Your cart is currently empty!
COUR D’APPEL
DE
VERSAILLES
Code nac : 80A
17e chambre
ARRET N°
CONTRADICTOIRE
DU 27 SEPTEMBRE 2023
N° RG 21/03801 –
N° Portalis DBV3-V-B7F-U5GD
AFFAIRE :
[B] [R]
C/
S.A.S. TOTALENERGIES MARKETING SERVICES
Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 29 novembre 2021 par le Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de MANTES LA JOLIE
Section : E
N° RG : F 21/00122
Copies exécutoires et certifiées conformes délivrées à :
Me Jonathan BELLAICHE
Me Philippe RAYMOND
le :
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
LE VINGT SEPT SEPTEMBRE DEUX MILLE VINGT TROIS,
La cour d’appel de Versailles a rendu l’arrêt suivant dans l’affaire entre :
Madame [B] [R]
née le 17 octobre 1966 à [Localité 4]
de nationalité Française
[Adresse 2]
[Adresse 2]
Représentant : Me Jonathan BELLAICHE de la SELEURL GOLDWIN SOCIETE D’AVOCATS, Plaidant/Postulant, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : K0103
APPELANTE
****************
S.A.S. TOTALENERGIES MARKETING SERVICES
N° SIRET : 542 034 921
[Adresse 1]
[Adresse 1]
Représentant : Me Philippe RAYMOND de la SELARL SELARL PRK & Associes, Plaidant/Postulant, avocat au barreau de PARIS,
vestiaire : P0312
INTIMEE
****************
Composition de la cour :
En application des dispositions de l’article 805 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue à l’audience publique du 9 juin 2023 les avocats des parties ne s’y étant pas opposés, devant Monsieur Laurent BABY, Conseiller chargé du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Madame Aurélie PRACHE, Président,
Monsieur Laurent BABY, Conseiller,
Madame Nathalie GAUTIER, Conseiller,
Greffier lors des débats : Madame Marine MOURET,
RAPPEL DES FAITS ET DE LA PROCÉDURE
Mme [R] a été engagée par la société Total SA par contrat de travail à durée indéterminée, à compter du 15 novembre 2004 prenant effet au 1er mars 2005, puis avancé au 1er janvier 2005.
Le 15 octobre 2007, la salariée a signé avec la société Total France, aux droits de laquelle est venue la Société Total Marketing Services, puis la Société TotalEnergies Marketing Services, un contrat de travail à durée indéterminée avec reprise de son ancienneté au 1er mai 2005, à compter du 1er novembre 2007, en qualité de responsable support gouvernance SI.
Cette société est spécialisée dans le commerce et la distribution de toutes énergies. L’effectif de la société était, au jour de la rupture, de plus de 50 salariés. Elle applique la convention collective nationale de l’industrie du pétrole.
Le 3 juillet 2014, elle a été prise en charge à compter du 1er juin 2014, à 100%, par l’assurance maladie pour une affection de longue durée.
Le 15 décembre 2014, à l’occasion de la visite de reprise de la salariée, le médecin du travail a déclaré la salariée apte à une reprise à mi-temps.
Au début de l’année 2015, la salariée a repris son travail en mi-temps thérapeutique.
Du 7 février 2015 au 31 janvier 2017, la salariée s’est trouvée régulièrement en arrêt de travail (en février, mai, août, novembre, décembre 2015, en mars, mai, juin, août et octobre 2016).
Le 10 novembre 2016, elle a sollicité une rupture conventionnelle de son contrat de travail, refusée par son employeur.
Le 11 août 2017, la salariée a été déclarée inapte avec possibilité de reclassement.
La société a consulté le médecin du travail et les délégués du personnel.
Le 18 octobre 2017, la société a proposé à la salariée deux postes qu’elle a refusés le 21 octobre 2017.
Par lettre du 26 octobre 2017, la salariée a été convoquée à un entretien préalable en vue d’un éventuel licenciement, fixé le 6 novembre, reporté au 20 novembre 2017. Elle ne s’est pas présentée à cet entretien.
La salariée a été licenciée par lettre du 27 novembre 2017 pour inaptitude et impossibilité de reclassement dans les termes suivants :
« (‘) A la suite de deux visites médicales en dates des 4 août et 11 août 2017, vous avez été déclarée inapte à votre poste de travail.
