Communication électronique : 19 octobre 2023 Cour d’appel de Paris RG n° 23/03086

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Communication électronique : 19 octobre 2023 Cour d’appel de Paris RG n° 23/03086
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Copies exécutoires RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

délivrées aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D’APPEL DE PARIS

Pôle 1 – Chambre 2

ARRÊT DU 19 OCTOBRE 2023

(n° , 12 pages)

Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 23/03086 – N° Portalis 35L7-V-B7H-CHDZ3

Décision déférée à la Cour : Ordonnance du 31 Janvier 2023 -Président du TJ de Paris – RG n° 22/58589

APPELANTE

S.A.S.U. RT FRANCE, RCS de Nanterre sous le n°805 200 110, déclarée en procédure de liquidation judiciaire par jugement du Tribunal de commerce de Nanterre

[Adresse 3]

[Adresse 3]

Représentée et assistée par Me Jérémie ASSOUS, avocat au barreau de PARIS, toque : K0021

INTIMEE

TWITTER INTERNATIONAL UNLIMITED COMPANY, société de droit irlandais, prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège

[Adresse 4]

[Adresse 4]

[Adresse 4] (IRLANDE)

Représentée par Me Florence GUERRE de la SELARL SELARL PELLERIN – DE MARIA – GUERRE, avocat au barreau de PARIS, toque : L0018

Assistée à l’audience par Me Karim BEYLOUNI, avocat au barreau de PARIS, toque : J98

PARTIES INTERVENANTES :

S.E.L.A.R.L. FHB, RCS de Nanterre sous le n°B805 200 110, prise en la personne de Maître [E] [D] en sa qualité d’administrateur judiciaire de la S.A.S.U. RT FRANCE suivant jugement du TC de Nanterre en date du 23.02.2023

[Adresse 2]

[Adresse 2]

S.E.L.A.R.L. [M] [J], RCS de Nanterre sous le n°B805 200 110, prise en la personne de Maître [M] [J] en sa qualité de mandataire judiciaire de la S.A.S.U. RT FRANCE suivant jugement du TC de Nanterre en date du 23.02.2023

[Adresse 1]

[Adresse 1]

Représentées et assistées par Me Jérémie ASSOUS, avocat au barreau de PARIS, toque : K0021

COMPOSITION DE LA COUR :

L’affaire a été débattue le 14 Septembre 2023, en audience publique, Marie-Hélène MASSERON, Présidente de chambre, ayant été entendue en son rapport dans les conditions prévues par l’article 804, 805 et 905 du code de procédure civile, devant la cour composée de :

Marie-Hélène MASSERON, Présidente de chambre,

Michèle CHOPIN, Conseillère,

Laurent NAJEM, Conseiller,

Qui en ont délibéré,

Greffier, lors des débats : Saveria MAUREL

ARRÊT :

– CONTRADICTOIRE

– rendu publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

– signé par Marie-Hélène MASSERON, Présidente de chambre et par Saveria MAUREL, Greffière, présente lors de la mise à disposition.

*****

EXPOSE DU LITIGE

La société RT France est une société de droit français qui, selon son extrait Kbis, exerce une activité d’édition de chaînes thématiques.

La société Twitter international unlimited company (Twitter) est une société de droit irlandais, en charge de l’hébergement, de l’exploitation et du contrôle de la plate-forme Twitter dans l’Union européenne.

La société RT France se plaint de la publication de messages diffamatoires sur le réseau social Twitter sous le compte ‘Sleeping Giants FR’, compte de la branche française du collectif nommé ‘Sleeping Giants’ créé en 2017 en France et en 2016 aux Etats-Unis après l’élection de [S] [I] à la présidence des Etats-Unis.

Elle explique qu’en 2019 elle a déposé une plainte pour diffamation publique envers un particulier contre [U] [V] ainsi qu’une action civile en insertion d’un droit de réponse à l’encontre du journal Charlie Hebdo, à raison de propos la qualifiant notamment « d’outil de propagande », de « relais de fake news » et pour ce qui concerne Charlie Hebdo la comparant à un journal de propagande nazi ; que le 13 mai 2020 elle était déboutée par le tribunal judiciaire de Paris et que les 13 et 14 juin 2020, le compte Twitter « Sleeping Giants FR » réagissait à cette nouvelle par deux tweets distincts :

– « RT France perd ses procès en diffamation contre [U].[V] et Charlie Hebdo. On peut donc dire que RT France « est un outil de propagande qui est financé par un Etat étranger », un « sous-marin du Kremlin » ou bien « un journal de propagande nazi » (tweet publié le 13 juin 2020) ;

– « Sauf erreur, vous n’avez pas attaqué Charlie Hebdo en diffamation mais pour leur refus de publier votre droit de réponse. Donc comparer votre média à un sous-marin de Kremlin et à un journal de propagande nazi, c’est bon ‘ Du coup « outil de propagande », ça passe crème non ‘ » (tweet publié le 14 juin 2020).

