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Copies exécutoires REPUBLIQUE FRANCAISE
délivrées le : AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
COUR D’APPEL DE PARIS
Pôle 6 – Chambre 11
ARRET DU 13 JUIN 2023
(n° , 9 pages)
Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 21/04223 – N° Portalis 35L7-V-B7F-CDVS7
Décision déférée à la Cour : Jugement du 31 Mars 2021 -Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de PARIS – RG n°
APPELANTE
Madame [A] [M] épouse [S]
[Adresse 2]
[Localité 4]
Représentée par Me Aurélie THEVENIN, avocat au barreau de PARIS, toque : B 757
INTIMEE
LA SOCIETE TOTAL ELECTRICITE GAZ ET FRANCE venant aux droits de la SOCIETE TOTAL DIRECT ENERGIE
[Adresse 1]
[Localité 3]
Représentée par Me Guillaume BORDIER, avocat au barreau de PARIS, toque : K0020
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 06 Avril 2023, en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant Madame Catherine VALANTIN, Conseillère, chargée du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, entendu en son rapport, composée de :
Madame Anne HARTMANN, Présidente de chambre,
Madame Isabelle LECOQ-CARON, Présidente de chambre,
Madame Catherine VALANTIN, Conseillère,
Greffier, lors des débats : Madame Manon FONDRIESCHI
ARRET :
– contradictoire
– par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.
– signé par Madame Anne HARTMANN, Présidente de chambre, et par Madame Manon FONDRIESCHI, Greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
RAPPEL DES FAITS, PROCÉDURE ET PRETENTIONS DES PARTIES
Mme [A] [M], née en 1980, a été engagée par la SA Total Direct Énergie (anciennement Direct Energie), et aux droits de laquelle vient la société Total énergies électricité et gaz de France par un contrat de travail à durée indéterminée à compter du 1er février 2009, en qualité d’ingénieur d’études et développement, statut cadre.
Les relations contractuelles entre les parties étaient soumises à la convention collective nationale du négoce et de la distribution de combustibles.
Au dernier état, la salariée exerçait les fonctions d’ingénieur support applicatif.
Mme [M] a été en congé maternité puis en congé parental de juillet 2015 à septembre 2017.
Par lettre datée du 8 juillet 2019, Mme [M] a été convoquée à un entretien préalable fixé au 17 juillet 2019.
Mme [M] a ensuite été licenciée pour cause réelle et sérieuse par lettre datée du 25 juillet 2019.
A la date du licenciement, Mme [M] avait une ancienneté de 10 ans et 8 mois et la société Total Direct Energie occupait à titre habituel plus de dix salariés.
Contestant la légitimité de son licenciement et réclamant diverses indemnités, demandant des dommages et intérêts pour harcèlement et manquement à l’obligation de sécurité de résultat, outre la fixation de son salaire de référence, Mme [M] a saisi le 6 décembre 2019 le conseil de prud’hommes de Paris qui, par jugement du 31 mars 2021, auquel la cour se réfère pour l’exposé de la procédure antérieure et des prétentions initiales des parties, a statué comme suit :
-déboute Mme [M] de l’ensemble de ses demandes ;
-déboute la société Total Direct Énergie de sa demande au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
-condamne Mme [M] au paiement des entiers dépens.
Par déclaration du 4 mai 2021, Mme [M] a interjeté appel de cette décision, notifiée le 12 avril 2021.
Dans ses dernières conclusions adressées au greffe par le réseau privé virtuel des avocats le 5 avril 2023 , Mme [M] demande à la cour de :
-déclarer Mme [M] recevable et bien fondée en son appel
– débouter la société Total Direct Energie Electricité et Gaz de France venant aux droits de la société Total Direct Energie SA de l’ensemble de ses demandes.
En conséquence,
-infirmer le jugement dont appel en ce qu’il a débouté Mme [M] de l’ensemble de ses demandes
Et statuant de nouveau,
-condamner la société Total Direct Energie Electricité et Gaz de France venant aux droits de la société Total Direct Énergie à payer à Mme [M]
32 833,30 euros à titre d’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse
40 000 euros à titre de dommage et intérêts pour harcèlement et manquement à l’obligation de sécurité.
