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Travailler sur un projet de production sans établir de lien de subordination ne permet pas d’obtenir la requalification en contrat de travail de Directeur de production.
Le collaborateur doit établir qu’il exécutait son travail sous l’autorité de l’employeur, recevait des ordres et des directives, et était contrôlé dans l’exécution de ses tâches. |
→ Résumé de l’affaireM. [Y] a été engagé par la société Digital District pour un contrat à durée déterminée du 22 au 23 octobre 2018. Il a ensuite travaillé sans contrat écrit jusqu’au 19 juillet 2019. Il a saisi le conseil de prud’hommes pour faire reconnaître un contrat à durée indéterminée et obtenir des indemnités. Les premiers juges l’ont débouté de ses demandes, mais M. [Y] a interjeté appel. Il demande à la cour de reconnaître un contrat à durée indéterminée, des rappels de salaire, des indemnités diverses et une rémunération mensuelle. La société Digital District demande le rejet de l’appel et des demandes de M. [Y]. Une ordonnance de clôture de la procédure a été rendue le 9 janvier 2024.
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→ Les points essentielsExistence d’un contrat de travail à durée indéterminéeLa cour a examiné les arguments de M. [Y] soutenant l’existence d’un contrat de travail à durée indéterminée avec la société Digital District. Cependant, après analyse des pièces produites, il n’a pas été possible de démontrer l’existence d’un lien de subordination entre M. [Y] et la société Digital District sur la période considérée, à l’exception du contrat de travail à durée déterminée des 22 et 23 octobre 2018. Par conséquent, les demandes de M. [Y] ont été rejetées. Circonstances brutales et vexatoires de la rupture du contrat de travailM. [Y] a fait valoir que la rupture de son contrat de travail était brutale et vexatoire, réclamant une indemnisation de 5 000 euros pour préjudice. Cependant, la cour n’a pas trouvé d’éléments permettant d’imputer ces manquements à la société Digital District. Par conséquent, la demande de dommages et intérêts a été rejetée. Indemnité forfaitaire pour travail dissimuléM. [Y] a également réclamé une indemnité pour travail dissimulé en raison de l’absence de déclarations et de bulletins de paie. Cependant, étant donné l’absence de contrat de travail à durée indéterminée, cette demande a été rejetée faute de fondement. Dépens et frais irrépétiblesLa cour a confirmé la décision du jugement concernant les dépens et les frais irrépétibles. M. [Y] a été condamné aux dépens d’appel et devra verser 500 euros à la société Digital District au titre de l’article 700 du code de procédure civile. Les montants alloués dans cette affaire: – M. [I] [Y] est condamné aux dépens d’appel
– M. [I] [Y] doit payer à la société Digital District la somme de 500 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile |
→ Réglementation applicable– Code du travail : Article L1221-1 : “Le contrat de travail est soumis aux règles du droit commun des contrats. Il est conclu librement par les parties. Il peut être conclu pour une durée déterminée ou indéterminée.”