Le 29 octobre 2020, la société RT France a déposé une plainte devant le doyen des juges d’instruction du tribunal judiciaire de Paris du chef de diffamation publique envers particulier, à raison des propos suivants contenus dans ces deux tweets :

– « On peut donc dire que RT France «est un outil de propagande qui est financé par un Etat étranger», un «sous-marin du Kremlin» ou bien «un journal de propagande nazi » (tweet publié le 13 juin 2020) ;

– « Donc comparer votre média à un sous-marin de Kremlin et à un journal de propagande nazi, c’est bon ‘ Du coup «outil de propagande», ça passe crème non ‘» (tweet publié le 14 juin 2020).

Le 4 mars 2021, une information judiciaire était ouverte contre X du chef de diffamation publique envers un particulier. Le 29 août 2022, une ordonnance de non lieu était rendue par le magistrat instructeur au motif qu’il n’avait pu être possible d’identifier les auteurs des infractions poursuivies.

La société RT France a interjeté appel de cette ordonnance de non-lieu et dans le même temps, par acte du 5 septembre 2022 elle a fait assigner la société Twitter international unlimited company devant le juge des référés du tribunal judiciaire de Paris aux fins de, notamment:

– obtenir communication de l’ensemble des données qu’elle détient de nature à permettre l’identification du titulaire du compte Twitter ‘Sleeping Giants FR’ accessible à une adresse URL mentionnée dans l’acte introductif d’instance et notamment, les informations suivantes :

– les types de protocoles et l’adresse IP utilisés pour la connexion au service,

– au moment de la création du compte, l’identifiant de connexion,

– la date de création du compte,

– les noms et prénoms ou la raison sociale du titulaire du compte,

– les pseudonymes utilisés,

– les adresses de courrier électroniques ou de comptes associés, ce dans un délai de 10 jours à compter de la signification de l’ordonnance à intervenir;

– condamner la société Twitter international unlimited company au versement de la somme de 3.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux dépens qui seront recouvrés dans les conditions de l’article 699 du même code.

La société Twitter a soulevé à titre principal l’incompétence du juge des référés au profit de celle du président du tribunal judiciaire statuant selon la procédure accélérée au fond. A titre subsidiaire elle a conclu à l’absence de motif légitime aux motifs que l’action projetée au fond est manifestement vouée à l’échec, car prescrite, et que la mesure sollicitée est dépourvue d’utilité. A titre plus subsidiaire elle a conclu au caractère non légalement admissible de la demande de communication de l’identifiant de connexion au moment de la création du compte, des types de protocole, de l’adresse IP de connexion du compte et de la date de création du compte @slpng-giants-fr.

Par ordonnance du 31 janvier 2023, le juge des référés du tribunal judiciaire de Paris a:

– rejeté l’exception d’incompétence soulevée en défense et déclaré recevables les demandes formulées par la société RT France’;’

– rejeté les demandes formées par la société RT France’;

– condamné la société RT France aux dépens de la présente instance.

Par déclaration du 07 février 2023, la société RT France a relevé appel de cette décision en ce qu’elle a :

– rejeté les demandes formées par la société RT France’;

– condamné la société RT France aux dépens de l’instance.

Dans ses dernières conclusions remises et notifiées le 29 juin 2023, la société RT France demande à la cour de :

– déclarer recevable et fondé son appel ;

– infirmer l’ordonnance rendue par le président du tribunal judiciaire le 31 janvier 2023 en ce qu’elle a débouté la société RT France de ses demandes;

En conséquence :

– déclarer que le président du tribunal judiciaire était compétent pour statuer en référé sur les présentes demandes de la société RT France ;

– déclarer les demandes de la société RT France recevables et bien fondées ;

– recevoir l’intégralité des moyens et prétentions de la société RT France ;

Ce faisant,

– ordonner à la société de droit irlandais Twitter international unlimited company de communiquer à la société RT France l’ensemble des données qu’elle détient de nature à permettre l’identification du titulaire du compte Twitter « Sleeping Giants FR » accessible à l’adresse URL suivante :

https://twitter.com/slpng-giants-fr’s=20&t=v25PW -Ztk-UoJip57SQoiQ

et notamment les informations suivantes :

Les types de protocoles et l’adresse IP utilisés pour la connexion au service,

Au moment de la création du compte, l’identifiant de cette connexion,

La date de création du compte,

Les nom et prénoms ou la raison sociale du titulaire du compte,

Les pseudonymes utilisés,

Les adresses de courrier électronique ou de comptes associés.

