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ARRÊT DU
21 Octobre 2022
N° 1797/22
N° RG 21/01439 – N° Portalis DBVT-V-B7F-T2DW
SHF/SST
Jugement du
Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de CAMBRAI
en date du
08 Juillet 2021
(RG 20/00033 -section )
GROSSES :
aux avocats
le 21 Octobre 2022
République Française
Au nom du Peuple Français
COUR D’APPEL DE DOUAI
Chambre Sociale
– Prud’Hommes-
APPELANT :
M. [O] [E]
[Adresse 1]
[Localité 3]
représenté par Me Loïc LE ROY, avocat au barreau de DOUAI, assisté de Me David DUBRULLE, avocat au barreau de VALENCE
INTIMÉ :
SAS GROUPE SASA DEMARLE
[Adresse 4]
[Localité 2]
représentée par Me Marie hélène LAURENT, avocat au barreau de DOUAI, assisté de Me Jean-charles MIRANDE, avocat au barreau de PARIS
DÉBATS : à l’audience publique du 07 Septembre 2022
Tenue par Soleine HUNTER-FALCK
magistrat chargé d’instruire l’affaire qui a entendu seul les plaidoiries, les parties ou leurs représentants ne s’y étant pas opposés et qui en a rendu compte à la cour dans son délibéré,
les parties ayant été avisées à l’issue des débats que l’arrêt sera prononcé par sa mise à disposition au greffe.
GREFFIER : Nadine BERLY
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ
Soleine HUNTER-FALCK
: PRÉSIDENT DE CHAMBRE
Muriel LE BELLEC
: CONSEILLER
Gilles GUTIERREZ
: CONSEILLER
ARRÊT : Contradictoire
prononcé par sa mise à disposition au greffe le 21 Octobre 2022,
les parties présentes en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l’article 450 du code de procédure civile, signé par Soleine HUNTER-FALCK, Président et par Angelique AZZOLINI, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Statuant sur assignation à jour fixe.
La SAS Groupe Sasa Demarle, qui a une activité de prise de participation directe ou indirecte et participation dans toutes opérations industrielles, commerciales ou financières pouvant s’y rattacher, est soumise à la convention collective des ingénieurs et cadres de la métallurgie ; elle comprend moins de 11 salariés.
M. [O] [E], né en 1975, a été engagé par contrat à durée indéterminée par la SAS Sasa le 01.08.2011 en qualité de responsable business unit sous l’autorité de la Direction production et supply chain, niveau IIIB coefficient 180 catégorie cadre dirigeant sans référence horaire.
Par avenant du 13.02.2013, il a été promu Directeur de Production niveau IIIB coefficient 180 cadre dirigeant sans référence horaire.
Un nouveau contrat de travail a été signé le 23.04.2014, avec la SASU Financière Sasa, M. [O] [E] étant embauché en qualité de Directeur industriel groupe niveau IIIB coefficient 180 cadre dirigeant sans référence horaire, le salarié étant placé sous l’autorité de la Direction générale, avec reprise d’ancienneté au 06.10.2011.
Une convention de transfert tripartite a été signée le 09.12.2016 entre les parties et la SAS Groupe Sasa Demarle, prévoyant d’une part la rupture du contrat de travail avec la SASU Financière Sasa et d’autre part l’embauche du salarié par la SAS Groupe Sasa Demarle, dont l’ancienneté antérieure était maintenue.
Aux termes d’un contrat de travail à durée indéterminée signé le même jour, M. [O] [E] était embauché par la SAS Groupe Sasa Demarle en qualité de Directeur industriel statut cadre dirigeant, coefficient 180, avec reprise d’ancienneté au 06.10.2011.
Dans le même temps un pacte d’associés a été constitué le 09.12.2016 entre les actionnaires, les dirigeants et la SAS Groupe Sasa Demarle, auquel a adhéré M. [O] [E] le 30.01.2017 ; ce pacte a été modifié par avenant du 31.07.2017 puis le 06.12.2017.
