Clause de non-sollicitation : 2 juin 2022 Cour d’appel de Versailles RG n° 19/04004

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Clause de non-sollicitation : 2 juin 2022 Cour d’appel de Versailles RG n° 19/04004
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COUR D’APPEL

DE

VERSAILLES

21e chambre

ARRET N°

CONTRADICTOIRE

DU 02 JUIN 2022

N° RG 19/04004 – N° Portalis DBV3-V-B7D-TRJ2

AFFAIRE :

SA BONITASOFT agissant poursuites et diligences de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège.

C/

[X] [P]

Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 26 Septembre 2019 par le Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de BOULOGNE- BILLANCOURT

N° Chambre :

N° Section : Encadrement

N° RG : 17/01604

Copies exécutoires et certifiées conformes délivrées à :

Me Yves SEBE

la AARPI SPARK AVOCATS

le :

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

LE DEUX JUIN DEUX MILLE VINGT DEUX,

La cour d’appel de Versailles a rendu l’arrêt suivant dans l’affaire entre :

SA BONITASOFT agissant poursuites et diligences de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège.

N° SIRET : 512 854 514

[Adresse 2]

[Localité 3]

Représentant : Me Yves SEBE, Plaidant/Constitué, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : K0153

APPELANTE

****************

Monsieur [X] [P]

né le 09 Mai 1980 à

de nationalité Française

[Adresse 1]

[Localité 5]

Représentant : Me Matthieu RICHARD DE SOULTRAIT de l’AARPI SPARK AVOCATS, Plaidant/Constitué, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : R244

INTIME

****************

Composition de la cour :

En application des dispositions de l’article 805 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue à l’audience publique du 22 Mars 2022 les avocats des parties ne s’y étant pas opposés, devant Monsieur Thomas LE MONNYER, Président, chargé du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Monsieur Thomas LE MONNYER, Président,

Monsieur Eric LEGRIS, Conseiller,

Madame Odile CRIQ, Conseiller,

Greffier lors des débats : Madame Anne-Sophie CALLEDE,

FAITS ET PROCEDURE

M. [P] a été engagé à compter du 17 septembre 2012 en qualité de Product Manager, par la société Bonitasoft, selon contrat de travail à durée indéterminée. Il a été promu au poste de ‘Product Marketing Manager’ à compter de 2014.

L’entreprise, spécialisée dans l’édition de logiciels applicatifs, et plus particulièrement d’une solution de gestion des processus métiers, dite « BPM », emploie plus de dix salariés et relève de la convention collective des bureaux d’études techniques (Syntec).

Le 11 octobre 2016, M. [P] a reçu une lettre d’engagement de la société anglaise Alfresco Software LTD.

Le 14 octobre 2016, M. [P] a signé un contrat de travail avec la société Alfresco Software LTD en qualité de ‘Senior Product Marketing Manager’. Ce contrat a été complété d’un addendum du 28 octobre 2016.

Le 19 octobre 2016, le salarié a démissionné de son emploi au sein de la société Bonitasoft. Par lettre du 4 novembre 2016, la société Bonitasoft a pris acte de sa démission sans pour autant lever ses clauses de confidentialité et de non concurrence. Le contrat a pris fin le 9 décembre 2016.

La société Bonitasoft a sollicité et obtenu le 4 octobre 2017 du Président du tribunal de grande instance de Nanterre la désignation d’un huissier de justice afin de se rendre au domicile de M. [P] et se faire remettre et prendre copie de l’ensemble des éléments de nature à rapporter la preuve de la violation de ses obligations contractuelles et notamment le contrat de travail conclu avec la société Alfresco, tout courrier électronique émis ou reçu depuis le 9 décembre 2016 contenant divers mots clés et tous dossiers, fichiers et correspondances relatifs à des informations portant sur les produits et/ou clients de la société Bonitasoft.

