Conclusions d’appel : 24 mai 2023 Cour d’appel de Rouen RG n° 21/03414

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Conclusions d’appel : 24 mai 2023 Cour d’appel de Rouen RG n° 21/03414
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N° RG 21/03414 – N° Portalis DBV2-V-B7F-I3XC

+ 21/3598

COUR D’APPEL DE ROUEN

1ERE CHAMBRE CIVILE

ARRET DU 24 MAI 2023

DÉCISION DÉFÉRÉE :

18/01726

Tribunal judiciaire de Rouen du 20 août 2021

APPELANTES et INTIMÉES :

Madame [C] [I]

née le [Date naissance 6] 1993 à [Localité 15]

[Adresse 1]

[Localité 10]

représentée et assistée par Me Gontrand CHERRIER de la SCP CHERRIER BODINEAU, avocat au barreau de Rouen plaidant par Me BODINEAU

CAISSE PRIMAIRE D’ASSURANCE MALADIE [Localité 11]

[Adresse 7]

[Localité 11]

représentée et assistée par Me Vincent BOURDON, avocat au barreau de Rouen

INTIMEES :

ASSOCIATION DÉPARTEMENTALE ADMR DE L’AIDE À DOMICILE – ADMR DE SEINE-MARITIME

[Adresse 2]

[Localité 12]

représentée par Me Caroline SCOLAN de la SELARL GRAY SCOLAN, avocat au barreau de Rouen

Selarl FHB représentée par Me [Z] [G] ès qualités d’administrateur judiciaire de l’ASSOCIATION DÉPARTEMENTALE ADMR DE L’AIDE À DOMICILE – ADMR DE SEINE-MARITIME

[Adresse 3]

[Localité 4]

représentée par Me Caroline SCOLAN de la SELARL GRAY SCOLAN, avocat au barreau de Rouen et assistée de Me Christophe SENET de la Selas FIDAL, avocat au barreau de Rouen

Me [M] [L] ès qualités de mandataire judiciaire de l’ASSOCIATION DÉPARTEMENTALE ADMR DE L’AIDE À DOMICILE – ADMR DE SEINE-MARITIME

[Adresse 8]

[Localité 9]

représenté par Me Caroline SCOLAN de la SELARL GRAY SCOLAN, avocat au barreau de Rouen et assisté de Me Christophe SENET de la Selas FIDAL, avocat au barreau de Rouen

GROUPAMA CENTRE MANCHE

[Adresse 14]

[Localité 5]

représentée et assistée par Me Claudie ALQUIER, avocat au barreau de Rouen

COMPOSITION DE LA COUR  :

En application des dispositions de l’article 805 du code de procédure civile, l’affaire a été plaidée et débattue à l’audience du 15 mars 2023 sans opposition des avocats devant Mme Edwige WITTRANT, présidente de chambre, rapporteur,

Le magistrat rapporteur a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour composée de :

Mme Edwige WITTRANT, présidente

M. Jean-François MELLET, conseiller

Mme Magali DEGUETTE, conseillère

GREFFIER LORS DES DEBATS :

Mme Catherine CHEVALIER

DEBATS :

A l’audience publique du 15 mars 2023, où l’affaire a été mise en délibéré au 24 mai 2023

ARRET :

CONTRADICTOIRE

Prononcé publiquement le 24 Mai 2023, par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile,

signé par Mme WITTRANT, présidente et par Mme CHEVALIER, greffier présent lors de la mise à disposition.

*

* *

EXPOSE DES FAITS ET DE LA PROCEDURE

 

Le 26 août 2011, à 8h30 à [Localité 13], Mme [C] [I] a subi un accident de la circulation alors qu’elle pilotait son scooter en rentrant du travail effectué au domicile de M. [F] [B] : elle a perdu le contrôle de son véhicule et percuté un poteau d’éclairage public. Gravement accidentée, elle est désormais tétraplégique. L’Admr de [Localité 13] a effectué une déclaration d’accident de travail auprès de la Cpam le jour même.

 

Par actes des 11 et 17 avril 2018, Mme [I] a fait assigner Groupama Centre Manche en qualité d’assureur de l’Admr et la Cpam [Localité 11] ; Me [Z] [G] et Me [M] [L], en leurs qualités respectives d’administrateur et de mandataire judiciaires de l’Admr sont intervenus volontairement à l’instance.    

 

Par jugement contradictoire du 20 août 2021, le tribunal judiciaire de Rouen a :

– constaté l’intervention volontaire de l’Admr de Seine-Maritime en lieu et place de l’Admr de [Localité 13],

– constaté l’intervention volontaire de Me [Z] [G] et Me [M] [L] en leurs qualités respectives d’administratrice judiciaire et de mandataire judiciaire de l’Admr de Seine-Maritime,

– dit que l’Admr de Seine-Maritime n’était pas responsable du préjudice corporel subi par Mme [C] [I] lors de l’accident du 26 août 2011,

– rejeté l’ensemble des demandes formulées par Mme [C] [I],

– rejeté l’ensemble des demandes formulées par la Cpam [Localité 11]

– rejeté l’ensemble des demandes formulées au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

– condamné aux dépens l’Admr de Seine-Maritime avec droit de recouvrement direct au profit de Me Vincent Bourdon,

– dit n’y avoir lieu à exécution provisoire.

 

Par déclaration reçue au greffe le 24 août 2021 (n°RG 21/03114), Mme [C] [I] a formé appel du jugement.

 

Par déclarations reçues au greffe le 14 septembre 2021 (n°RG 21/03598) et le 5 mars 2022 (n°RG 22/00807), la Cpam [Localité 11] a formé appel du jugement.

 

Les trois procédures ont été jointes le 11 juillet 2022.  