Une réorganisation est intervenue dans l’entreprise le 30.04.2019 ; deux nouveaux départements ont été créés : Innovation et développement, ainsi que Supply et service aux clients.
Par LRAR du 24.06.2019, M. [O] [E] a informé la SAS Groupe Sasa Demarle de sa démission du poste de Directeur industriel qu’il occupait au sein de la société ; il a demandé le 26 suivant d’être relevé de la délégation de pouvoirs dont il bénéficiait depuis le 10.01.2019 au titre de la sécurité du groupe, ce qui lui a été refusé.
Le 30.09.2019, Monsieur [E] a contesté le solde de tout compte en date du 26.09.2019, et il a sollicité le paiement de rémunérations variables pour l’année 2018. La société a contesté cette demande dans sa réponse du 25.10.2019.
Par ailleurs, M. [O] [E] a signé un nouveau contrat de travail avec la SAS SOFINOR le 30.09.2019 en qualité de Directeur technique et innovation.
Dans un courrier du 07.10.2019 la société Groupe Sasa Demarle a libéré le salarié de la clause de non concurrence prévue au pacte d’associés qu’il avait signé le 09.12.2016, et il lui était rappelé de respecter les obligations de secret professionnel et de confidentialité stipulées dans son dernier contrat de travail.
Le 28.10.2019, le conseil de M. [O] [E] a dénoncé les conditions de levée de la clause de non concurrence et mis en demeure la société de procéder au versement de certaines sommes lui restant dues.
Le 25.02.2020, le conseil des prud’hommes de Cambrai a été saisi par M. [O] [E] en vue de voir le conseil des prud’hommes se déclarer compétent pour connaître de la clause de non concurrence figurant au pacte d’associés, requalification de la démission, indemnisation des préjudices subis et pour diverses demandes liées à l’exécution du contrat de travail.
Une requête a été présentée le 24.08.2021 par M. [O] [E] devant le Premier Président de la cour d’appel de Douai afin d’être autorisé à assigner jour fixe. Une ordonnance a été rendue le 02.09.2021 autorisant cette saisine à laquelle il a été procédé par assignation à jour fixe signifiée par exploit d’huissier le 14.09.2021 par M. [O] [E] à l’encontre de la SAS Groupe Sasa Demarle .
Le jour de l’audience, le président s’est assuré qu’il s’était écoulé un temps suffisant depuis l’assignation pour que la partie assignée ait pu préparer sa défense.
Un appel a été interjeté régulièrement devant la cour d’appel de Douai le 24.08.2021 par M. [O] [E] à l’encontre du jugement rendu le 08.07.2021 par le conseil de prud’hommes de Cambrai section Encadrement, notifié le 28.07.2021, qui a :
– décliné sa compétence s’agissant des demandes fondées sur le pacte d’associés,
– invité les parties à mieux se pourvoir devant le Tribunal de commerce de Paris,
– dit qu’il est dû à Monsieur [E] la somme de 16.500 € au titre de la prime d’objectifs 2018,
– donné acte à la société Groupe Sasa Demarle de son engagement de verser la somme de 2.357 € à ce titre,
– condamné la société Groupe Sasa Demarle à verser à Monsieur [E] sommes de :
o 14.413 € à titre de rappel de bonus pour l’année 2018,
o 1.650 € au titre des congés-payés afférents,
o 12.375 € à titre de rappel de bonus pour l’année 2019,
o 1.237 € au titre des congés-payés afférents,
– débouté Monsieur [E] du surplus des demandes,
– débouté la société Groupe Sasa Demarle de ses demandes reconventionnelles.
