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La clause de réserve de propriété en matière d’œuvres d’art est parfaitement valide. Au sens de l’article 2367 du code civil, la propriété d’un bien peut être retenue en garantie par l’effet d’une clause de réserve de propriété qui suspend l’effet translatif d’un contrat jusqu’au complet paiement de l’obligation qui en constitue la contrepartie.
La clause de réserve de propriété est une sûreté suspendant l’effet translatif de propriété du contrat de vente jusqu’à complet paiement du prix et une telle suspension ne remet pas en cause le caractère ferme et définitif de la vente intervenue dès l’accord des parties sur la chose et sur le prix.
Selon l’article 1583 du code civil, dans sa version applicable aux faits, la vente (d’une œuvre d’art) est parfaite entre les parties, et la propriété est acquise de droit à l’égard du vendeur, dès lors qu’on est convenu de la chose et du prix, quoique la chose n’ait pas encore été livrée ni le prix payé. Aux termes de l’article 1603 du même code, le vendeur a deux obligations principales, celle de délivrer et celle de garantir la chose qu’il vend. La propriété ainsi réservée est l’accessoire de la créance dont elle garantit le paiement.
Les parties étant liées par le contrat de vente des oeuvres devenu définitif en l’état de leur accord sur la chose et le prix, ce contrat conserve son caractère contraignant, en sorte qu’elles sont tenues de l’exécuter et ne peuvent se libérer de leurs engagements réciproques que si la vente est résolue ou résiliée.
Ainsi, quand bien même le contrat de vente des oeuvres comporte une clause de réserve de propriété, le vendeur est tenu de délivrer la chose vendue à l’acquéreur sous peine de manquer à l’obligation de délivrance.
___________________________________________________________________________
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D’APPEL DE PARIS
Pôle 4 – Chambre 13
ARRÊT DU 12 JANVIER 2021
Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 18/06208 – N° Portalis 35L7-V-B7C-B5K7P
Décision déférée à la cour : Jugement du 13 Février 2018 -Tribunal de Grande Instance de Paris – RG n° 15/17159
APPELANTE
SARL AGENCE ART ACTION agissant poursuites et diligences de son gérant domicilié en cette qualité audit siège
[…]
[…]
Représentée par Me Jean-philippe AUTIER, avocat au barreau de PARIS, toque : L0053 Ayant pour avocat plaidant Me Prune SCHIMMEL-BAUER de l’AARPI HERBIERE FRACHON & SCHIMMEL, avocat au barreau de PARIS, toque : U0009
INTIMÉS
Monsieur A X
[…]
[…]
Comparant en personne, représenté par et ayant pour avocat plaidant Me Julien GUIRAMAND de la SELARL SAMARCANDE, avocat au barreau de PARIS, toque : G0727
Monsieur E-C Y
Né le […] à Neuilly
[…]
[…]
Représenté par Me Pascale FLAURAUD, avocat au barreau de PARIS, toque : K0090
Ayant pour avocat plaidant Me Jacques MIQUEL, avocat au barreau de PARIS, toque:C290
SA PIASA
[…]
[…]
Représentée par Me Anne LAKITS, avocat au barreau de PARIS, toque : C0765
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 804 et 805 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 03 Novembre 2020, en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposé, devant Mme Nicole COCHET, Première présidente de chambre, et Mme Estelle MOREAU, Conseillère chargée du rapport.
Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour composée de :
Mme Nicole COCHET, Première présidente de chambre
Mme Marie-Françoise D’ARDAILHON MIRAMON, Présidente
Mme Estelle MOREAU, Conseillère
Greffier, lors des débats : Mme Séphora LOUIS-FERDINAND
ARRÊT :
— contradictoire
— par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.
— signé par Nicole COCHET, Première présidente de chambre et par Djamila DJAMA, Greffière présente lors du prononcé.
* * * * *
Faits et procédure :
La société Agence Art Action a notamment pour activité commerciale l’achat, la vente et la location d’objets d’art.
M. X, collectionneur, lui a cédé un lot de 9 oeuvres de Rammellzee, artiste reconnu dans le domaine du street art, dont deux oeuvres intitulées ‘Band of steel, school boys playground’ et ‘Fresco love letter’, pour un prix global de 100.000 euros selon facture du 31 mai 2015 mentionnant un paiement ‘à réception’ et que le transfert de propriété n’interviendra ‘qu’après complet paiement du prix des marchandises vendues’.
