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Copies exécutoires République française
délivrées aux parties le : Au nom du peuple français
COUR D’APPEL DE PARIS
Pôle 1 – Chambre 5
ORDONNANCE DU 21 JUILLET 2023
(n° /2023)
Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 23/10933 – N° Portalis 35L7-V-B7H-CH2L2
Décision déférée à la Cour : Jugement du 19 Mai 2022 TJ hors JAF, JEX, JLD, J. EXPRO, JCP de BOBIGNY – RG n° 21/00066
Nature de la décision : contradictoire
NOUS, Bénédicte PRUVOST, Présidente de chambre, agissant par délégation du Premier Président de cette Cour, assistée de Catherine SILVAN, Greffière.
Vu l’assignation en référé délivrée à la requête de :
DEMANDEUR
S.A. SOCIETE FRANCAISE DU RADIOTELEPHONE – SFR
[Adresse 4]
[Localité 6]
Représentée par Me Nicolas AYNES, avocat au barreau de PARIS, toque : P0238
à
DEFENDEUR
La société SCI DU [Adresse 3]
[Adresse 1]
[Localité 5]
Représentée par Me Jean-marc PEYRON, avocat au barreau de PARIS
Et après avoir appelé les parties lors des débats de l’audience publique du 19 Juillet 2023 :
Par jugement contradictoire du 19 mai 2022, le tribunal judiciaire de Bobigny, saisi par assignation délivrée le 4 janvier 2021 par la SA Société Française du Radiotéléphone (ci-après la société SFR) aux fins d’annulation du congé délivré, subsidiairement en paiement d’une indemnité d’éviction, a notamment :
– dit que le congé-dénégation notifié les 26 et 29 juin 2020 par la SCI du [Adresse 3] (ci-après la SCI) a mis fin, à compter du 31 décembre 2020, au bail la liant à la société SFR et portant sur des locaux situés à [Localité 7], [Adresse 2]/[Adresse 3],
– ordonné, à défaut de restitution volontaire des lieux au plus tard le 31 décembre 2023 à minuit, l’expulsion de la société SFR et de tous occupants de son chef des lieux situés à l’adresse précitée, avec le concours, en tant que de besoin, de la force publique et d’un serrurier,
– condamné la société SFR à payer à la SCI, à compter du 1er janvier 2021 et jusqu’à la libération effective des lieux par la remise des clés, une indemnité d’occupation mensuelle égale au montant du loyer qui aurait été dû si le bail s’était poursuivi, majoré des taxes et charges,
– débouté la société SFR de sa demande d’indemnité d’éviction,
– dit n’y avoir lieu à application de l’article 700 du code de procédure civile,
– condamné la société SFR aux dépens, qui pourront être recouvrés conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile,
– rappelé que l’exécution provisoire est de droit.
Par déclaration du 28 août 2022, la société SFR a formé appel de cette décision.
Par acte d’huissier du 6 juillet 2023, elle a fait assigner en référé la SCI devant le premier président de la cour d’appel de Paris aux fins d’arrêt de l’exécution provisoire.
Se rapportant à l’audience du 19 juillet 2023 à ses conclusions récapitulatives notifiées le 18 juillet 2023, la société SFR demande au premier président, au visa des articles 917 et 514-3 du code de procédure civile, de :
A titre principal,
– arrêter l’exécution provisoire attachée au jugement du 19 mai 2022,
A titre subsidiaire,
– fixer l’affaire au fond par priorité,
En tout état de cause,
– condamner la SCI au paiement d’une somme de 5.000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens de l’instance.
Sur l’existence de moyens sérieux de réformation de la décision, elle soutient que les parties ont volontairement soumis leur relation contractuelle au statut des baux commerciaux, lequel inclut le droit au renouvellement en faveur du preneur et son corollaire, le droit à une indemnité d’éviction ; qu’en tout état de cause, les locaux loués constituent des locaux accessoires au sens des dispositions de l’article L. 145-1 I 1° du code de commerce, de sorte qu’ils n’étaient pas soumis à l’obligation d’immatriculation.