– Code du travail : Article L1221-2 : “Le contrat de travail à durée indéterminée est la forme normale et générale de la relation de travail entre un employeur et un salarié.” – Code du travail : Article L1221-3 : “Le contrat de travail à durée déterminée ne peut avoir ni pour objet ni pour effet de pourvoir durablement un emploi lié à l’activité normale et permanente de l’entreprise.” – Code du travail : Article L1221-4 : “Le contrat de travail à durée déterminée doit être établi par écrit. Il doit mentionner le motif précis de son recours.” – Code du travail : Article L1221-5 : “Le contrat de travail à durée déterminée ne peut être renouvelé que par accord des parties.” – Code du travail : Article L1221-6 : “Le contrat de travail à durée déterminée peut être rompu avant l’échéance du terme prévu, dans les conditions prévues par la loi.” – Code du travail : Article L1221-7 : “Le salarié lié par un contrat de travail à durée déterminée bénéficie des mêmes droits que les salariés en contrat à durée indéterminée, sauf dispositions contraires prévues par la loi.” – Code du travail : Article L1221-8 : “En cas de litige relatif à l’existence d’un contrat de travail à durée indéterminée, il appartient au salarié de rapporter la preuve de l’existence de ce contrat.” – Code du travail : Article L1221-9 : “Le lien de subordination est caractérisé par l’exécution d’un travail sous l’autorité de l’employeur qui a le pouvoir de donner des ordres et des directives, d’en contrôler l’exécution et de sanctionner les manquements du salarié.” – Code du travail : Article L1221-10 : “En cas de travail dissimulé, le salarié peut demander une indemnité forfaitaire correspondant à six mois de salaire.” |
→ AvocatsBravo aux Avocats ayant plaidé ce dossier: – Me Eve OUANSON, avocat au barreau de PARIS
– Me David VAN DER BEKEN de l’AARPI Alter Ego Avocats, avocat au barreau de PARIS |
→ Mots clefs associés & définitions– Contrat de travail à durée indéterminée
– Directeur de production – Coproduction – Rappel de salaire – Indemnité de requalification – Congés payés – Rupture abusive du contrat de travail – Indemnité compensatrice de préavis – Indemnité conventionnelle de licenciement – Licenciement sans cause réelle et sérieuse – Subordination juridique – Donneur d’ordres – Courriels professionnels – Lien de subordination – Preuve de prestation de travail – Autorité de l’employeur – Contrat à durée déterminée d’usage – Budget de film – Effets spéciaux – Post-production – Financement de film – Travail dissimulé – Dépens et frais irrépétibles – Contrat de travail à durée indéterminée: contrat de travail qui ne comporte pas de date de fin prédéterminée
– Directeur de production: personne en charge de la gestion et de la coordination de la production d’un film ou d’une œuvre audiovisuelle – Coproduction: collaboration entre plusieurs sociétés de production pour financer et produire un film ou une œuvre audiovisuelle – Rappel de salaire: paiement des sommes dues à un salarié en cas de retard ou de non-paiement de son salaire – Indemnité de requalification: indemnité versée à un salarié en cas de requalification de son contrat de travail en CDI – Congés payés: période de repos rémunérée accordée aux salariés pour compenser leur travail – Rupture abusive du contrat de travail: rupture du contrat de travail par l’employeur sans motif valable – Indemnité compensatrice de préavis: indemnité versée au salarié en cas de rupture de son contrat de travail avant la fin de la période de préavis – Indemnité conventionnelle de licenciement: indemnité prévue par la convention collective en cas de licenciement – Licenciement sans cause réelle et sérieuse: licenciement injustifié qui ne repose pas sur des motifs réels et sérieux – Subordination juridique: lien de subordination entre un employeur et un salarié, caractérisé par l’autorité de l’employeur sur le salarié – Donneur d’ordres: personne physique ou morale qui confie un travail à un prestataire de services – Courriels professionnels: messages électroniques envoyés dans un cadre professionnel – Preuve de prestation de travail: éléments permettant de prouver que le salarié a effectivement travaillé – Autorité de l’employeur: pouvoir de direction et de contrôle de l’employeur sur ses salariés – Contrat à durée déterminée d’usage: contrat de travail à durée déterminée spécifique à certains secteurs d’activité – Budget de film: estimation des coûts nécessaires à la réalisation d’un film – Effets spéciaux: techniques utilisées pour créer des effets visuels spéciaux dans un film – Post-production: phase de production d’un film qui intervient après le tournage – Financement de film: recherche de fonds pour financer la production d’un film – Travail dissimulé: pratique illégale consistant à ne pas déclarer un travailleur ou à dissimuler une partie de son activité – Dépens et frais irrépétibles: frais engagés dans le cadre d’une procédure judiciaire et non susceptibles d’être remboursés |
REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
délivrées le : AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
COUR D’APPEL DE PARIS
Pôle 6 – Chambre 8
ARRET DU 28 MARS 2024
(n° , 8 pages)
Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 22/06594 – N° Portalis 35L7-V-B7G-CGBZ2
Décision déférée à la Cour : Jugement du 07 Juin 2022 -Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de PARIS – RG n° F 20/02946
APPELANT
Monsieur [I] [Y]
[Adresse 1]
[Localité 4]
Représenté par Me Eve OUANSON, avocat au barreau de PARIS
INTIMÉE
S.A.S. DIGITAL DISTRICT
[Adresse 2]
[Localité 3]
Représentée par Me David VAN DER BEKEN de l’AARPI Alter Ego Avocats, avocat au barreau de PARIS, toque : E1857
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 19 Février 2024, en audience publique, les avocats ne s’étant pas opposés à la composition non collégiale de la formation, devant Madame Isabelle MONTAGNE, présidente, chargée du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, entendu en son rapport, composée de :
Madame Isabelle MONTAGNE, présidente, rédactrice
Madame Nathalie FRENOY, présidente
Madame Sandrine MOISAN, conseillère
Greffier, lors des débats : Mme Nolwenn CADIOU
ARRÊT :
– CONTRADICTOIRE
– mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du Code de procédure civile,
– signé par Madame Isabelle MONTAGNE, présidente et par Madame Nolwenn CADIOU, greffier à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
M. [I] [Y] a été engagé par la société Digital District suivant un contrat à durée déterminée d’usage du 22 au 23 octobre 2018 en qualité de directeur de production AV (audio-visuel), statut non-cadre, pour une durée totale de 16 heures de travail moyennant une rémunération brute forfaitaire de 800 euros.
Soutenant avoir travaillé pour la société Digital District à compter du 28 septembre 2018 sans contrat de travail écrit et postérieurement au terme du contrat à durée déterminée et ce, jusqu’au 19 juillet 2019, M. [Y] a, le 14 mai 2020, saisi le conseil de prud’hommes de Paris afin de faire reconnaître l’existence d’un contrat de travail à durée indéterminée avec la société Digital District et d’obtenir la condamnation de cette société à lui payer un rappel de salaire et diverses indemnités au titre de la rupture abusive du contrat de travail.
Par jugement mis à disposition le 7 juin 2022, auquel il est renvoyé pour exposé de la procédure antérieure et des demandes initiales des parties, les premiers juges ont débouté M. [Y] de l’ensemble de ses demandes et ont condamné celui-ci à verser à la société Digital District la somme de 100 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile et aux dépens.
Le 30 juin 2022, M. [Y] a interjeté appel à l’encontre de ce jugement.
Par conclusions remises au greffe et notifiées par la voie électronique le 27 septembre 2022, remises à nouveau le 13 octobre 2022, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé des moyens en application de l’article 455 du code de procédure civile, M. [Y] demande à la cour d’infirmer le jugement, statuant à nouveau, de juger que la relation de travail le liant à la société Digital District s’analyse en un contrat à durée indéterminée sur la base d’un temps plein rémunéré au salaire minimum conventionnel applicable et que la rupture par ladite société de ce contrat s’analyse en un licenciement qui doit produire les effets d’un licenciement abusif, de condamner celle-ci à lui verser les sommes suivantes, assorties des intérêts au taux légal à compter de la date de la saisine :
* 5 200 euros à titre d’indemnité de requalification,
* 24 950 euros à titre de rappel de salaires,
* 2 495 euros à titre de congés payés afférents,
* 7 740 euros à titre d’indemnité compensatrice de préavis,
* 774 euros à titre de congés payés sur préavis,
* 774 euros à titre d’indemnité conventionnelle de licenciement,
* 2 600 euros à titre d’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
* 15 500 euros à titre d’indemnité pour travail dissimulé,
* 5 000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement brutal et vexatoire,
de fixer sa rémunération mensuelle moyenne brute à 2 580 euros à compter du prononcé de la décision à intervenir, d’ordonner la remise de bulletins de paie rectifiés ainsi que des documents sociaux de fin de contrat, conformément aux dispositions de l’arrêt à intervenir, sous astreinte de 200 euros par jour de retard que la cour se réservera le droit de liquider, d’ordonner la capitalisation des intérêts et de condamner la société à lui verser la somme de 5 000 euros ‘HT’ sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.