La société Agence Art Action a réglé cette facture par deux virements du 19 juin 2015 (20.000 euros) et du 6 juillet 2015 (80.000 euros).
Entre temps, M. X a cédé à M. E-C Y G oeuvres, dont les deux oeuvres intitulées ‘Band of steel, school boys playground’ et ‘Fresco love letter’, au prix de 86.000 euros facturé le 5 juin 2015 et réglé le 8 juin 2015.
La société Agence Art Action a reçu livraison de la marchandise le 6 septembre 2015, à l’exception
des deux oeuvres susvisées.
Par ordonnance du 20 octobre 2015, le président du tribunal de grande instance de Paris, saisi par la société Agence Art Action, a autorisé la mise sous séquestre de l’oeuvre ‘Band of steel, school boys playground’ présentée à la vente par la société Piasa, maison de vente aux enchères, à la demande M. Y, à l’occasion d’une vente aux enchères se déroulant le 29 octobre 2015.
C’est dans ces circonstances que par acte du 24 novembre 2015, la société Agence Art Action a fait assigner M. X, la société Piasa et M. Y devant le tribunal de grande instance de Paris.
Par jugement du 13 février 2018, le tribunal de grande instance de Paris a, sous le bénéfice de l’exécution provisoire :
— rejeté la fin de non-recevoir soulevée par M. X et M. Y,
— débouté la société Agence Art Action de sa demande de délivrance par M. X des oeuvres de Rammellzee ‘Bands of steel, school boys playground’ et ‘Fresco love letter’,
— autorisé Me Didier Gatimel, huissier de justice entre les mains duquel a été séquestrée l’oeuvre ‘Bands of steel, school boys playground’ à s’en dessaisir au profit de M. Y,
— condamné M. X à payer à la société Agence Art Action la somme de 18.000 euros à titre de dommages et intérêts,
— condamné la société Agence Art Action à payer à M. X la somme de 1.000 euros,
— condamné la société Agence Art Action à payer à M. Y la somme de 5.000 euros à titre de dommages et intérêts,
— condamné la société Agence Art Action à verser à M. Y la somme de 3.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
— débouté les parties de toutes leurs autres demandes,
— condamné la société Agence Art Action et M. X aux dépens par moitié chacun.
La société Agence Art Action a interjeté appel de ce jugement par déclaration du 23 mars 2018.
Vu les dernières écritures notifiées et déposées le 17 décembre 2018 par la société Agence Art Action demandant à la cour, au visa des anciens articles 1134, 1147, 1149, 1235 du code civil, articles 1583, 1603 et suivants, 2371, 2286, et 2344 du code civil, articles L. 131-2 et L.131-3 du code des procédures civiles d’exécution, de :
In limine litis :
— dire et juger qu’elle a qualité pour agir au titre du présent litige,
— confirmer le jugement rendu par le tribunal de grande instance de Paris du 13 février 2018 en ce qu’il a rejeté la fin de non-recevoir soulevée par M. X et M. Y,
Sur ses demandes :
— infirmer le jugement rendu par le tribunal de grande instance de Paris en date du 13 février 2018 en ce qu’il l’a déboutée de ses demandes,
— la déclarer recevable et fondée en ses demandes,
— dire et juger qu’elle a acquis auprès de M. X un lot de 9 oeuvres de l’artiste Rammellzee pour un prix global de 100.000 euros,
— constater qu’elle a intégralement réglé a’ M. X le prix de la vente intervenue,
— constater que M. X ne lui a livré que 7 oeuvres sur les 9 qui ont fait l’objet de la vente,
— dire et juger que M. X a manqué à son obligation de délivrance des deux oeuvres ‘Bands of steel, school boys playground’ et ‘Fresco Love letter’,
À titre principal,
— condamner M. X à délivrer entre ses mains les oeuvres ‘Bands of steel, school boys playground’ et ‘Fresco Love letter’,
— autoriser l’étude de Me Gatimel, huissier de justice entre les mains duquel est séquestrée l’oeuvre ‘Bands of steel, school boys playground’, a’ s’en dessaisir à son profit dans les 2 jours de la signification de la décision a’ intervenir,
— dire et juger que la délivrance par M. X de l’oeuvre ‘Fresco Love letter’ entre ses mains sera réalisée dans un délai de 8 jours a’ compter de la signification de la décision a’ intervenir et ce, sous astreinte définitive de 100 euros par jour de retard passe’ ce délai,
— se réserver la liquidation de l’astreinte,
— dire et juger que la saisie et la mise sous séquestre de l’oeuvre ‘Bands of steel, school boys playground’ pratiquées par elle entre les mains de la société Piasa demeurent valables et sont validées,
À titre subsidiaire,
— condamner M. X a’ lui verser la somme de 22.223 euros au titre de la répétition de l’indu eu égard a’ l’absence de délivrance des deux oeuvres ‘Bands of steel, school boys playground’ et ‘Fresco Love letter’,
En tout état de cause,
