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COUR D’APPEL
DE
VERSAILLES
Code nac : 80C
15e chambre
ARRET N°
CONTRADICTOIRE
DU 14 SEPTEMBRE 2023
N° RG 21/01414 –
N° Portalis DBV3-V-B7F-UP4L
AFFAIRE :
[V] [M]
C/
LES PETITS FRERES DES PAUVRES – ASSOCIATION DE GESTION DES ETABLISSEMENTS
Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 02 Mars 2021 par le Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de POISSY
N° Section : E
N° RG : F19/00305
Copies exécutoires et certifiées conformes délivrées à :
M. [H] [E]
Me Stéphane PICARD de la SELEURL PICARD AVOCATS
le :
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
LE QUATORZE SEPTEMBRE DEUX MILLE VINGT TROIS,
La cour d’appel de Versailles a rendu l’arrêt suivant, initialement fixé au 15 juin 2023 puis prorogé au 14 septembre 2023, les parties ayant été avisées, dans l’affaire entre :
Monsieur [V] [M]
né le 06 Avril 1964 à [Localité 6] ([Localité 5])
de nationalité Française
[Adresse 3]
[Localité 2]
Représentant : M. Stéphane DE LANGRE (Délégué syndical ouvrier)
APPELANT
****************
LES PETITS FRERES DES PAUVRES – ASSOCIATION DE GESTION DES ETABLISSEMENTS
[Adresse 1]
[Localité 4]
Représentant : Me Stéphane PICARD de la SELEURL PICARD AVOCATS, Plaidant/Constitué, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : D1367
INTIMEE
****************
Composition de la cour :
En application des dispositions de l’article 805 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue à l’audience publique du 11 Avril 2023 les avocats des parties ne s’y étant pas opposés, devant Madame Régine CAPRA, Présidente chargée du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Madame Régine CAPRA, Présidente,
Monsieur Thierry CABALE, Président,
Monsieur Eric LEGRIS, Conseiller,
Greffier lors des débats : Madame Sophie RIVIERE,
Greffier lors du prononcé : Madame Angeline SZEWCZIKOWSKI
EXPOSE DU LITIGE
M. [V] [M] a été engagé par l’association d’animation et de gestion des établissements Les Petits Frères des Pauvres (PFP-AGE, ci-après l’association) avec son épouse, Mme [N] [M], par contrat-couple à durée indéterminée du 1er octobre 1994 en qualité d’aide-gérant en mission principale, puis pour assurer le gardiennage et l’entretien du Château de [Localité 8] et le fonctionnement de la cuisine pendant les vacances, à raison d’un temps de travail effectif fixé à 39 heures par semaine pendant les périodes où il n’exerce pas les fonctions de cuisinier et de 42 heures (6 journées de 7 heures), pendant les périodes où il exerce cette activité.
En plus de sa rémunération en espèces, les époux [M] bénéficiaient d’un logement de fonction mis gratuitement à leur disposition avec une garantie de maintien dans les lieux de trois mois à compter du préavis en cas de démission et de licenciement pour faute, d’un mois en cas de licenciement pour faute grave et de 6 mois en cas de licenciement pour motif économique.
Par contrat à durée indéterminée du 12 avril 2006 à effet au 1er mai 2006, le contrat-couple a été dissocié sans discontinuité dans la relation contractuelle. M. [M] a été promu responsable d’unité 1, filière C, groupe G4 et, lorsqu’un groupe séjournait au Château, il occupait en plus, la fonction de cuisinier. Son temps de travail hebdomadaire a été réduit à 35 heures étant précisé qu’il effectuait 42 heures par semaine lorsqu’il exerçait les fonctions de cuisinier avec paiement des heures supplémentaires et leur majoration de la 36ème à la 42ème heure. Il était également prévu que les heures effectuées au-delà de la 42ème heure et leur majoration, soient récupérées.
Ce nouveau contrat a réduit la période de 6 à 3 mois le délai pour libérer le logement de fonction occupé à titre principal en cas de licenciement pour motif économique.
M. [M] a occupé en dernier lieu les fonctions de responsable de maison de vacances au Château de [Localité 8], statut cadre, groupe 5 échelon 7 tout en conservant ses fonctions de cuisinier.
Par avenant du 9 décembre 2011, M. [M] a été classé dans la catégorie des cadres autonomes en application de l’article 7.2 de l’accord collectif sur l’aménagement et la réduction du temps de travail du 20 novembre 2006 en vigueur, classement donnant lieu à l’établissement d’une convention de forfait en jours intégrée audit avenant moyennant une rémunération brute mensuelle de 2 446,96 euros. En toute fin de relation contractuelle, M. [M] percevait un salaire brut de 2 850 euros auquel s’ajoutaient une prime mensuelle d’ancienneté de 225 euros, un 13ème et 14ème mois.
Par lettre du 17 juin 2019, l’association a proposé au salarié d’exercer sa prestation de travail au Château de Montguichet situé sur la commune de [Localité 7], offre de mutation déclinée par M. [M] par courrier motivé du 11 juillet 2019.
Par requête reçue au greffe le 16 décembre 2019, M. [M] a saisi le conseil de prud’hommes de Poissy afin d’obtenir le versement de diverses sommes au titre de l’exécution de son contrat de travail et de contester la validité de la convention de forfait annuel en jours.
Par courrier recommandé avec demande d’avis de réception du 28 décembre 2020, l’association a notifié à M. [M] son licenciement pour motif économique.
Par jugement du 2 mars 2021, auquel renvoie la cour pour l’exposé des demandes initiales des parties et de la procédure antérieure, le conseil de prud’hommes de Poissy a :
– Déclaré irrecevables les nouvelles demandes de M. [M] qui n’auraient pas été exposées en bureau de conciliation et d’orientation,
– Dit que la convention de forfait jours de M. [M] est légale ;
– Débouté M. [M] de l’ensemble de ses demandes ;
– Débouté l’association Les Petits Frères des Pauvres de sa demande reconventionnelle ;
– Condamné M. [M] aux dépens y compris ceux afférents aux actes et procédure d’exécution éventuels.
Par déclaration au greffe du 14 avril 2021, M. [M] a interjeté appel de cette décision.