Lors de la visite médicale en date du 4 août 2017, le médecin du travail a précisé son avis comme suit :
« Ne peut travailler ce jour, doit consulter son médecin traitant. Une étude de poste et des conditions de travail va être réalisée prochainement. Prochaine consultation 11 août à 14h00 avec les éléments médicaux complémentaires demandés ce jour. »
Lors de la visite médicale en date du 11 août 2017, vous avez été déclarée « inapte au poste avec recherche de reclassement à un autre poste » et le médecin du travail a précisé son avis comme suit :
« A la suite de l’étude de poste et des conditions de travail réalisée le 4 août, après relecture de la fiche entreprise rédigée le 9 novembre 2016, après échanges avec l’employeur (direction informatique et direction RH), le 04 août et le 10 août, au vu des résultats complémentaires fournis par la salariée : Mme [B] [R] est médicalement inapte au poste de responsable méthodes et gouvernance à la direction des systèmes d’information. Elle pourrait effectuer des tâches administratives nécessitant peu d’effort de concentration et de mémorisation, sur un rythme peu soutenu et à temps très partiel.
Son état de santé lui permettrait de suivre ‘ avec difficulté ‘ une formation peu exigeante, compatible avec les éléments mentionnés précédemment (peu d’efforts de concentration et de mémorisation, rythme peu soutenu, temps de travail très partiel »
Compte tenu des réserves et préconisations émises par le médecin du travail, nous avons recherché les possibilités de reclassement dans l’entreprise et dans les entreprises du groupe.
Nous avons, en date des 25 septembre et 12 octobre 2017 recueilli l’avis des délégués du personnel sur les postes de reclassement que nous étions en mesure de vous proposer, le médecin du travail nous ayant confirmé par mail en date du 13 septembre 2017 que ces propositions de poste étaient conformes à ses recommandations.
Nous vous avons par la suite, par courrier en date du 18 octobre 2017 présenté les postes de reclassement en conformité avec les recommandations du médecin du travail, que nous étions en mesure de vous proposer et convié à un entretien prévu le 30 octobre 2017 afin de faire le point sur votre dossier et les recherches de reclassement effectuées.
Par courrier en date du 21 octobre 2017, vous nous avez précisé que vous ne souhaitiez pas vous présenter à cet entretien et que vous refusiez les postes proposés.
Nous sommes en conséquence contraints de vous notifier par la présente votre licenciement pour inaptitude à votre poste de chef de service méthode, gouvernance et reporting et impossibilité de reclassement sans autres reclassements possibles que ceux qui vous ont été proposés et que vous avez refusés.
Votre état de santé ne permettant pas l’exécution d’un préavis, la date de rupture de votre contrat de travail sera effective à la date de la premie’re présentation de la présente lettre recommandée valant notification de licenciement. (‘) »
Le 23 mars 2018, Mme [R], contestant son licenciement, a saisi le conseil de prud’hommes de Nanterre à l’effet d’obtenir le paiement de dommages-intérêts pour violation par son employeur de l’obligation de santé de sécurité, ainsi qu’en réparation du préjudice causé par l’absence de cause réelle et sérieuse de son licenciement, outre une indemnité sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.
Le 22 février 2021, le conseil de prud’hommes de Mantes-la-Jolie a été saisi consécutivement à l’ordonnance de dessaisissement du Premier président de la cour d’appel de Versailles du 19 janvier 2021.
Par jugement du 29 novembre 2021, le conseil de prud’hommes de Mantes-la-Jolie (section encadrement) a :
– débouté Mme [R] de l’ensemble de ses demandes,
– condamné Mme [R] en tous les de’pens.
Par déclaration adressée au greffe le 23 décembre 2021, Mme [R] a interjeté appel de ce jugement.
Une ordonnance de clôture a été prononcée le 9 mai 2023.
PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES
Vu les dernières conclusions transmises par voie électronique le 29 juillet 2022, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé des moyens et prétentions conformément à l’article 455 du code de procédure civile et aux termes desquelles Mme [R] demande à la cour de :
– la déclarer recevable et bien fonde’e en son appel et en ses pre’tentions,
– infirmer le jugement rendu le 29 novembre 2021 par le conseil de prud’hommes de Mantes-la-Jolie (RG n° F 21/00122) en ce qu’il l’a :
. déboutée de l’ensemble de ses demandes,
. condamnée en tous les de’pens,
et, en conse’quence, statuant a’ nouveau,
– prononcer l’absence de cause re’elle et se’rieuse du licenciement pour inaptitude,
– condamner la socie’te’ TotalEnergies Marketing Services a’ lui verser les sommes suivantes :
. 5 000 euros au titre de la violation par l’employeur de son obligation de sante’ et de se’curite’,
. 108 881,52 euros a’ titre d’indemnite’ pour licenciement cause re’elle et se’rieuse,
. 29 694,96 euros a’ titre d’indemnite’ compensatrice de pre’avis, outre 2 969,49 euros de conge’s paye’s y affe’rents,
– condamner la socie’te’ TotalEnergies Marketing Services aux inte’rêts le’gaux sur toutes les sommes auxquelles elle sera condamne’e a’ payer et prononcer la capitalisation des inte’rêts,
– condamner la socie’te’ TotalEnergies Marketing Services a’ lui verser la somme de 5 000 euros au titre de l’article 700 du code de proce’dure civile, ainsi que les entiers de’pens d’appel et de premie’re instance,
– débouter la socie’te’ TotalEnergies Marketing Services de l’ensemble de ses demandes, fins et conclusions.
Vu les dernières conclusions transmises par voie électronique le 23 août 2022, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé des moyens et prétentions conformément à l’article 455 du code de procédure civile et aux termes desquelles la société TotalEnergies Marketing Services demande à la cour de :
– de’clarer l’appel interjete’ par Mme [R] irrecevable et mal fonde’,
– confirmer le jugement attaque’ du 29 novembre 2021 du conseil de prud’hommes de Mantes-la-Jolie en toutes ses dispositions,
– de’clarer, en tout e’tat de cause, irrecevables et mal fonde’es les demandes nouvelles affe’rentes a’ une indemnite’ compensatrice de pre’avis et a’ une indemnite’ de conge’s paye’s sur pre’avis,
– de’bouter Mme [R] de toutes ses demandes,
– condamner Mme [R] a’ la somme de 5 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de proce’dure civile.
MOTIFS
Sur la fin de non-recevoir tirée de l’absence de critique de la décision attaquée
L’employeur expose que l’appelante « ne développe pas dans ses écritures une critique utile, en fait et en droit, du jugement attaqué du 29 novembre 2021 ».
La salariée ne réplique pas sur ce point.
***
L’article 954 du code de procédure civile prescrit que « les conclusions d’appel contiennent, en en-tête, les indications prévues à l’article 961. Elles doivent formuler expressément les prétentions des parties et les moyens de fait et de droit sur lesquels chacune de ces prétentions est fondée avec indication pour chaque prétention des pièces invoquées et de leur numérotation. Un bordereau récapitulatif des pièces est annexé.
Les conclusions comprennent distinctement un exposé des faits et de la procédure, l’énoncé des chefs de jugement critiqués, une discussion des prétentions et des moyens ainsi qu’un dispositif récapitulant les prétentions. Si, dans la discussion, des moyens nouveaux par rapport aux précédentes écritures sont invoqués au soutien des prétentions, ils sont présentés de manière formellement distincte.
La cour ne statue que sur les prétentions énoncées au dispositif et n’examine les moyens au soutien de ces prétentions que s’ils sont invoqués dans la discussion.
Les parties doivent reprendre, dans leurs dernières écritures, les prétentions et moyens précédemment présentés ou invoqués dans leurs conclusions antérieures. A défaut, elles sont réputées les avoir abandonnés et la cour ne statue que sur les dernières conclusions déposées.
La partie qui conclut à l’infirmation du jugement doit expressément énoncer les moyens qu’elle invoque sans pouvoir procéder par voie de référence à ses conclusions de première instance.
La partie qui ne conclut pas ou qui, sans énoncer de nouveaux moyens, demande la confirmation du jugement est réputée s’en approprier les motifs. ».
En l’espèce, les conclusions d’appel de la salariée formulent expressément ses prétentions et les moyens de fait et de droit sur lesquels chacune de ces prétentions est fondée avec indication pour chaque prétention des pièces invoquées et de leur numérotation. Ses conclusions comprennent distinctement un exposé des faits et de la procédure, l’énoncé des chefs de jugement critiqués, une discussion des prétentions et des moyens ainsi qu’un dispositif récapitulant les prétentions.