10 000 euros à titre de dommages et intérêts pour manquements à l’obligation de formation
-condamner la société Total Direct Énergie à payer à Mme [M] la somme de 4 000 euros au titre de l’article 700 du CPC
-condamner la société Total Direct Énergie aux entiers dépens
Dans ses dernières conclusions adressées au greffe par le réseau privé virtuel des avocats le 4 avril 2023 , la société Total Direct Énergie demande à la cour de :
In limine litis:
A titre principal:
– écarter les pièces et conclusions communiquées par Madame [M] le 28 mars 2023,
A titre subsidiaire;
– dire irrecevable la demande de dommages et intérêts pour défaut de formation,
Au fond:
– fixer le salaire à 3.075,42 € ;
-confirmer le jugement de conseil de prud’hommes de Paris du 31 mars 2021 en ce qu’il a débouté Mme [M] de toutes ses demandes,
– condamner Mme [M] à verser à la Société la somme de 5.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’aux entiers dépens.
L’ordonnance de clôture a été rendue le 5 avril 2023 et l’affaire a été fixée à l’audience du 6 avril 2023.
Pour un plus ample exposé des faits, des prétentions et des moyens des parties, la cour se réfère à leurs conclusions écrites conformément aux dispositions de l’article 455 du code de procédure civile.
EXPOSE DU LITIGE
sur la demande tendant à voir écarter les pièces et conclusions communiquées par Mme [M] le 28 mars 2023:
Au soutien de cette demande l’intimée, après avoir rappelé la communication chaotique par Mme [M] de l’ensemble des pièces qu’elle a versées aux débats, invoque le principe du contradictoire et le principe selon lequel les pièces doivent être communiquées simultanémment aux conclusions, et soutient que la communication de nouvelles pièces et d’un nouveau jeu de conclusions une semaine avant l’ordonnance de clôture ne lui a pas permis d’y répondre utilement.
La salariée fait quant à elle valoir que le principe selon lequel les pièces doivent être communiquées simultanément aux conclusions n’est pas sanctionné et que la société qui a obtenu le report de l’ordonnance de clôture a pu prendre connaissance des pièces et répondre utilement aux conclusions du 28 mars.
Aux termes de l’article 15 du code de procédure civile, les parties doivent se faire connaitre mutuellement en temps utile les moyens de fait sur lesquelles elles fondent leurs, les éléments de preuve qu’elles produisent et les moyens de droit qu’elles invoquent, afin que chacune soit à même d’organiser sa défense.
L’article 16 du Code de procédure civile précise que le juge doit, en toutes circonstances, faire observer et observer lui-même le principe de la contradiction.
L’article 954 du Code de procédure civile dispose par ailleurs que les conclusions d’appel contiennent, en en-tête, les indications prévues à l’article 961. Elles doivent formuler expressément les prétentions des parties et les moyens de fait et de droit sur lesquels chacune de ces prétentions est fondée avec indication pour chaque prétention des pièces invoquées et de leur numérotation. Un bordereau récapitulatif des pièces est annexé.
L’article 906 du Code de procédure civile dispose enfin que les conclusions sont notifiées et les pièces communiquées simultanément par l’avocat de chacune des parties à celui de l’autre partie ; en cas de pluralité de demandeurs ou de défendeurs, elles doivent l’être à tous les avocats constitués.
En l’espèce, Mme [M] a communiqué 4 pièces supplémentaires le 28 mars 2023 (pièces 86 à 89), et a formé pour la première fois, dans ses conclusions régularisées le même jour une demande de dommage et intérêts au titre du manquement de l’employeur à son obligation de formation.
La société Total Direct Energies électricité et gaz de France qui a sollicité et obtenu le report de l’ordonnance de clôture laquelle a en définitive été prononcée le 5 avril 2023, et a conclu le 5 avril 2023, a pu utilement conclure à l’irrecevabilité de la demande de dommages et intérêts pour manquement à l’obligation de formation.
Il n’y a en conséquence pas lieu de faire droit à la demande de rejet des conclusions.
La cour retient en revanche que l’avocat de la société Total Direct Energies électricité et gaz de France n’a pas eu matériellement le temps de soumettre à sa cliente et d’en débattre utilement avec elle aux fins de faire valoir ses éventuelles observations, les 4 nouvelles pièces qui lui ont été communiquées le 28 mars, de sorte que les pièces 86 à 89 doivent être rejetées des débats.
Sur la recevabilité de la demande de dommages et intérêts pour manquement à l’obligation de formation:
Aux termes de l’article 564 du code de procédure civile, à peine d’irrecevabilité relevée d’office, les parties ne peuvent soumettre à la cour de nouvelles prétentions si ce n’est pour opposer compensation, faire écarter les prétentions adverses ou faire juger les questions nées de l’intervention d’un tiers, ou de la survenance ou de la révélation d’un fait.