Par conclusions remises au greffe par lettre recommandée avec accusé de réception expédiée le 28 mai 2021, reçues le 2 juin 2021, auxquelles il est renvoyé pour l’exposé des moyens, M. [M] demande à la cour de :
– Infirmer totalement le jugement rendu le 2 mars 2021 par le conseil de prud’hommes de Poissy,
Y statuant de nouveau :
– Fixer la moyenne des salaires à 5 719,47 euros bruts (12 derniers mois, heures supplémentaires comprises) ;
– Dire que le forfait jour est nul et inopposable au salarié et par conséquent sans effet ;
– Condamner l’Association Les Petits Frères des Pauvres au paiement des sommes suivantes avec intérêts légaux à compter de la date de la saisine :
* 56 852,01 euros au titre des heures supplémentaires du 1er janvier 2017 au 31 décembre 2019 ;
* 5 685,20 euros au titre des congés payés y afférents ;
* 15 732,22 euros au titre des repos compensateurs non pris du 1er janvier 2017 au 31 décembre 2019 ;
* 1 573,22 euros au titre des congés payés y afférents ;
* 435,62 euros à titre de rappel de salaires quant au 1er mai travaillé ;
* 43,56 euros au titre des congés payés y afférents ;
* 10 000 euros au titre de dommages et intérêts pour durées de travail illégales ;
* 15 000 euros au titre de dommages et intérêts pour exécution déloyale du forfait jour de 2012 à 2016 ;
– Condamner l’Association Les Petits Frères des Pauvres au paiement de la somme de 3 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
– Condamner l’Association Les Petits Frères des Pauvres aux dépens.
Par dernières conclusions remises au greffe et notifiées par RPVA le 25 août 2021, auxquelles il est renvoyé pour l’exposé des moyens, l’association Les Petits Frères des Pauvres, demande à la cour de :
In limine litis et à titre principal de :
– Juger qu’elle n’est saisie d’aucune prétention par l’appelant et qu’il n’y a pas lieu à statuer ;
À titre subsidiaire, de :
– Juger qu’elle n’est saisie d’aucune prétention afférente à l’inopposabilité de la convention de forfait annuel en jours et à la fixation du salaire de M. [M] ;
En conséquence,
– Confirmer le jugement du conseil de prud’hommes de Poissy en ce qu’il a débouté M. [M] de l’ensemble de ses demandes afférentes aux heures supplémentaires et au congés payés afférents, aux repos compensateurs non pris et aux congés payés afférents, aux 1er mai travaillés et au congés payés afférents ainsi qu’aux dommages-intérêts pour durée du travail illégale ;
À titre infiniment subsidiaire de :
– Juger irrecevable la demande de dommages-intérêts pour forfait-jours illicite de 2012 à 2016 ou, subsidiairement, débouter M. [M] de cette demande ;
– Confirmer le jugement du conseil de prud’hommes de Poissy en ce qu’il a jugé que la convention de forfait annuel en jours est légale ;
En conséquence,
Confirmer le jugement du conseil de prud’hommes de Poissy en ce qu’il a débouté M. [M] de l’ensemble de ses demandes afférentes aux heures supplémentaires et aux congés payés afférents, aux repos compensateurs non pris et aux congés payés afférents, au 1er mai travaillé et aux congés payés afférents ainsi qu’aux dommages-intérêts pour durée du travail illégale ;
En tout état de cause :
– Infirmer le jugement rendu par le conseil de prud’hommes de Poissy le 2 mars 2021 en ce qu’il a débouté l’association de sa demande reconventionnelle au titre de l’article 700 du Code de procédure civile
et, statuant à nouveau,
Condamner M. [M] à paver à l’association la somme de 5.500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile pour l’instance prud’homale et l’instance d’appel ;
– Condamner M. [M] aux entiers dépens.
Par conclusions d’incident adressées au greffe le 25 août 2021, l’association Les Petits Frères des Pauvres a demandé au conseiller de la mise en état de :
– Déclarer caduque la déclaration d’appel ;
– Constater l’extinction de l’instance et le dessaisissement de la cour ;
– Condamner M. [M] aux entiers dépens.
Par conclusions responsives sur l’incident remises au greffe le 21 septembre 2021, M. [M] a demandé au conseiller de la mise en état de :
– Débouter l’association Les Petits Frères des Pauvres de sa demande de caducité ;
– Débouter l’association Les Petits Frères des Pauvres de sa demande d’extinction de l’instance d’appel et du désistement de la cour ;
– Condamner l’association Les Petits Frères des Pauvres aux dépens.
Par ordonnance d’incident du 14 juin 2022, le conseiller de la mise en état a rejeté toutes les demandes de l’association Les Petits Frères des Pauvres et l’a condamnée aux éventuels dépens de l’incident.
La clôture de l’instruction a été prononcée le 8 mars 2023.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Sur la demande de l’intimée visant à faire juger que la cour n’est saisie d’aucune prétention
L’association soutient in limine litis et à titre principal, que la cour n’est saisie d’aucune prétention du fait que dans son dispositif, l’appelant ne s’adresse par à la cour avant de formuler ses prétentions.
Cette prétention fait suite à une première demande formulée à ce titre par l’association dans le cadre de ses conclusions d’incident du 21 août 2021 visant à déclarer caduque la déclaration d’appel sur ce même moyen.
Aux termes de l’article 908 du code de procédure civile, « à peine de caducité de la déclaration d’appel, relevée d’office, l’appelant dispose d’un délai de trois mois à compter de la déclaration d’appel pour remettre ses conclusions au greffe ».
Aux termes de l’article 910-1 du code de procédure civile, « les conclusions exigées par les articles 905-2 et 908 à 910 sont celles, adressées à la cour, qui sont remises au greffe et notifiées dans les délais prévus par ces textes et qui déterminent l’objet du litige ».
Selon l’article 954 du code de procédure civile : « les conclusions d’appel contiennent, en en-tête, les indications prévues à l’article 961. Elles doivent formuler expressément les prétentions des parties et les moyens de fait et de droit sur lesquels chacune de ces prétentions est fondée avec indication pour chaque prétention des pièces invoquées et de leur numérotation. Un bordereau récapitulatif des pièces est annexé.
Les conclusions comprennent distinctement un exposé des faits et de la procédure, l’énoncé des chefs de jugement critiqués, une discussion des prétentions et des moyens ainsi qu’un dispositif récapitulant les prétentions. Si, dans la discussion, des moyens nouveaux par rapport aux précédentes écritures sont invoqués au soutien des prétentions, ils sont présentés de manière formellement distincte.