 

Par ordonnance du 7 juin 2022, le magistrat chargé de la mise en état a, dans la procédure enregistrée initialement sous le numéro n° RG 21/03598  :

– déclaré irrecevable l’appel dirigé par la Cpam [Localité 11] à l’encontre de l’Admr de Seine-Maritime, de la Selarl FHB ès qualités d’administrateur judiciaire de l’association, de Me [M] [L], ès qualités de mandataire judiciaire de l’association,

– déclaré irrecevables les conclusions notifiées le 18 novembre 2021 pour Mme [I] à l’encontre de l’Admr de Seine-Maritime,

– débouté les parties de leur demande formée sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,

– condamné la Cpam [Localité 11] aux dépens de l’incident dont distraction au profit de la Selarl Gray Scolan, avocats associés.

 

Par ordonnance du 13 décembre 2022, le magistrat chargé de la mise en état a, dans la procédure enregistrée initialement sous le numéro n°RG 22/00807 :

– déclaré irrecevable l’appel formé le 5 mars 2022 par la Cpam [Localité 11] à l’encontre de l’Admr de Seine-Maritime, de la Selarl FHB, ès qualités d’administrateur judiciaire et commissaire à l’exécution du plan, Me [M] [L], ès qualités de mandataire judiciaire de l’association, de Mme [C] [I] et de Groupama Centre Manche,

– déclaré irrecevables les conclusions notifiées pour Mme [C] [I] le 22 juin 2022,

– débouté les parties de leur demande formée sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,

– condamné la Cpam [Localité 11] aux dépens de l’incident dont distraction au profit de la Selarl Gray Scolan, avocats associés, de la Scp Cherrier Bodineau.

  

 

EXPOSE DES PRETENTIONS ET MOYENS

 

Par dernières conclusions notifiées le 23 février 2023, Mme [C] [I] demande à la cour , au visa des articles 1240 et 1241, 1991 et suivants du code civil, 699 et 700 du code de procédure civile, d’infirmer le jugement entrepris et statuant à nouveau de :

– dire et juger la Fédération départementale des associations-l’Admr de Seine-Maritime, responsable du dommage subi le 26 août 2011,

– condamner l’Admr à l’indemnisation de l’intégralité des préjudices subis des suites de son accident,

avant dire droit, sur le quantum de l’indemnisation,

– ordonner une mesure d’expertise médicale afin essentiellement d’examiner ses préjudices et de les évaluer,

– condamner Groupama Centre Manche à garantir l’Admr de toutes les condamnations prononcées contre elle,

– dire et juger l’arrêt à intervenir commun et opposable à la Cpam [Localité 11],

– condamner in solidum l’Admr et Groupama Centre Manche à lui payer la somme de 6 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,

– condamner in solidum l’Admr et Groupama Centre Manche aux dépens de première instance et d’appel dont distraction au profit de la Scp Cherrier-Bodineau, avocat, conformément à l’article 699 du code de procédure civile.

 

Par dernières conclusions notifiées le 2 mars 2023, l’association départementale Admr de l’aide à domicile-Admr de Seine-Maritime, la Selarl FHB, agissant par Me [Z] [G], ès qualités d’administrateur judiciaire de l’association depuis le jugement du 17 septembre 2015 prononcé par le tribunal de grande instance de Rouen, désormais en qualité de commissaire à l’exécution du plan suivant jugement de la même juridiction du 9 février 2017, Me [M] [L], ès qualités de mandataire judiciaire de l’association suivant jugement susvisé du 17 septembre 2015 demandent à la cour, au visa des articles 550, 551 et 909 du code de procédure civile, L. 622-3, L. 631-12 et L. 631-14 du code de commerce, 1240 et suivants du code civil, 1341 anciens et suivants du même code, 1359 du nouveau code civil, 1991 et suivants du même code, L. 112-4 et L. 113-1 du code des assurances, 376-1 du code de la sécurité sociale, de :

– rejeter l’ensemble des demandes formulées par Mme [I] et sur appel incident, par la Cpam [Localité 11],

en tout état,

– débouter Mme [I] et la Cpam [Localité 11] de leurs demandes,

– confirmer le jugement entrepris en ce qu’il a dit que l’Admr n’était pas responsable du préjudice corporel subi par Mme [I] lors de l’accident du 26 août 2011, rejeté les demandes formulées par cette dernière et la Cpam [Localité 11],

à titre plus subsidiaire,

– juger que sa responsabilité n’est que partielle et qu’à ce titre, elle ne pourra être condamnée qu’à réparer partiellement les préjudices de Mme [I], qu’elle émet les contestations et réserves d’usage  sur la demande d’expertise,

– condamner Groupama Centre Manche à la garantir de toutes condamnations soumises à sa charge,

en tout état de cause,

– juger la décision commune et opposable à la Cpam [Localité 11],

– condamner Mme [I] et la Cpam [Localité 11] à verser à la Selarl FHB, ès qualités, et à Me [L], ès qualités, la somme de 10 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

– condamner Mme [I] et la Cpam [Localité 11] aux dépens de première instance et d’appel qui seront recouvrés par la Selarl Gray & Scolan conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile.

 

Par dernières conclusions notifiées le 23 février 2023, la Cpam [Localité 11] demande à la cour, au visa des articles 1382 1383 anciens du code civil, L. 454-1 du code de la sécurité sociale, L. 124-3 du code des assurances, d’infirmer le jugement entrepris en ce qu’il a dit que l’Admr n’était pas responsable du préjudice corporel subi par Mme [I] lors de l’accident du 26 août 2011, rejeté les demandes formulées par la Cpam [Localité 11], rejeté l’ensemble des demandes formulées par les parties au titre de l’article 700 du code de procédure civile, et statuant à nouveau de :

– condamner l’Admr de Seine-Maritime à indemniser les conséquences pécuniaires du fait fautif dont Mme [I] a été victime,

en conséquence,

– condamner l’Admr de Seine-Maritime, la Selarl FHB ès qualités, Me [L], ès qualités et Groupama Centre Manche à lui payer l’intégralité des débours exposés au bénéfice de Mme [I] imputables à l’accident du 26 août 2011 soit la somme de 3 162 347,68 euros au jour des conclusions,

