme [P] [T], également salariée et présente lors des faits, relate la même scène sans toutefois pouvoir donner de précisions notamment sur les insultes proférées en raison du choc qu’a pour elle représenté l’événement ; que le déroulement des faits est par ailleurs confirmé par le procès-verbal de constat dressé par Maître [X], huissier de justice, qui retrace le visionnage de deux fichiers vidéo provenant des caméras de surveillance du magasin et d’où il ressort que Mme [F] a délibérément quitté à deux reprises sa caisse pour aller invectiver la cliente qui passait ses courses à une autre caisse ;
Attendu que l’agressivité dont a fait preuve Mme [F] le 19 octobre 2015 à l’égard d’une cliente justifiait, compte tenu de l’attitude de la salariée et de la violence des propos tenus, son licenciement ; que ni le comportement de la cliente – qui au vu des documents fournis n’est pas à l’origine de l’altercation et n’a nullement cherché à envenimer la situation, ni les circonstances dans lesquelles le conflit a eu lieu – à savoir une affluence de clients, au demeurant non démontrée, ne sont de nature à excuser le comportement adopté par la salariée ;
Attendu qu’en revanche la cour constate que la mise en oeuvre du licenciement n’est intervenu qu’un mois après les faits, alors même que la SNC Lidl France ne conteste aucunement en avoir eu connaissance dès leur commission et n’argue nullement que des vérifications auraient été nécessaires ; que, faute pour la SNC Lidl France d’avoir engagé la procédure disciplinaire dans un délai restreint, la cour retient que le licenciement est fondé, non sur une faute grave, mais sur une cause réelle et sérieuse ;
Attendu que Mme [F] a droit au paiement des salaires retenus dans le cadre de la mise à pied conservatoire – les parties s’accordant à reconnaître que cette mise à pied a pris effet à compter du 29 novembre 2015 dès lors que Mme [F] était en arrêt de travail pour maladie du 18 au 28 novembre 2015 ; qu’il résulte de l’examen de ses fiches de paie que les retenues correspondant à la mise à pied ont concerné le seul bulletin de paie de décembre 2015, pour un montant de 598,21 euros (569,50 – 512,55 + 541,26) ; qu’il est donc alloué à la salariée de ce chef la somme de 598,21 euros, outre celle de 59,82 euros au titre des congés payés y afférents ;
Attendu que la salariée est également bien fondée à réclamer une indemnité compensatrice de préavis de 1 430,56 euros, outre 143,05 euros de congés payés, correspondant à un mois de salaire ainsi que le prévoit l’article 5.1 de l’annexe I de la convention collective du commerce de détail et de gros à prédominance alimentaire ainsi qu’une indemnité de licenciement de 409,97 euros telle que calculée par Mme [F] conformément aux dispositions de l’article 7.1 de la dite annexe ;
Attendu que Mme [F] est en revanche déboutée de sa demande de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ; que sa demande de dommages et intérêts pour préjudice financier et moral distinct est également rejetée comme étant motivé par le caractère abusif du licenciement ;
– Sur les frais irrépétibles :
Attendu qu’il convient pour des raisons tenant à l’équité d’allouer à la SELARL de Abreu, conseil de Mme [F], la somme de 2 500 euros en application et dans les conditions de l’article 37 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 sur l’aide juridique pour les frais exposés en première instance et en cause d’appel ;
PAR CES MOTIFS,
LA COUR,
Constate que Mme [D] [F] ne maintient pas en cause d’appel les demandes tendant à la requalification des contrats antérieurs au 7 novembre 2014 ainsi qu’au paiement d’un rappel des salaires pendant les périodes d’attente antérieures à cette date, d’une indemnité pour non-respect de la procédure de licenciement et d’un rappel d’indemnités de congés payés présentées en première instance,
Confirme le jugement déféré en ce qu’il a débouté Mme [D] [F] de ses demandes tendant à la requalification de la relation contractuelle en contrat de travail à durée indéterminée entre le 7 et le 18 novembre 2014 ainsi qu’au paiement d’un rappel de salaire au titre des périodes interticielles à compter du 7 novembre 2014, de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et de dommages et intérêts au titre du préjudice moral et financier distinct,
L’infirme pour le surplus,
Statuant à nouveau sur les chefs réformés et ajoutant,
Requalifie le contrat de travail à durée déterminée conclu le 18 novembre 2014 en contrat de travail à durée indéterminée,
Dit que le licenciement est fondé, non sur une faute grave, mais sur une cause réelle et sérieuse,
Condamne la SNC Lidl France à payer à Mme [D] [F] les sommes de :
– 1 430,56 euros à titre d’indemnité de requalification,
– 598,21 euros, outre celle de 59,82 euros au titre des congés payés y afférents, à titre de rappel de salaire pour la période de mise à pied conservatoire,
-1 430,56 euros, outre 143,05 euros de congés payés, à titre d’indemnité compensatrice de préavis,
– 409,97 euros à titre d’indemnité de licenciement,
Condamne la SNC Lidl France à payer à la SELARL de Abreu, conseil de Mme [D] [F], la somme de 2 500 euros en application et dans les conditions de l’article 37 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 sur l’aide juridique pour les frais exposés en première instance et en cause d’appel,
Condamne la SNC Lidl France aux dépens de première instance et d’appel,
LE GREFFIER
Nadine BERLY
LE PRESIDENT
Stéphane MEYER