Vu les conclusions transmises par RPVA le 17.09.2021 par M. [O] [E] qui demande à la cour de :
Réformer le jugement rendu le 8 juillet 2021 en ce que le Conseil :
DECLINE SA COMPETENCE s’agissant des demandes fondées sur le pacte d’associés ;
INVITE Ies parties à mieux se pourvoir devant le Tribunal de Commerce de PARIS ;
CONDAMNE la société GROUPE SASA DEMARLE à régler à Monsieur [O] [E] les sommes suivantes :
– 14.413 euros bruts au titre de la prime d’objectifs 2018, et 1.650 euros bruts au titre des congés payés y afférents,
– 12.375 euros bruts au titre de la prime d’objectifs 2019, et 1.237 euros bruts au titre des congés payés y afférents ;
DEBOUTE Monsieur [O] [E] du surplus de ses demandes ;
DU CHEF DES DEPENS
Et statuant de nouveau, il est demandé à la Cour de :
Se déclarer compétente pour avoir à connaître de la clause de non concurrence figurant au pacte d’associés,
Déclarer Monsieur [O] [E] bien fondé en ses demandes, fins et prétentions,
Fixer la rémunération mensuelle de Monsieur [O] [E] à la somme de 10.540 euros,
Condamner la société GROUPE SASA DEMARLE à verser à Monsieur [O] [E] la somme de 16.500 euros, outre 1.650 euros au titre de congés payés y afférents, au titre de la prime d’objectifs 2018,
Condamner la société GROUPE SASA DEMARLE à verser à Monsieur [O] [E] la somme de 16.500 euros, outre 1.650 euros au titre de congés payés y afférents, au titre de la prime d’objectifs 2019,
Requalifier la démission de Monsieur [O] [E] en date du 26 juin 2019, au regard des manquements de l’empIoyeur, en prise d’acte
Condamner la société GROUPE SASA DEMARLE à verser à Monsieur [O] [E] la somme de 18.972 euros au titre de l’indemnité conventionnelle de licenciement,
Dire et juger que cette prise d’acte s’analyse en une mesure de licenciement dépourvue de cause réelle et sérieuse,
Condamner la société GROUPE SASA DEMARLE à verser à Monsieur [O] [E] la somme de la somme de 94.860 euros au titre de dommages et intérêts pour licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse,
Condamner la société GROUPE SASA DEMARLE à verser à Monsieur [O] [E] la somme de la somme de 63.250 euros d’indemnité brute et forfaitaire en application de la clause de non concurrence, outre 6.325 euros pour congés payés y afférents,
Condamner la société GROUPE SASA DEMARLE au paiement de la somme de 3.000 euros au titre des frais irrépétibles que Monsieur [E] engagés en 1ère instance, outre 3000 pour les frais en appel ;
Vu les conclusions d’intimée transmises par RPVA le 09.11.2021 par la SAS Groupe Sasa Demarle qui demande de :
– à titre principal, confirmer le jugement rendu le 8 juillet 2021 par le conseil de prud’hommes de Cambrai en ce qu’il a décliné sa compétence s’agissant des demandes de Monsieur [E] fondées sur le pacte d’associés du 9 décembre 2016 et l’avenant du 6 décembre 2017 et invité, en conséquence, ce dernier à mieux se pourvoir devant le Tribunal de commerce de Paris,
– à titre subsidiaire :
o débouter Monsieur [E] de ses demandes fondées sur le pacte d’associés du 9 décembre 2016 et l’avenant du 6 décembre 2017,
o condamner Monsieur [E] au paiement de la somme de 75 000 € en faveur de la société Groupe Sasa Demarle, à titre de réparation pour manquement à l’obligation de non-concurrence,
– confirmer le jugement rendu le 8 juillet 2021 par le conseil de prud’hommes de Cambrai, en ce qu’il a :
o débouté Monsieur [E] de sa demande de requalification de la démission en prise d’acte produisant les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse et des demandes afférentes,
o donné acte à l’employeur de son engagement à payer, à titre de rémunérations variables pour 2018, la somme de 2.357 € brute,
– infirmer le jugement rendu le 8 juillet 2021 par le conseil de prud’hommes de Cambrai, en ce qu’il a condamné la société au paiement des sommes de :
o 14.413 € bruts à titre de rappel de bonus pour l’année 2018 outre les congés-payés afférents,
o 12.375 bruts € à titre de rappel de bonus pour l’année 2019 outre la somme de 1.237 € au titre des congés-payés afférents,
– et, statuant à nouveau :
o débouter Monsieur [E] de ses demandes de rappel de rémunérations variables pour l’année 2018, pour le surplus, et pour l’année 2019,
o condamner Monsieur [E] à verser à la société Groupe Sasa Demarle la somme de 4.000 € au titre des dispositions de l’article 700 du Code de procédure civile et aux entiers dépens.