— dire et juger que le manquement par M. X à son obligation de délivrance lui a causé un préjudice,
— condamner M. X à’ lui régler la somme de 100.000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice de perte de chance et du préjudice résultant du défaut de délivrance des oeuvres achetées,
Sur les demandes reconventionnelles des défendeurs (sic) :
— débouter M. X de sa demande reconventionnelle de condamnation a’ la somme de 30.000 euros de dommages et intérêts,
— dire et juger que M. Y ne rapporte pas la preuve d’un quelconque préjudice cause’ par elle,
— en conséquence, débouter M. Y de sa demande reconventionnelle tendant a’ la confirmation
du jugement l’ayant condamne’e a’ lui verser la somme de 5.000 euros a’ titre de dommages et intérêts, suite a’ la saisie de son oeuvre et 3.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
— infirmer le jugement en ce qu’il l’a condamnée au paiement de ces sommes,
— ordonner l’exécution provisoire de la décision a’ intervenir, nonobstant toute voie de recours et sans constitution de garantie,
— condamner M. X a’ lui verser la somme de 15.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
— condamner M. X aux entiers dépens ;
Vu les dernières conclusions notifiées et déposées le 2 octobre 2018 par M. A X demandant à la cour, au visa des articles 122, 123, 124 et suivants du code de procédure civile, 1134 et suivants du code civil, de :
À titre principal,
— infirmer le jugement en ce qu’il a rejeté la fin de non-recevoir soulevée par lui et juger que la société Agence Art Action est dépourvue de qualité a’ agir,
À titre subsidiaire,
— confirmer le jugement en ce qu’il a débouté la société Agence Art Action de sa demande de délivrance par lui des oeuvres de Rammellzee ‘Bands of steel, school boys playground’ et ‘Fresco Love Letter’ et autorise’ Me Gatimel, huissier de justice entre les mains duquel a été séquestrée l’oeuvre ‘Bands of steel, school boys playground’ a’ s’en dessaisir au profit de M. Y,
— confirmer le jugement en ce qu’il a rejeté la demande de la société Agence Art Action en réparation de son prétendu préjudice que lui aurait causé l’absence de délivrance,
— infirmer le jugement en ce qu’il l’a condamné a’ payer à’ la société Agence Art Action la somme de 18.000 euros a’ titre de dommages et intérêts,
— rejeter la demande de la société Agence Art Action sur le fondement de la répétition de l’indu et au versement de dommages et intérêts,
À titre infiniment subsidiaire sur les dommages et intérêts,
— confirmer le jugement en ce qu’il l’a condamné à payer a’ la société Agence Art Action la somme de 18.000 euros a’ titre de dommages et intérêts,
En tout état de cause,
— confirmer le jugement en ce qu’il a condamné la société Agence Art Action a’ lui payer la somme de 1.000 euros en règlement du prix de l’oeuvre ‘Quick-Untitled’,
— juger que la société Agence Art Action engage sa responsabilité du fait de son comportement déloyal et la condamner à lui ‘ payer une somme qui ne saurait être inférieure a’ 30.000 euros en réparation de son préjudice,
— rejeter les plus amples demandes de la société Agence Art Action,
— condamner la société Agence Art Action a’ lui régler la somme de 5.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux entiers dépens ;
Vu les dernières conclusions notifiées et déposées le 16 octobre 2020 par M. E-C Y demandant à la cour, au visa des articles 2276, 1141, 1582 et suivants du code civil, 122 et suivants du code de procédure civile de :
— confirmer le jugement rendu par le tribunal de grande instance de Paris le 13 février2018 en ce qu’il a notamment :
— débouté la société Agence Art Action de sa demande de délivrance par M. X des oeuvres de Rammellzee ‘Bands of Steel, school boys playground’ et ‘Fresco love letter’,
— autorisé Me Gatimel, huissier de justice entre les mains duquel a été séquestrée l’oeuvre
‘Bands of Steel, school boys playground’ à s’en dessaisir à son profit,
— condamné la société Agence Art Action à lui payer la somme de 5.000 euros à titre de dommages et intérêts,
— condamné la société Agence Art Action à lui payer la somme de 3.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
— ordonné l’exécution provisoire,
— débouter la société Agence Art Action de l’ensemble de ses demandes,
— débouter la société Piasa de l’ensemble de ses demandes formées à son encontre,
En conséquence,
— condamner la société Agence Art Action à lui verser la somme de 4.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
— condamner la société Agence Art Action aux entiers dépens, dont distraction au profit de Me Pascale Flauraud, conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile.
