Communication électronique : 12 décembre 2023 Cour de cassation Pourvoi n° 23-82.185

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Communication électronique : 12 décembre 2023 Cour de cassation Pourvoi n° 23-82.185
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N° H 23-82.185 F-D

N° 01490

MAS2
12 DÉCEMBRE 2023

CASSATION PARTIELLE

M. BONNAL président,

R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
________________________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________

ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 12 DÉCEMBRE 2023

M. [Y] [X] a formé un pourvoi contre l’arrêt de la chambre de l’instruction de la cour d’appel d’Amiens, en date du 11 avril 2023, qui, dans l’information suivie contre lui du chef d’infractions à la législation sur les stupéfiants, a prononcé sur sa demande d’annulation de pièces de la procédure.

Par ordonnance du 27 juillet 2023, le président de la chambre criminelle a prescrit l’examen immédiat du pourvoi.

Un mémoire a été produit.

Sur le rapport de M. Coirre, conseiller, les observations de la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat de M. [Y] [X], et les conclusions de M. Lagauche, avocat général, après débats en l’audience publique du 14 novembre 2023 où étaient présents M. Bonnal, président, M. Coirre, conseiller rapporteur, M. Samuel, conseiller de la chambre, et Mme Sommier, greffier de chambre,

la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l’article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Il résulte de l’arrêt attaqué et des pièces de la procédure ce qui suit.

2. Des investigations menées sur commission rogatoire ont abouti à la mise en cause de M. [Y] [X] dans un trafic de produits stupéfiants.

3. Il a été mis en examen des chefs susvisés le 2 février 2022.

4. Il a saisi la chambre de l’instruction d’une requête en annulation d’actes de la procédure.

Examen des moyens

Sur le premier moyen

Enoncé du moyen

5. Le moyen critique l’arrêt attaqué en ce qu’il a dit mal fondée et rejeté la requête en nullité présentée par la défense, alors :

« 1°/ d’une part que dès lors que le juge ordonne ou autorise un acte qui porte atteinte à la vie privée, la décision qu’il rend ne peut se limiter à renvoyer aux motifs de l’acte qui le saisit et doit contenir une motivation justifiant, en droit et en fait, de la nécessité de la mesure ; que l’absence d’une telle motivation de cette atteinte à la vie privée, qui interdit tout contrôle réel et effectif de la mesure, fait nécessairement grief aux personnes visées par la mesure ; qu’au cas d’espèce, il résulte de la procédure, ainsi que le faisait valoir la défense, que de nombreuses mesures attentatoires à la vie privée — les interceptions téléphoniques de la ligne [XXXXXXXX01], mises en oeuvre par commission rogatoire technique du 28 juin 2021 et prorogées par commission rogatoire technique du 23 août suivant, puis réactivées par une nouvelle commission rogatoire technique du 4 janvier 2022 ; les géolocalisation de cette même ligne, mises en oeuvre par commission rogatoire technique du 12 octobre 2021 ; l’interception de la ligne [XXXXXXXX03], mise en oeuvre par commission rogatoire technique du 4 janvier 2022 ; la géolocalisation du véhicule Citroën immatriculé [Immatriculation 5], mise en oeuvre par commission rogatoire technique du 12 octobre 2021 et la géolocalisation du véhicule BMW immatriculé [Immatriculation 6], mise en oeuvre par commission rogatoire technique du 10 décembre 2021 — ont été autorisées par actes du juge d’instructions « motivés » uniquement par de vagues formules générales, abstraites et stéréotypées, qui se bornent à reprendre les conditions légales des mesures litigieuses et par le visa des rapports d’enquête sollicitant la mise en oeuvre de ces mesures ; que la défense était dès lors fondée à faire valoir qu’en l’absence de motifs, propres ou empruntés, tirés des éléments précis et circonstanciés de la procédure et permettant de contrôler que le juge d’instruction s’est effectivement assuré que chacune des mesures mises en oeuvre satisfaisait effectivement au critère de « nécessité dans une société démocratique », en vérifiant par exemple s’il est possible d’atteindre les buts recherchés par des moyens moins restrictifs, ces mesures avaient été irrégulièrement autorisées ; qu’en retenant, pour refuser d’annuler ces autorisations, les actes d’exécutions de celles-ci et l’ensemble des actes et pièces qui y trouvent leur support nécessaire, qu’il résulte de l’arrêt du 16 février 2023 de la Cour de Justice de l’Union Européenne que « l’article 15, paragraphe 1, de la directive 2002/58/CE du Parlement européen et du Conseil, du 12 juillet 2002, concernant le traitement des données à caractère personnel et la protection de la vie privée dans le secteur des communications électroniques (directive vie privée et communications électroniques), lu à la lumière de l’article 47, deuxième alinéa, de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, doit être interprété en ce sens qu’il ne s’oppose pas à une pratique nationale en vertu de laquelle les décisions judiciaires autorisant le recours à des techniques spéciales de renseignement à la suite d’une demande motivée et circonstanciée des autorités pénales sont rédigées au moyen d’un texte préétabli et dépourvu de motifs individualisés, mais se limitant à indiquer, outre la durée de validité de l’autorisation, que les exigences prévues par la législation dont ces décisions font mention, sont respectées, à condition que les raisons précises pour lesquelles le juge compétent a considéré que les exigences légales étaient respectées au regard des éléments factuels et juridiques caractérisant le cas d’espèce puissent être inférées aisément et sans ambiguïté d’une lecture croisée de la décision et de la demande d’autorisation, cette dernière devant être rendue accessible, postérieurement à l’autorisation donnée, à la personne contre laquelle le recours à des techniques spéciales de renseignement a été autorisé », de sorte que « si le juge d’instruction a établi une commission rogatoire technique au moyen d’un texte préétabli et dépourvu de motifs individualisés, il a toutefois fait référence à sa commission rogatoire générale ainsi qu’au procès-verbal de demande d’autorisation des écoutes téléphoniques dûment motivé et a précisé la durée de validité de l’autorisation » et que « M. [X] [Y], informé que des techniques spéciales de renseignement avaient été appliquées à son égard, a eu accès au dossier et à la demande d’autorisation émanant de l’officier de police judiciaire du 11 octobre 2021, à la commission rogatoire générale et à la commission rogatoire technique et a pu contester de manière utile et effective cette autorisation, de sorte que les exigences prévues par la législation ont été respectées », quand la solution retenue par la Cour de Justice de l’Union européenne, fondée sur le droit à un recours effectif
contre les décisions des juges, n’a pas remis en cause celle retenue par la Chambre criminelle de la Cour de cassation, et fondée sur le droit au respect de la vie privée, selon laquelle le juge ne peut se borner, pour autoriser un acte attentatoire à la vie privée, à viser, sans en reprendre les motifs, les actes qui fondent sa saisine, la Chambre de l’instruction a violé les articles 8 de la Convention européenne des droits de l’Homme, préliminaire, 100, 100-1, 230-32, 230-33, 591 et 593 du Code de procédure pénale ;