Vu l’arrêt rendu le 10.11.2021 par la cour faisant injonction aux parties de rencontrer un médiateur et l’absence d’accord des parties dans le cadre de cette médiation, qui ont été renvoyées à l’audience de fond du 07.09.2022 ;
Pour un exposé complet des faits, de la procédure, des moyens et des prétentions des parties, la cour se réfère aux conclusions écrites transmises par RPVA et dont un exemplaire a été déposé à l’audience de plaidoirie.
A l’issue de cette audience, les parties présentes ont été avisées que la décision était mise en délibéré pour être rendue par mise à disposition au greffe.
MOTIFS DE LA DECISION :
En la forme :
Sur la compétence matérielle du conseil des prud’hommes en ce qui concerne les demandes fondées sur le pacte d’associés :
Le conseil des prud’hommes de Cambrai a dans le jugement rendu le 08.07.2021 décliné sa compétence s’agissant des demandes fondées sur le pacte d’associés, et a invité les parties à mieux se pourvoir devant le Tribunal de commerce de Paris.
M. [O] [E] conteste la qualification du pacte d’associé litigieux en acte commercial en déclarant qu’il s’agit d’un acte à caractère purement civil, alors même qu’il n’a pas la qualité de commerçant et qu’il n’exerce aucun mandat social susceptible de lui conférer cette qualité.
La SAS Groupe Sasa Demarle se prévaut des stipulations claires et précises de l’acte auquel a adhéré M. [O] [E] et à ses avenants qui ont été signés par lui ; elle conteste qu’il y ait pu y avoir novation des termes de son contrat de travail ayant pour effet l’incorporation dans le contrat de travail de la clause de non concurrence prévue dans le pacte d’associé.
Afin de limiter les risques de concurrence susceptibles de compromettre la poursuite de l’activité d’une société, les associés peuvent décider d’insérer une clause de non-concurrence dans le pacte d’associés qui règle les rapports de l’actionnariat. Cette clause impose aux associés signataires de ne s’engager dans aucune activité similaire à celle exercée par la société qui pourrait lui faire concurrence.
Le pacte d’associés en date du 09.12.2016 a été constitué initialement en présence de la SAS Groupe Sasa Demarle mais hors la présence de M. [O] [E] ; dans ce cadre les parties concernées se sont rapprochées afin ‘de déterminer leurs droits et obligations et d’organiser leur coopération au sein de la Société, et en particulier, d’organiser les modalités de la gouvernance de la Société et Transfert des Titres des Parties au sein’ de ce pacte ; le terme d’associés y étant défini comme désignant à une date donnée les titulaires d’actions à cette date.
M. [O] [E] est intervenu à l’avenant du 31.07.2017 et à celui du 06.12.2017, ce dernier précisant que celui ci possédait depuis le 31.01.2017, au titre de la répartition du capital de la société, 50.000 € d’actions représentant 5% du total. Il y était en outre stipulé que : ‘Tous les litiges relatifs à l’Avenant n°2 (notamment sans que cela soit limitatif, relatif à l’existence, la validité, l’application, la résiliation et l’interprétation du présent Avenant n°2 et toute obligation non contractuelle résultant de, ou relative au présent Avenant n°2) seraient de la compétence exclusive du Tribunal de Commerce de Paris’, cette compétence étant confirmée par l’article 30.