Vu les dernières conclusions notifiées et déposées le 5 octobre 2020 par la société Piasa demandant à la cour de :
— constater qu’aucune demande n’est formée contre elle,
En conséquence
— prononcer sa mise hors de cause,
— condamner M. Y aux entiers dépens dont distraction au profit de Me Anne Lakits avocat postulant conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile.
SUR CE,
Sur la recevabilité de l’action de la société Agence Art Action :
Le tribunal a retenu que la société Agence Art Action justifiait de sa qualité, sinon de son intérêt à agir, la détermination de la propriété des oeuvres litigieuses relevant de l’objet et du fond du litige.
M. X fait valoir que la société Agence Art Action, qui a sollicité la mise sous séquestre d’une des oeuvres litigieuses et agit à son encontre en sa qualité de propriétaire de celles-ci, ne justifie pas de cette qualité, la facture n’ayant été réglée que le 6 juillet 2015, et est donc irrecevable en son action.
La société Agence Art Action réplique qu’elle a qualité à agir envers M. X en exécution du contrat de vente les liant.
Selon l’article 122 du code de procédure civile, ‘Constitue une fin de non-recevoir tout moyen qui tend à faire déclarer l’adversaire irrecevable en sa demande, sans examen au fond, pour défaut de droit d’agir, tel le défaut de qualité, le défaut d’intérêt, la prescription, le délai préfix, la chose jugée’.
L’appelante, partie au contrat de vente conclu le 31 mai 2015, a qualité et intérêt à agir en exécution dudit contrat, le bien fondé de sa demande, notamment au titre de l’exécution de l’obligation de délivrance, relevant du fond du litige.
Sur la demande de délivrance des oeuvres litigieuses :
Le tribunal a jugé que M. X et la société Agence Art Action, dérogeant aux dispositions de l’article 1582 du code civil, ont prévu une clause de réserve de propriété aux termes de laquelle le transfert de propriété des oeuvres objet de la vente n’interviendrait qu’après le paiement complet du prix de celles-ci, acquitté le 3 juillet 2015, en sorte que la société Agence Art Action n’avait pas acquis la propriété des oeuvres litigieuses le 18 juin 2015, date à laquelle elle prétend les avoir vendues à M. Z, et que M. Y les a régulièrement acquises de M. X le 8 juin 2015. Il en a déduit que la demande de délivrance de ces oeuvres formée par la société Agence Art Action était infondée.
Celle-ci fait valoir que la vente étant parfaite en l’état de l’accord sur la chose et le prix, M. X a manqué a’ son obligation de lui délivrer l’intégralité des oeuvres vendues, à laquelle il était tenu nonobstant leur transfert de propriété différé, la mise en possession des oeuvres devant être immédiate. Elle considère que M. X, qui s’est autorisé à exercer un droit de rétention sur les oeuvres vendues jusqu’au paiement de la créance, a méconnu son obligation de conservation en les revendant à M. Y. Elle s’estime ainsi fondée à solliciter la délivrance des oeuvres en application des dispositions des articles 1603 et 2344 du code civil ou, subsidiairement, la répétition du paiement de leur prix indument effectué par ses soins.
M. X soutient avoir valablement cédé les oeuvres litigieuses à M. Y le 8 juin 2015 faute de paiement de l’intégralité de la facture par l’appelante qui n’en a jamais été propriétaire, et qu’il ne saurait être condamné à délivrer des oeuvres qui ne sont plus en sa possession.
