Communication électronique : 10 janvier 2023 Cour d’appel de Grenoble RG n° 21/02681

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Communication électronique : 10 janvier 2023 Cour d’appel de Grenoble RG n° 21/02681
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N° RG 21/02681 – N° Portalis DBVM-V-B7F-K5PJ

C3

N° Minute :

Copie exécutoire délivrée

le :

à :

la SELARL RETEX AVOCATS

Me Priscillia BOTREL

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D’APPEL DE GRENOBLE

PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE

ARRÊT DU MARDI 10 JANVIER 2023

Appel d’une décision (N° RG 11-19-344)

rendue par le Tribunal judiciaire de Gap

en date du 15 décembre 2020

suivant déclaration d’appel du 17 juin 2021

APPELANTE :

LA S.A. LA POSTE prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège

[Adresse 5]

[Localité 3]

représentée par Me Céline CASSEGRAIN de la SELARL RETEX AVOCATS, avocat au barreau de VALENCE postulant et plaidant par Me Carl- Stéphane FREICHET de la SELARL FREICHET AMG, avocat au barreau d’AIX-EN-PROVENCE

INTIME :

M. [I] [H]

né le 14 décembre 1951 à [Localité 6]

de nationalité Française

[Adresse 4]

[Localité 1]

représenté par Me Priscillia BOTREL, avocat au barreau de HAUTES-ALPES

COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ :

Mme Catherine Clerc, président de chambre,

Mme Joëlle Blatry, conseiller,

M. Laurent Desgouis, vice-président placé,

DÉBATS :

A l’audience publique du 22 novembre 2022 Mme Clerc président de chambre chargé du rapport, assistée de Mme Anne Burel, greffier, a entendu les avocats en leurs observations, les parties ne s’y étant pas opposées conformément aux dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile.

Elle en a rendu compte à la cour dans son délibéré et l’arrêt a été rendu ce jour.

FAITS ET PROCEDURE

M. [I] [H] a souscrit auprès de la Poste pour la période du 26 mars 2018 au 30 mars 2019 un contrat de réexpédition de son courrier arrivant à son ancienne adresse ([Adresse 2] dans le département des Hautes-Alpes) vers son nouveau domicile à [Adresse 4]).

Se plaignant des nombreux dysfonctionnements de ce service, notamment à l’origine d’un retard dans le paiement de plusieurs avis d’imposition l’ayant exposé à des pénalités de retard d’un montant de 8.296 euros, M. [H] a mis en vain la Poste en demeure de l’indemniser par deux courriers des 10 octobre 2018 et 5 décembre 2018.

Par acte d’huissier du 6 septembre 2019 , M. [H] a fait assigner La Poste devant le tribunal d’instance de Gap en paiement de la somme de 8.296 euros à titre de dommages et intérêts, outre indemnité de procédure.

La Poste s’est opposée à cette demande en faisant valoir d’une part qu’elle n’avait commis aucune faute dans l’exécution du contrat de réexpédition alors notamment que la mise en demeure de l’administration fiscale du 8 juillet 2018 était adressée à une SCI CHANTEVENT, et non pas à M. [H] personnellement, et que la mise en demeure de cette administration du 23 octobre 2018 mentionnait une adresse autre que celle indiquée sur le contrat, et d’autre part qu’il n’était pas justifié du paiement de la pénalité fiscale.

Par jugement en date du 15 décembre 2020, le tribunal judiciaire de Gap, après avoir retenu sa compétence territoriale, a condamné La Poste à payer à M. [H] la somme de 8.296 euros en réparation de son préjudice et a rejeté toute demande plus ample ou contraire.

Le tribunal a considéré en substance qu’il était justifié de nombreuses erreurs dans l’exécution de l’ordre de réexpédition du courrier et que la preuve du paiement par M. [H] de la pénalité fiscale litigieuse était rapportée.

La Poste a relevé appel de cette décision selon déclaration reçue le 17 juin 2021 aux termes de laquelle elle critique le jugement en toutes ses dispositions, sauf en ce qu’il a retenu la compétence du tribunal.

Vu les conclusions récapitulatives et en réponse déposées et notifiées le 6 mai 2022 par La Poste qui demande à la cour, par voie d’infirmation du jugement, de débouter M. [H] de l’ensemble de ses demandes, subsidiairement de limiter toute condamnation aux plafonds définis par les dispositions du code des postes et des communications électroniques, très subsidiairement de dire et juger que M. [H] ne justifie d’aucun préjudice effectif en lien avec la distribution de son courrier et de le débouter de plus fort de toutes ses demandes, en tout état de cause de condamner M. [H] à lui payer la somme de 2.000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile.