Au contraire des allégations de l’employeur, la salariée développe bien dans ses écritures une critique utile, aussi bien en fait et en droit, du jugement soumis à la censure de la cour.
La fin de non-recevoir sera donc rejetée.
Sur l’obligation de sécurité
La salariée explique qu’elle était cadre et occupait un poste à hautes responsabilités, ce qui était source de stress, et qu’en mars 2013, un nouveau poste lui a été proposé. Elle fait valoir qu’en juin 2013, l’employeur a mis fin au processus de mutation pour lui préférer un autre salarié et que cette décision l’a profondément affectée ce qui a eu une incidence sur sa santé. Elle ajoute qu’en janvier 2014, elle a demandé une nouvelle affectation, ce qui lui a été refusé par l’employeur. Elle expose qu’elle a été hospitalisée pour la première fois en mai 2014 puis qu’elle a fait l’objet de multiples arrêts de travail en 2015 et en 2016 sans que cela n’alerte l’employeur, lequel ne lui a proposé aucune mesure. La salariée soutient encore qu’elle devait effectuer les horaires préconisés par le médecin du travail en décembre 2014 et qu’elle devait revoir le médecin du travail un mois après ; qu’or, non seulement elle n’a pas revu le médecin du travail mais en outre, la société a cessé l’application des horaires aménagés sans s’interroger sur son état de santé alors qu’à chacun de ses retours dans l’entreprise, sa santé mentale et physique se dégradait. Elle soutient que dans ce contexte, elle a souhaité obtenir une rupture conventionnelle, fin 2016, mais que l’employeur a refusé, préférant lui suggérer de prolonger son arrêt maladie jusqu’au mois d’août 2017, date à laquelle elle a effectué une visite de reprise à l’occasion de laquelle elle a été déclarée inapte.
Selon la salariée, ces faits font ressortir un contexte général caractérisant un comportement et une inertie fautive de l’employeur qui a violé l’article L. 4121-1 du code du travail et son obligation de sécurité de résultat en ne mettant en place aucune mesure de prévention ni aucune disposition afin de lui permettre de reprendre un poste dans la société de manière sereine.
En réplique, l’employeur conteste tout manquement à son obligation de sécurité et explique que la maladie de la salariée est sans lien avec ses conditions de travail, que le seul fait qu’elle n’ait pas choisi la salariée pour occuper le poste sur lequel elle avait candidaté en juin 2013 relève de son pouvoir de direction et ne caractérise pas un manquement à son obligation de sécurité. L’employeur ajoute qu’au mois de décembre 2014, le médecin du travail a préconisé un aménagement d’horaires ‘ ce qui a été fait ‘ et que si, effectivement, la salariée n’a pas revu le médecin du travail au début de l’année 2015, il demeure que la salariée a de nouveau été en arrêt de travail à compter du 7 février 2015. L’employeur soutient qu’il s’est toujours conformé aux arrêts de travail puis à l’avis du médecin du travail en recherchant une solution de reclassement en concertation avec lui.
***
En vertu du contrat de travail le liant à son salarié, l’employeur est tenu envers celui-ci d’une obligation de sécurité qui n’est pas une obligation de résultat mais une obligation de moyen renforcée, l’employeur pouvant s’exonérer de sa responsabilité s’il justifie avoir pris toutes les mesures prévues par les articles L. 4121-1 et L. 4121-2 du code du travail.
Ces articles disposent :
Article L. 4121-1 : « L’employeur prend les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs.
Ces mesures comprennent :
1° Des actions de prévention des risques professionnels et de la pénibilité au travail ;
2° Des actions d’information et de formation ;
3° La mise en place d’une organisation et de moyens adaptés.