La cour ne statue que sur les prétentions énoncées au dispositif et n’examine les moyens au soutien de ces prétentions que s’ils sont invoqués dans la discussion. (‘) »
En l’espèce, M. [M] qui a relevé appel du jugement le 14 avril 2021 a remis au greffe ses conclusions d’appelant par lettre recommandée avec accusé de réception expédiée le 28 mai 2021, reçues le 2 juin 2021, soit dans le délai imparti par l’article 908 du code de procédure civile.
Le dispositif des conclusions de M. [M] est formulé comme suit :
«
PAR CES MOTIFS
INFIRMER totalement le jugement rendu le 02/03/2021 par le CONSEIL DE PRUD’HOMMES de Poissy,
Y STATUANT de nouveau,
FIXER la moyenne des salaires à 5.719,47 € brut, (12 derniers mois HEURES SUPPLÉMENTAIRES compris)
DIRE que le forfait jour est nul et inopposable au salarié et par conséquent sans effet, CONDAMNER l’Association « Les Petits Frères des Pauvres » au paiement des sommes suivantes avec intérêts légaux à compter de la date de la saisine :
‘ 56.852,01 € au titre des heures supplémentaires du 1er janvier 2017 au 31 décembre 2019,
‘ 5.685,20 € au titre des congés payés y afférents,
‘ 15.732,22 € au titre des repos compensateurs non pris du 1er janvier 2017 au 31 décembre 2019,
‘ 1.573,22 € au titre des congés payés y afférents,
‘ 435,62 € à titre de rappel de salaires quant aux 1er mai travaillés
‘ 43,56 € au titre des congés payés y afférents
‘ 10 000 € à titre de dommages et intérêts pour durées de travail illégales,
‘15.000 € à titre de dommages et intérêts pour exécution déloyale du forfait jour de 2012 à 2016,
CONDAMNER l’Association « Les Petits Frères des Pauvres » au paiement de la somme de :
‘ 3.000 € au titre de l’article 700 du C.P.C.
CONDAMNER l’Association « Les Petits Frères des Pauvres » aux dépens.
SOUS TOUTES RESERVES »
Contrairement à ce que soutient l’intimée, le salarié s’adresse bien à la cour dans ses conclusions puisqu’il mentionne en première page de celles-ci qu’elles s’adressent à la cour d’appel de Versailles, puis précise « Plaise à la cour » avant le rappel des faits, la discussion et le « par ces motifs ».
A l’instar de l’ordonnance rendue en date du 13 juin 2022, force est de constater que le salarié y demande expressément d’infirmer totalement le jugement entrepris et sollicite la cour afin qu’elle statue à nouveau et formule plusieurs prétentions.
En conséquence, les conclusions de M. [M] saisissent la cour de prétentions, sur lesquelles il convient de statuer.
Sur la demande de l’intimée visant à voir juger que la cour n’est saisie d’aucune prétention afférente à l’inopposabilité de la convention de forfait annuel en jours et à la fixation du salaire de référence
L’association soutient, à titre subsidiaire, qu’en énonçant dans le dispositif de ses conclusions “FIXER la moyenne des salaires à 5.719,47 € brut, (12 derniers mois HEURES SUPPLÉMENTAIRES compris)
DIRE que le forfait jour est nul et inopposable au salarié et par conséquent sans effet”,
M. [M] ne formule aucune prétention, les “dire et juger” ne constituant pas des prétentions et qu’en conséquence la cour n’est saisie d’aucune prétention afférente à l’inopposabilité de la convention de forfait en jours et à la fixation du salaire de M. [M] et ne peut donc que confirmer le jugement qui a débouté M. [M] de l’ensemble de ses prétentions salariales et indemnitaires.
Le salarié ne réplique pas sur ce point.
En demandant à la cour d’infirmer le jugement entrepris et de dire que le forfait jour est nul et inopposable au salarié et par conséquent sans effet et de fixer la moyenne des salaires à 5.719,47 € brut, (12 derniers mois HEURES SUPPLÉMENTAIRES compris), M. [M] énonce des prétentions au sens de l’article 954 du code de procédure civile. L’association est dès lors mal fondée à prétendre que la cour n’est saisie d’aucune prétention relative à l’inopposabilité de forfait annuel en jours et à la fixation du salaire de M. [M].
Sur la demande de M. [M] au titre des heures supplémentaires et des congés payés afférents
Sur la validité et l’opposabilité de la convention individuelle de forfait en jours conclue entre les parties
M. [M] fait valoir que la convention individuelle de forfait en jours sur l’année qui lui est appliquée par l’association est nulle dès lors qu’elle n’indique pas le nombre de jours maximum de travail à effectuer sur l’année, que le renvoi aux dispositions de l’accord collectif d’entreprise sur la réduction et l’aménagement du temps de travail du 20 novembre 2006 est inopérant pour valider la convention individuelle de forfait et que ledit accord collectif est nul dans la mesure où il ne prévoit pas de garanties suffisantes pour assurer la protection de la santé et de la sécurité des salariés, que l’association ne lui a jamais communiqué le nombre de jours à effectuer sur l’année chaque mois de janvier contrairement à son engagement contractuel, et en tout état de cause, que sa convention individuelle de forfait en jours lui est inopposable à défaut de respect par l’employeur des dispositions des articles L. 3121-64 et L. 3121-65 du code du travail.
Le droit à la santé et au repos est au nombre des exigences constitutionnelles. Il résulte par ailleurs des articles 17, §1, et 19 de la directive 2003/88/CE du Parlement européen et du Conseil du 4 novembre 2003 que les Etats membres ne peuvent déroger aux dispositions relatives à la durée du temps de travail que dans le respect des principes généraux de la protection de la sécurité et de la santé du travailleur.
Selon l’article L. 3121-63 du code du travail, toute convention de forfait annuel en jours est mise en place par un accord collectif d’entreprise ou d’établissement ou, à défaut, par une convention ou un accord de branche dont les stipulations assurent la garantie du respect des durées maximales raisonnables de travail ainsi que des repos, journaliers et hebdomadaires.
L’accord collectif sur « l’aménagement et la réduction du temps de travail à PFP-AGE », conclu le 20 novembre 2006 dans le cadre des dispositions de la loi Aubry II du 19 janvier 2000, prévoit la conclusion de conventions individuelles de forfait en jours comme suit :
« Les cadres autonomes :
Définis par l’article L 212-5-3, ils sont automnes dans l’organisation de leur temps de travail. Ils bénéficient d’une convention individuelle de forfaits en jours sur une base annuelle. Le nombre de jours travaillés ne peut excéder 218 jours par an.