– dès à présent, condamner in solidum l’Admr de Seine-Maritime, la Selarl FHB ès qualités, Me [L], ès qualités et Groupama Centre Manche à lui payer :

. la somme de 4 882 431,80 euros au titre de ses débours, outre intérêts de droit à compter de la date de signification des conclusions valant mise en demeure de payer,

. subsidiairement la somme provisionnelle de 994 273,25 euros au titre de ses débours acquis au 31 janvier 2023, outre intérêts de droit à compter de la date de la signification des conclusions valant mise en demeure de payer,

. le montant maximum de l’indemnité forfaitaire prévue à l’article L. 454-1 du code de la sécurité sociale tel qu’il sera réglementairement fixé « au jour du jugement à intervenir » (1 162 euros au jour des écritures),

. la somme de 5 000 euros par application de l’article 700 du code de procédure civile,

– dire ce que de droit sur l’expertise sollicitée par Mme [I],

– le cas échéant, requérir de l’expert qu’il décrive les préjudices de Mme [I] conformément à la nomenclature Dintilhac, qu’il porte considération aux débours de la Cpam [Localité 11], les disant ou non parallèles à ses propres constatations médicales et les disant ou non imputables à l’accident du 26 août 2011,

– condamner in solidum l’Admr de Seine-Maritime, la Selarl FHB ès qualités, Me [L], ès qualités et Groupama Centre Manche aux dépens de première instance et d’appel dont distraction au profit de Me Vincent Bourdon, avocat, conformément à l’article 699 du code de procédure civile.

 

Par dernières conclusions notifiées le 7 mars 2023, Groupama Centre Manche demande à la cour, au visa des articles 202 du code de procédure civile, anciens 1382 et 1383 du code civil, 1240 et 1241 nouveaux, 1991 et suivants, 1134 du code civil et L. 112-6 du code des assurances, de :

à titre principal,

– déclarer irrecevable les pièces 25, 26 et 28 de Mme [I],

– débouter Mme [I], la Cpam [Localité 11], l’Admr de Seine-Maritime, la Selarl FHB, ès qualités et Me [L], ès qualités de leurs demandes à son encontre,

– confirmer le jugement entrepris,

– à tout le moins, prononcer l’exonération totale de la responsabilité de l’Admr de [Localité 13] dans les préjudices subis par Mme [I],

– constater l’exclusion de garantie de Groupama Centre Manche,

– condamner Mme [I] et la Cpam [Localité 11] à lui payer la somme de 8 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

– condamner Mme [I] et la Cpam [Localité 11] aux dépens de l’instance,

subsidiairement,

– prononcer l’exonération partielle de la responsabilité de l’Admr de [Localité 13] et fixer le pourcentage de sa part de responsabilité dans l’accident,

– dire et juger que la garantie de Groupama Centre Manche ne saurait excéder la somme de 500 000 euros, à tout le moins 8 000 000 euros,

– ordonner une expertise médicale afin d’examiner et d’évaluer les préjudices subis par Mme [I].

Pour plus ample exposé des faits, des prétentions et moyens des parties, il est renvoyé aux conclusions susvisées conformément aux dispositions de l’article 455 du code de procédure civile.

 

La clôture des débats a été ordonnée le 8 mars 2023.

MOTIFS

 

Sur la saisine de la cour

 

Au visa des articles 4 et 954 du code de procédure civile, l’Admr et les organes de la procédure collective soulèvent le moyen tiré de l’absence de prétentions exprimées autres qu’une demande d’expertise, la formule du dispositif visant à voir « Dire et juger la Fédération départementale des Associations – ADMR de Seine-Maritime- responsable du dommage subi par Madame [C] [I] le 26 août 2011 » ne constituant pas une prétention, étant sans portée juridique.  

 

Groupama Centre Manche s’associe au moyen soulevé en soulignant qu’à défaut d’être saisie de l’action dirigée contre l’Admr, la cour ne pourra pas statuer sur l’action en garantie formée à son encontre en l’absence d’action directe contre elle. 

 

Mme [I] défend une autre lecture des textes et de la jurisprudence en exposant que les décisions écartant toute portée juridique de la formule dire et juger visent des hypothèses de dispositifs de conclusions omettant toute prétention relative à l’infirmation de la décision entreprise ; elle relève qu’en l’espèce, elle a expressément sollicité l’infirmation de la décision entreprise et demandé à la cour, statuant à nouveau, de dire et juger l’association responsable de son préjudice ; que d’ailleurs, l’Admr demande sous la même formulation, de dire et juger, subsidiairement, que sa responsabilité n’est que partielle.

 

La Cpam [Localité 11] ne répond pas sur ce moyen. 

L’article 4 du code de procédure civile dispose que l’objet du litige est déterminé par les prétentions respectives des parties. Ces prétentions sont fixées par l’acte introductif d’instance et par les conclusions en défense. Toutefois l’objet du litige peut être modifié par des demandes incidentes lorsque celles-ci se rattachent aux prétentions originaires par un lien suffisant.

L’article 910-4 du même code pose le principe selon lequel à peine d’irrecevabilité, relevée d’office, les parties doivent présenter, dès les conclusions mentionnées aux articles 905-2 et 908 à 910, l’ensemble de leurs prétentions sur le fond. L’irrecevabilité peut également être invoquée par la partie contre laquelle sont formées des prétentions ultérieures.

Néanmoins, et sans préjudice de l’alinéa 2 de l’article 802, demeurent recevables, dans les limites des chefs du jugement critiqués, les prétentions destinées à répliquer aux conclusions et pièces adverses ou à faire juger les questions nées, postérieurement aux premières conclusions, de l’intervention d’un tiers ou de la survenance ou de la révélation d’un fait.

L’article 954 du code de procédure civile précise que les conclusions d’appel contiennent, en en-tête, les indications prévues à l’article 961. Elles doivent formuler expressément les prétentions des parties et les moyens de fait et de droit sur lesquels chacune de ces prétentions est fondée avec indication pour chaque prétention des pièces invoquées et de leur numérotation. Un bordereau récapitulatif des pièces est annexé.