2°/ d’autre part que dès lors que le juge ordonne ou autorise un acte qui porte atteinte à la vie privée, la décision qu’il rend ne peut se limiter à renvoyer aux motifs de l’acte qui le saisit et doit contenir une motivation justifiant, en droit et en fait, de la nécessité de la mesure ; que l’absence d’une telle motivation de cette atteinte à la vie privée, qui interdit tout contrôle réel et effectif de la mesure, fait nécessairement grief aux personnes visées par la mesure ; qu’au cas d’espèce, il résulte de la procédure, ainsi que le faisait valoir la défense, que de nombreuses mesures attentatoires à la vie privée, et en particulier la géolocalisation du véhicule BMW immatriculé [Immatriculation 6], mise en oeuvre par commission rogatoire technique du 10 décembre 2021, ont été autorisées par actes du juge d’instructions « motivés » uniquement par de vagues formules générales, abstraites et stéréotypées, qui se bornent à reprendre les conditions légales des mesures litigieuses et par le visa des rapports d’enquête sollicitant la mise en oeuvre de ces mesures ; que la défense était dès lors fondée à faire valoir qu’en l’absence de motifs, propres ou empruntés, tirés des éléments précis et circonstanciés de la procédure et permettant de contrôler que le juge d’instruction s’est effectivement assuré que chacune des mesures mises en oeuvre satisfaisait effectivement au critère de « nécessité dans une société démocratique », en vérifiant par exemple s’il est possible d’atteindre les buts recherchés par des moyens moins restrictifs, ces mesures avaient été irrégulièrement autorisées ; qu’en retenant toutefois, pour refuser d’annuler la commission rogatoire technique du 10 décembre 2021, les actes d’exécutions de celle-ci et l’ensemble des actes et pièces qui y trouvent leur support nécessaire, que « le magistrat instructeur a motivé sa décision en ce qu’il a indiqué « qu’au vu du rapport de gendarmerie en date du 11 octobre 2021 et de la commission rogatoire en cours, il apparaît que [X] [Y] prend part aux faits objets de la présente information judiciaire » », quand ces motifs, abstraits et stéréotypés, ne permettent pas de contrôler que le juge d’instruction s’est effectivement assuré, à partir des éléments précis et circonstanciés de la procédure, que la mesure envisagée satisfaisait au critère de « nécessité dans une société démocratique », en vérifiant notamment s’il était possible d’atteindre les buts recherchés par des moyens moins restrictifs, la Chambre de l’instruction n’a pas légalement justifié sa décision au regard des articles 8 de la Convention européenne des droits de l’Homme, préliminaire, 230-32, 230-33, 591 et 593 du Code de procédure pénale. »

Réponse de la Cour

Vu les articles 100-1 et 230-33, alinéa 5, du code de procédure pénale :

6. Il résulte de ces textes que la décision du juge d’instruction autorisant une mesure soit d’interception, enregistrement et transcription de correspondances émises par la voie des communications électroniques, soit de géolocalisation, doit être motivée par référence aux éléments de fait et de droit justifiant que cette opération est nécessaire. L’absence d’une telle motivation, qui interdit tout contrôle réel et effectif de la mesure, fait nécessairement grief aux intérêts de la personne concernée.