Il résulte par ailleurs des dispositions des articles 910-1 et suivants du code de procédure civile que l’appelant est tenu en application du principe de concentration des moyens , de concentrer dans ses premières conclusions, communiquées dans le délai de 3 mois suivant la déclaration d’appel, l’ensemble de ses moyens qui déterminent l’objet du litige.
En l’espèce, Mme [M] qui n’avait pas formulé en 1ère instance, ni dans ses 2 premiers jeux de conclusions devant la cour d’appel, de demande de dommages et intérêts pour manquement à l’obligation de formation sera déclarée irrecevable en sa demande faite à ce titre pour le 1ère fois en cause d’appel aux termes d’un 3 ème jeu de conclusion.
Sur le harcèlement moral :
Pour infirmation du jugement la salariée fait valoir qu’elle a, à compter du mois du 12 février 2018, date à laquelle elle a changé de supérieur hiérarchique avec l’arrivée de Mme [E], fait l’objet d’une inégalité de traitement, d’une mise à l’écart, de reproches et d’instructions contradictoires. Elle ajoute qu’on lui a refusé une formation et une mobilité interne et qu’elle a été mise en porte à faux quant aux horaires de travail.
Elle souligne l’absence de changement d’attitude de son employeur malgré les alertes face aux difficultés rencontrées.
L’employeur conteste les faits qui lui sont reprochés faisant valoir que la salariée ne rapporte aucun élément au soutien de ses allégations qui sont contredites par les pièces versées par la salariée elle même.
Aux termes des dispositions de l’article L 1152-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.
L’article L 1154-1 du code du travail précise que lorsque survient un litige relatif à l’application des dispositions de l’article précité, le salarié présente des éléments de faits laissant supposer l’existence d’un harcèlement. Au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d’un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par les éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.
Le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d’instruction qu’il estime utiles.
En l’espèce, le salarié présente les éléments de faits suivants:
– une attestation d’un salarié ayant travaillé avec elle de février à août 2018 indiquant:
« Lors des réunions hebdomadaires d’équipe, chacun était à exposer les problématiques rencontrées dans la semaine passée.
J’ai constaté que [A] faisait l’objet d’un traitement particulier. En effet, elle était régulièrement interrompue par Madame [E]. A plusieurs reprises, cette dernière lui a fait remarquer que les problèmes soulevés relevaient du niveau 1 [Madame [M] étant au niveau 2], et qu’on avait pas le temps de développer.
Cela contrastait avec une ou deux personnes de l’équipe qui pouvaient se permettre de s’étaler sans avoir droit aux mêmes remarques.
Pour ma part je pense que Madame [E] a alimenté les divisions entre les personnes au sein de cette équipe, pour cela elle n’hésite pas à utiliser les gens, le mensonge et le favoritisme. »
Cette même attestation fait état de l’évènement suivant: « Un jour, environ deux mois après mon arrivée, Madame [E], Madame [M] et Monsieur [P] se sont réunis dans la salle Amazonie situé à deux mètres de mon bureau.
La porte entrouverte ainsi que les cloisons transparentes m’ont permis d’assister à un vif échange. J’ai pu distinguer un ton de voix très élevé sans comprendre ce qui se disait. A la fin de la réunion Madame [M] est sortie en pleurs et Madame [E] le visage décomposé par la colère. J’ai suivi Madame [M], jusqu’à la cafétéria, où elle s’était réfugiée, pour essayer de lui parler, mais elle était trop émue et restait inconsolable.
[‘] Ce n’était pas le 1 er litige « réglé » par Madame [E], et c’était loin d’être le
dernier. Monsieur [P] avec qui je déjeunais régulièrement m’a confié peu après
s’être senti très gêné lors de cette réunion. »
– une attestation d’une autre salariée ayant travaillé avec Mme [M] d’avril à août 2018, indiquant:
« Madame [M] vivait des difficultés à absorber sa charge de travail et une souffrance dans son quotidien au travail. Elle sortait souvent très perturbée et avec les yeux rouges de ses réunions de tête à tête avec notre responsable d’équipe Madame [E]. Notre responsable d’équipe Madame [E] lui rajoutait d’autres activités qui sont hors de son périmètre, et lui a obligé pendant une réunion d’équipe à les prendre en charge.