Les cadres concernés tiennent un décompte en jours de leur temps de travail conformément à un modèle qui sera établi, après consultation de la commission de suivi, pour permettre le relevé et le contrôle par l’employeur du temps de travail et le communiquent au service paie à la périodicité prescrite.
Ils prévoient leur moment de repos sous réserve de l’accord de l’employeur. Ils organisent eux-mêmes leur travail, l’amplitude de leur journée d’activité et la charge de travail qui en résulte de façon à réaliser leur mission décrite dans leur définition de poste et complétée éventuellement par une délégation de pouvoir.
Ils bénéficient de 23 jours de repos supplémentaire par année complète de présence effective, qu’ils pourront prendre à des dates convenues préalablement avec l’employeur, par journée entière ou par demi-journée. Ils bénéficient du repos quotidien de 11 heures consécutives et de 35 heures consécutives de repos hebdomadaire. Une partie de ces jours de repos pourront, en fin d’année, alimenter le compte épargne temps (voir l’article 8) ».
Cet accord, accepté sans réserve par les délégués syndicaux centraux comme par l’employeur,est entré en vigueur le 1er janvier 2007.
L’article 19, III, de la loi n°2008-789 du 20 août 2008 ayant sécurisé les accords collectifs conclus sous l’empire des dispositions régissant antérieurement le recours aux conventions de forfait, les dispositions de cet accord sont restées en vigueur.
M. [M], qui exerce les fonctions de responsable de maison de vacances et de cuisinier le cas échéant, statut cadre, dont la durée du travail ne peut être prédéterminée et qui dispose effectivement d’une grande autonomie dans l’organisation de son emploi du temps pour l’exercice des responsabilités qui lui sont confiées, est susceptible de relever du régime du forfait en jours.
L’avenant au contrat de travail de M. [M] conclu par les parties le 9 décembre 2011 à effet au 1er janvier 2012 stipule :
En préambule, notamment :
« A l’issue des négociations avec les partenaires sociaux, un avenant à l’accord de classification et de rémunération en vigueur au sein de sein l’Unité Economique et Sociale des petits frères des Pauvres a été signé le 21 septembre 2011. Celui-ci modifie la filière de classification des Responsables de Maison de Vacances. Ce poste relève désormais de la filière « CADRES ». C’est dans ce contexte qu’il est proposé à Monsieur [V] [M] le présent avenant à son contrat de travail. Ainsi, les clauses ci-dessous annulent et remplacent celles des précédents accords contractuels entre le Salarié et PFP-AGE ».
A l’article 1 relatif au statut :
« Il a été convenu qu’à compter du ler janvier 2012, Monsieur [V] [M] aura le statut de cadre.
Il sera ainsi classé : Filière CADRES – Groupe 5 – Echelon 7.
Son contrat de travail est régi par les dispositions notamment du Statut du personnel de l’association et par celles de l’accord sur l’aménagement et la réduction du temps de travail du 20 novembre 2006, documents dont le Salarié reconnaît avoir pris connaissance ».
A l’article 2 relatif à la durée du travail :
« L’accord sur l’aménagement et la réduction du temps de travail du 20 novembre 2006 en vigueur au sein de PFP-AGE définit le régime juridique applicable au temps de travail des cadres.
Conformément à ce texte, Monsieur [V] [M] est classé dans la catégorie des cadres autonomes définie au § 7.2 de l’accord ARTT précité.
Conformément à la législation, ce classement donne lieu à l’établissement d’une convention de forfait en jours intégrée au présent avenant.
Compte tenu de la nature de ses fonctions, Monsieur [V] [M] n’est pas soumis à un horaire collectif et bénéficie d’une autonomie dans la gestion de son emploi du temps. Monsieur [V] [M] organise lui-même son travail, l’amplitude de sa journée d’activité et la charge de travail qui en résulte, de façon à réaliser sa mission décrite dans sa définition de poste et complétée éventuellement par une délégation de pouvoir.
Du fait de cette autonomie, Monsieur [V] [M] travaille selon une durée qui ne peut être prédéterminée. Le travail pourra être réparti sur les 7 jours de la semaine dans le cadre de notre statut du personnel.
Le temps de travail de Monsieur [V] [M] est apprécié en jours dans le cadre d’un forfait annuel. Le nombre de jours travaillés sur l’année découle du nombre de :
– jours de repos hebdomadaires ;
– jours de congés payés légaux ;
– jours fériés tombant un jour ouvré ;
– et des 23 jours de repos supplémentaire pour cadres au forfait qui lui seront accordés pour une année complète de travail effectif, prévus par l’accord précité au § 7.2., en contrepartie du caractère forfaitaire de la durée de son travail.
Le nombre de jours de travail ainsi calculé peut légèrement varier selon les années (à titre indicatif 205 en 2011) et sera communiqué au Salarié chaque mois de janvier.
En cas d’année incomplète (notamment en cas d’entrée ou de départ en cours d’année), le nombre de jours travaillés est déterminé au prorata temporis.
Conformément à l’accord susvisé, Monsieur [V] [M] aura à établir un décompte en jours de son temps de travail selon des modalités qui lui seront précisées par note de service. »
A l’article 3 relatif à la rémunération :
« Eu égard à sa nouvelle classification et en contrepartie de son travail, la rémunération brute mensuelle de Monsieur [V] [M] est portée à 2 446,96 E à compter du 1er janvier 2012 sous réserve de l’accord du Salarié au présent avenant ».
La clause contractuelle que le salarié a acceptée en signant son contrat de travail ne fixe pas le nombre de jours travaillés compris dans le forfait mais seulement la rémunération versée en contrepartie du passage au forfait annuel en jours puis renvoie à l’accord collectif, qui fixe un maximum de 218 jours travaillés par an et les modalités d’établissement par les salariés concernés, de leur décompte des jours de travail et de leurs absences puis précise qu’il revient aux dits salariés d’organiser « eux-mêmes leur travail, l’amplitude de leur journée d’activité et la charge de travail qui en résulte de façon à réaliser leur mission décrite dans leur définition de poste ». Elle caractérise l’existence d’une convention individuelle de forfait.