Sur le risque de conséquences manifestement excessives, elle fait valoir que son expulsion des locaux avant le 30 juin 2025 aurait pour effet de compromettre jusqu’à cette date la couverture mobile d’un grand nombre d’abonnés, et même dans certains cas, de supprimer toute couverture radio, ainsi qu’il ressort des conclusions de l’expert judiciaire M. [K], alors que ce site assure l’acheminement de 2.700 appels d’urgence par jour au travers de ce site et contient 1.400 raccordements de télécommunication au profit de clients ‘grands comptes’, parmi lesquels figurent l’Assistance Publique Hôpitaux de [Localité 8] et le réseau interministériel de l’Etat, lequel assure l’accès aux systèmes d’information des sites du ministère de l’Intérieur, du ministère de la Justice, de la délégation générale à l’aviation civile, du ministère des Finances etc …
Se référant à l’audience du 19 juillet 2023 à ses conclusions notifiées le 17 juillet précédent, la SCI demande au premier président, au visa des articles 514-3 du code de procédure civile et L. 145-1 du code de commerce, de :
– débouter la société SFR de sa demande d’arrêt de l’exécution provisoire,
En tout état de cause,
– condamner la société SFR au paiement de la somme de 5.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens.
Elle fait valoir tout d’abord, en ce qui concerne l’absence de moyens sérieux de réformation, que l’immatriculation, le 8 juillet 2020, de la société SFR pour les locaux loués est tardive, l’obligation d’immatriculation du preneur en cas de délivrance d’un congé avec refus de renouvellement et sans indemnité d’éviction s’appréciant à la date de délivrance du congé et sans faculté de régularisation ultérieure ; qu’elle n’a nullement renoncé à délivrer congé pour défaut d’immatriculation des locaux loués ; qu’elle n’a jamais contesté que le statut des baux commerciaux était applicable de plein droit aux locaux loués et que, dès lors, une soumission volontaire à ce statut est hors de propos et ne dispensait nullement la société SFR de l’obligation d’immatriculation ; qu’elle a fait valablement délivrer un congé exempt de tout motif frauduleux pour le 31 décembre 2020. Elle conteste le caractère accessoire des locaux concernés, l’appelante interprétant de mauvaise foi les clauses du bail et de l’avenant du 25 mai 2004, outre qu’elle ne précise pas à quels locaux principaux les locaux litigieux seraient accessoires.
Sur l’absence de conséquences manifestement excessives, elle souligne que l’appelante a d’ores et déjà bénéficié de délais de fait de près de trois ans par rapport à la date d’expiration du bail, délais amplement suffisants pour permettre à une entreprise de son importance de quitter des lieux d’une surface aussi limitée en prenant les dispositions techniques utiles ; que les documents Powerpoint qu’elle produits émanent d’elle-même et que le rapport de M. [K], expert en informatique et télécommunications et non pas en immobilier ou valeurs vénales et locatives, conduit à mettre en doute l’impossibilité qu’elle allègue de déménager ses équipements dans les locaux de remplacement qu’elle a acquis en novembre 2022, soit il y a près de huit mois.
En dernier lieu, elle s’associe à la demande subsidiaire de l’appelante en fixation de l’affaire à bref délai, qui est de son intérêt.
MOTIFS DE LA DECISION
Sur la demande d’arrêt de l’exécution provisoire
L’article 514-3 du code de procédure civile dispose :
« En cas d’appel, le premier président peut être saisi afin d’arrêter l’exécution provisoire de la décision lorsqu’il existe un moyen sérieux d’annulation ou de réformation et que l’exécution risque d’entraîner des conséquences manifestement excessives.
La demande de la partie qui a comparu en première instance sans faire valoir d’observations sur l’exécution provisoire n’est recevable que si, outre l’existence d’un moyen sérieux d’annulation ou de réformation, l’exécution provisoire risque d’entraîner des conséquences manifestement excessives qui se sont révélées postérieurement à la décision de première instance. »
1) Sur le moyen sérieux d’annulation de la décision
En première instance, la société SFR était comparante et s’est expressément opposée au prononcé de l’exécution provisoire.