Par conclusions remises au greffe et notifiées par la voie électronique le 21 décembre 2022 auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé des moyens, la société Digital District demande à la cour de débouter M. [Y] de son appel et de toutes ses demandes, de confirmer le jugement, subsidiairement, de limiter les condamnations susceptibles d’être prononcées à son encontre aux sommes suivantes :
* 800 euros à titre d’indemnité de requalification,
* 800 euros à titre d’indemnité de préavis,
* 80 euros au titre des congés payés afférents,
* 100 euros à titre d’indemnité pour licenciement sans cause réelle ni sérieuse,
et de condamner M. [Y] à lui payer une somme de 1 000 euros en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile au titre de ses frais irrépétibles d’appel et aux dépens de l’instance d’appel.
Une ordonnance de clôture de la procédure a été rendue le 9 janvier 2024.
Sur l’existence d’un contrat de travail à durée indéterminée entre M. [Y] et la société Digital District
M. [Y] soutient que :
– il a commencé à travailler en qualité de directeur de production pour la société Digital District le 28 septembre 2018 sans contrat de travail écrit pour la réalisation du film ‘Le dernier voyage de Paul W. R.’ et que cette société l’a mis à disposition de la société Apaches, les deux sociétés ayant assuré la coproduction du film, précisant que M. [L] [E], président de la société Digital District est par ailleurs associé de la société Apaches, dirigée par Mme [B] [A] et que les deux entités sont situées à la même adresse ;
– la relation de travail s’est poursuivie au-delà du terme du contrat de travail à durée déterminée d’usage conclu le 22 octobre 2018, pendant une durée de dix mois sans interruption ;
– son donneur d’ordres et de directives était bien la société Digital District et non la société Apaches.
Il réclame en conséquent le versement d’une indemnité de requalification, un rappel de salaire sur la base d’un contrat de travail à temps complet suivant le salaire minimum applicable résultant de la convention collective nationale des entreprises techniques au service de la création et de l’événement du 21 février 2008 pour un montant de 24 950 euros outre les congés payés afférents et l’indemnisation de la rupture abusive du contrat de travail intervenue par un simple mail le 19 juillet 2019 (indemnité compensatrice de préavis et congés payés afférents, indemnité conventionnelle de licenciement et indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse).
La société conclut au débouté des demandes de l’appelant en faisant valoir que :
– en dehors des deux jours de travail exécutés dans le cadre du contrat à durée déterminée d’usage, M. [Y] n’a jamais effectué le moindre travail pour son compte et sous son autorité et elle ne l’a jamais mis à disposition de la société Apaches, relevant que ce n’est que le 7 octobre 2019, postérieurement au départ de M. [Y], qu’elle a signé un contrat de coproduction avec la société Apaches, qui n’avait elle-même acquis les droits d’exploitation de l’oeuvre auprès de la société Mezzanine que le 8 avril 2019 ;
– les courriels produits par l’appelant lui-même démontrent qu’en réalité, la paternité de l’intervention de M. [Y] dans le projet de production du film en cause revient bien aux sociétés Apaches et Mezzanine et non à elle-même qui, depuis l’origine, ne devait intervenir qu’au stade de la post-production du long métrage et en particulier sur les effets spéciaux ;
– ces courriels démontrent que l’activité de M. [Y] était supervisée par Mme [A] au nom de la société Apaches qui dirigeait seule le projet et que c’est d’ailleurs à celle-ci qu’il a imputé la paternité et la cessation de leurs relations professionnelles dans un courriel du 19 juillet 2019 et qu’il a adressé une mise en demeure pré-contentieuse ;
– qu’il n’a en tout état de cause jamais été affecté à temps complet à l’élaboration du budget de ce film, étant relevé que son propre planning ne mentionne aucune activité entre décembre 2018 et février 2019 et qu’il en résulte une occupation à hauteur d’un tiers-temps.
L’existence d’une relation de travail salariée ne dépend ni de la volonté exprimée par les parties ni de la dénomination qu’elles ont donnée à leur convention mais des conditions de fait dans lesquelles est exercée l’activité du travailleur.
Il appartient à celui qui se prévaut d’un contrat de travail de rapporter la preuve qu’il exécute une prestation de travail en contrepartie d’une rémunération sous la subordination juridique de l’employeur.