Pour soutenir la régularité de la convention individuelle de forfait en jours conclue, l’association se fonde sur l’article 1108 du code civil selon lequel quatre conditions sont requises pour qu’une convention soit légalement formée qu’elle estime remplies : le consentement de la partie qui s’oblige, sa capacité de contracter, un objet certain qui forme la matière de l’engagement et une cause licite dans l’obligation.
Cela étant, ces conditions ne suffisent pas en l’espèce.
L’article L. 3121-64, II, du code du travail, issu de la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016, entrée en vigueur le 10 août 2016, dispose que l’accord autorisant la conclusion de conventions individuelles de forfait en jours détermine :
« 1° Les modalités selon lesquelles l’employeur assure l’évaluation et le suivi régulier de la charge de travail du salarié ;
2° Les modalités selon lesquelles l’employeur et le salarié communiquent périodiquement sur la charge de travail du salarié, sur l’articulation entre son activité professionnelle et sa vie personnelle, sur sa rémunération ainsi que sur l’organisation du travail dans l’entreprise ;
3° Les modalités selon lesquelles le salarié peut exercer son droit à la déconnexion prévu au 7° de l’article L. 2242-8 (devenu L. 2242-17 en exécution de l’ordonnance n°2017-1718 du 20 décembre 2017 entrée en vigueur le 22 décembre 2017) ».
L’accord collectif sur l’aménagement et la réduction du temps de travail du 20 novembre 2006, qui se borne à prévoir que les cadres autonomes seront soumis à un système autodéclaratif en jours permettant le relevé et le contrôle par l’employeur du temps de travail et indiquant les jours de repos sous réserve de l’accord de l’employeur, sans instituer de suivi effectif et régulier permettant à ce dernier de remédier en temps utile à une charge de travail éventuellement incompatible avec une durée raisonnable, n’est pas de nature à garantir que cette amplitude et cette charge de travail restent raisonnables et à assurer une bonne répartition, dans le temps, du travail de l’intéressé. Il ne pouvait donc valablement constituer à lui seul l’accord collectif servant de fondement à une convention individuel de forfait.
Selon l’article 12, III, de la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016, l’exécution d’une convention de forfait en jours conclue sur le fondement d’une convention ou d’un accord de branche ou d’un accord d’entreprise ou d’établissement, qui, à la date de publication de la présente loi, n’est pas conforme aux 1° à 3° du II de l’article L. 3121-64 du code du travail, peut être poursuivie, sous réserve que l’employeur respecte l’article L. 3121-65 du même code.
L’article L. 3121-65 du code du travail dispose :
I.-A défaut de stipulations conventionnelles prévues aux 1° et 2° du II de l’article L. 3121-64, une convention individuelle de forfait en jours peut être valablement conclue sous réserve du respect des dispositions suivantes :
1° L’employeur établit un document de contrôle faisant apparaître le nombre et la date des journées ou demi-journées travaillées. Sous la responsabilité de l’employeur, ce document peut être renseigné par le salarié ;
2° L’employeur s’assure que la charge de travail du salarié est compatible avec le respect des temps de repos quotidiens et hebdomadaires ;
3° L’employeur organise une fois par an un entretien avec le salarié pour évoquer sa charge de travail, qui doit être raisonnable, l’organisation de son travail, l’articulation entre son activité professionnelle et sa vie personnelle, ainsi que sa rémunération.
II.-A défaut de stipulations conventionnelles prévues au 3° du II de l’article L. 3121-64, les modalités d’exercice par le salarié de son droit à la déconnexion sont définies par l’employeur et communiquées par tout moyen aux salariés concernés. Dans les entreprises d’au moins cinquante salariés, ces modalités sont conformes à la charte mentionnée au 7° de l’article L. 2242-8 (devenu L. 2242-17 en exécution de l’ordonnance n°2017-1718 du 20 décembre 2017 entrée en vigueur le 22 décembre 2017).
Il incombe à l’association de rapporter la preuve qu’elle a satisfait à ces dispositions, ainsi qu’elle le prétend.
Pour en justifier, elle produit :
– les entretiens annuels 2017 et 2018 du salarié sur lesquels seule sa charge de travail a été abordée mais pas l’organisation de son travail, l’articulation entre son activité professionnelle et sa vie personnelle et sa rémunération ;
– deux notes internes des 11 avril 2016 et 15 décembre 2016 qui indiquent aux salariés au forfait en jours, la nécessité de solder leurs jours de congés pour 2014/2015, au 31 mai 2016 et pour 2015/2016, fin décembre 2016 ;
– une note interne du 15 février 2017 relative au temps de travail des cadres, qui rappelle qu’il leur appartient d’organiser leur temps de travail mais également leur temps de repos, puis après un rappel du nombre de jours supplémentaires de repos (23), de l’obligation du repos hebdomadaire et quotidien et qui les sollicite pour remplir et adresser à leur responsable hiérarchique, un nouveau tableau mensuel de suivi du temps de travail par journée ou demi-journée travaillée et motif d’absence le cas échéant ;
– trois courriels des 17 décembre 2018, 7 mai 2019 et 30 octobre 2019 de M. [Z], chargé des ressources humaines, requérant aux cadres au forfait en jours, de solder leurs jours de réduction du temps de travail ou, à défaut, d’alimenter leur compte épargne temps dans la limite de 10 jours de repos ;
– un courriel du directeur adjoint de l’association du 29 mars 2018 faisant suite à des échanges avec M. [M] concernant l’organisation de son temps de travail au sein duquel l’employeur relate notamment, qu’en analysant le tableau déclaratif du suivi du temps de travail 2017 du salarié, donc tardivement, il a pu constater « un nombre de jours travaillés anormalement élevés » « vous déclarez travailler des semaines entières sans prise de repos », « je vous ai rappelé que la prise de repos hebdomadaire était obligatoire », « je peux comprendre que votre logement de fonction sur place autorise une plus grande facilité d’intervention sur la maison lorsque celle-ci est occupée le week-end » avant de l’inviter à régulariser le déséquilibre de son temps de travail de 2017 en 2018 ;
– un extrait de l’accord collectif du 13 janvier 2016 relatif entre autres, au droit à la déconnexion dont les termes se limitent à mentionner « si le déploiement des nouvelles technologies de l’information et de la communication peut faciliter le travail collaboratif et en réseau, il est cependant important de bien garantir les dispositions légales fixant les durées quotidienne et hebdomadaire maximales de travail ainsi que les durées minimales de repos dont doivent bénéficier les salariés. Ainsi, l’employeur et les Organisations Syndicales souhaitent rappeler à chaque salarié qu’il veille à se déconnecter du réseau et à ne pas envoyer de courriel en dehors des heures habituelles de travail ceci dans le souci de leur santé et de l’amélioration de la qualité de vie au travail (équilibre vie privée / vie professionnelle) » sans expliciter les modalités d’exercice de ce droit.