‘- ordonner que cette communication soit réalisée dans un délai de dix jours à compter de la signification de la présente ordonnance ;

– condamner la société Twitter international unlimited company au versement de la somme de 5.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux dépens qui seront recouvrés dans les conditions de l’article 699 du code de procédure civile.

Dans ses dernières conclusions remises et notifiées le 03 juillet 2023, la société Twitter international unlimited company demande à la cour de :

– infirmer l’ordonnance du 31 janvier 2023 en ce qu’elle a rejeté l’exception d’incompétence soulevée par Twitter ;

Statuant à nouveau,

– ‘juger bien fondée l’exception d’incompétence soulevée par Twitter ;

– ‘juger le juge des référés incompétent au profit du président du tribunal Judiciaire de Paris, statuant selon la procédure accélérée au fond ;

Si la cour confirmait la compétence du juge des référés,

– confirmer l’ordonnance du 31 janvier 2023 en ce qu’elle a rejeté l’intégralité des demandes de RT France et l’a condamnée aux dépens de l’instance ;

A titre subsidiaire,

– ‘juger non légalement admissible la demande de communication de l’identifiant de connexion au moment de la création du compte, des types de protocoles, de l’adresse IP de connexion du compte et de la date de création du compte @slpng-giants-fr et débouter RT France de ses demandes à ce titre ;

– ‘juger que les données qui seront communiquées le cas échéant à RT France par la société Twitter seront limitées aux informations sur l’identité civile de l’utilisateur que sont ses « noms, prénoms, raison sociale, adresse de messagerie électronique ou de comptes associés et pseudonymes utilisés » ;

– ‘ordonner à RT France de réserver l’usage des informations qui lui seront communiquées le cas échéant aux seuls besoins de la poursuite d’une infraction pénale ;

En tout état de cause,

– débouter la société RT France de sa demande au titre de l’article 700 du Code de procédure civile et des dépens.

Conformément aux dispositions de l’article 455 du code de procédure civile, il est renvoyé aux conclusions des parties susvisées pour un plus ample exposé de leurs prétentions et moyens.

SUR CE, LA COUR

Sur l’exception d’incompétence soulevée par la société Twitter

La société RT France a assigné la société Twitter sur le fondement de l’article 145 du code de procédure civile (et de l’article 872 du même code) et des dispositions de l’article 6 de la loi n° 2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l’économie numérique (LCEN).

Elle soutient que comme l’a retenu le premier juge, le président du tribunal judiciaire de Paris statuant en référé est compétent pour connaître de ses demandes en application de l’article 145 du code de procédure civile, celles-ci visant à obtenir la preuve de l’identité de l’auteur des tweets litigieux, dont pourrait dépendre la solution d’un éventuel litige, et non à prévenir ou faire cesser un dommage au sens de l’article 6, I, 8 de la LCEN.

La société Twitter soutient pour sa part qu’il résulte de l’article 6, I, 8 de la LCEN, telle que modifiée par la loi n° 2021-1109 du 24 août 2021, que les demandes de communication de données d’identification doivent désormais être formées devant le président du tribunal judiciaire statuant selon la procédure accélérée au fond. Selon elle, alors que l’ancienne rédaction de ce texte renvoyait à la compétence du juge des référés ou des requêtes, la nouvelle rédaction, applicable au présent litige, prévoit désormais que seul le juge du fond peut être saisi, selon la procédure accélérée au fond, des demandes tendant à prévenir ou faire cesser un dommage résultant d’un service de communication au public en ligne – incluant les demandes de communication de données d’identification.

Elle ajoute que le raisonnement du premier juge est mal fondé en ce qu’il méconnaît l’application exclusive de la procédure accélérée au fond prévue à l’article L. 213-2 du code de l’organisation judiciaire.

Elle sollicite donc l’infirmation de l’ordonnance entreprise en ce qu’elle a rejeté l’exception d’incompétence au profit du tribunal judiciaire de Paris statuant selon la procédure accélérée au fond.

Aux termes de l’article 145 du code de procédure civile, s’il existe un motif légitime de conserver ou d’établir avant tout procès la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d’un litige, les mesures d’instruction légalement admissibles peuvent être ordonnées à la demande de tout intéressé sur requête ou en référé.