L’employeur veille à l’adaptation de ces mesures pour tenir compte du changement des circonstances et tendre à l’amélioration des situations existantes. »
Article L. 4121-2 « L’employeur met en ‘uvre les mesures prévues à l’article L. 4121-1 sur le fondement des principes généraux de prévention suivants :
1° Éviter les risques ;
2° Évaluer les risques qui ne peuvent pas être évités ;
3° Combattre les risques à la source ;
4° Adapter le travail à l’homme, en particulier en ce qui concerne la conception des postes de travail ainsi que le choix des équipements de travail et des méthodes de travail et de production, en vue notamment de limiter le travail monotone et le travail cadencé et de réduire les effets de ceux-ci sur la santé ;
5° Tenir compte de l’état d’évolution de la technique ;
6° Remplacer ce qui est dangereux par ce qui n’est pas dangereux ou par ce qui est moins dangereux ;
7° Planifier la prévention en y intégrant, dans un ensemble cohérent, la technique, l’organisation du travail, les conditions de travail, les relations sociales et l’influence des facteurs ambiants, notamment les risques liés au harcèlement moral et au harcèlement sexuel, tels qu’ils sont définis aux articles L. 1152-1 et L. 1153-1 ;
8° Prendre des mesures de protection collective en leur donnant la priorité sur les mesures de protection individuelle ;
9° Donner les instructions appropriées aux travailleurs. »
En l’espèce, le fait que l’employeur ait préféré, en juin 2013, la candidature d’un autre salarié à celle de Mme [R] ne relève que de sa seule autorité et la salariée ne présente de ce chef aucun argument de nature à montrer que l’employeur ait outrepassé son pouvoir de direction.
De même, la salariée ne produit aucun élément propre à établir le lien entre la maladie
auto-immune qu’elle a contractée et ses conditions de travail.
Comme rappelé dans l’exposé des faits constants, la salariée a fait l’objet d’une hospitalisation en mai 2014 (du 12 au 19 mai 2014), puis a fait l’objet d’un arrêt de travail par la suite (cf sa pièce 9 ‘ protocole de soins du 12 juin 2014 faisant état d’une durée prévisible de l’arrêt de travail de 3 mois). Il ressort de l’avis d’aptitude médicale du 15 décembre 2014 que l’arrêt de travail de la salariée a duré jusqu’au mois de décembre 2014. Dans son avis d’aptitude, le médecin du travail concluait ainsi : « apte à une reprise à mi-temps dans le cadre d’un temps partiel thérapeutique, en travaillant les lundi, mardi, jeudi et vendredi de 10h00 à 16h00, au poste de responsable du service gouvernance et méthodes. A revoir dans 1 mois ».
Par lettre du 6 janvier 2015, l’employeur a confirmé à la salariée « les modalités de [son] activité à temps partiel thérapeutique. Celui-ci a pris effet le 8 décembre 2014 et cessera au moment de la reprise de [son] activité à temps plein ou d’un nouvel arrêt pour maladie. ».
Il n’est pas contesté que ces modalités ont été appliquées durant le mois de janvier 2015.
Sans être contestées sur ce point par l’employeur, ces modalités ont cessé d’être appliquées après le mois de janvier 2015. Il importe peu qu’en février 2015 la salariée ait été placée en arrêt de travail, dès lors que cet arrêt de travail n’a pas été continu jusqu’à la rupture. En effet, il ressort des débats que la salariée a repris le travail à temps plein alors pourtant que le médecin du travail avait prescrit un temps partiel thérapeutique qui aurait dû s’appliquer tant que ce médecin n’avait pas estimé qu’une reprise à temps plein était compatible avec l’état de santé de la salariée. Or, alors que le médecin du travail avait souhaité revoir la salariée « dans un mois », aucune visite n’a été organisée pour vérifier s’il était ou non possible pour la salariée de reprendre à temps plein.
En cela l’employeur, qui aurait dû organiser une visite auprès du médecin du travail avant de demander à la salariée de travailler à nouveau à temps plein, a méconnu son obligation de sécurité par absence de « mise en place d’une organisation et de moyens adaptés ».
Il en est résulté pour la salariée un préjudice qui sera réparé par une indemnité de 3 000 euros. Infirmant le jugement, l’employeur sera condamné à payer à la salariée la somme ainsi arrêtée avec intérêts au taux légal à compter du présent arrêt.