Aujourd’hui, elle se prévaut essentiellement de la soumission volontaire des parties au statut des baux commerciaux, alors que la SCI rétorque n’avoir jamais contesté que l’application de ce statut à la relation contractuelle des parties était d’ordre public, mais seulement, en l’absence d’immatriculation au registre du commerce et des sociétés pour les locaux loués, le bénéfice des dispositions protectrices que constituent le droit au renouvellement du bail et/ou à une indemnité d’éviction. Ce moyen de réformation ne saurait donc être considéré comme sérieux au vu de la jurisprudence constatnte dont a fait application le tribunal, selon laquelle, à défaut d’immatriculation pour les locaux loués à la date de la délivrance d’un congé par le bailleur, le preneur n’a droit ni au renouvellement de son bail ni à une indemnité d’éviction.
Elle ajoute à hauteur d’appel un moyen nouveau, selon lequel les locaux litigieux doivent être considérés comme des locaux accessoires au sens de l’article L. 145-1 I 1° du code de commerce, selon lequel :
‘Les dispositions du présent chapitre s’appliquent :
1° Aux baux de locaux ou d’immeubles accessoires à l’exploitation d’un fonds de commerce quand leur privation est de nature à compromettre l’exploitation du fonds et qu’ils appartiennent au propriétaire du local ou de l’immeuble où est situé l’établissement principal. En cas de pluralité de propriétaires, les locaux accessoires doivent avoir été loués au vu et au su du bailleur en vue de l’utilisation jointe…’.
Elle soutient que le local est accessoire lorsque sa privation est de nature à compromettre l’exploitation du fonds et que, si le local appartient à un propriétaire différent de celui du local principal, celui-ci doit savoir que la location du local accessoire a été faite en vue de son utilisation comme jointe au local principal. Mais elle ne précise pas à quel local principal seraient accessoires les locaux loués, ni que le propriétaire dudit local principal aurait eu connaissance de la location de ces locaux prétendûment accessoires. Par conséquent, sous réserve de l’appréciation souveraine de la cour, ce moyen de réformation apparaît peu sérieux.
Cependant, la cour relève que le jugement dont appel ne statuait pas seulement sur le congé des 26 et 29 juin 2020 et l’exigibilité d’une indemnité d’éviction, mais aussi sur la demande de délai jusqu’au 31 décembre 2024 pour restituer les locaux.
Or, quant à ce dernier chef de demande, le tribunal judiciaire a accordé un délai restreint, expirant le 31 décembre 2023, au motif que ‘les éléments produits par la société SFR elle-même et pas un consultant indépendant ne permettent pas d’établir qu’il est impossible techniquement de libérer les locaux avant le 31 décembre 2024.’
A hauteur de cour, l’appelante produit un rapport de consultation, certes privé comme établi à sa demande par M. [K], expert près la cour d’appel de Versailles, dont il ressort que le déménagement envisagé des équipements du site d'[Localité 7] implique, préalablement, une reprise des infrastructures optiques de collecte supposant des travaux de voirie, emportant l’obtention d’autorisations administratives d’occupation temporaire du domaine public et la disponibilité des équipements actifs en quantité suffisante pour les opérations de migration, alors que le marché connaît une pénurie des matériaux nécessaires (l’expert précisant ‘qu’en 2022, les délais d’approvisionnement pouvaient dépasser les 26 semaines’ ; ‘la situation globale de pénurie devrait se poursuivre tout au long de notre année fiscale 2023″). L’expert ajoute que le déménagement impose en outre, compte tenu de l’ancienneté du site et de ce qu’une partie des technologies télécom présentes sont en fin de vie, une ‘migration des clients vers une nouvelle offre’, qui doit s’accompagner d’un délai de prévenance des clients de 12 mois environ, tel que préconisé par l’Autorité de régulation des communications électroniques. Enfin il précise que les travaux de remise en état des lieux loués ne peuvent intervenir avant la fin du déménagement de l’ensemble des services de la société SFR et dureront environ six mois.
L’expert conclut comme suit : ‘Par conséquent, en l’état des éléments actuellement connus, il ne semble pas possible de demander à la société SFR d’avoir quitté le site avant le 30/06/2025’, précisant que les éléments d’optimisation possibles du planning sont contrebalançés par les risques liés à la difficulté de conduire les travaux de voirie à proximité d’un site olympique pendant la période des jeux.