Elle fait valoir :

-qu’elle est fondée à se prévaloir en appel, comme nouveau moyen de défense, du régime spécifique de responsabilité des prestataires de services postaux prévu par le code des postes et des communications électroniques et rappelé aux conditions spécifiques de vente du contrat de réexpédition,

-qu’en application des articles L.7, L.8 et R2-1 et suivants du code des postes et des communications électroniques, expressément rappelés aux conditions générales de vente applicables aux produits « courriers’colis » sa responsabilité est limitée, sauf faute lourde, au montant du tarif d’affranchissement pour tous les envois bénéficiant d’un engagement contractuel de délai et en cas de perte ou d’avarie au double du tarif d’affranchissement ou à 23 euros par kg si cela est plus favorable à l’expéditeur,

-que ces plafonds d’indemnisation, qui sont prévus par des dispositions réglementaires, sont opposables à M. [H] et s’appliquent à défaut de stipulations plus favorables, quand bien même les conditions générales et particulières du contrat de réexpédition n’auraient pas été portées à sa connaissance,

-que sa responsabilité ne peut être engagée que pour perte ou avarie survenue lors de l’exécution de la prestation, puisque le contrat porte sur le courrier ordinaire sans engagement de délai d’acheminement,

-que sa responsabilité ne peut pas être engagée pour la perte des courriers en l’absence de preuve de la date de leur dépôt, ni même de leur perte effective,

-que si une défaillance de ses services devait être retenue, sa responsabilité ne pourrait donner lieu à indemnisation au-delà des plafonds réglementaires,

-que sa prétendue faute lourde n’est en rien caractérisée alors que les plis pour lesquels M. [H] dispose des enveloppes n’ont pas été égarés et qu’il n’y avait aucun engagement de délai, que la lettre recommandée portant le numéro 1A 148 409 9329 3 n’a pas été distribuée du fait du destinataire qui ne l’a pas retirée au bureau de poste, que la preuve du dépôt de la lettre recommandée portant le numéro 1A 150 839 4937 5 n’est pas rapportée en l’absence de timbre à date, que les courriers de l’administration fiscale des 8 juillet et 23 octobre 2018 sont produits sans les enveloppes, ce qui ne permet pas de vérifier l’apposition ou non d’une étiquette de réexpédition, que la mise en demeure du 8 juillet 2018 est adressée à une société civile immobilière dénommée « CHANTEVENT » qui n’est pas concernée par l’ordre de réexpédition, que le courrier d’AXA banque du 6 juin 2019 est postérieur à l’expiration de la période contractuelle de réexpédition, comme les courriers émis par deux autres établissements bancaires,

-qu’en toute hypothèse, il n’est justifié d’aucun préjudice en lien causal avec sa prétendue faute alors que la date limite de paiement de l’impôt sur le revenu de M. [H] n’étant pas connue, il n’est pas démontré que la majoration fiscale de 8.296 euros qui a été appliquée pour retard de paiement serait la conséquence d’un courrier de mise en demeure non réceptionné, étant observé que M. [H] ne pouvait ignorer que le paiement du solde de l’impôt sur le revenu doit intervenir chaque année au mois de septembre et que le courrier de mise en demeure du 8 juillet 2018, qui est adressé à la SCI « CHANTEVENT », est sans rapport avec l’impôt sur le revenu de M. [H].

Vu les conclusions n°2 déposées et notifiées le 18 juillet 2022 par M. [H] qui demande à la cour:

In limine litis

de déclarer irrecevable la demande nouvelle formée par l’appelante sur le fondement du régime de responsabilité spécifique applicable à La Poste et de confirmer le jugement en toutes ses dispositions,

Sur le fond

de dire et juger que les conditions générales et spécifiques de vente invoquées par la société La Poste lui sont inopposables et de confirmer le jugement en toutes ses dispositions,

En tout état de cause

de condamner la société La Poste au paiement d’une indemnité de 2.500 euros au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.