L’article 6, I, 8 de la LCEN disposait, dans sa rédaction antérieure à celle issue de la loi n° 2021-1109 du 24 août 2021 :

« L’autorité judiciaire peut prescrire en référé ou sur requête, à toute personne mentionnée au 2 ou, à défaut, à toute personne mentionnée au 1, toutes mesures propres à prévenir un dommage ou à faire cesser un dommage occasionné par le contenu d’un service de communication au public en ligne ».

Ce texte dispose désormais que :

« Le président du tribunal judiciaire, statuant selon la procédure accélérée au fond, peut prescrire à toute personne susceptible d’y contribuer toutes mesures propres à prévenir un dommage ou à faire cesser un dommage occasionné par le contenu d’un service de communication au public en ligne ».

Il en résulte que seul le président du tribunal judiciaire, statuant selon la procédure accélérée au fond, est compétent pour prescrire les mesures propres à prévenir ou faire cesser un dommage occasionné par le contenu d’un service de communication au public en ligne – ce qui peut inclure, le cas échéant, la communication de données d’identification lorsque celle-ci s’avère nécessaire à la prévention ou à l’arrêt du dommage -.

Mais cette compétence n’exclut nullement celle du juge des référés pour ordonner, en application de l’article 145 du code de procédure civile, les mesures d’instruction légalement admissibles – dont la communication de données d’identification -, s’il existe un motif légitime de conserver ou d’établir avant tout procès la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d’un litige.

Contrairement à ce que soutient la société Twitter, la nouvelle rédaction de l’article 6, I, 8 de la LCEN n’a retiré aucune attribution au juge des référés sur le fondement de l’article 145 du code de procédure civile, le premier texte visant la prévention et la cessation des dommages, non les mesures d’instruction in futurum concernées par le second.

De même, si l’article L. 213-2 du code de l’organisation judiciaire prévoit qu’ « en toutes matières, le président du tribunal judiciaire statue en référé ou sur requête » et que « dans les cas prévus par la loi ou le règlement, il statue selon la procédure accélérée au fond », il en résulte qu’hors les cas dans lesquels la loi ou le règlement renvoie expressément à la procédure accélérée au fond, le président du tribunal judiciaire statue « en toutes matières » en référé ou sur requête.

L’article 145 du code de procédure civile permet ainsi la saisine du président du tribunal judiciaire sur requête ou en référé lorsque les conditions prévues par ce texte sont réunies.

Au cas présent, d’une part, la demande de la société RT France tend uniquement à l’obtention de la preuve de l’identité de l’auteur de tweets litigieux et non à la prévention ou la cessation d’un dommage, d’autre part, le juge du fond n’a pas été préalablement saisi.

La saisine du juge des référés était donc possible et l’exception d’incompétence soulevée par la société Twitter sera rejetée.

L’ordonnance entreprise sera confirmée de ce chef.

Sur la demande de communication des données d’identification

La société Twitter ne prétend plus en appel que la demande de la société RT France est dépourvue de motif légitime dès lors que l’action qu’elle envisage au fond est manifestement vouée à l’échec car prescrite. Elle argue de l’absence de motif légitime au seul motif de l’inutilité de la mesure, faisant valoir que l’action pénale engagée par la société RT France, toujours en cours, tend exactement aux mêmes fins que son action civile en référé, à savoir l’identification de l’auteur des tweets litigieux, dès lors qu’en application de l’article 51-1 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse et d’une jurisprudence constante, sur le fondement de la diffamation une plainte avec constitution de partie civile a pour seul et unique objet d’identifier l’auteur des propos poursuivis, son renvoi devant le tribunal correctionnel n’étant que la conséquence de son identification.

La société RT France ne conteste pas que son action pénale tend comme l’action civile à identifier l’auteur des tweets litigieux mais elle fait valoir, notamment, que si elle a relevé appel de l’ordonnance de non-lieu du magistrat instructeur, qui considère que l’identification de l’auteur est impossible, elle rencontre les plus grandes difficultés à obtenir cette identification par la voie pénale, l’utilité de son action civile étant ainsi avérée d’autant que :

– elle ne peut attendre l’épuisement des voies de recours au pénal puisqu’une fois l’instruction clôturée, il ne lui sera pas possible de solliciter une mesure d’instruction in futurum dans le délai de trois mois prévu en matière de presse, alors que comme l’a relevé le premier juge la procédure du référé de l’article 145 du code de procédure civile n’interrompt pas les délais de prescription de l’action pénale ;

– qu’elle ne pouvait non plus former la demande de mesure d’instruction in futurum au civil avant l’ordonnance de non-lieu du 29 août 2022, car le juge des référés lui aurait opposé l’absence de motif légitime puisque l’instruction n’était pas terminée.