Les conclusions comprennent distinctement un exposé des faits et de la procédure, l’énoncé des chefs de jugement critiqués, une discussion des prétentions et des moyens ainsi qu’un dispositif récapitulant les prétentions. Si, dans la discussion, des moyens nouveaux par rapport aux précédentes écritures sont invoqués au soutien des prétentions, ils sont présentés de manière formellement distincte.

La cour ne statue que sur les prétentions énoncées au dispositif et n’examine les moyens au soutien de ces prétentions que s’ils sont invoqués dans la discussion.

Les parties doivent reprendre, dans leurs dernières écritures, les prétentions et moyens précédemment présentés ou invoqués dans leurs conclusions antérieures. A défaut, elles sont réputées les avoir abandonnés et la cour ne statue que sur les dernières conclusions déposées.

 

Dans les premières conclusions d’appelante notifiées dans le délai de trois mois expirant le 24 novembre 2021, précisément le 18 novembre 2021, Mme [I] a demandé à la cour de :

«  – Infirmer le jugement rendu le 20 août 2021 par le tribunal judiciaire de ROUEN,

– Statuant à nouveau,

– Dire et juger la Fédération départementale des Associations – ADMR de Seine-Maritime – responsable du dommage subi par Madame [C] [I] le 26 août 2011,

– Ordonner une mesure d’expertise confiée à tel médecin expert qu’il plaira à la Cour avec la mission décrite dans le corps des présentes,

– Condamner la société GROUPAMA CENTRE MANCHE à garantir l’ADMR de toutes les condamnations pécuniaires mises à sa charge,

– Dire et juger l’arrêt à intervenir commun et opposable à la CPAM [Localité 11],

– Condamner in solidum la Fédération départementale des Associations – ADMR de Seine-Maritime représentée par la SELARL FHB es qualité et Maître [L] es qualité et la société GROUPAMA CENTRE MANCHE à payer à Madame [C] [I] la somme de 5 000 euros sur le fondement de l’article 700 du Code de procédure civile,

– Condamner in solidum la Fédération départementale des Associations – ADMR de Seine-Maritime représentée par la SELARL FHB es qualité et Maître [L] es qualité et la société GROUPAMA CENTRE MANCHE aux entiers dépens de première instance et d’appel, dont distraction au profit de la SCP CHERRIER-BODINEAU, avocat aux offres de droit conformément à l’article 699 du Code de procédure civile. »

Dès les conclusions d’intimée notifiées le 2 février 2022, l’Admr et les organes de la procédure collective ont soulevé le moyen tiré du champ limité de la saisine de la cour.

L’appelante n’a modifié le dispositif de ses écritures que dans ses dernières conclusions récapitulatives d’appelant N°7 notifiées le 23 février 2023 : Mme [I] a alors demandé à la cour de : 

« – Infirmer le jugement rendu le 20 août 2021 par le tribunal judiciaire de Rouen,

– Statuant à nouveau, 

Dire et juger la Fédération départementale des Associations – ADMR de Seine-Maritime, responsable du dommage subi par Madame [C] [I] le 26 août 2011, 

– Condamner l’ADMR à l’indemnisation de l’intégralité des préjudices subis par Madame [I] des suites de l’accident du 26 août 2011

Avant dire droit sur le quantum de l’indemnisation, ordonner une mesure d’expertise confiée à tel médecin … ».

En ces termes, Mme [I] forme les prétentions visant à obtenir la réformation de la décision entreprise et la condamnation de l’Admr à l’indemniser de ses préjudices.

Cependant, l’objet du litige est déterminé par les premières conclusions. Dans le dispositif de ses écritures du 24 novembre 2021, Mme [I] n’a pas tiré les conséquences de sa demande en déclaration de responsabilité de l’association en visant la condamnation de cette dernière et s’est bornée à réclamer une expertise médicale, soit une mesure d’instruction. En conséquence, les prétentions de Mme [I] sont limitées aux prétentions fixées à cette date, la demande formée exclusivement dans ses dernières conclusions de cette façon «  Condamner l’ADMR à l’indemnisation de l’intégralité des préjudices subis par Madame [I] des suites de l’accident du 26 août 2011 » étant irrecevable.

La Cpam [Localité 11] a demandé, dès ses premières conclusions notifiées le 3 février 2022, et de façon constante, la condamnation de l’association et des organes de la procédure collective, de son assureur Groupama Centre Manche, à lui payer les débours engagés dans la prise en charge de la victime de l’accident : la cour doit dès lors examiner pleinement les conditions de la responsabilité de l’association mise en cause.

 

Sur la responsabilité de l’association

 

Le tribunal a retenu que :

– il existait des indices graves, précis et concordants permettant de présumer d’une part que M. [F] [B], employeur de Mme [I], avait mandaté l’Admr, d’autre part que cette dernière avait connaissance du contrat de travail conclu avec Mme [I] avant l’accident du 26 août 2011 ; 

– en sa qualité de professionnelle spécialisée dans l’aide à domicile, l’Admr ne pouvait ignorer l’interdiction du travail de nuit des mineurs, incompatible avec les missions confiées par M. [B] à Mme [I] et a manqué à son obligation de conseil à l’égard de l’employeur ; Mme [I], mineure, pouvait considérer que l’intervention de l’association était de nature à garantir la régularité juridique du contrat ;

– Mme [I] ne démontre pas que son préjudice est imputable au manquement de l’Admr à son obligation de conseil ; si la faute de l’Admr a créé une situation objectivement dangereuse en l’exposant à un risque accru de fatigue professionnelle, Mme [I] ne produit pas les éléments susceptibles d’éclairer les circonstances de l’accident et ne permet pas à la juridiction d’en déterminer les causes ; la présomption d’imputabilité née de la dangerosité des conditions de travail ne revêt pas le caractère de gravité exigé par l’article 1353 du code civil et le caractère certain du lien d’imputabilité entre la faute et le préjudice n’est pas démontré. 