Il fait valoir :

– que les demandes formées pour la première fois en appel par La Poste sur le fondement du régime de responsabilité spécifique applicable aux prestataires de services postaux sont irrecevables sur le fondement de l’article 564 du code de procédure civile,

– que les conditions générales et spécifiques de vente invoquées par La Poste ne lui ont pas été remises et lui sont donc inopposables, ce qui doit conduire à l’application du droit commun de la responsabilité contractuelle,

– qu’en toute hypothèse la Poste a commis une faute lourde de négligence d’une extrême gravité confinant au dol et dénotant l’inaptitude du contractant à l’accomplissement de sa mission, ce qui implique que l’intégralité du dommage doit être réparé sans tenir compte d’éventuelles limitations d’indemnisation,

– que la lettre de l’administration fiscale du 8 juillet 2018 a été adressée à la SCI « CHANTEVENT » par M. [I] [H], dont la poste n’ignore pas qu’il s’agit de M. [H], ainsi qu’il résulte de l’acheminement de nombreux autres courriers,

– qu’il importe peu que la mise en demeure de l’administration fiscale du 23 octobre 2018 ait été adressée à SERRE de Gap,

– qui constitue un quartier de la commune de [Localité 7] au sein duquel il a toujours parfaitement été identifié,

– que de nombreux courriers expédiés en mai ou juillet 2019 ont été reçus avec plusieurs mois de retard,

– que divers établissements de banque et d’assurance l’ont informé qu’ils rencontraient des problèmes avec son courrier postal, qu’il justifie par le bordereau de situation fiscale établi le 25 novembre 2019

– que la pénalité de 8.296 euros a été payée, que cette pénalité a été générée par un retard de paiement de son impôt sur le revenu, lui-même causé par l’absence de réception du courrier de mise en demeure du 8 juillet 2018 ,

– que la jurisprudence qualifie de faute lourde la négligence de la poste dans l’exécution de sa mission de réexpédition du courrier,

-que l’existence d’un lien de causalité direct et certain entre la faute et le dommage qu’il a subi est incontestable, alors que sans la négligence de la poste il se serait acquitté de son impôt sur le revenu sans encourir de pénalité.

L’instruction a été clôturée par une ordonnance rendue le 18 octobre 2022.

MOTIFS

En se prévalant pour la première fois en appel du régime spécifique de responsabilité des services postaux, La Poste ne forme pas une demande nouvelle, mais soulève un moyen de défense nouveau toujours recevable à hauteur d’appel en application de l’article 563 du code de procédure civile.

L’appelante, qui ne conteste pas qu’un contrat de réexpédition a été souscrit par M. [H] pour la période du 26 mars 2018 au 30 mars 2019, verse au dossier la photocopie d’un contrat établi pour cette période indiquant l’ancienne et la nouvelle adresses du souscripteur, mais qui n’est ni daté ni signé.

Il n’est dès lors pas établi que M. [H] a effectivement approuvé la clause pré imprimée aux termes de laquelle le souscripteur « reconnaît avoir pris connaissance des conditions spécifiques de vente réexpédition’particuliers ainsi que des conditions générales de vente courriers’colis ».

Les conditions spécifiques et générales de vente versées au dossier, qui ne sont ni signées ni paraphées par M. [H] lui sont donc inopposables.

Le régime de responsabilité des prestataires de services postaux est cependant défini par les articles L.7, L.8 et R.2-1 et suivants du code des postes et des communications électroniques, qui sont nécessairement opposables au destinataire/souscripteur comme relevant de la loi et du règlement.

Aux termes de ces textes, en substance, la responsabilité des prestataires de services postaux est engagée dans les conditions prévues par les articles 1103, 1104, 1193 et suivants, et 1240 et suivants du code civil à raison des pertes et avaries survenues lors de la prestation et pour les dommages directs causés par le retard dans la distribution d’un envoi postal si le prestataire a souscrit un engagement portant sur le délai d’acheminement de cet envoi postal,le tout selon des modalités fixées par un décret en Conseil d’Etat qui détermine des plafonds d’indemnisation.

Selon les articles R.2-1 et suivants du code des postes et des communications électroniques les indemnités susceptibles d’être mises à la charge des prestataires de services postaux du fait de la perte ou de l’avarie des envois postaux, autres que les colis, ne peuvent excéder pour les envois ordinaires une somme égale à deux fois le tarif d’affranchissement, tandis que s’agissant des retards d’acheminement l’indemnisation ne peut excéder le montant du tarif d’affranchissement payé par l’expéditeur.

Comme le reconnaît la société La Poste ces plafonds d’indemnisation sont exclus en cas de faute lourde du prestataire.

Ainsi, la responsabilité du service des postes doit être appréciée conformément au droit commun de l’inexécution du contrat selon les principes énoncés aux articles 1217 et suivants du code civil, la réparation du dommage étant toutefois limitée par les plafonds réglementaires d’indemnisation, sauf faute lourde.