Le lien de subordination est caractérisé par l’exécution d’un travail sous l’autorité d’un employeur qui a le pouvoir de donner des ordres et des directives, d’en contrôler l’exécution et de sanctionner les manquements de son subordonné.
Au soutien de son argumentation, l’appelant produit de nombreux courriels professionnels échangés entre le 28 septembre 2018 et le 19 juillet 2019, un planning de travail établi par ses soins mentionnant les heures de travail réalisées du 5 octobre 2018 au 19 juillet 2019 et des documents démontrant selon lui les tâches qu’il a réalisées.
Il ressort de l’examen attentif de ces pièces que la quasi-intégralité des courriels versés aux débats concernent essentiellement des échanges entre la société Apaches, en la personne de Mme [B] [A], sa présidente ou de son assistant, M. [D] [X], et M. [Y], précision faite que l’activité de la société Apaches est la production de films et de programmes pour le cinéma et la fabrication et la commercialisation de produits dérivés.
Ainsi, le premier courriel datant du 28 septembre 2018 ayant comme objet : ‘Paul W. R. – Dossier artistique scénario + Teaser’ a été adressé par M. [X] à M. [Y] et indique : ‘Bonjour [I], Je suis [D], l’assistant de [B] [A]. Vous trouverez ci-joint le dossier artistique de Paul W. R. qui inclut le scénario du long métrage. Aussi, voici le lien vers le teaser (…)’.
Le deuxième courriel ayant comme objet : ‘Minutage et bloc de décors Le dernier voyage de Paul W. R.’ est adressé par M. [Y] le 9 octobre 2018 à Mme [A] et est rédigé en ces termes : ‘Très sympa et enrichissante la réunion de lundi, belle rencontre et bonnes discussions. Le projet est vraiment ambitieux, nouveau et très artistique. Avant d’entamer le devis on a plusieurs choses à faire avant de définir comment et où sera tourné le film (…)’.
Suivent de nombreux courriels envoyés par M. [Y] à Mme [A] et des courriels adressés par Mme [A] à M. [Y], jusqu’en juillet 2019, formulant des demandes, tous en lien avec des tâches relatives à la production du film.
Par exemple, Mme [A] écrit-elle le 18 novembre 2018 à M. [Y] : ‘Merci de ne pas mettre [R] [V] (de la société Mezzanine, également société de production) en copie de nos échanges sans rentrer dans le détail. Nous sommes actuellement en négo co-dev et j’avance seule à ce jour sur Paul (…). Par ailleurs, quand penses-tu être en mesure de nous envoyer un devis prévisionnel valide avec prise en compte du brief initial qui incluait plus de tournage Maroc et/ou pays de l’est/alternatives charges sociales etc.(…)’, ce dont il ressort que Mme [A] indique clairement à M. [Y] ‘avancer seule’ sur la production du film en cause.
Mme [A] formule encore des demandes précises à M. [Y], par exemple par courriel du 29 mars 2019 : ‘(…) Côté déco au vu du call de tout à l’heure es tu en mesure de réaffiner’ (…) D’autres idées pour 1er assistant MES profil Maroc’ Faut qu’on boost… Si tu peux m’envoyer un global avec tout ce WE et qu’on s’en parle lundi stp”.
Le 2 avril 2019, M. [X] écrit-il à M. [Y] en ces termes : ‘Je suis en train de monter le dossier CNC de Paul W. R. pour le dépôt à l’Avance sur Recette lundi prochain, 8 avril. Il va falloir joindre un devis estimatif du projet (matrice du CNC en PJ). Peux-tu nous envoyer d’ici demain soir / jeudi matin ton devis'(…)’.
Le 26 avril 2019, M. [X] demande à M. [Y] un plan de financement ‘en début de semaine prochaine pour le dépôt’.
Le 3 juin 2019, Mme [A] envoie un courriel à Mme [P] [W] en indiquant : ‘Je mets [I] [Y] directeur de production dans la boucle (…) Nous vous recontacterons une fois le financement garanti’.
Le 8 juillet 2019, Mme [A] écrit à M. [G] [H], réalisateur du film en cause : ‘(…) [I] ([Y]) et moi on challenge tout le monde (…)’.