Dès mon arrivée dans l’entreprise, j’ai constaté que Madame [E] avait un comportement différents entre Madame [M] et les autres collègues de l’équipe ; [A] était isolé et mangeait très souvent seule.
Madame [E] jugeait Madame [M] sur des critères d’évaluation qui n’ont rien à voir avec notre travail, par exemple elle l’obligeait à faire des horaires supérieurs que ceux prévus à notre contrat. Madame [E] n’hésitait pas à rejeter la faute sur Madame [M], là où elle défendait d’autres collègues et à tenir des propos humiliant dans l’espace de travail commun devant les autres collègues. »
– une attestation d’un salarié ayant travaillé chez la société Total énergies électricité et gaz de France du 25 mars 2019 au 28 février 2020, indiquant :
« J’ai été très surpris de voir [J] [E] me nommer au poste de Référent Web et souscription compte tenu de l’ancienneté et la maîtrise des sujets de Madame [M]. J’ai également constaté que Madame [M] a été écartée des réunions spécifiques (réunions décisionnelles et rétrospectives). »
– un compte rendu de visite médicale de reprise mentionnant:« Depuis son retour de congé parental en 2017, difficultés, a trouver ses collègues changés, on la fait former par une nouvelle prestataire recrutée sur son périmètre qui vient avant elle et prend tous les tickets de son travail’ la nouvelle chef serait très amie avec la prestataire. »
– d’instructions contradictoires Mme [E] lui ayant déclaré lors de son entretien d’évaluation du 26 juillet 2018 que la souscription des tickets concernant l’application PEGASE n’entrait pas dans son périmètre et lui ayant reproché le 19 décembre 2018 de ne pas traiter les tickets PEGASE en ces termes:
« [A] ton périmètre est la souscription au complet PEGASE inclus
De plus un ticket critique à escalader au N3 directement doit être escaladé le plus vite possible. Demander à son voisin est contre-productif, c’est un simple clic, il n’y a pas de contre argument acceptable. [‘] Ce type de sous-traitance est clairement contreproductif. Au lieu d’escalader en moins d’une minute via un clic, la sous-traitance a généré du mécontentement du service activation, du N3, du collègue »
La salariée a d’ailleurs évoqué la difficulté lors de son entretien d’évaluation du 29 janvier 2019 en ces termes: « Aucune réunion d’équipe N2 souscription n’a été organisée pour définir le périmètre de chacun des nouveaux arrivants ce qui a engendré des conflits au
sein de l’équipe. [‘] Des reproches m’ont été adressé suite à la non prise en charge de tickets PEGASE qui ne fait pas partie de mon périmètre dans la souscription [‘] en la présence d’une des personnes qui s’en charge »
– plusieurs demandes de mobilité interne et de formation restées sans réponse, la salariée ayant lors de son entretien d’évaluation du 29 janvier 2019 attiré l’attention de la société Total énergies électricité et gaz de France sur ce point en ces termes: «Malgré mes demandes récurrentes de formation SAP et gestion de projet, aucune ne m’a été accordée».
– un mail du 6 mars par lequel Mme [E] lui reproche d’être arrivée pour la 2 ème fois en 2 semaines à 10h15 à la réunion d’équipe de 9h30 alors que la salariée, qui est en forfait-jours, justifie qu’elle avait préalablement informé sa supérieure de ses retards et que les réunions se tenaient habituellement à 10h30.
– avoir informé le supérieur hiérarchique de Mme [E] le 8 mars 2019 des difficultés qu’elle rencontrait avec cette dernière, en ces termes:
« J’ai eu mon entretien semestriel avec [J] [[E]] et malheureusement pour
la 2 ème fois il se termine mal [‘] J’ai précisé encore une fois à [J] [[E]] que j’étais victime à 2 reprises en l’espace de 15 jours d’un manque de respect et d’un dénigrement de la part de [H] [U], du pôle souscription, dans son open-space et devant ses collègues au point où j’ai éclaté en sanglots devant elle.
Je vous ai remonté à plusieurs reprises à toi et à [J] et même à la RH [O], le comportement insupportable de [H] [U] lors de nos échanges professionnels. Lors de cet entretien semestriel, [J] m’a indiqué que je n’aurai pas d’augmentation de salaire et que ça a été décidé à l’unanimité.