 

Mme [I] soutient que l’existence d’un contrat de mandat entre M. [B] et l’Admr est certain au regard de l’aveu judiciaire de l’Admr, notamment dans les conclusions d’incident déposées devant le juge de la mise en état et des circonstances de la cause ; qu’en juin 2010, Mme [I] avait postulé sur un emploi à domicile auprès de l’Admr et plusieurs contrats ont été régularisés au cours de l’été pour l’accomplissement de missions ponctuelles en journée ; qu’en 2011, M. [B] a sollicité pour une garde de nuit l’été, l’Admr qui l’a mis en relation avec Mme [I] et a accompagné l’employeur dans la gestion du contrat de travail, différentes pièces démontrant l’intervention de l’Admr au soutien de M. [B], avant et après l’accident. Elle rappelle que l’Admr a procédé notamment à la déclaration préalable d’embauche et s’est chargée de la déclaration d’accident de travail concernant Mme [I].  

 

Elle expose ensuite que les agissements de l’Admr sont fautifs puisque l’association a participé activement à la relation contractuelle, son livret d’accueil visant expressément l’accompagnement de l’employeur pour les formalités administratives et les déclarations sociales et fiscales liées à l’emploi ; qu’elle ne pouvait ignorer au moment de l’établissement du contrat que le travail de nuit des mineurs  en ce qu’il place le jeune travailleur dans une situation dangereuse était interdit et est passible d’une sanction pénale en application de l’article R. 3124-15 du code du travail ; que l’association a ainsi commis une faute grave ; que victime de l’accident, elle peut se prévaloir en qualité de tiers au contrat, de la responsabilité du mandataire dans la mesure où le manquement à l’obligation de conseil commis par l’Admr est à l’origine de son préjudice, sans qu’il y ait lieu de rechercher un manquement à une obligation générale de prudence et de diligence ; que la responsabilité du mandant n’exclut pas la responsabilité du mandataire défaillant dans l’exécution de ses obligations ; qu’en l’espèce, le travail de nuit était expressément prévu au contrat.   

 

La Cpam [Localité 11] souligne que la cause de l’accident est la fatigue de Mme [I] à l’issue de ses heures de travail ; qu’il convient de ne pas insister sur la notion du mandat dans la mesure où il est établi que l’Admr a assuré une offre de services en mettant en relation M. [B] et Mme [I] et a commis une faute dans la mesure où pour les besoins d’un travail de nuit, d’une durée de douze heures consécutives, à raison de quarante heures par semaine, sans jour de repos fixé, elle a retenu l’intervention d’une jeune femme mineure ; que la responsabilité de l’association est engagée. 

 

L’Admr sollicite la confirmation du jugement qui a débouté la salariée et la Caisse mais conteste l’existence d’un mandat et rappelle que l’employeur, responsable de l’exécution du contrat de travail est M. [B]. Elle ne reconnaît pas avoir été mandatée spécifiquement pour établir et conclure le contrat de travail de Mme [I], la production des documents ne permettant pas d’établir la réalité du mandat et souligne que la Cpam ne fait d’ailleurs plus référence à une telle relation contractuelle pour soutenir l’existence d’une faute préjudiciable à Mme [I]. Le contrat de travail est signé par M. [B]. Des documents postérieurs aux faits n’ont pas vocation à démontrer un mandat antérieur dont la démonstration n’est pas faite. L’Admr renvoie la responsabilité engagée dans l’exécution du contrat de travail à l’employeur d’une part, la salariée et ses représentants légaux d’autre part.  

 

Quant à la faute, elle indique que lorsqu’il est reproché au mandataire un manquement à son obligation de conseil envers le mandant, cette faute, dont le mandant est seul fondé à se plaindre, n’est pas de nature à engager la responsabilité délictuelle du mandataire envers les tiers au mandat sauf violation d’une obligation générale de prudence et diligence ; qu’en l’espèce, il n’est reproché qu’un manquement à une obligation de conseil ; qu’elle n’a commis aucune faute, la motivation retenue par le premier juge étant en contradiction avec la jurisprudence constante en la matière. Elle souligne que les pièces concernant le travail de nuit ne sont pas visées ou signées par ses soins. S’agissant de l’application des articles 1382 et 1383 du code civil, la Cpam ne peut utilement la présenter comme un courtier responsable à l’égard de ses clients ; que contrairement à la présentation des faits effectuée par cette dernière, l’Admr n’a pas participé à la rédaction du contrat de travail et n’en est pas la signataire ; le seul choix de rapprocher Mme [I] et M. [B] ne peut établir la faute alléguée par la Cpam quant aux violations des dispositions applicables aux mineurs quant aux durées journalière et hebdomadaire du travail, jours de repos et travail de nuit. 

 

Elle ajoute que la déclaration d’employeur indique expressément que le nom de M. [B] et le courrier de l’Admr adressant le dossier à l’Urssaf est postérieur à la date du contrat de travail, après la période travaillée et le jour de l’accident du 26 août 2011 puisqu’il a été émis le 8 septembre 2011 ; que n’étant pas employeur, il convient de retenir que sa responsabilité n’est pas recherchée dans le cadre d’un accident de travail, l’exception tirée de l’incompétence de la juridiction au profit du tribunal des affaires de sécurité sociale ayant été rejetée par le premier juge. 

 

Après avoir rappelé les règles de preuve fixées par l’article 9 du code de procédure civile, Groupama Centre Manche fait valoir que Mme [I] soutient, sans la démontrer, l’existence d’un contrat de mandat entre M. [B] et l’Admr et ne peut dès lors en tirer les conséquences ; que le tribunal a retenu à tort que la preuve du mandat était rapportée alors que l’Admr conteste la nature de son intervention et n’a pas fait l’aveu de ce lien ; que cette dernière n’a jamais reconnu avoir aidé M. [B] à conclure un contrat avec une mineure ; que cette erreur de fait ne peut produire des effets juridiques ; que la trame utilisée pour le contrat de travail ne comporte aucune information personnelle sur les parties, ni sur les horaires de travail ; que l’intervention de l’Admr à ce contrat n’est pas établie ; que le décompte d’heures travaillées n’a pu être communiqué par Mme [I] et n’a pu éventuellement ne l’être qu’après l’exécution du contrat ; que même si l’Admr avait traité la déclaration préalable d’embauche, rien ne démontre qu’elle avait connaissance de la mise en ‘uvre d’un travail dans des conditions précises, notamment de nuit ; que la faute de l’Admr n’est pas caractérisée. 