Sur la rupture
La salariée se fonde sur l’article L. 1226-2 du code du travail. Elle rappelle qu’elle a été déclarée inapte avec recherche de reclassement à un autre poste le 11 août 2011 et qu’il appartient à la société d’apporter la preuve de la réalité des recherches de reclassement et de son impossibilité de reclasser la salariée ; qu’à ce titre, la société doit justifier d’une recherche sérieuse de reclassement dans l’ensemble des entités du groupe. Elle expose que le courriel de recherche de la société s’avère succinct quant à ses capacités professionnelles ; que certaines réponses ont été envoyées quelques minutes après la demande ce qui ne laisse pas présager d’une recherche loyale et sérieuse ; que la société ne justifie pas d’études relatives à des mesures de mutation ou de transformation de son poste de travail, d’aménagement de son temps de travail et qu’elle ne justifie pas non plus de l’intégralité des réponses qui lui ont été adressées consécutivement à son courriel de recherche de reclassement. Elle ajoute qu’en 2018, la société recherchait d’ailleurs encore à pourvoir des postes au sein de la direction des services d’information. Elle s’étonne que dans un groupe aussi grand que Total, seuls deux postes lui aient été proposés et qu’au demeurant, l’imprécision de ces propositions renforce le manquement de l’employeur à son obligation de rechercher de manière loyale et sérieuse son reclassement.
En réplique, l’employeur soutient avoir loyalement satisfait à son obligation de reclassement, précise qu’il a proposé à la salariée deux postes conformes aux prescriptions du médecin du travail, que la salariée les a refusés et n’a pas entendu solliciter d’autres postes et que d’ailleurs, elle a au contraire manifesté le souhait d’être licenciée au plus vite et en tout cas avant le 31 octobre 2017 ainsi qu’en témoigne le post-it qu’elle a adressé à la société en même temps que sa lettre du 21 octobre 2017. L’employeur ajoute que la salariée ne peut en tout état de cause justifier d’aucun préjudice lié à la perte de son emploi, alors même qu’elle avait fait savoir qu’elle préférait une rupture plutôt que la suspension de son contrat de travail, sachant que dans les deux hypothèses, elle pouvait bénéficier du régime de prévoyance jusqu’à la liquidation de sa pension de retraite de base.
***
La salariée a été licenciée le 27 novembre 2017 pour inaptitude et impossibilité de reclassement.
L’article L. 1226-2 du code du travail, dans sa version applicable au litige, en vigueur entre le 24 septembre 2017 et le 22 décembre 2017, dispose que « Lorsque le salarié victime d’une maladie ou d’un accident non professionnel est déclaré inapte par le médecin du travail, en application de l’article L. 4624-4, à reprendre l’emploi qu’il occupait précédemment, l’employeur lui propose un autre emploi approprié à ses capacités, au sein de l’entreprise ou des entreprises du groupe auquel elle appartient le cas échéant, situées sur le territoire national et dont l’organisation, les activités ou le lieu d’exploitation assurent la permutation de tout ou partie du personnel.
Pour l’application du présent article, le groupe est défini conformément au I de l’article
L. 2331-1.
Cette proposition prend en compte, après avis des délégués du personnel lorsqu’ils existent, les conclusions écrites du médecin du travail et les indications qu’il formule sur les capacités du salarié à exercer l’une des tâches existantes dans l’entreprise. Le médecin du travail formule également des indications sur la capacité du salarié à bénéficier d’une formation le préparant à occuper un poste adapté.
L’emploi proposé est aussi comparable que possible à l’emploi précédemment occupé, au besoin par la mise en ‘uvre de mesures telles que mutations, aménagements, adaptations ou transformations de postes existants ou aménagement du temps de travail. »
En l’espèce, la salariée a été déclarée inapte par le médecin du travail le 11 août 2017 qui écrivait : « [la salariée] est médicalement inapte au poste de responsable méthodes et gouvernance à la direction des systèmes d’information. Elle pourrait occuper des tâches administratives, nécessitant peu d’effort de concentration et de mémorisation, sur un rythme peu soutenu et à temps très partiel. Son état de santé lui permettrait de suivre ‘ avec difficulté ‘ une formation peu exigeante, compatible avec les éléments mentionnés précédemment (peu d’efforts de concentration et de mémorisation, rythme peu soutenu, temps de travail très partiel) » (pièce 22 S). Cette inaptitude a une origine non professionnelle.
Par un courriel du 21 août 2017 diffusé au sein des sociétés du groupe, la société a cherché des solutions de reclassement en présentant les compétences et qualifications de la salariée et en reproduisant l’avis d’inaptitude du 11 août 2018.