Le 8 juillet 2019, M. [X] adresse à divers interlocuteurs dont Mme [A] et M. [Y] un listing technique relatif au film mentionnant en équipe de production : [B] [A], productrice / Apaches, [I] [Y], directeur de production et [D] [X], assistant de production et en équipe VFX (effets spéciaux) / Post-production : Digital District avec notamment [L] [E], directeur.
Mme [A] continue à formuler des demandes de tâches à M. [Y], notamment par courriels des 8 et 9 juillet 2019.
A partir du 10 juillet 2019, la société Digital District est mentionnée en qualité de coproducteur dans un document de travail comportant un tableau intitulé ‘plan de financement’.
Le 13 juillet 2019, Mme [A] envoie un courriel à un ensemble d’interlocuteurs dans lequel elle écrit : ‘Ce mail, pour vous introduire [K] [S], qui nous rejoint pour tout juillet sur le film afin de nous aider sur l’optimisation et la prépa de Paul W. R. [I] étant pris pour raison familiale en juillet, vu avec lui, nous avons besoin d’une personne active non stop à partir de lundi (…)’.
Le 19 juillet 2019, Mme [A] écrit en ces termes à M. [Y] : ‘Hello [I], Je t’écris au plus vite pour ne pas te bloquer sur les mois à venir. [K] est au bureau depuis lundi et nous permet d’avancer très rapidement et blinder un max de choses incluant tax shelter / crédit d’impôts / prépa et optimisation poste par poste dans le détail. Du coup je vais continuer avec lui. Nous avons démarré en fait.. Je ne pouvais plus attendre. J’espère que tu comprendras. Si nous arrivons à faire ce film je te créditerais + Petit clin d’oeil en NDF si je peux. Pour le moment on lance mais c’est raide hors post prod et frais producteurs !! quel métier 🙂 Je t’embrasse et c’est à contre-coeur.. On se retrouvera pour d’autres aventures j’en suis sûre’.
Le même jour, M. [Y] lui répond en ces termes : ‘C’est un peu dur à avaler comme explication, je travaille pour toi depuis plusieurs mois et je t’avais bien expliqué que je ne serai disponible qu’à partir du mois d’août. J’ai aussi attendu que ton film soit financé sans demander de salaire même pour le devis pour lequel habituellement je demande 2 semaines de salaire. Donc voilà je pense que si nous nous séparions maintenant tu me dois 2 semaines de salaire pour tout le travail que j’ai fourni depuis plusieurs moi (Sic)(…)’.
Dans un autre courriel du 19 juillet 2019, M. [Y] écrit à Mme [A] : ‘Tes explications justifiant la rupture de tes engagements à mon égard sont incompréhensibles et irrespectueux au regard du travail matériel que j’ai accompli. Depuis précisément le 28 septembre 2018 , tu as sollicité mes services ainsi qu’en témoignent les nombreux mails et textos que nous avons échangés depuis. Ils attestent, s’il en est besoin, des différentes tâches que tu m’as confiées et du long travail de préparation que j’ai accompli (multiples devis, plans de travail, minutages, rendez-vous fournisseurs, recherche de décors, réunions de travail, etc…). Tu insinues aujourd’hui que ce travail n’a aucune valeur alors que cette collaboration dure depuis plus de 8 mois (…). Force est de constater que tu n’as pas l’intention de me rémunérer et que tu n’as peut-être jamais envisagé de le faire. Je comprends mieux pourquoi le contrat de travail que tu t’étais engagé à me communiquer conformément à nos accords ne m’est jamais parvenu malgré mes relances. Notre convention de rémunération était à 2 500 euros par semaine en période de préparation. Sur la base des sept semaines de travail fournis, c’est d’un montant de 17 500 euros qu’il y a lieu de m’indemniser (…)’, M. [Y] laissant un délai à Mme [A] avant de lui indiquer envisager une voie contentieuse avec l’assistance d’un avocat.