 

Sur les faits

 

– Sur la relation tripartite de l’employeur, la salariée et l’association

 

Le 16 août 2011, sur un formulaire portant un numéro d’identification, la référence à l’association Admr avec un nom, une dénomination du référent, M. [B] et Mme [I] ont signé un contrat de travail à durée déterminée pour la période du 16 au 26 août 2011 visant expressément une garde de nuit à accomplir à temps complet (40 h hebdomadaires) le lundi de 20h à 8h, les autres jours listés du mardi au dimanche n’étant pas complétés quant aux horaires.

Le contrat précise que toute modification durable devra faire l’objet d’un avenant écrit au contrat. S’agissant du repos hebdomadaire, l’article IX rappelle que « le travail le jour du repos, prévu par la Convention Collective le dimanche ne peut être qu’exceptionnel et sera rémunéré au tarif normal majoré de 25 %… Dans le cas de garde, le(la) salarié(e) bénéficie de 48 heures de repos hebdomadaire » un exemplaire du contrat est notamment adressé à l’Admr. 

Ce contrat, s’il n’est pas signé par un représentant de l’Admr porte la mention en bas de page de la communication d’un exemplaire comme suit : l’exemplaire blanc à la fédération, le rose à l’employeur, le bleu à la salariée et le jaune à l’association. Toutefois, la date à laquelle l’Admr a reçu le contrat n’est pas justifiée.

Suivant document portant le tampon de l’Admr « reçu le 5 septembre 2011 », M. [B] a signé le 19 août 2011 une déclaration préalable d’embauche à compter du 16 août 2011 au titre d’un emploi d’aide à domicile. La pièce a été communiquée à l’Admr à l’Urssaf de Seine-Maritime le 8 septembre 2011. L’Admr ne conteste pas avoir émis la fiche de paie.

 

Sur formulaire portant l’en-tête de l’Admr, M. [B] et Mme [I] ont signé un relevé d’heures visant l’intervention de la salariée du 16 au 25 août chaque jour de 20h à 8h soit 12 heures de travail 10 jours consécutifs. La fiche de paie a été éditée pour cette période. M. [B] a signé le certificat de travail le 19 septembre 2011.   

La déclaration d’accident de travail de Mme [I] a été signée par Mme [X], en qualité de présidente de l’Admr le 26 août 2011 en portant au titre de l’établissement d’attache permanent de la victime, expressément, l’Admr de [Localité 13].

  

– Sur l’accident de la circulation

 

Suivant procès-verbal de gendarmerie rédigé le 11 janvier 2012, Mme [I] a déclaré que « le 26 août 2012 (2011),vers 8h00, en rentrant de mon travail, j’ai été victime d’un accident corporel de la circulation routière. Je suis auxiliaire de vie sociale en formation et je revenais du domicile d’une patiente à [Localité 16] (76). Alors que je circulais avec mon cyclomoteur, ‘ en agglomération de [Localité 13] (76) sur le RD 925 j’ai perdu le contrôle de mon cyclomoteur. La roue avant a tapé le trottoir, puis j’ai glissé avec mon scooter, percuté un poteau d’éclairage public qui m’a renvoyé sur un mur de pierre et terminé ma course la nuque sur l’arrête du trottoir’ Je suis seule en cause dans cet accident et j’ai dérapé lorsque j’ai freiné sur la route mouillée pour m’arrêter au feu rouge. Je portais mon casque de protection au moment des faits’ ».  Sa mère, Mme [E] [A], en qualité de représentante légale de sa fille mineure lors des faits comme étant alors âgée de 17 ans, a été entendue le 17 janvier 2012. 

 

Le seul témoin entendu par les services de gendarmerie le 31 août 2011, M. [J] [B], employé communal, a indiqué que « J’ai aperçu ‘ un cyclomoteur’ Il roulait à une vitesse modérée, étant donné la descente. Au niveau de la station de lavage, j’ai remarqué que le pilote du cyclomoteur a fait un signe à une personne située sur le trottoir opposé, elle a tourné la tête, la roue avant du cyclomoteur est venu heurter le trottoir, déséquilibrant l’engin. J’ai vu le cyclomoteur et le pilote monter sur le trottoir et venir percuter de plein fouet le lampadaire’ ».

 

Mme [I] verse aux débats quatre attestations en pièces 25 à 28. 

 

Groupama Centre Manche soulève le moyen tiré de l’irrecevabilité des pièces 25, 26 et 28 au motif que les attestations ne comportent pas les mentions obligatoires et qu’en toute hypothèse, ces pièces sont lacunaires. 

 

L’article 202 du code de procédure civile précise que l’attestation contient la relation des faits auxquels son auteur a assisté ou qu’il a personnellement constatés. Elle mentionne les nom, prénoms, date et lieu de naissance, demeure et profession de son auteur ainsi que, s’il y a lieu, son lien de parenté ou d’alliance avec les parties, de subordination à leur égard, de collaboration ou de communauté d’intérêts avec elles. Elle indique en outre qu’elle est établie en vue de sa production en justice et que son auteur a connaissance qu’une fausse attestation de sa part l’expose à des sanctions pénales. L’attestation est écrite, datée et signée de la main de son auteur. Celui-ci doit lui annexer, en original ou en photocopie, tout document officiel justifiant de son identité et comportant sa signature.

 

Lorsqu’une attestation n’est pas établie conformément à l’article 202 du code de procédure civile, il appartient aux juges du fond d’apprécier souverainement si une telle attestation présente ou non des garanties suffisantes pour emporter leur conviction.   