En conséquence de ce qui précède, l’association ne justifie pas de la mise en ‘uvre effective de l’ensemble des dispositions supplétives prévues par l’article L. 3121-65 du code du travail visant à instituer un suivi effectif et régulier permettant à l’employeur de s’assurer que la charge de travail du salarié est compatible avec le respect des temps de repos quotidiens et hebdomadaires. L’association ne rapporte pas la preuve que les tableaux de suivi du temps de travail complétés mensuellement par les cadres autonomes ont été utilisés pour d’autre fin que la gestion des jours de repos, RTT, congés payés et arrêts maladie.
Il n’est pas établi par l’employeur que le responsable hiérarchique de M. [M] a assuré en temps utile, un suivi effectif et régulier de la charge de travail et de l’amplitude des journées de celui-ci, lesquelles devaient rester raisonnables, permettant ainsi de s’assurer une bonne répartition dans le temps, de son travail.
Il s’ensuit que la convention individuelle de forfait en jours stipulée au contrat de travail de M. [M] n’est pas valable.
Sur les heures supplémentaires et les congés payés afférents
Compte tenu de la nullité de sa convention de forfait en jours, M. [M] est bien fondé à prétendre au décompte de son temps de travail selon le droit commun et au paiement des heures supplémentaires effectuées au-delà de la durée légale du travail de 35 heures par semaine au cours de la période du 1er janvier 2017 au 31 décembre 2019.
Le salarié, qui sollicite la condamnation de l’association Les Petits Frères des Pauvres à lui payer la somme totale de 56 852,01 euros à titre d’heures supplémentaires, outre 5 685,20 euros de congés payés afférents, prétend avoir effectué 710,50 heures supplémentaires en 2017, 715 heures supplémentaires en 2018 et 748 heures supplémentaires en 2019. Il allègue avoir travailler du lundi au samedi et certains dimanches matins et avoir réalisé les horaires suivants : sans cuisinier, du lundi au samedi de 7h30 à 15h et de 18h à 20h30 et le dimanche de 7h30 à 13h et avec la présence à ses côtés d’un cuisinier, du lundi au samedi de 9h à 16h.
Il est inopérant que le salarié n’ait pas contesté avant fin 2019 sa convention individuelle de forfait en jours ni revendiqué avant cette date, le paiement d’heures supplémentaires.
En application de l’article L. 3171-4 du code du travail, en cas de litige relatif à l’existence ou au nombre d’heures de travail accomplies, il appartient au salarié de présenter, à l’appui de sa demande, des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu’il prétend avoir accomplies afin de permettre à l’employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d’y répondre utilement en produisant ses propres éléments.
A l’appui de sa demande, M. [M] produit :
– d’une part :
* trois tableaux récapitulatifs de décompte de son temps de travail en heures pour 2017, 2018 et 2019 tenant compte de la présence ou pas d’un cuisinier à ses côtés ;
* ses tableaux de suivi annuels de son temps de travail de 2017 à 2019 ;
* ses bulletins de salaires sur la période concernée :
– d’autre part et afin de corroborer le nombre d’heures effectuées quotidiennement :
* le registre d’accueil des groupes pour les années 2017, 2018 et 2019 pour lesquels il a dû faire la cuisine en l’absence de cuisinier ;
* les contrats à durée déterminés de M. [Y] et de Mme [S], cuisiniers venus en renfort sur de courtes périodes.
Ces éléments sont suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu’il prétend avoir accomplies pour permettre à l’employeur d’y répondre utilement en produisant ses propres éléments.
L’association soutient que M. [M] n’a effectué aucune heure supplémentaire et que, quoi qu’il en soit, elle ne lui avait pas demandé d’exécuter des heures supplémentaires, que son silence ne vaut pas acceptation, de sorte que M. [M] était soumis à l’horaire collectif de travail de 35 heures hebdomadaires et que dès lors, il doit être débouté de ses demandes au titre des heures supplémentaires qu’il prétend avoir réalisé de 2017 à 2019.
Selon l’article L. 3121-22 du code du travail, constituent des heures supplémentaires toutes les heures de travail effectuées au-delà de la durée hebdomadaire du travail fixée par l’article L. 3121-10 du code du travail ou de la durée considérée comme équivalente. Cette durée du travail hebdomadaire s’entend des heures de travail effectif et des temps assimilés.
Aux termes de l’article L. 3121-1 du code du travail, la durée du travail effectif est le temps pendant lequel le salarié est à la disposition de l’employeur et se conforme à ses directives sans pouvoir vaquer librement à des occupations personnelles.
Les jours fériés et les jours de réduction du temps de travail ne peuvent, en l’absence de dispositions légales ou conventionnelles, être assimilées à du temps de travail effectif, de sorte qu’ils ne sauraient être pris en compte dans la détermination de l’assiette de calcul des droits à majoration pour heures supplémentaires.
L’association soutient à tort que M. [M] aurait comptabilisé des jours de réduction de temps de travail, des jours fériés et des jours de régulation et que ses tableaux de décompte horaire contiennent des incohérences quant aux jours travaillés ou de repos comptabilisés eu égard aux tableaux de suivi déclaratifs du salarié pour la période considérée.
Au vu des dispositions légales applicables et des éléments présentés par les deux parties, il est établi que M. [M] a effectué du 1er janvier 2017 au 31 décembre 2019 des heures supplémentaires, qui étaient nécessaires pour mener à bien ses missions. La cour fixe le rappel de salaire qui lui est dû à ce titre à la somme de 56 852,01 euros bruts.
Il convient en conséquence d’infirmer le jugement entrepris et de condamner l’association Les Petits Frères des Pauvres à payer à M. [M] la somme de 56 852,01 euros à titre de rappel d’heures supplémentaires pour la période du 1er janvier 2017 au 31 décembre 2019 ainsi que la somme de 5685,20 euros au titre des congés payés afférents.
Sur la demande relative aux repos compensateurs et aux congés payés afférents
En application des dispositions de l’article L3121-30 du code du travail, le salarié bénéficie d’une contrepartie obligatoire en repos pour toute heure supplémentaire accomplie au-delà du contingent annuel.