Il convient d’abord de constater, ce qui n’est pas contesté par la société Twitter, qu’au vu du contenu des tweets litigieux il existe bien un procès en germe non manifestement voué à l’échec entre la société RT France et le ou les auteurs de ces tweets, rendant légitime la recherche par celle-ci de la preuve de l’identité du ou des auteurs en vue de poursuites pénales sur le fondement de la diffamation publique envers particulier.

Il convient ensuite de relever que l’ouverture d’une information judiciaire contre personne non dénommée n’est pas de nature à priver le juge des référés des pouvoirs que lui confère l’article 145 du code de procédure civile dès lors qu’aucun juge du fond n’est saisi.

En outre, une ordonnance de non-lieu a en l’espèce été rendue le 29 août 2022, au motif qu’il n’a pu être possible d’identifier les auteurs des infractions poursuivies, et il n’est pas certain qu’aboutisse le recours formé par la société RT France contre cette ordonnance.

L’identification de l’auteur des propos litigieux par la voie pénale reste donc incertaine et comme le souligne la société RT France, le court délai de prescription de l’action en diffamation ne lui permettait pas d’attendre le résultat de l’action pénale avant d’agir au civil sur le fondement de l’article 145 du code de procédure civile, alors qu’il n’est pas discuté que cette action civile n’interrompt pas les délais de prescription de l’action pénale.

Il doit être ajouté enfin que le risque de dépérissement des données est réel dès lors que la société Twitter n’est tenue de conserver certaines données d’identification que pendant un an, en application de l’article L. 34-1 du code des postes et communications électroniques, comme il sera exposé ci-après.

L’utilité de la mesure d’instruction sollicitée en référé par la société RT France n’est donc pas contestable. Le motif légitime est caractérisé.

L’ordonnance entreprise sera infirmée de ce chef.

Sur les données communicables

A titre subsidiaire, la société Twitter demande que soient exclues de la communication ordonnée, comme étant non légalement admissibles, les données suivantes :

– l’identifiant de connexion au moment de la création du compte,

– les types de protocoles,

– l’adresse IP de connexion du compte,

– la date de création du compte @slpng-giants-fr.

Elle soutient qu’il résulte de l’application combinée des articles 6.I de la LCEN, L.34-1 II bis du code des postes et communications électroniques et du décret n°2021-1362 du 20 octobre 2021 (« décret LCEN ») que les trois premières données susmentionnées ne peuvent être conservées par les hébergeurs, et donc communiquées, que « pour les besoins de la lutte contre la criminalité et la délinquance grave, de la prévention des menaces graves contre la sécurité publique et de la sauvegarde de la sécurité nationale », dont l’action de l’appelante ne fait pas partie ; que la dernière donnée n’est pas une donnée devant être conservée par les hébergeurs aux termes du décret LCEN.

L’appelante n’a pas répondu à cette demande subsidiaire.

Il est constant que la société Twitter est l’hébergeur, au sens de l’article 6, I, 2 de la LCEN, des contenus du compte incriminé « Sleeping Giants FR ».

L’article 6, II, de la LCEN dispose, dans sa rédaction actuelle :

« Dans les conditions fixées aux II bis, III et III bis de l’article L. 34-1 du code des postes et des communications électroniques, les personnes mentionnées aux 1 et 2 du I du présent article détiennent et conservent les données de nature à permettre l’identification de quiconque a contribué à la création du contenu ou de l’un des contenus des services dont elles sont prestataires.

Elles fournissent aux personnes qui éditent un service de communication au public en ligne des moyens techniques permettant à celles-ci de satisfaire aux conditions d’identification prévues au III.

Un décret en Conseil d’Etat, pris après avis de la Commission nationale de l’informatique et des libertés, définit les données mentionnées au premier alinéa et détermine la durée et les modalités de leur conservation ».

Ce texte disposait, dans sa rédaction antérieure à celle issue de la loi n° 2021-998 du 30 juillet 2021 relative à la prévention d’actes de terrorisme et au renseignement :

« Les personnes mentionnées aux 1 et 2 du I détiennent et conservent les données de nature à permettre l’identification de quiconque a contribué à la création du contenu ou de l’un des contenus des services dont elles sont prestataires.

Elles fournissent aux personnes qui éditent un service de communication au public en ligne des moyens techniques permettant à celles-ci de satisfaire aux conditions d’identification prévues au III.

L’autorité judiciaire peut requérir communication auprès des prestataires mentionnés aux 1 et 2 du I des données mentionnées au premier alinéa.

Les dispositions des articles 226-17,226-21 et 226-22 du code pénal sont applicables au traitement de ces données.