M. Y s’oppose à la demande de délivrance des oeuvres dont il est propriétaire.
Selon l’article 1583 du code civil, dans sa version applicable aux faits, la vente est parfaite entre les parties, et la propriété est acquise de droit à l’égard du vendeur, dès lors qu’on est convenu de la chose et du prix, quoique la chose n’ait pas encore été livrée ni le prix payé.
Aux termes de l’article 1603 du même code, le vendeur a deux obligations principales, celle de délivrer et celle de garantir la chose qu’il vend.
L’article 2367 du code civil dispose que : ‘La propriété d’un bien peut être retenue en garantie par l’effet d’une clause de réserve de propriété qui suspend l’effet translatif d’un contrat jusqu’au complet paiement de l’obligation qui en constitue la contrepartie.
La propriété ainsi réservée est l’accessoire de la créance dont elle garantit le paiement’.
La clause de réserve de propriété est une sûreté suspendant l’effet translatif de propriété du contrat de vente jusqu’à complet paiement du prix et une telle suspension ne remet pas en cause le caractère ferme et définitif de la vente intervenue dès l’accord des parties sur la chose et sur le prix.
Les parties étant liées par le contrat de vente des oeuvres devenu définitif en l’état de leur accord sur la chose et le prix, ce contrat conserve son caractère contraignant, en sorte qu’elles sont tenues de l’exécuter et ne peuvent se libérer de leurs engagements réciproques que si la vente est résolue ou résiliée.
Ainsi, quand bien même le contrat de vente des oeuvres litigieuses comporte une clause de réserve de propriété, le vendeur était tenu de délivrer la chose vendue à l’acquéreur.M. X a donc manqué à son obligation de délivrance.
Cependant, M. X ne peut être condamné à délivrer entre les mains de la société Agence Art Action les deux oeuvres litigieuses qu’il n’a plus en sa possession.
Cette demande doit donc être rejetée.
Sur la demande au titre de la répétition de l’indu :
Selon l’article 1235 du code civil, dans sa version applicable aux faits, ‘Tout paiement suppose une dette : ce qui a été payé sans être dû, est sujet à répétition’.
L’appelante est bien fondée à faire valoir que s’étant acquittée de l’intégralité du prix des 9 oeuvres dont seules 7 lui ont été délivrées, elle a payé sans contrepartie le prix des deux oeuvres litigieuses, dont le montant doit être évalué à la somme de 22.223 euros (100.000/9 x 2) en l’absence d’élément probant justifiant d’une autre valeur.
M. X sera donc condamné à payer à l’appelante cette somme en répétition de l’indu.
Sur la demande de dommages et intérêts de la société Agence Art Action :
Le tribunal a retenu comme seul préjudice de la société Agence Art Action le prix des deux toiles payées mais non livrées.
L’appelante sollicite la condamnation de M. X au paiement de dommages et intérêts en réparation, d’une part, du préjudice subi au titre du défaut de délivrance des oeuvres litigieuses par la mauvaise foi de M. X, d’autre part, du préjudice de perte de chance de réaliser une plus-value en revendant les oeuvres litigieuses, enfin du préjudice d’image que lui a causé l’absence de délivrance des oeuvres acquises, faute de pouvoir présenter celles-ci à une exposition organisée par ses soins à la foire de Paris en octobre 2015 et portant sur les oeuvres de l’artiste Rammellzee et de pouvoir exécuter sa propre obligation de délivrance alors qu’elle a revendu les oeuvres litigieuses à un de ses clients, lequel s’est finalement désisté de cette vente.
M. X fait valoir sa bonne foi puisque dès qu’il s’est aperçu de la difficulté’, il a propose’ des solutions à l’appelante. Il conteste les préjudices invoqués par la société Agence Art Action qui n’a jamais été propriétaire des oeuvres litigieuses et ne pouvait les revendre à un tiers, lequel ne fait état d’aucune difficulté relative à son désistement. Il souligne qu’en tout état de cause, la société Agence Art Action ne démontre aucune perte de chance de réaliser une plus-value à défaut de justifier du prix de revente des oeuvres. Il réfute également le préjudice d’image allégué, faute pour l’appelante d’établir qu’elle avait l’intention de présenter les oeuvres litigieuses lors de l’exposition à la foire de Paris en octobre 2015 alors qu’elle les avait vendues à M. Z en juin 2015.