L’association n’a pas négocié d’accord collectif sur le taux de majoration des heures supplémentaires, le contingent annuel et les repos compensateurs et ne dépend pas d’une convention collective de sorte que les dispositions du code du travail s’appliquent.
Selon l’article L. 3121-38, à défaut d’accord, la contrepartie obligatoire sous forme de repos mentionnée à l’article L. 3121-30 est fixée à 50 % des heures supplémentaires accomplies au-delà du contingent annuel mentionné au même article L. 3121-30 pour les entreprises de vingt salariés au plus, et à 100 % de ces mêmes heures pour les entreprises de plus de vingt salariés.
Selon l’article D. 3121-24 du code du travail, à défaut d’accord prévu à l’article L. 3121-33 du même code, le contingent annuel d’heures supplémentaires est fixé à 220 heures par salarié.
En l’espèce, M. [M] a effectué 305 heures supplémentaires au-delà du contingent annuel en 2017, 239,50 heures supplémentaires au-delà du contingent annuel en 2018 et 318 heures supplémentaires au-delà du contingent annuel en 2019.
M. [M] ayant été privé, du fait de son employeur, du bénéfice de la contrepartie obligatoire en repos à laquelle il avait droit, a subi un préjudice lui ouvrant droit à une indemnité correspondant aux heures de repos compensateurs dont il a été privé et aux congés payés afférents.
En conséquence, l’association sera condamnée à payer à M. [M] la somme de 15 732,22 euros au titre des repos compensateurs non pris du 1er janvier 2017 au 31 décembre 2019 ainsi que la somme de 1 573,22 euros au titre des congés payés afférents. Le jugement est infirmé de ces chefs.
Sur la demande de dommages et intérêts pour forfait illicite de 2012 à 2016
M. [M] sollicite la somme de 15 000 euros de dommages et intérêts pour s’être vu appliquer un forfait en jours illégalement durant la période de 2012 à 2016, sans qu’il ne puisse solliciter d’heures supplémentaires en raison de la prescription applicable et sans que son entretien annuel sur cette période n’aborde les questions de charge de travail, d’organisation du travail dans l’entreprise, d’articulation entre son activité professionnelle et sa vie personnelle et familiale.
L’association fait valoir que cette demande est irrecevable, à titre principal, comme constituant une demande nouvelle en cause d’appel, et à titre subsidiaire, comme se heurtant au délai de prescription.
L’article 564 du code de procédure civile dispose qu’à peine d’irrecevabilité, relevée d’office, les parties ne peuvent soumettre à la cour de nouvelles prétentions si ce n’est pour opposer compensation, faire écarter les prétentions adverses ou faire juger les questions nées de l’intervention d’un tiers, ou de la survenance ou de la révélation d’un fait.
Selon l’article 565, les prétentions ne sont pas nouvelles dès lors qu’elles tendent aux mêmes fins que celles soumises au premier juge même si leur fondement juridique est différent.
Selon l’article 566, les parties ne peuvent ajouter aux prétentions soumises au premier juge que les demandes qui en sont l’accessoire, la conséquence ou le complément nécessaire.
Selon l’article 567, les demandes reconventionnelles sont également recevables en appel.
La demande de dommages-intérêts pour application d’un forfait en jours illicite de 2012 à 2016 étant l’accessoire des demandes formées en première instance est recevable au regard des dispositions de l’article 566 du code de procédure civile.
Toutefois seul le salarié dont la demande de rappel de salaire au titre des heures supplémentaires n’est pas prescrite est recevable à contester la convention de forfait annuel en jours stipulée dans son contrat de travail.
Si, en principe, l’interruption de la prescription ne peut s’étendre d’une action à une autre, il en est autrement lorsque les deux actions, au cours d’une même instance, concernent l’exécution du même contrat de travail.
La demande de rappel de salaire au titre d’heures supplémentaires accomplies de 2012 à novembre 2016 étant prescrite à la date de la saisine du conseil de prud’hommes, le 16 décembre 2019, en application de l’article L. 3245-1 du code du travail, M. [M] n’est pas recevable à contester la convention de forfait annuel en jours stipulée dans son contrat de travail pour la période antérieure au mois de décembre 2016. Sa demande de dommages-intérêts pour application d’un forfait en jours illicite de 2012 à novembre 2016, sans qu’il puisse solliciter le paiement d’heures supplémentaires, est dès lors irrecevable.
S’agissant du mois de décembre 2016, M. [M] est mal fondé à solliciter des dommages-intérêts pour application d’un forfait en jours illicite, sans qu’il puisse solliciter le paiement d’heures supplémentaires, alors qu’il lui appartenait de solliciter le paiement des heures supplémentaires qu’il avait, le cas échéant, effectuées, qui n’étaient pas prescrites.
S’agissant de la réparation du préjudice subi du fait de l’absence d’entretien annuel portant sur sa charge de travail, l’organisation du travail dans l’entreprise, l’articulation entre son activité professionnelle et sa vie personnelle et familiale au cours de la période de 2012 et 2016, sa demande est également irrecevable comme étant prescrite en application de l’article L. 1471-1 du code du travail, à la date de la saisine du conseil de prud’hommes, le 16 décembre 2019.
Sur la demande de rappel de salaire relatif au 1er mai 2018 travaillé
M. [M] sollicite la somme brute de 435,62 euros à titre de rappel de salaire quant au 1er mai 2018 travaillé outre 43,56 euros de congés payés afférents.
L’association réplique premièrement, qu’en sa qualité de cadre autonome au forfait en jours, le salarié ne peut prétendre à ces sommes estimant qu’il n’avait pas à travailler ledit jour au regard de son autonomie dans l’organisation et la gestion de son temps de travail, deuxièmement, que le salarié ne démontre pas avoir travailler 12 heures le 1er mai 2018 de sorte qu’il était soumis à l’horaire collectif journalier de 7 heures.
Selon l’article L. 3133-6 du code du travail, dans les établissements et services qui, en raison de la nature de leur activité, ne peuvent interrompre le travail, les salariés occupés le 1er mai ont droit, en plus du salaire correspondant au travail accompli, à une indemnité égale au montant de ce salaire. Cette indemnité est à la charge de l’employeur.
Compte tenu des éléments portés à l’appréciation de la cour qui permettent d’établir la présence d’un groupe de 6 personnes du 30 avril au 4 mai 2018 et de l’absence de cuisinier, il est établi que M. [M] a travaillé 12 heures le 1er mai 2018.