7. Pour écarter le moyen de nullité tiré du défaut de motivation en droit et en fait de commissions rogatoires, autres que celle du 10 décembre 2021, autorisant des interceptions de correspondances téléphoniques et des opérations de géolocalisation, l’arrêt attaqué énonce, au visa d’un arrêt rendu le 16 février 2023 par la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE, 16 février 2023, C-349/21), que ces délégations, dressées au moyen d’un texte préétabli et dépourvues de motifs individualisés, visent la commission rogatoire générale et se réfèrent au procès-verbal, dûment motivé, de demande d’autorisation.

8. Les juges ajoutent que M. [X] a été informé que des techniques spéciales de renseignement avaient été appliquées à son égard et a eu accès à l’ensemble des pièces y afférentes.

9. Ils retiennent qu’il a pu, de ce fait, contester de manière utile et effective les autorisations délivrées.

10. Ils relèvent enfin, s’agissant de la commission rogatoire du 10 décembre 2021 autorisant la géolocalisation en temps réel d’un véhicule automobile de marque BMW, immatriculé [Immatriculation 6], que le magistrat instructeur a satisfait à son obligation de motivation en retenant, au visa du rapport de demande et de sa délégation générale, qu’il apparaissait que M. [X] prenait part aux faits faisant l’objet de l’information.

11. En statuant ainsi, la chambre de l’instruction a, s’agissant des seules commissions rogatoires des 28 juin 2021 et 23 août 2021, méconnu les textes susvisés et le principe ci-dessus rappelé pour les motifs qui suivent.

12. D’une part, l’arrêt de la CJUE n’a pas eu pour effet de remettre en cause les dispositions précitées du code de procédure pénale prévoyant un degré supérieur de protection.

13. D’autre part, la commission rogatoire du 28 juin 2021 ne se réfère à aucun élément factuel, non plus que celle du 23 août 2021, qui, en outre, se borne à viser une précédente commission rogatoire et le rapport du service de gendarmerie demandeur.

14. La cassation aura lieu de ce seul chef, la Cour de cassation étant en mesure de s’assurer que les autres commissions rogatoires sont suffisamment motivées au regard des éléments de l’espèce.

Et sur le deuxième moyen

Enoncé du moyen

15. Le moyen critique l’arrêt attaqué en ce qu’il a dit mal fondée et rejeté la requête en nullité présentée par la défense, alors « que seuls peuvent accéder aux données contenues dans le fichier de traitement des antécédents judiciaires (TAJ) et le fichier des personnes recherchées (FPR) les enquêteurs spécialement habilités et individuellement désignés à cette fin ; que s’ils ne sont pas désignés ou habilités à consulter ces fichiers, les enquêteurs, autorisés à ce faire par le procureur de la République ou le juge d’instruction, peuvent requérir une autre personne, elle-même désignée et habilitée à consulter l’un de ces fichiers, aux fins de procéder à cette opération ; qu’ils ne peuvent en revanche, au prétexte d’être autorisés à procéder ainsi par voie de réquisitions, accéder eux-mêmes aux fichiers litigieux ; qu’au cas d’espèce, il résulte de la procédure et des propres constatations de la Chambre de l’instruction que « l’officier de police judiciaire [[M] [L]] a recueilli des informations provenant notamment du fichier « Traitement des antécédents judiciaires » (TAJ) et du « Fichier des personnes recherchées » (F.P.R.) » ; que rien en procédure ne permet pourtant d’établir que cet enquêteur était individuellement désigné et spécialement habilité à cette fin ; que la défense était dès lors fondée à solliciter l’annulation des actes mentionnant l’accès à ces fichiers, faute de pouvoir établir que l’exploitation des données du TAJ et du FPR a effectivement été l’oeuvre d’un enquêteur individuellement désigné et spécialement habilité à ces fins ; qu’en se bornant à retenir, pour refuser de prononcer ces annulations, que l’enquêtrice qui a accédé à ces fichiers n’avait pas à être individuellement désignée et spécialement habilitée à cette fin dès lors qu’elle agissait dans le cadre d’une commission rogatoire et disposait à cet égard des prérogatives du juge d’instruction, qui peut accéder à ces fichiers, quand la seule existence d’une commission rogatoire ne saurait faire échec aux dispositions spécifiques relatives à l’accès aux fichiers de police, lesquelles visent à garantir le respect de la vie privée des personnes inscrites à ces fichiers, y compris dans le cadre de l’information judiciaire et de l’exécution d’une commission rogatoire, la Chambre de l’instruction a violé les articles 8 de la Convention européenne des droits de
l’Homme, préliminaire, 152, 230-6, 230-10, R. 40-23, R. 40-28, 230-19, R. 40-38 du Code de procédure pénale et 5 du décret n° 2010-569 du 28 mai 2010 relatif au fichier des personnes recherchées. »

 


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