L’article 22.4, ratifié par M. [O] [E], mentionnait que chacun des dirigeants signataires avait ‘accepté que ses mandats sociaux et contrat de travail respectifs comportent une clause de non concurrence et de non sollicitation selon les termes définis en Annexe 22.4″ ; ce texte définissait les conditions de l’engagement de non concurrence qui avait pour objet d’interdire l’exercice d’une activité concurrente, étant précisé que la société se réservait la faculté de libérer les dirigeants de cette interdiction.
Enfin, dans un document en date du 30.01.2017, M. [O] [E] a déclaré adhérer à ce pacte en qualité d’acquéreur de 50.000 actions, accepter les obligations de ce pacte y compris les engagements figurant aux Annexes, et reconnaître la compétence exclusive du tribunal de commerce de Paris pour tous litiges concernant son interprétation, son application, et son exécution.
En dernier lieu le contrat de travail signé le 09.12.2016 entre la SAS Groupe Sasa Demarle et M. [O] [E] comporte une clause d’exclusivité complété d’une clause d’obligation de discrétion de confidentialité et protection des secrets ; il ne faisait pas référence au pacte d’associés et il constituait ainsi un engagement distinct sans que le salarié puisse affirmer que la clause de non concurrence s’analysait en accessoire à son contrat de travail.
Il s’ensuit que, en sa qualité de cadre dirigeant de la société, M. [O] [E] a pu valablement adhérer au pacte d’associés et y contribuer financièrement ; il s’agit d’un acte commercial et d’un engagement distinct du contrat de travail et susceptible comme tel d’être porté à la connaissance de la juridiction consulaire ainsi qu’il le stipulait.
Le jugement sera confirmé en ce qu’il a déclaré l’incompétence du conseil des prud’hommes de Cambrai sur ce point.
Au fond :
Sur l’exécution du contrat de travail :
M. [O] [E] reproche à son employeur l’absence de paiement de ses bonus pour les années 2018 et 2019 en relevant que le versement d’une partie variable était contractuellement prévu, les modalités de ce bonus devant être chaque année définies par la Direction générale, ce qui n’a pas été le cas ; il conteste la validité du compte rendu d’entretien préalable ni daté ni signé qui lui est opposé ; en ce qui concerne l’année 2019, il relève que l’employeur n’a pas davantage défini les conditions d’attribution de la prime qui était contractuellement prévue.
La société déclare avoir répondu le 25.10.2019 à la demande tardive du salariée en date du 30.09.2019 et elle a constaté que les objectifs 2018 avaient été définis lors de l’entretien annuel de 2017 et que 6 d’entre eux n’avaient pas été atteints. Elle s’est engagée à verser la somme de 2.357 € à titre de rappel sur bonus 2018. Elle conteste la demande nouvelle formée devant la cour pour l’année 2019 en précisant que des objectifs identiques à ceux de l’année précédente lui avaient été assignés.
Le contrat de travail du 09.12.2016, complété par la convention de transfert tripartite, stipulait à l’article 6 intitulé ‘Rémunération’, que M. [O] [E] devait percevoir un salaire forfaitaire annuel brut de 110.000 € outre une partie variable ‘définie chaque année par la Direction Générale et versée en fonction de l’atteinte des objectifs fixés.’
La SAS Groupe Sasa Demarle estime à tort que le document (pièce 9), qui est raturé et relativement illisible, intitulé ‘Entretien d’évaluation annuel’ portant le nom de M. [O] [E] et les initiales de son manager ‘RB’ constituait un compte rendu d’entretien préalable opposable au salarié, à défaut d’avoir été contradictoirement porté à sa connaissance et signé par lui.
En conséquence à défaut d’avoir défini avec le salarié les objectifs qui pourraient lui être assignés, la société n’est pas en mesure de lui reprocher une non atteinte de ces objectifs inexistants.