Quand j’ai demandé pourquoi, elle m’a répondu « Moi, [K] [I], [V] [D] et 2 autres personnes, nous avons décidé de ne pas te donner d’augmentation car on n’a plus confiance en toi.
Je vis une dégradation de mon état de santé qui s’est accentuée à l’issue de l’entretien semestriel de juillet 2018. »
– un compte-rendu fait par Mme [E] lors d’une réunion du 16 juillet 2019 (soit à une date antérieure à la date prévue pour l’entretien préalable au licenciement) démontrant que le départ de Mme [M] au 19 juillet avait été évoqué, alors que la salariée n’était pas encore licenciée.
– une proposition faite par son employeur d’une rupture conventionnelle qu’elle a refusée (reconnu en BCO devant le Conseil de Prud’hommes par la société Total énergies électricité et gaz de France).
– un échange de mails du 17 juillet 2019 démontrant l’absence de l’employeur à la date fixée pour l’entretien préalable (17 juillet à 14H30) la salariée s’étant présentée pour rien.
– un échange de mail du 18 juillet 2019 démontrant l’absence de l’employeur à la date à laquelle l’entretien a été repoussé (18 juillet à 14h30) la salariée s’étant présentée une nouvelle fois pour rien et la responsable des ressources humaines lui ayant en définitive préparé un courrier de dispense d’activité, l’entretien préalable n’ayant jamais eu lieu contrairement à ce qui est indiqué dans la lettre de licenciement.
– un mail de la salariée du 7 août 2019 démontrant que l’employeur lui avait rédigé le 25 juillet 2019 un projet de contestation de son licenciement et qu’un rendez-vous était prévu le jour même pour transiger.
– un certificat médical de son médecin traitant indiquant avoir reçu à 6 reprises la salariée entre avril et septembre 2018 et l’avoir orientée vers un psychologue, spécialiste clinicienne du travail car son état de santé présentait un syndrome dépressif débutant.
– un certificat d’une psychologue indiquant avoir reçu la salariée en octobre 2018 dans le cadre d’une consultation en souffrance au travail.
– un certificat médical d’un médecin acuponcteur indiquant avoir reçu la salariée qui était en état de stress aigu (pleurs, anorexie, trouble du sommeil, céphalées fortes) , celle-ci lui ayant déclaré être en souffrance continue au travail.
Ces éléments pris dans leur ensemble, outre les éléments médicaux laissent supposer l’existence d’un harcèlement moral.
Pour essayer démontrer que ses décisions sont justifiées par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement, l’employeur affirme que la salariée traitait un nombre de tickets trés inférieurs à celui de ses collègues et d’échanges de mails démontrant l’existence de tensions entre Mme [M] et 2 autres salariés M. [L] [Y] et M. [H] [U].
Il reconnait toutefois dans un mail du 14 mai 2019 que le départ de la salariée était en négociation depuis plusieurs mois (à la demande de cette dernière) et que maintenir un esprit d’équipe et surtout un climat de travail était difficile dans ce contexte, Mme [E] indiquant alors à la direction: ‘ mes griefs vis-à-vis de ma collaboratrice sont les suivants:
– des horaires minimum
– un productivité insuffisante
– des tickets en souffrance
– des arrêts ou absences réguliers: un travail en pointillé
– une image dégradée du service vis à vis des pôles DSI et métiers’
Ces éléments qui confirment le climat de tension existant au sein du service notamment entre Mme [M] et sa supérieure hiérarchique mais ne permettent pas d’établir que la salariée en serait responsable et en tout état de cause ne justifient pas sa mise à l’écart, les injonctions contradictoires dont elle faisait l’objet, le manque de respect et le dénigrement qu’elle subissait au quotidien et l’inertie de la direction malgré la dénonciation des faits de harcèlement moral faite en mars 2018.
La cour en déduit que l’employeur échoue à démontrer que les faits dénoncés par Mme [M] étaient étrangers à tout harcèlement moral.
Par infirmation du jugement, la cour retient donc que Mme [M] a subi des agissements répétés de harcèlement moral qui ont eu un impact sur son état de santé et évalue son préjudice à la somme de 8 000 euros.
La société Total énergies électricité et gaz de France sera en conséquence condamnée au paiement de cette somme à titre de dommages et intérêts.