La demande indemnitaire porte exclusivement sur la majoration de 10 % d’un montant de 8.296 euros appliquée par l’administration fiscale en raison d’un retard de paiement de l’impôt sur le revenu 2017 de M. [H].

Il est donc inutile de rechercher l’éventuelle responsabilité de la poste au titre de l’exécution prétendument défectueuse du contrat de réexpédition pour l’ensemble des courriers visés qui sont sans lien avec la sanction fiscale.

Il en est ainsi des deux courriers recommandés non réclamés des 7 mai 2018 et 30 octobre 2018 et des courriers simples non réexpédiés des 4 octobre 2018, 8 et 19 novembre 2018, qui émanent d’expéditeurs autres que l’administration fiscale.

Quant aux nombreux autres courriers dont il est fait état ( pièces 10,16 et 17 de l’intimé), outre le fait qu’ils n’émanent pas du service des impôts, ils ont tous été postés après l’expiration de la période contractuelle de réexpédition s’achevant le 30 mars 2019, de sorte qu’aucune négligence ne peut à l’évidence être imputée à la poste en l’absence de renouvellement du contrat au-delà de cette date.

L’exécution de la prestation due par la poste doit par conséquent être analysée sur la base des deux seuls courriers de mise en demeure des 8 juillet 2018 et 23 octobre 2018, dont il est soutenu qu’ils seraient à l’origine de l’application de la pénalité à défaut d’avoir été réexpédiés à la nouvelle adresse de M. [H].

Or la mise en demeure de payer la somme de 91.255 euros délivrée le 23 octobre 2018 par le SIP de Gap ne peut en aucun cas être à l’origine de l’application de la pénalité litigieuse, qui est comprise dans la somme réclamée à cette date et dont le fait générateur (retard de paiement de l’impôt sur le revenu) est ainsi nécessairement antérieur.

Quant à la mise en demeure par lettre recommandée du 8 juillet 2018 émanant du service des impôts des entreprises de la ville de Gap, elle est adressée à une SCI « CHANTEVENT » et a pour objet la communication par celle-ci de sa déclaration d’impôts sur les sociétés qui devait intervenir avant le 3 mai 2018. Force est dès lors de constater que si M. [I] [H] est également désigné en qualité de destinataire , selon la mention « SCI CHANTEVENT par M. [I] [H] » c’est nécessairement en comme dirigeant de cette société, et non pas à titre personnel.

N’offrant pas d’établir que la non réexpédition de ce courrier aurait eu une incidence sur le retard pris par lui dans le paiement de son impôt sur le revenu, ni donc sur l’application de la pénalité de 10 %, M. [H] ne démontre pas dès lors que le prestataire a commis une faute en relation causale avec le préjudice allégué.

Au demeurant M. [H] à lui même incontestablement contribué par sa négligence à l’application de la sanction fiscale, alors qu’il a nécessairement été informé de la date limite de paiement de l’impôt par son avis d’imposition qu’il ne produit pas aux débats, étant observé qu’eu égard au montant de l’impôt exigible, qui traduit sa situation de fortune, il ne pouvait ignorer que le paiement du solde de l’impôt sur le revenu devait impérativement intervenir au mois de septembre 2018.

Le jugement, qui a consacré à tort la responsabilité de La Poste, sera par conséquent infirmé, et la demande d’indemnisation formée par M. [H] rejetée, en l’absence de preuve rapportée d’une faute du service postal en relation avec le dommage.

M. [H] , qui succombe, est condamné aux dépens de première instance et d’appel ; l’équité ne commande pas cependant de faire application en cause d’appel de l’article 700 du code de procédure civile au profit de l’appelante.

PAR CES MOTIFS

LA COUR

statuant publiquement, par décision contradictoire,

Infirme le jugement déféré,

Statuant à nouveau, et ajoutant,

Dit et juge que la SA La Poste n’a pas commis de faute en relation causale avec le préjudice allégué dans l’exécution de sa prestation de réexpédition du courrier de M. [I] [H],

Déboute en conséquence M. [I] [H] de l’ensemble de ses demandes,

Dit n’y avoir lieu en cause d’appel à application de l’article 700 du code de procédure civile au profit de l’une ou l’autre des parties,

Condamne M. [I] [H] aux entiers dépens de première instance et d’appel.

Prononcé par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile,

Signé par Madame Clerc , président, et par Madame Burel, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

LE GREFFIER LE PRESIDENT

 


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