Il convient par suite de faire droit à la demande tant pour l’année 2018 que pour l’année 2019, la demande pour cette année étant recevable puisque se rattachant aux prétentions originaires par un lien suffisant, s’agissant d’une demande de même nature.
Le jugement sera confirmé dans les termes du présent dispositif, en tenant compte des termes contractuels et du prorata temporis pour l’année 2019 ; la condamnation interviendra en deniers ou quittances.
Sur la rupture du contrat de travail et ses effets :
La démission est un acte unilatéral par lequel le salarié manifeste de façon claire et non équivoque sa volonté de mettre fin au contrat de travail ; lorsque le salarié, sans invoquer le vice du consentement de nature à entraîner l’annulation de la démission, remet en cause celle-ci en raison de faits ou manquements imputables à son employeur, le juge doit, s’il résulte de circonstances antérieures ou contemporaines de la démission qu’à la date à laquelle elle a été donnée, celle-ci était équivoque, l’analyser en une prise d’acte de rupture qui produit les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse si les faits invoqués la justifiaient ou dans le cas contraire d’une démission.
Ainsi si les faits invoqués au soutien de la prise d’acte de rupture ne la justifiaient pas eu égard aux griefs énoncés dans la lettre de prise d’acte qui sont déterminants, les effets produits sont ceux d’une démission. En revanche si les faits invoqués par le salarié sont établis et constituent des manquements suffisamment graves pour caractériser une rupture imputable à l’employeur, la prise d’acte de rupture produit les effets du licenciement sans cause réelle et sérieuse.
A l’appui de sa demande, M. [O] [E] fait valoir l’absence de paiement de primes d’objectifs pour 2018 et 2019, ainsi que l’entière satisfaction de son employeur pendant plus de 7 ans avant de recevoir des critiques récurrentes et infondées à la suite de l’entrée en fonction de M. [X] en qualité de Président qui a obtenu le départ de M. [I], Directeur général, et de M [V], Directeur commercial pôle Industrie, outre sa propre mise à l’écart progressive dans le cadre d’une réorganisation, ainsi que la suppression de son poste.
La SAS Groupe Sasa Demarle réplique que M. [O] [E] avait manifestement démissionné de manière claire et non équivoque puisque rien ne peut être reproché à la société dans un temps contemporain de la démission ; ainsi les primes d’objectifs ont été réclamées pour la première fois 3 mois après la démission, le salarié a conservé un véhicule de fonctions jusqu’à la fin de la collaboration, deux nouveaux services ont été créés indépendamment des missions dévolues à M. [O] [E] qui a été tenu informé de l’activité du pôle commerce et innovation lors de la réunion du COMEX du 22.05.2019, ses responsabilités n’ont pas été limitées et il a bien été convoqué au CHSCT du 07.05.2019. Elle déclare que le salarié l’a quittée pour un emploi bien rémunéré auprès de SOFINOR.
La démission transmise par M. [O] [E] le 24.06.2019 ne mentionne aucun grief à l’encontre de son employeur et il a retrouvé un emploi de Directeur technique et innovation auprès de SOFINOR dès le mois d’octobre 2019.
Cependant, dans son message du 27.06.2019, M. [O] [E] a avisé Argos Fund, qui ne faisait pas partie du pacte d’associés, de ses interrogations quant au traitement qui lui avait été réservé depuis janvier 2019 notamment de la part de M. [X]. Dans un courrier circonstancié de mise en demeure en date du 28.10.2019, le conseil du salarié a saisi la société de difficultés relatives aux manquements qui lui étaient reprochés et tenant : au paiement de son bonus 2018, mais aussi à la modification de ses attributions professionnelles concomitamment au limogeage de l’ancienne équipe dirigeante, qui s’était traduite par la création inopinée de deux nouveaux départements constitués par des services dont il avait jusqu’alors la responsabilité, à l’absence de courriels d’Argos transmis au COMEX, à la restitution de son véhicule de fonctions 15 jours avant le terme de son préavis.