– sur le licenciement:
Mme [M] soutient que son entretien préalable au licenciement ne s’est, en réalité, jamais tenu et que la société ne le conteste pas. Elle souligne que seul un courrier de dispense d’activité jusqu’au 24 juillet 2019 inclus, lui a été remis et que lorsqu’elle a repris ses fonctions le 25 juillet 2019, la responsable des ressources humaines lui a fait la lecture de la transaction devant être signée le 7 août 2019, l’a invitée à quitter immédiatement les lieux. Elle ajoute que la rupture de son contrat de travail a été annoncée avant même qu’elle ne soit licenciée. Elle conteste enfin les fautes qui lui sont reprochées au soutien du licenciement.
La société répond que le licenciement de la salariée est justifié par une détérioration de sa productivité malgré les alertes de la hiérarchie, par son comportement agressif à l’égard de ses collègues et par ses absences répétées ou injustifiées aux réunions.
Aux termes de l’article 1232-1 du Code du travail tout licenciement pour motif personnel doit être justifié par une cause réelle et sérieuse.
Aux termes de l’article L 1235-1 du Code du travail, en cas de litige, le juge, à qui il appartient d’apprécier la régularité de la procédure suivie et le caractère réel et sérieux des motifs invoqués par l’employeur, forme sa conviction au vu des éléments fournis par les parties après avoir ordonné, au besoin, toutes les mesures d’instruction qu’il estime utiles.
Si un doute subsiste il profite au salarié.
En l’espèce, aux termes de la lettre de licenciement du 25 juillet 2019 qui fixe les limites du litige, Mme [M] a été licenciée pour une détérioration de sa productivité malgré les alertes de la hiérarchie, par son comportement agressif à l’égard de ses collègues et par ses absences répétées ou injustifiées aux réunions.
Or, outre le fait que contrairement à ce qui est indiqué dans la lettre de licenciement la salariée, qui s’est vue remettre un courrier de dispense d’activité le 18 juillet 2019, n’a jamais été reçue en entretien préalable le 17 juillet, il ressort des pièces versées aux débats que son départ a été annoncé en réunion dés le 16 juillet soit avant même la date prévue pour l’entretien préalable et a fortiori avant même que son licenciement ne lui soit notifié.
Il en résulte que le licenciement de Mme [M] est nécessairement dépourvu de cause réelle et sérieuse.
Il y a lieu en application des dispositions de la l’article L 1235-3 du Code du travail, d’octroyer au salarié, une indemnité dont le montant est compris, eu égard à son ancienneté et aux effectifs de l’entreprise, entre 3 mois et 10 mois.
Elle justifie avoir 3 enfants à charge et avoir été prise en charge par Pôle emploi du 3 novembre 2019 au 20 avril 2020, du 10 décembre 2020 au 31 juillet 2022 et du 1er aout au 31 octobre 2022.
Il y a lieu d’évaluer son préjudice à la somme de 30 000 euros et de condamner la société Total énergies électricité et gaz de France au paiement de cette somme à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.
En application des dispositions de l’article L1235-4 du code du travail, il y a lieu d’ordonner le remboursement par la société Total énergies électricité et gaz de France à Pôle emploi des indemnités de chômage éventuellement versées à la salariée licenciée à compter de son licenciement dans la limite des 6 mois prévus par la loi.
– sur l’article 700 du code de procédure civile:
Pour faire valoir ses droits en cause d’appel, Mme [M] a dû exposer des frais qu’il serait inéquitable de laisser à sa charge.
La société Total énergies électricité et gaz de France sera en conséquence condamnée à lui payer la somme de 2 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile, outre les dépens.
PAR CES MOTIFS
INFIRME le jugement en toutes ses dispositions, et statuant à nouveau et y ajoutant,
DIT n’ y avoir lieu à rejeter les conclusions régularisées par Mme [M] le 28 mars 2023.
REJETTE des débats les pièces 86 à 89 communiquées par Mme [M] le 28 mars 2023.
DÉCLARE Mme [A] [M] irrecevable en sa demande de dommages et intérêts pour manquement à l’obligation de formation.
CONDAMNE la SA Total énergies électricité et gaz de France à payer à Mme [A] [M] les sommes de:
– 8 000 euros à titre de dommages et intérêts pour harcèlement moral
– 30 000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.
– 2 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
ORDONNE le remboursement par la SA Total énergies électricité et gaz de France à Pôle emploi des indemnités de chômage éventuellement versées à la salariée licenciée à compter de son licenciement dans la limite des 6 mois prévus par la loi.
CONDAMNE la SA Total énergies électricité et gaz de France aux entiers dépens.
La greffière, La présidente.