Il ressort ainsi des conclusions de ce rapport qu’il existe un moyen sérieux de réformation du jugement entrepris sur la durée du délai accordé pour la restitution des locaux.
Dès lors, sous réserve de l’appréciation de la cour au vu des éléments qui seront débattus, la société SFR justifie au moins d’un moyen sérieux de réformation du jugement rendu le 19 mai 2022 par le tribunal judiciaire de Paris.
2) Sur les conséquences manifestement excessives
Les conséquences manifestement excessives justifiant l’arrêt de l’exécution provisoire supposent un préjudice irréparable et une situation irréversible en cas d’infirmation.
L’expulsion ne constitue pas en elle-même une conséquence manifestement excessive.
Toutefois en l’espèce, selon le rapport précité, le site visité par l’expert constitue un ‘site critique de la société SFR’ permettant de rendre les services suivants :
– 150.000 clients particuliers et petites entreprises en Ile de France dépendent du bon fonctionnement du site d'[Localité 7] pour la disponibilité de leur accès internet et téléphone fixe ;
– 465.000 clients particuliers et petites entreprises en France métropolitaine et à la Réunion dépendent du bon fonctionnement du site d'[Localité 7] pour la disponibilité de leur accès internet DSL (…)
– 800 antennes de téléphonie mobile correspondant à la couverture d’environ un quart de l’Ile de France pour les clients particuliers, entreprises et administrations dépendent du site d'[Localité 7] pour leur connectivité réseau et leur bon fonctionnement ;
– la société SFR est chargée de l’acheminement des appels d’urgence pour l’ensemble des clients précités au titre de ses missions de service public (en moyenne 2700 appels d’urgence par jour sur son seul réseau mobile, soit pour des services publics chargés de la sauvegarde des vies humaines, des interventions de police, de la lutte contre l’incendie, de l’urgence sociale) ;
– 1400 raccordements télécom des clients dits ‘grands comptes’ (dont de nombreuses administrations) en Ile de France dépendent du bon fonctionnement du site d'[Localité 7] pour leur disponibilité (notamment pour des services critiques servis à ces clients grands comptes, tels que l’Assistance Publique Hôpitaux de [Localité 8] et le réseau interministériel de l’Etat, lequel assure l’accès aux système d’information pour les sites du ministère de l’Intérieur, du ministère de la Justice, de la délégation générale à l’aviation civile, du ministère des Finances).
L’expert estime que, en cas de départ précipité de la société SFR des lieux loués, le fonctionnement de ces services serait très fortement perturbé, voire compromis, et comporterait ‘un potentiel impact économique d’une fermeture brutale du site qui, bien au-delà de la seule société SFR, se répercuterait alors sur le chiffre d’affaires des entreprises franciliennes et le budget des administrations clientes’ ; que dans certaines zones, la couverture radio risquerait d’être complètement supprimée.
Dans ces conditions, l’exécution du jugement du chef de l’obligation de libérer les lieux loués avant le 31 décembre 2023 est de nature à entraîner des conséquences manifestement excessives.
Il convient en conséquence de faire droit à la demande d’arrêt de l’exécution provisoire.
Il n’y a donc pas lieu d’examiner la demande subsidiaire en fixation de l’affaire à bref délai.
Sur les demandes accessoires
La SCI du [Adresse 3], qui succombe dans la présente instance, sera condamnée aux dépens.
Cependant l’équité ne commande pas de faire application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile au profit de la société SFR.
PAR CES MOTIFS
ORDONNONS l’arrêt de l’exécution provisoire du jugement rendu le 19 mai 2022 par le tribunal judiciaire de Paris,
DEBOUTONS les parties de leurs demandes respectives formées sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,
CONDAMNONS la SCI du [Adresse 3] aux entiers dépens de la présente instance de référé.
ORDONNANCE rendue par Mme Bénédicte PRUVOST, Présidente de chambre, assistée de Mme Catherine SILVAN, greffière présente lors de la mise à disposition de l’ordonnance au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.
La Greffière, La Présidente