Par ailleurs, la cour relève que dès le 9 octobre 2018, M. [Y] se présente comme ‘directeur de production Apaches & Mezzanine’ ou ‘directeur de production Apaches’ dans les courriels qu’il envoie à ses interlocuteurs, sans jamais mentionner la société Digital District.
Contrairement à ce qu’indique M. [Y] dans ses écritures, M. [L] [E], président de la société Digital District, dont l’activité est la suivante : ‘société de prestation de service en production cinématographique et audiovisuelle, post-production, création publicitaire, animation, création audiovisuelle en général’, n’est mentionné en copie que de quelques courriels épars sur toute la période considérée, les échanges relatifs à la production du film étant réalisés entre M. [Y] et la société Apaches.
Force est de constater qu’aucun écrit de la société Digital District à destination de M. [Y] n’est produit aux débats, ce qui ne permet pas de retenir que cette société aurait donné des ordres et des directives à M. [Y], en aurait contrôlé l’exécution, voire aurait sanctionné des manquements de celui-ci, alors qu’il ressort clairement du courriel de Mme [A] du 19 juillet 2019 que la société Apaches est à l’origine de la rupture des relations avec M. [Y], ce que celui-ci exprime de manière très claire. Le fait qu’une réunion de travail a eu lieu le 8 octobre 2018 dans des locaux de la société Digital District avec la société Apaches ou que M. [Y] ait envoyé un courriel le 4 mars 2019 indiquant n’avoir eu aucun retour d’une note de frais envoyée chez Digital District en février 2019, sans plus de précision, n’est pas suffisant à établir l’existence d’un lien de subordination entre M. [Y] et la société Digital District.
Il n’est pas plus produit de pièce permettant de retenir une quelconque mise à disposition de M. [Y] de la société Digital District auprès de la société Apaches, ces deux sociétés étant bien distinctes l’une de l’autre, avec des dirigeants et des activités différentes, la qualité d’associé de M. [E] de la société Apaches étant indifférente à cet égard. L’affirmation de M. [Y] selon laquelle Mme [A] intervenait au nom des deux sociétés, Apaches et Digital District, ne repose sur strictement aucune pièce.
Il ressort des explications fournies par la société Digital Production, non véritablement contestées par M. [Y], que les sociétés Apaches et Mezzanine se sont rapprochées à compter du mois de septembre 2018 afin de se lancer dans la production du film en cause, les tâches premières ayant alors consisté à établir le coût global de réalisation du film en établissant son budget poste par poste dans le but de pouvoir dans un second temps réunir le financement nécessaire à sa production. Cette allégation est en effet vérifiée par la lecture des différents courriels produits par M. [Y] qui attestent des tâches accomplies par celui-ci dans ce cadre.
Il ressort encore des explications et pièces produites par la société Digital District que la société Mezzanine n’est plus intervenue sur le projet à partir de la mi-novembre 2018 et que par contrat daté du 8 avril 2019, la société Mezzanine a cédé à la société Apaches les droits d’exploitation du film qu’elle avait précédemment acquis auprès de son auteur réalisateur, M. [G] [H].
La société Digital District explique encore que, disposant d’une expertise reconnue en matière de post-production (VFX, effets spéciaux), les sociétés Apaches et Mezzanine se sont tournées vers elle afin d’évaluer au démarrage du projet le coût de la réalisation des effets spéciaux du film, poste prééminent au regard du registre de science-fiction dans lequel s’inscrit celui-ci et que c’est dans ce cadre qu’elle a confié à M. [Y] par contrat à durée déterminée d’usage des 22 et 23 octobre 2018 des tâches de directeur de production, au titre du premier chiffrage du budget du film s’agissant des effets spéciaux.
La société précise encore qu’à partir du mois de juillet 2019, il a commencé à être évoqué au moment du bouclage du budget final du film dont la société Apaches ne parvenait pas à réunir le financement nécessaire, qu’elle pourrait jouer avec d’autres sociétés (Vendôme Production, Free TV, Belga Films, BE TV, RTBF) un rôle de coproduction alors évalué à hauteur de 200 Keuros, soit 6 % seulement du budget total de production du film, chiffré à l’époque à 3 255 Keuros. Cette allégation est vérifiée par la lecture des courriels produits par M. [Y] échangés en juillet 2019.