Selon l’article 1611 du code civil ‘Dans tous les cas, le vendeur doit être condamné aux dommages et intérêts s’il résulte un préjudice pour l’acquéreur, du défaut de délivrance au terme convenu’.
L’article 1149 du code civil dans sa version applicable aux faits prévoit que les dommages-intérêts dus au créancier sont fonction de la perte qu’il a faite et du gain dont il a été privé.
Le manquement de M. X à son obligation d’exécution de bonne foi du contrat résulte de la méconnaissance même de son obligation de délivrance. M. X s’étant engagé auprès de la société Agence Art Action à lui ‘préparer les pièces en entrepôt’ par courriel du 6 juillet 2015, alors qu’il avait vendu les deux oeuvres litigieuses à M. Y le 5 juin 2015 et perçu le prix de ladite vente le 8 juin 2015, a maintenu la société Agence Art Action dans la certitude qu’elle allait pouvoir jouir des oeuvres litigieuses objet de la vente conclue avec elle, tout en sachant qu’il ne serait pas en mesure d’exécuter son obligation de délivrance, et lui a ainsi causé un préjudice au titre du défaut de délivrance de l’oeuvre.
En revanche, l’attestation de M. D Z indiquant avoir acquis ces oeuvres de l’appelante en juin 2015 puis avoir renoncé à la vente au mois de novembre 2015 à défaut de livraison de celles-ci est inopérante à démontrer un préjudice de perte de chance de réaliser une plus-value à la revente des oeuvres litigieuses, dès lors que compte tenu de la clause de réserve de propriété, l’appelante n’avait pas acquis la propriété des oeuvres en juin 2015, ne s’étant acquittée de l’intégralité de leur prix de vente que le 6 juillet 2015, et ne pouvait donc pas les revendre à M. Z.
En outre, la société Agence Art Action, bien que dépourvue de droit de propriété sur les oeuvres litigieuses, s’étant engagée contractuellement avec M. Z à les lui livrer en septembre 2015, et ce dernier n’ayant renoncé à la vente qu’en novembre 2015, il n’est justifié d’aucune perte de chance de présenter les oeuvres à l’occasion de l’exposition portant sur les oeuvre de l’artiste Rammellzee lors de la Foire internationale d’art contemporain de Paris qui s’est tenue entre temps, en octobre 2015, en sorte que l’appelante fait vainement valoir une perte de chance de réaliser une plus-value à la revente de ces oeuvres à l’occasion de cette exposition ainsi qu’un préjudice d’image.
Au vu de l’ensemble de ces éléments, la société Agence Art Action justifie seulement d’un préjudice au titre du défaut de délivrance des oeuvres qui doit être évalué, compte tenu de la notoriété de l’artiste et de l’activité même de l’appelante, à la somme de 5.000 euros.
Sur la demande indemnitaire de M. Y :
Le tribunal a retenu que M. Y ayant été assigné et surtout s’étant vu saisir dans une maison de vente aux enchères une oeuvre qu’il avait légitimement acquise, a subi un préjudice d’image et un préjudice matériel, lié à la dépossession de l’oeuvre, causés par la faute de la société Agence Art Action qui n’a pas procédé à un minimum de vérifications avant d’initier la procédure de saisie.
L’appelante conteste toute faute pour avoir fait procéder à la saisie de l’oeuvre aux fins de conserver ses droits puis assigné M. Y afin que la décision ordonnant la restitution de l’oeuvre lui soit rendue opposable, et soutient que seul le comportement malhonnête de M. X qui a vendu à deux personnes les mêmes oeuvres est à l’origine du préjudice de M. Y.
Ce dernier sollicite la confirmation du jugement en faisant valoir que la procédure et les circonstances de la mise sous séquestre, qui n’était pas nécessaire, démontrent la volonté de l’appelante de lui nuire, et qu’il a subi un préjudice matériel en raison de la dépossession de l’oeuvre, le séquestre de celle-ci durant deux années ayant rendu impossible sa vente et son exposition, ainsi qu’un préjudice immatériel de carrière et de réputation, n’ayant plus été contacté par les maisons de vente en sa qualité d’expert depuis cet incident.