 

En l’espèce, les attestations de Mme [U] [S] (pièce 25) et de Mme [Y] [S] (pièce 26) ne comportent pas les mentions suffisantes pour être déclarées conformes à l’article 202 du code de procédure civile ; la copie des cartes d’identité est cependant annexée. Elles contiennent l’affirmation d’un témoignage direct de l’accident et de la glissade sur la route comme cause de l’accident. Il n’y a pas lieu de les écarter : elles ne sont pas contraires aux deux procès-verbaux ci-dessus et n’apportent en toute hypothèse aucun élément utile aux débats. 

 

La seconde attestation de Mme [U] [S] (pièce 28), bien que rédigée de la main identique à celle qui est l’auteur du texte en pièce 25 n’est pas datée, ne vise pas notamment les mentions de production en justice et de sanction pénale en cas de faux témoignage. Sa force probante est insuffisante : elle précise uniquement, au moins quatre ans après les faits puisqu’elle complète la première datée du 28 septembre 2020 que « Mme [I] [C] nous a fait un signe avec ses quatre doigts sans lâcher le guidon pour nous dire bonjour en amont de la station de lavage. Son signe ne l’a pas du tout déséquilibré et elle roulait normalement. L’accident est arrivé bien après la station. ». Cette pièce n’est pas recevable.  De surcroît, elle ne présente pas d’éléments déterminants dans les causes de l’accident. 

  

L’attestation en pièce 27 est établie le 25 décembre 2021 suivant les dispositions susvisées de l’article 202 du code de procédure : Mme [P] [T], belle-s’ur de Mme [I], atteste de la fatigue due « en partie » aux « 10 jours de travail » et « de nuit » effectué par l’intéressée « sans repos auprès de Mr [B] ». Ces éléments d’ordre général, ne visant pas une description spécifique de la fatigue générée par le travail, sont sans effets sur l’appréciation des faits.   

 

Sur la faute

Compte tenu de l’ancienneté des faits, il convient de se référer aux dispositions des articles 1382 et 1383 du code civil qui disposent que d’une part, tout fait quelconque de l’homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer ; que d’autre part, chacun est responsable du dommage qu’il a causé non seulement par son fait, mais encore par sa négligence ou par son imprudence.

L’article 1991 du même code précise que le mandataire est tenu d’accomplir le mandat tant qu’il en demeure chargé, et répond des dommages-intérêts qui pourraient résulter de son inexécution. Il est tenu de même d’achever la chose commencée au décès du mandant, s’il y a péril en la demeure. Selon l’article 1992, le mandataire répond non seulement du dol, mais encore des fautes qu’il commet dans sa gestion. Néanmoins, la responsabilité relative aux fautes est appliquée moins rigoureusement à celui dont le mandat est gratuit qu’à celui qui reçoit un salaire.

Quant à la preuve du mandat, l’article 1985 du code civil dispose que le mandat peut être donné par acte authentique ou par acte sous seing privé, même par lettre. Il peut aussi être donné verbalement, mais la preuve testimoniale n’en est reçue que conformément au titre « les contrats ou des obligations conventionnelles en général » . L’acceptation du mandat peut n’être que tacite et résulter de l’exécution qui lui a été donnée par le mandataire.

La preuve peut en être rapportée par un commencement de preuve par écrit, s’il est complété par des éléments extrinsèques.

La charge de la preuve incombe à Mme [I] qui en l’espèce, ne produit pas de contrat de mandat établi entre l’Admr et M. [B].

Elle tire d’une phrase de conclusions rédigées dans le cadre d’un incident l’existence d’un aveu judiciaire de l’existence de ce mandat. En page deux des conditions concernant l’exception d’incompétence de la juridiction saisie, l’Admr écrit :

« l’ADMR intervenant en tant que mandataire, aide l’employeur sur le plan administratif en mettant à disposition des contrats de travail, en réalisant les bulletins de paie etc. ». Ce seul usage non circonstancié du terme mandataire dans l’exposé des faits et procédure des conclusions d’incident, sans définition et portée juridique visées démontrant pleine connaissance des effets de cette seule déclaration ne peut emporter l’aveu judiciaire du mandat. Ce constat est d’autant plus affirmé que contrairement au mandat emportant substitution du mandant par le mandataire, la phrase vise une aide de nature matérielle et notamment la mise à disposition de contrat de travail. Cet élément ne peut être retenu.

Le livret d’accueil de l’Admr dans sa version de janvier 2009 définit les deux rôles de l’Admr comme prestataire d’une part et comme mandataire d’autre part, ce dernier en ces termes : «  Le bénéficiaire est employeur de l’intervenant à domicile qui lui est proposé par l’association locale ADMR. L’association locale accompagne le bénéficiaire dans son rôle d’employeur et à ce titre formalise le contrat de travail de l’intervenant. La fédération ADMR de Seine-Maritime accomplit pour le compte du particulier-employeur les formalités administratives et les déclarations sociales et fiscales liées à l’emploi de salariés. En contrepartie le particulier employeur s’acquitte auprès de la Fédération des frais de gestion . »

 

En l’espèce, Mme [I] produit une réponse à sa candidature au poste d’employée à domicile du 10 juin 2010 provenant de l’Admr, signée par Mme [X] L’Admr a ensuite fait signer à Mme [I] douze contrats de travail au cours de l’été 2010 en qualité d’employeur.

En 2011, l’Admr n’a pas signé le contrat de travail passé entre M. [B] et Mme [I] ; il n’est pas établi qu’elle connaissait dès le 16 août 2011 l’amplitude des horaires qu’accomplirait Mme [I] durant 10 nuits consécutives. Les références de l’association portées en haut du contrat, Mme [X] étant désignée comme interlocutrice, pouvaient être antérieures à la rédaction des mentions situées en-dessous. En outre, la seule mention remplie dans le contrat de travail ne concernait que la première nuit.