Dès lors, il sera fait droit à la demande du salaire mais uniquement à hauteur de 217,81 euros bruts correspondant à la majoration exceptionnelle de 100%, outre 21,78 euros bruts de congés payés afférents et le jugement sera infirmé de ces chefs.
Sur la demande de dommages et intérêts relatifs à la durée illégale de travail
M. [M] sollicite la condamnation de l’association à lui payer la somme de 10 000 euros à titre de dommages-intérêts pour dépassement des durées quotidiennes et hebdomadaires maximales de travail. Il fait valoir que compte-tenu des tâches qu’il avait à accomplir et du peu d’aide qu’il a reçu par l’engagement ponctuel de cuisiniers dont les contrats sont produits, il travaillait le plus souvent à raison de 12 heures de travail effectif quotidiennes au lieu de 10 et de 60 heures hebdomadaires au lieu de 48.
L’association fait valoir que le salarié ne rapporte pas la preuve des dépassements des durées quotidiennes et hebdomadaires de travail et que le recours aux contrats à durée déterminée d’usage ne démontre pas une charge de travail anormalement élevée du salarié puisqu’il n’avait pas vocation à apporter un soutien dans les tâches inhérentes à ce dernier et qu’il s’agissait de missions très différentes et complémentaires. Pourtant certains d’entre eux ont occupé la fonction de cuisinier à l’instar de M. [M].
Selon l’article L. 3121-18 du code du travail, la durée quotidienne de travail effectif par salarié ne peut excéder dix heures, sauf notamment en cas de dérogation accordée par l’inspecteur du travail dans des conditions déterminées par décret.
Selon l’article L. 3121-20 du même code, au cours d’une même semaine, la durée maximale hebdomadaire de travail est de quarante-huit heures.
Selon l’article L. 3121-22 du même code, la durée hebdomadaire de travail calculée sur une période quelconque de douze semaines consécutives ne peut dépasser quarante-quatre heures, sauf dans les cas prévus aux articles L. 3121-23 à L. 3121-25.
La preuve du respect des seuils et plafonds prévus par le droit de l’Union européenne et des durées maximales de travail fixées par le droit interne incombe à l’employeur.
Le seul constat du dépassement de la durée maximale du travail ouvre droit à réparation.
L’association ne rapporte pas la preuve, qui lui incombe, de ce que les durées maximales de travail étaient respectées. Il apparaît au contraire que, compte tenu du fait que les journées du salarié pouvaient être de 12 heures lorsqu’il assurait les fonctions de cuisinier en plus de celles de responsable de maison de vacances, que des groupes pouvaient séjourner au château jusqu’à seize jours consécutifs, le temps de travail de l’intéressé dépassait régulièrement les durées maximales quotidiennes et hebdomadaires de travail, de sorte qu’il lui sera alloué la somme de 3 000 euros à titre de dommages et intérêts relatifs pour durées de travail illégales.
Le jugement entrepris sera infirmé de ce chef.
Sur la demande de fixation de la moyenne de salaire
M. [M] sollicite la fixation de la moyenne de ses salaires.
Cette demande est sans objet, l’article R. 1454-28 du code du travail imposant au juge de fixer la moyenne des salaires n’étant pas applicable devant la cour d’appel, le pourvoi en cassation n’ayant pas d’effet suspensif.
Sur les intérêts
Les intérêts au taux légal portant sur les condamnations de nature salariale seront dus à compter de la réception par l’employeur de la convocation devant le bureau de conciliation et d’orientation.
S’agissant des créances de nature indemnitaire, les intérêts au taux légal seront dus à compter de la décision les ayant prononcées.
Sur l’article 700 du code de procédure civile et les dépens
Compte tenu de la solution du litige, la décision entreprise sera infirmée de ces deux chefs et par application de l’article 696 du code de procédure civile, les dépens de première instance et d’appel seront mis à la charge de l’association Les Petits Frères des Pauvres.
La demande formée par M. [M] au titre des frais irrépétibles en cause d’appel sera accueillie à hauteur de 3 000 euros. La demande formée à ce titre par l’association Les Petits Frères des Pauvres sera rejetée.
PAR CES MOTIFS
La COUR,
Statuant par arrêt CONTRADICTOIRE,
Infirme partiellement le jugement du conseil de prud’hommes de Poissy en date du 2 mars 2021, et statuant à nouveau sur les chefs infirmés :
Dit que la clause de forfait en jours de M. [V] [M] est nulle ;
En conséquence,
Condamne l’association d’animation et de gestion des établissements Les Petits Frères des Pauvres à payer à M. [V] [M] :
* 56 852,01 € au titre des heures supplémentaires du 1er janvier 2017 au 31 décembre 2019,
* 5 685,20 € au titre des congés payés afférents,
* 15 732,22 € au titre des repos compensateurs non pris du 1° janvier 2017 au 31 décembre 2019
* 1 573,22 € au titre des congés payés afférents ;
* 217,81 € à titre de rappel de salaires quant au 1er mai 2018 travaillé ;
* 21,78 € au titre des congés payés y afférents ;
* 3 000 € au titre de dommages-intérêts pour durées de travail illégales ;
Dit que les sommes à caractère salarial produiront intérêts au taux légal à compter de la réception par l’employeur de la convocation devant le bureau de conciliation et d’orientation et que les sommes à caractère indemnitaire produiront intérêts au taux légal à compter du présent arrêt ;
Dit n’y avoir lieu à fixation de la moyenne des salaires ;
Confirme pour le surplus les dispositions non contraires du jugement entrepris ;
Y ajoutant :
Déclare la demande de dommages-intérêts pour forfait-jours illicite de 2012 à 2016 de M. [V] [M] irrecevable ;
Condamne l’association d’animation et de gestion des établissements Les Petits Frères des Pauvres à payer à M. [V] [M] la somme de 3 000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile ;
Déboute l’association d’animation et de gestion des établissements Les Petits Frères des Pauvres de sa demande fondée sur l’article 700 du code de procédure civile pour les frais irrépétibles exposés en cause d’appel ;
Condamne l’association d’animation et de gestion des établissements Les Petits Frères des Pauvres aux dépens de première instance et d’appel.
– prononcé publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.
– signé par Madame Régine CAPRA, Présidente et par Madame Angeline SZEWCZIKOWSKI, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Le Greffier, La Présidente,