Un décret en Conseil d’Etat, pris après avis de la Commission nationale de l’informatique et des libertés, définit les données mentionnées au premier alinéa et détermine la durée et les modalités de leur conservation ».

La nouvelle rédaction fait donc référence, à la différence de l’ancienne, aux conditions de détention et de conservation des données fixées aux II bis, III et III bis de l’article L. 34-1 du code des postes et des communications électroniques.

Ces articles prévoient que :

« II bis.-Les opérateurs de communications électroniques sont tenus de conserver :

1° Pour les besoins des procédures pénales, de la prévention des menaces contre la sécurité publique et de la sauvegarde de la sécurité nationale, les informations relatives à l’identité civile de l’utilisateur, jusqu’à l’expiration d’un délai de cinq ans à compter de la fin de validité de son contrat ;

2° Pour les mêmes finalités que celles énoncées au 1° du présent II bis, les autres informations fournies par l’utilisateur lors de la souscription d’un contrat ou de la création d’un compte ainsi que les informations relatives au paiement, jusqu’à l’expiration d’un délai d’un an à compter de la fin de validité de son contrat ou de la clôture de son compte ;

3° Pour les besoins de la lutte contre la criminalité et la délinquance grave, de la prévention des menaces graves contre la sécurité publique et de la sauvegarde de la sécurité nationale, les données techniques permettant d’identifier la source de la connexion ou celles relatives aux équipements terminaux utilisés, jusqu’à l’expiration d’un délai d’un an à compter de la connexion ou de l’utilisation des équipements terminaux.

III.-Pour des motifs tenant à la sauvegarde de la sécurité nationale, lorsqu’est constatée une menace grave, actuelle ou prévisible, contre cette dernière, le Premier ministre peut enjoindre par décret aux opérateurs de communications électroniques de conserver, pour une durée d’un an, certaines catégories de données de trafic, en complément de celles mentionnées au 3° du II bis, et de données de localisation précisées par décret en Conseil d’Etat.

L’injonction du Premier ministre, dont la durée d’application ne peut excéder un an, peut être renouvelée si les conditions prévues pour son édiction continuent d’être réunies. Son expiration est sans incidence sur la durée de conservation des données mentionnées au premier alinéa du présent III.

III bis.-Les données conservées par les opérateurs en application du présent article peuvent faire l’objet d’une injonction de conservation rapide par les autorités disposant, en application de la loi, d’un accès aux données relatives aux communications électroniques à des fins de prévention et de répression de la criminalité, de la délinquance grave et des autres manquements graves aux règles dont elles ont la charge d’assurer le respect, afin d’accéder à ces données ».

Le décret n° 2021-1362 du 20 octobre 2021 relatif à la conservation des données permettant d’identifier toute personne ayant contribué à la création d’un contenu mis en ligne, pris en application du II de l’article 6 de la loi n° 2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l’économie numérique dispose que :

« Article 1:

Le présent décret précise les obligations de conservation de données qui, en vertu du II de l’article 6 de la loi du 21 juin 2004 susvisée, incombent aux personnes mentionnées aux 1 et 2 du I du même article, dans les conditions prévues aux II bis, III et III bis de l’article L. 34-1 du code des postes et communications électroniques. 

Article 2 :

Les informations relatives à l’identité civile de l’utilisateur, au sens du 1° du II bis de l’article L. 34-1 du code des postes et des communications électroniques, que les personnes mentionnées à l’article 1er sont tenues de conserver jusqu’à l’expiration d’un délai de cinq ans à compter de la fin de validité du contrat de l’utilisateur, sont les suivantes :

1° Les nom et prénom, la date et le lieu de naissance ou la raison sociale, ainsi que les nom et prénom, date et lieu de naissance de la personne agissant en son nom lorsque le compte est ouvert au nom d’une personne morale ;

2° La ou les adresses postales associées ;

3° La ou les adresses de courrier électronique de l’utilisateur et du ou des comptes associés le cas échéant ;

4° Le ou les numéros de téléphone.

Article 3 :

Les autres informations fournies par l’utilisateur lors de la souscription d’un contrat ou de la création d’un compte, mentionnées au 2° du II bis de l’article L. 34-1 du code des postes et des communications électroniques, que les personnes mentionnées à l’article 1er sont tenues de conserver jusqu’à l’expiration d’un délai d’un an à compter de la fin de validité du contrat de l’utilisateur ou de la clôture de son compte, sont les suivantes :

1° L’identifiant utilisé ;

2° Le ou les pseudonymes utilisés ;

3° Les données destinées à permettre à l’utilisateur de vérifier son mot de passe ou de le modifier, le cas échéant par l’intermédiaire d’un double système d’identification de l’utilisateur, dans leur dernière version mise à jour.