La société Agence Art Action n’a commis aucune faute en déposant le 20 octobre 2015 une requête aux fins de procéder à la saisie de l’oeuvre ‘Bands of steel, school boys playground’ entre les mains de la société Piasa à l’occasion de son exposition au public, dès lors qu’à cette date, M. X avait manqué envers elle à son obligation de délivrance des oeuvres dont elle s’était acquittée de l’intégralité du prix de vente. L’appelante avait donc un intérêt légitime à ce que cette oeuvre soit conservée dans l’attente qu’il soit statué sur la délivrance de l’oeuvre vendue par M. X à deux acquéreurs différents, dont M. Y, et d’attraire celui-ci à la procédure au fond.
M. Y doit donc être débouté de sa demande indemnitaire à l’égard de l’appelante, le jugement étant infirmé.
Sur le comportement déloyal de l’appelante :
M. X invoque le comportement déloyal de l’appelante qui a refusé, d’une part, d’étudier ses différentes propositions pour préférer intenter une action judiciaire en dénaturant les faits, d’autre part, de lui communiquer les pièces visées dans son assignation et relatives à la revente des oeuvres litigieuses, ainsi que l’identité de cet acheteur et la justification du désistement de celui-ci, tardivement mentionné. Il fait valoir un préjudice de 30.000 euros à ce titre.
L’appelante réplique s’être contentée de faire valoir ses droits et conteste le préjudice allégué, qu’elle considère nullement démontré.
Aucune faute de l’appelante n’est caractérisée pour avoir exigé de M. X la délivrance des oeuvres litigieuses en exécution du contrat de vente les liant.
M. X a délivré deux sommations de communiquer à l’appelante, les 1er février 2016 s’agissant de deux pièces visées dans l’assignation du 24 novembre 2015, et 4 avril 2016 au titre de l’adresse et de l’identité complète de M. Z, et l’appelante a tardivement soutenu que ce dernier s’était désisté de la vente des oeuvres litigieuses conclue à son bénéfice. Cependant, à considérer que ce comportement procédural soit empreint de déloyauté, M. X ne justifie d’aucun préjudice en lien causal avec la faute de l’appelante, dès lors que la procédure initiée par celle-ci est la résultante de ses propres manquements contractuels et qu’il ne produit aucun élément au soutien de sa demande indemnitaire.
M. X doit donc être débouté de sa demande en dommages et intérêts.
Sur les dépens, l’article 700 du code de procédure civile et l’exécution provisoire :
Les dispositions du jugement relatives aux dépens et à l’article 700 du code de procédure civile sont infirmées.
M. X, échouant en ses prétentions, sera condamné aux dépens de première instance et d’appel avec les modalités de recouvrement de l’article 699 du code de procédure civile.
L’équité commande de condamner M. X à payer à la société Agence Art Action une indemnité de 10.000 euros.
Il n’y a pas lieu de condamner M. Y, qui n’est pas à l’origine de la procédure, au paiement d’une indemnité de procédure au bénéfice de la société Piasa.
Il n’y a pas lieu d’assortir de l’exécution provisoire l’arrêt qui n’est susceptible d’aucune voie de recours suspensive.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant dans les limites de l’appel,
INFIRME le jugement sauf en ce qu’il a :
— rejeté la fin de non-recevoir soulevée par M. A X et M. E-C Y,
— débouté la société Agence Art Action de sa demande de délivrance par M. A X des oeuvres de Rammellzee ‘Bands of steel, school boys playground’ et ‘Fresco love letter’,
— autorisé Me Didier Gatimel, huissier de justice entre les mains duquel a été séquestrée l’oeuvre ‘Bands of steel, school boys playground’ à s’en dessaisir au profit de M. E-C Y,
Statuant de nouveau,
CONDAMNE M. A X à payer à la société Agence Art Action la somme de 22.223 euros en répétition de l’indu,
CONDAMNE M. A X à payer à la société Agence Art Action la somme de 5.000 euros en réparation de son préjudice,
DEBOUTE M. E-C Y de sa demande de dommages et intérêts à l’encontre de la société Agence Art Action,
DEBOUTE M. A X de sa demande de dommages et intérêts à l’encontre de la société Agence Art Action,
DEBOUTE la société Agence Art Action de sa demande de prononcé de l’exécution provisoire,
Vu l’article 700 du code de procédure civile,
CONDAMNE M. A X à payer à la société Agence Art Action une somme de 10.000 euros,
CONDAMNE M. A X aux dépens de première instance et d’appel avec les modalités de recouvrement de l’article 699 du code de procédure civile.
LE GREFFIER LA PRÉSIDENTE