En effet, le registre du personnel communiqué confirme le départ de : M. [I] Directeur général le 31.12.2018, et M. [V] Directeur commercial pôle Industrie le 30.03.2019 dans un contexte de réorganisation et de changement de présidence.
Par ailleurs le 10.09.2019, il est justifié d’une réponse du salarié prenant acte du retour du véhicule Tiguan qui lui avait été confié, cependant il a bénéficié d’un autre véhicule Qashqai.
Le 30.04.2019, M. [X] a avisé la société de la création de deux services : Innovation et Service aux clients, piliers de la stratégie de l’entreprise dont MM. [W] et [L] prenaient respectivement la tête ; préalablement le 26 avril M. [L] avait demandé à M. [O] [E] un nouvel emménagement de l’open space. Néanmoins, la société justifie de ce que, si M. [O] [E] s’était vu confier la stratégie industrielle de l’entreprise ainsi qu’il était prévu dans l’annexe à son contrat de travail, il a été avisé lors du COMEX du 22.05.2019 de ce qu’une réunion spécifique serait organisée pour ces deux nouveaux services dont il ne faisait pas partie.
Le 05.05.2019, M. [O] [E] a réclamé l’heure de la réunion du CHSCT pour laquelle il n’avait pas reçu de convocation, mais il y avait bien été convoqué par courriel du 29 avril.
Le 27.06.2019 dans un message adressé au Président, M. [O] [E] a estimé ne plus pouvoir exercer la délégation de pouvoirs qui lui avait été conférée en matière de sécurité le 10.01.2019, ce qui lui a été refusé le 04.07.2019 et cette mission lui a été maintenue.
Le 30.09.2019, M. [O] [E] a certes été contraint de réclamer a posteriori le paiement de son bonus 2018.
Par suite il ressort de ces éléments que M. [O] [E], qui avait été embauché au sein de la SAS Groupe Sasa Demarle en qualité de Directeur industriel statut cadre dirigeant, et qui en tant que tel participait au COMEX, a bien constaté depuis décembre 2018 la modification de la composition de l’équipe dirigeante de l’entreprise.
Il ne justifie pas pour autant de manquements graves de son employeur qui seraient antérieurs ou contemporains à sa démission qui de ce fait n’a pas à être requalifiée en une prise d’acte de rupture produisant les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse ; ses demandes à ce titre seront rejetées et le jugement en cause sera confirmé.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant publiquement contradictoirement :
Déclare l’appel recevable ;
Confirme le jugement rendu le 08.07.2021 par le conseil de prud’hommes de Cambrai section Encadrement en ce qu’il a décliné sa compétence ratione materiae pour les demandes relatives à la clause de non concurrence et a invité les parties à se pourvoir devant le Tribunal de Commerce de Paris, en ce qu’il a condamné la SAS Groupe Sasa Demarle à verser à M. [O] [E] la somme de 16.500 € au titre de la prime d’objectifs 2018 outre les congés payés et à la somme de 12.375 € outre les congés payés pour la prime 2019, enfin en ce qu’il a rejeté la demande de requalification de la démission et les demandes subséquentes ;
Y ajoutant,
Dit que la condamnation de la SAS Groupe Sasa Demarle interviendra en deniers ou quittances;
Dit que les sommes à caractère salarial porteront intérêts au taux légal à compter du jour où l’employeur a eu connaissance de leur demande ;
Rejette les autres demandes ;
Vu l’article 700 du code de procédure civile ;
Dit n’y avoir lieu à application de l’article 700 du nouveau code de procédure civile ;
Laisse les dépens d’appel à la charge de M. [O] [E] et l’y condamne en tant que de besoin.
LE GREFFIER
Angelique AZZOLINI
LE PRESIDENT
Soleine HUNTER-FALCK