Article 4 :

Les informations relatives au paiement, mentionnées au 2° du II bis de l’article L. 34-1 du code des postes et des communications électroniques, que les personnes mentionnées à l’article 1er sont tenues de conserver, pour chaque opération de paiement, jusqu’à l’expiration d’un délai d’un an à compter de la fin de validité du contrat de l’utilisateur ou de la clôture de son compte, sont les suivantes :

1° Le type de paiement utilisé ;

2° La référence du paiement ;

3° Le montant ;

4° La date, l’heure et le lieu en cas de transaction physique.

Article 5 :

Les données techniques permettant d’identifier la source de la connexion ou celles relatives aux équipements terminaux utilisés, mentionnées au 3° du II bis de l’article L. 34-1 du code des postes et des communications électroniques, que les personnes mentionnées à l’article 1er sont tenues de conserver jusqu’à l’expiration d’un délai d’un an à compter de la connexion ou de l’utilisation des équipements terminaux, sont les suivantes :

1° Pour les personnes mentionnées au 1 du I de l’article 6 de la loi du 21 juin 2004 susvisée et pour chaque connexion de leurs abonnés :

a) L’identifiant de la connexion ;

b) L’identifiant attribué par ces personnes à l’abonné ;

c) L’adresse IP attribuée à la source de la connexion et le port associé ;

2° Pour les personnes mentionnées au 2 du I de l’article 6 de la loi du 21 juin 2004 susvisée et pour chaque opération de création d’un contenu telle que définie à l’article 6 :

a) L’identifiant de la connexion à l’origine de la communication ;

b) Les types de protocoles utilisés pour la connexion au service et pour le transfert des contenus.

Le délai mentionné au premier alinéa du présent article court à compter du jour de la connexion ou de la création d’un contenu, pour chaque opération contribuant à cette création ».

De ces dispositions, il ressort que les hébergeurs ne sont tenus de conserver, pour les besoins des procédures pénales, que les informations relatives à l’identité civile de l’utilisateur et les autres informations fournies par lui lors de la souscription du contrat ou de la création du compte ainsi que les informations relatives au paiement – les premières pendant cinq ans, les secondes pendant un an -, à l’exclusion des données techniques permettant d’identifier la source de la connexion et de celles relatives aux équipements terminaux utilisés. En effet, ces dernières données ne peuvent être conservées que pour les seuls besoins de la lutte contre la criminalité et la délinquance grave, de la prévention des menaces graves contre la sécurité publique et de la sauvegarde de la sécurité nationale et ce, pendant une durée d’un an.

Ces nouvelles dispositions légales et réglementaires ont été adoptées, ainsi que le relève la société Twitter, à la suite de décisions de la Cour de justice de l’Union européenne ayant retenu que le droit de l’Union limitait la possibilité d’imposer aux opérateurs de communications électroniques, aux fournisseurs d’accès à internet et aux hébergeurs la conservation des données de connexion de leurs utilisateurs, que cette conservation ne pouvait être généralisée et indifférenciée et qu’elle devait être encadrée, l’encadrement variant selon la nature des données en cause, les finalités poursuivies et le type de conservation (CJUE, 6 octobre 2020, C-511/18, C-512/18, C-520/18, La Quadrature du Net et autres).

A la suite de ces décisions, le Conseil d’Etat a rappelé que, selon la jurisprudence de la CJUE, si la conservation généralisée et indifférenciée des adresses IP peut être imposée aux fournisseurs d’accès à internet et aux hébergeurs, pour une période limitée au strict nécessaire, dès lors qu’elle peut constituer le seul moyen d’investigation permettant l’identification d’une personne ayant commis une infraction en ligne, une telle conservation emporte une ingérence grave dans les droits fondamentaux des personnes concernées qui justifie qu’elle ne puisse avoir lieu qu’aux fins de lutte contre la criminalité grave, pour la prévention des menaces graves contre la sécurité publique et pour la sauvegarde de la sécurité nationale (CE, ass., 21 avril 2021, n° 393099, Lebon, point 33).

Ces décisions concernent la conservation des données.