Toutefois, en rédigeant elle-même la déclaration d’accident de travail du 26 août 2011, et en se déclarant établissement de rattachement de Mme [I], elle a reconnu l’existence du lien antérieur entre elle et la salariée. Le recours aux services de Mme [I] l’année précédente conforte la démonstration de la mise en relation de l’aide à domicile entre l’association au bénéfice de M. [B]. L’Admr ne produit d’ailleurs aucun document émanant de M. [B] par lequel celui-ci l’aurait sollicitée pour la mise en forme du contrat pour Mme [I].

 

De surcroît, l’Admr a avalisé les informations reçues sur les conditions d’exécution du contrat sans émettre la moindre réserve à l’égard de l’employeur.

Ainsi, Mme [I] ne rapporte pas la preuve que l’Admr aurait, en se substituant à l’employeur dans le cadre d’un mandat, organisé les conditions de travail et donné des instructions en passant outre les interdictions de travail de nuit pour les mineurs et les obligations relatives aux temps de repos.

Cependant, les conditions de rédaction de la déclaration de l’accident du travail marque la reconnaissance de l’Admr de son implication dans la relation entre l’employeur et la salariée.

L’Admr a exercé un mandat de gestion au titre des formalités administratives, sociales et fiscales et se devait en mettant en lien la salariée et l’employeur, en sa qualité de professionnelle de l’emploi d’aides à domicile, d’alerter l’employeur sur les contraintes liées à la minorité de Mme [I], d’anticiper toute difficulté dans l’organisation des conditions de travail au regard des besoins de M. [B].

Elle a manqué à son obligation de conseil quant à la législation applicable à l’égard de l’employeur tel qu’allégué par Mme [I], cette dernière pouvant d’autant plus s’en prévaloir qu’elle-même et dès 2010 aurait dû être éclairée par l’association sur ses droits en matière de contrat de travail.

L’association a commis une faute qui peut être invoquée par le tiers à la relation entretenue avec l’employeur sur le fondement extracontractuel.

Sur le lien de causalité

Pour engager la responsabilité de l’association, la victime de l’accident doit démontrer que la faute retenue présente un lien de causalité avec les préjudices subis.

Il résulte des déclarations de la victime rappelées ci-dessus que l’accident de la circulation s’est produit, de jour, exclusivement en raison d’une perte de contrôle sur un sol mouillé. Les déclarations des témoins permettent d’envisager une distraction de la pilote du scooter en ce qu’elle aurait salué des connaissances. Cette donnée n’est cependant pas déterminante en l’espèce puisque lors de son audition, Mme [I] a reconnu être la seule impliquée dans l’accident et être à l’origine du défaut de maîtrise du véhicule deux roues conduit. Elle n’a évoqué aucune autre difficulté.

Mme [I] invoque la fatigue provoquée par ses conditions de travail et particulièrement en raison du travail de nuit durant dix jours. Cependant, cet état de fatigue n’a pas été évoqué et décrit lors de son audition par les gendarmes le 11 janvier 2012, six mois après l’accident, alors qu’elle avait bénéficié d’un temps de réflexion sur les causes de l’accident. Mme [I] ne verse aucun document contemporain de l’accident, notamment médical, évoquant directement ou indirectement, une fatigue anormale ni même particulière. Elle ne justifie pas des conditions de travail au domicile de M. [B], des contraintes liées à la prise en charge de la personne. La présence de Mme [I] à domicile durant la nuit n’emporte pas ipso facto l’impossibilité de bénéficier d’une nuit réparatrice pour l’aidant. La seule présence de Mme [I] sur la route entre 8h et 8h30 ne suffit pas à justifier le lien de causalité nécessaire entre la faute extracontractuelle de l’association retenue pour défaut de conseil et le préjudice subi.

Les éléments susvisés quant à l’intervention de l’Admr dans la gestion administrative de l’emploi, ne permettent pas d’affirmer que l’association avait connaissance de l’activité de la salariée la nuit d’une part, et durant 10 soirées consécutives d’autre part, lorsque s’est produit l’accident puisque les premières informations précises sur l’exécution du contrat de travail ne lui sont parvenues que postérieurement à l’accident.

Mme [I] n’établit pas ce lien de causalité et dès lors, la responsabilité de l’Admr dans la réalisation du dommage. En conséquence, l’action récursoire contre ladite association, de la Cpam [Localité 11] qui prétend obtenir le remboursement de ses demandes ne peut aboutir.

Compte tenu de la solution retenue, la demande d’expertise de Mme [I] est infondée, l’action conduite à l’encontre de l’assureur de l’association, Groupama Centre Manche sans objet.

Le jugement sera confirmé dans les limites de l’appel formé.

 

  

Sur les frais de procédure 

 

Les dispositions du jugement entrepris seront confirmées s’agissant des dépens et de l’application de l’article 700 du code de procédure civile.

Partie perdante, Mme [I] supportera les dépens d’appel dont distraction au profit des avocats en ayant fait la demande conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure cvile : la Scp Cherrier-Bodineau, Me Vincent Bourdon, la Selarl Gray & Scolan.

L’équité ne commande pas l’application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS, 

statuant par arrêt contradictoire, mis à disposition au greffe, 

Déclare irrecevable la demande de Mme [C] [I] formée en ces termes :

«  Condamner l’ADMR à l’indemnisation de l’intégralité des préjudices subis par Madame [I] des suites de l’accident du 26 août 2011 » ajoutée dans ses dernières conclusions notifiées le 23 février 2023,

Déclare irrecevable l’attestation produite en pièce 28 par Mme [C] [I],

Rejette la fin de non-recevoir concernant les pièces 25 et 26 soulevée par Groupama Centre Manche,

Et dans les limites de l’appel formé,

Confirme le jugement entrepris,

Y ajoutant,

Déboute les parties de leur demande formée en application de l’article 700 du code de procédure civile,

Condamne Mme [C] [I] aux dépens d’appel dont distraction au profit de la Scp Cherrier-Bodineau, Me Vincent Bourdon, la Selarl Gray & Scolan.

Le greffier, La présidente de chambre,

 


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