Deux postes de travail ont été identifiés par l’employeur comme pouvant être proposés à la salariée. Ces postes lui ont été proposés par lettre du 18 octobre 2017. Il s’agissait d’un poste de gestionnaire administratif ou d’un poste de gestionnaire de documentation DSI. Dans les deux cas, les deux postes relevaient de la société Total Marketing & Services, à [Localité 3], et la rémunération de base de la salariée était maintenue. La fiche de poste correspondant à ces deux emplois était jointe à la lettre du 18 octobre 2017.
Ces deux postes ont été préalablement soumis au médecin du travail qui, le 13 septembre 2017 a estimé que « ces postes pourraient médicalement convenir à [B] [R], au vu des données de santé recueillies lors de sa visite médicale du 11 août » (cf pièce 10 de l’employeur ‘ courriel de M. [G], médecin du travail, du 13 septembre 2017).
Il n’est pas discuté que ces postes ont été proposés après avis des délégués du personnel.
La salariée a refusé ces postes par lettre du 21 octobre 2017, expliquant qu’elle « ne se sent plus du tout capable d’exercer une activité comme [elle a pu] l’être avant [sa] maladie
auto-immune ».
Compte tenu de l’ensemble de ces éléments, c’est à juste titre que le conseil de prud’hommes a considéré que la société avait satisfait à son obligation de reclassement et que le licenciement était justifié par une cause réelle et sérieuse. Le jugement sera dès lors confirmé en ce qu’il a débouté la salariée de sa demande d’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.
Dans ces conditions, il est justifié que, l’état de santé de la salariée ne lui permettant pas l’exécution de son préavis, aucune indemnité compensatrice de préavis ne lui ait été servie. Ce seul constat rend inutile l’examen, par la cour, du caractère nouveau des demandes que la salariée forme au titre de l’indemnité compensatrice de préavis et des congés payés afférents, demandes dont elle sera déboutée.
En effet, en cas de licenciement pour inaptitude consécutive à une maladie ou un accident non professionnel et impossibilité de reclassement, le préavis n’est pas exécuté, et cette inexécution ne donne pas lieu au versement d’une indemnité compensatrice (cf. Soc., 5 juillet 2023, pourvoi n° 21-25.797, publié).
Sur la capitalisation des intérêts
L’article 1343-2 du code civil dispose que les intérêts échus, dus au moins pour une année entière, produisent intérêt si le contrat l’a prévu ou si une décision de justice le précise. La demande ayant été formée par la salariée et la loi n’imposant aucune condition pour l’accueillir, il y a lieu, en application des dispositions de l’article 1343-2 du code civil, d’ordonner la capitalisation des intérêts.
Celle-ci portera sur des intérêts dus au moins pour une année entière.
Sur les dépens et les frais irrépétibles
Succombant, l’employeur sera condamné aux dépens de première instance et d’appel.
Il conviendra de condamner l’employeur à payer à la salariée une indemnité de 4 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
Statuant publiquement et par arrêt contradictoire, la cour :
REJETTE la fin de non-recevoir de la Société TotalEnergies Marketing Services tirée de l’absence de critique de la décision attaquée,
CONFIRME le jugement, mais seulement en ce qu’il déboute la salariée de sa demande de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
INFIRME le jugement pour le surplus,
STATUANT à nouveau des chefs infirmés et y ajoutant,
CONDAMNE la Société TotalEnergies Marketing Services à payer à Mme [R] la somme de 3 000 euros à titre de dommages-intérêts pour manquement à son obligation de sécurité,
ORDONNE la capitalisation des intérêts dus pour une année entière,
DÉBOUTE Mme [R] de sa demande tendant à la condamnation de la Société TotalEnergies Marketing Services à lui payer une indemnité compensatrice de préavis et les congés payés afférents,
DÉBOUTE les parties de leurs demandes autres, plus amples, ou contraires,
CONDAMNE la Société TotalEnergies Marketing Services à payer à Mme [R] la somme de 4 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,
CONDAMNE la Société TotalEnergies Marketing Services aux dépens de première instance et d’appel.
. prononcé par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.
. signé par Madame Aurélie Prache, Président et par Madame Marine Mouret, Greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Le Greffier -Le Président