Toutefois, la Cour de justice de l’Union européenne a également jugé que l’accès aux données n’était possible que pour la finalité ayant justifié la conservation : « S’agissant des conditions dans lesquelles l’accès aux données relatives au trafic et aux données de localisation conservées par les fournisseurs de services de communications électroniques peut, à des fins de prévention, de recherche, de détection et de poursuite d’infractions pénales, être accordé à des autorités publiques, en application d’une mesure prise au titre de l’article 15, paragraphe 1, de la directive 2002/58, la Cour a jugé qu’un tel accès ne peut être octroyé que pour autant que ces données aient été conservées par ces fournisseurs d’une manière conforme audit article 15, paragraphe 1 (voir, en ce sens, arrêt du 6 octobre 2020, La Quadrature du Net e.a., C-511/18, C-512/18 et C 520/18, EU:C:2020:791, point 167) » (CJUE, 2 mars 2021, C-746/18, H.K c/ Prokuratuur, point 29).

Il doit également être relevé que l’article 6, II, de la LCEN, dans sa nouvelle rédaction, fait expressément référence aux conditions de conservation prévues par l’article L. 34-1 du code des postes et communications électroniques.

De même, le décret du 20 octobre 2021, qui abroge le décret n° 2011-219 du 25 février 2011, est expressément visé au dernier alinéa de l’article 6, II, de la LCEN. Or, selon ce dernier alinéa, le décret « définit les données mentionnées au premier alinéa et détermine la durée et les modalités de leur conservation ». Il en résulte que « les données de nature à permettre l’identification de quiconque a contribué à la création du contenu ou de l’un des contenus des services dont elles sont prestataires » visées au premier alinéa de l’article 6, II, de la LCEN sont celles définies par le décret du 20 octobre 2021, avec les conditions et restrictions ci-dessus rappelées.

Dès lors, il résulte de la combinaison de ces dispositions légales et réglementaires que les hébergeurs ne sont tenus de communiquer, pour les besoins des procédures pénales, que les informations relatives à l’identité civile de l’utilisateur et les « autres informations fournies par lui lors de la souscription du contrat ou de la création du compte » ainsi que « les informations relatives au paiement », à l’exclusion des données techniques permettant d’identifier la source de la connexion ou de celles relatives aux équipements terminaux utilisés, notamment l’adresse IP.

Au cas présent, la société RT France a sollicité la communication de données d’identification de l’auteur de messages Twitter pour les besoins d’une procédure pénale, celle-ci souhaitant poursuivre l’intéressé pour des faits délictuels de diffamation publique envers particulier, prévus et réprimés par les articles 29 alinéa 1er et 32 alinéa 1er de la loi du 29 juillet 1881.

Elle n’agit donc pas pour « les besoins de la lutte contre la criminalité et la délinquance grave, de la prévention des menaces graves contre la sécurité publique et de la sauvegarde de la sécurité nationale » visés au 3° de l’article L. 34-1 précité du code des postes et communications électroniques.

C’est dès lors à bon droit que la société Twitter sollicite le cantonnement de la demande de communication aux informations relatives à l’identité civile, à l’exclusion de celles relatives à l’identifiant de connexion au moment de la création du compte, aux types de protocoles, à l’adresse IP de connexion du compte. Elle est également bien fondée à ne pas communiquer «la date de création du compte @slpng-giants-fr.», l’herbergeur n’étant pas tenu de conserver cette donnée en application des textes précités.

Il sera donc ordonné à la société Twitter de communiquer à la société RT France les autres informations requises :

-les nom et prénoms ou la raison sociale du titulaire du compte,

– les pseudonymes utilisés,

– les adresses de courrier électronique ou de comptes associés.

La demande de communication des autres données sera rejetée.

Sur les frais et dépens

La société RT France conservera la charge des dépens de cette instance, engagée dans son seul intérêt, sa demande formée en application de l’article 700 du code de procédure civile étant rejetée.

PAR CES MOTIFS

Confirme l’ordonnance entreprise en ce qu’elle a :

– rejeté l’exception d’incompétence,

– déclaré recevables les demandes formulées par la société RT France,

– condamné la société RT France aux dépens de la présente instance ;

L’infirme pour le surplus et statuant à nouveau :

Ordonne à la société Twitter international unlimited company de communiquer à la société RT France, dans les dix jours à compter de la signification du présent arrêt, les données qu’elle détient de nature à permettre l’identification du titulaire du compte Twitter « Sleeping Giants FR » accessible à l’adresse URL suivante :

https://twitter.com/slpng-giants-fr’s=20&t=v25PW -Ztk-UoJip57SQoiQ :

– les nom et prénoms ou la raison sociale du titulaire du compte,

– les pseudonymes utilisés,

– les adresses de courrier électronique ou de comptes associés ;

Rejette la demande de communication des autres données ;

Y ajoutant,

Laisse à la charge de la société RT France les dépens d’appel ;

Rejette sa demande formée en application de l’article 700 du code de procédure civile.

LA GREFFIERE LA PRESIDENTE

 


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