La société ajoute que ce n’est qu’en toute fin, qu’elle a endossé, à part minoritaire et avec d’autres sociétés, un rôle de coproduction, se traduisant, non par un financement sec, mais par la quasi-non-facturation du coût de la post-production du film, dans la mesure où la société Apaches n’étant pas parvenue à réunir le financement nécessaire, qu’un nouveau budget a été rebâti en septembre 2019 et a donné lieu à un contrat de coproduction et à un contrat de prestation de service entre les sociétés Apaches et Digital District, signés le 7 octobre 2019. Aux termes du contrat de coproduction, produit aux débats en appel, la société Digital District s’est engagée à réaliser les effets spéciaux et la post-production du film pour un montant de 771 Keuros HT, étant relevé que la société Apaches qui endossait le double rôle de producteur délégué et de producteur exécutif supportait 75 % du coût de la production du film. La cour relève ici que ces faits sont bien postérieurs à la période en litige, soit entre septembre 2018 et juillet 2019.
Au regard des constatations qui précèdent, force est de constater que M. [Y] ne parvient pas à démontrer l’existence d’un lien de subordination avec la société Digital District sur la période considérée, hormis la période du contrat de travail à durée déterminée des 22 et 23 octobre 2018.
Dans ces conditions, il ne peut être fait droit à sa demande de reconnaissance de l’existence d’un contrat de travail à durée indéterminée avec la société Digital District et aux demandes pécuniaires consécutives au titre du rappel de salaire et des indemnités de rupture sollicitées. Le jugement sera confirmé sur ces points.
Sur les circonstances brutales et vexatoires entourant la rupture du contrat de travail
M. [Y] fait valoir qu’après avoir travaillé pendant dix mois pour la préparation d’un long métrage, il s’est trouvé brutalement évincé lorsque le projet se concrétisait, dans des circonstances vexatoires, et réclame l’indemnisation de son préjudice à hauteur de 5 000 euros.
La société conclut au débouté de cette demande.
Eu égard aux développements précédents, la cour ne dispose pas d’élément permettant d’imputer à la société Digital District les manquements que lui reproche M. [Y] au titre des circonstances brutales et vexatoires entourant la rupture d’un contrat de travail.
Il convient de le débouter de sa demande de dommages et intérêts à ce titre et de confirmer le jugement sur ce point.
Sur l’indemnité forfaitaire pour travail dissimulé
M. [Y] fait valoir que l’existence d’une situation de travail dissimulé dont il a été victime n’est pas contestable au regard de l’absence de déclaration préalable à l’embauche au 28 septembre 2018, de l’absence de bulletins de paie délivrés sur les dix mois de la relation de travail, de l’absence de déclarations de salaires auprès des organismes de sécurité sociale et de l’administration fiscale et du nombre d’heures effectivement réalisées n’ayant fait l’objet d’aucun bulletin de paie, ni déclaration administrative. Il réclame en conséquence une indemnité forfaitaire pour travail dissimulé à hauteur de six mois de salaire.
La société ne fait pas valoir d’élément en réplique à cette demande.
Ainsi que sus-indiqué, en l’absence de tout contrat de travail à durée indéterminée entre M. [Y] et la société Digital District sur la période considérée, son argumentation relative à l’existence d’une situation de travail dissimulée n’est pas fondée.
Il convient de le débouter de sa demande de dommages et intérêts à ce titre et de confirmer le jugement sur ce point.
Sur les dépens et les frais irrépétibles
Eu égard à la solution du litige, il convient de confirmer le jugement en ce qu’il statue sur les dépens et les frais irrépétibles.
M. [Y] sera condamné aux dépens d’appel et devra payer la somme de 500 euros à la société Digital District sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile à hauteur d’appel.
La cour,
CONFIRME le jugement en toutes ses dispositions,
Y ajoutant,
CONDAMNE M. [I] [Y] aux dépens d’appel,
CONDAMNE M. [I] [Y] à payer à la société Digital District la somme de 500 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,
DÉBOUTE les parties des autres demandes.
LE GREFFIER LA PRÉSIDENTE