Estimant que M. [P] avait violé sa clause de non-concurrence, la société Bonitasoft a saisi le 14 décembre 2017, le conseil de prud’hommes de Boulogne Billancourt afin de demander au conseil de le condamner à lui payer les sommes suivantes :

– 19 119,57 euros au titre du remboursement de l’indemnité de non-concurrence ;

– 10 000 euros en exécution de la clause pénale ;

– 30 000 euros de dommages-intérêts au titre de la violation de la clause de non-concurrence ;

– 6 510,50 euros de remboursement de frais d’avocats ;

– 10 454 euros de remboursement de frais d’enquête ;

– 2 686,67 euros de remboursement de frais d’huissier ;

– 10 000 euros à titre d’article 700 du code de procédure civile.

M. [P] s’est opposé aux demandes de la société requérante et a sollicité sa condamnation au paiement des sommes de 30 000 euros de dommages et intérêts sur le fondement de l’article 1240 du code civil, 30 000 euros pour procédure abusive et 5 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

Par jugement rendu le 26 septembre 2019, notifié le 4 octobre 2019, le conseil a statué comme suit :

Dit que M. [P] n’a pas contrevenu à sa clause de non concurrence,

Condamne la société Bonitasoft à verser à M. [P] les sommes de :

– 30 000 euros au titre des dommages et intérêts sur le fondement de l’article 1240 du code civil,

– 10 000 euros au titre de la procédure abusive,

– 1 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

Dit que le jugement sera assorti de l’intérêt légal de droit à compter de la date de son prononcé,

Dit que l’exécution provisoire est prononcée pour le tout dans le cadre de l’article 515 du code de procédure civile,

Déboute la société Bonitasoft de ses demandes et M. [P] du surplus de ses demandes,

Met les dépens de la présente instance, dont les éventuels frais d’exécution à la charge de la société Bonitasoft.

Le 31 octobre 2019, la société Bonitasoft a relevé appel de cette décision par voie électronique.

Par ordonnance rendue le 13 octobre 2021, le conseiller chargé de la mise en état a ordonné la clôture de l’instruction et a fixé la date des plaidoiries au 16 novembre 2021.

Au constat de l’accord des parties de recourir à une médiation judiciaire, la cour a ordonné suivant arrêt avant dire droit une médiation et désigné le CMAP aux fins de mener cette mesure, l’affaire étant reportée à l’audience éventuelle fixée au 22 mars 2022.

Le médiateur désigné ayant informé la cour que la médiation n’avait pu, finalement, se mettre en place, l’affaire a été rappelée à l’audience éventuelle prévue, la décision étant mise en délibéré au 2 juin 2022.

‘ Selon ses dernières conclusions, notifiées le 21 janvier 2020, la société Bonitasoft demande à la cour d’infirmer le jugement entrepris et de :

Condamner M. [P] à lui rembourser les sommes payées en vertu de l’exécution provisoire,

Condamner M. [P] au remboursement de l’ensemble des sommes payées en contrepartie de l’exécution d’une clause de non concurrence violée dès l’origine (brutes plus charges employeur), à savoir la somme de 27 139,02 euros (19 119,57 euros + 8 019,45 euros de régularisation) à titre de remboursement de l’indemnité de non concurrence, des congés payés afférents et des charges patronales pour la période du 10 décembre 2016 au 9 décembre 2017 et payés par anticipation du 1er décembre 2016 au 30 novembre 2017,

Condamner M. [P] au remboursement des frais engagés par la société pour faire la preuve des turpitudes du salarié, soit les sommes de 6 510,50 euros euros à titre de remboursement des frais d’avocats déboursés, 10 454 euros à titre de remboursement des frais d’enquêtes déboursés et de 2 686,67 euros à titre de remboursement des frais d’huissiers déboursés,

Condamner M. [P] à lui payer des indemnités liées à la violation de la clause de non concurrence, à hauteur de 10 000 euros de clause pénale, 30 000 euros d’indemnité pour violation de la clause de non concurrence, avec intérêts au taux légal avec anatocisme à compter de la saisine du conseil,

Condamner M. [P] à lui verser la somme de 10 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens de la présente instance en ce compris les frais de constats qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l’article 699 du même code.

‘ Selon ses dernières conclusions, remises au greffe le 20 avril 2020, M. [P] demande à la cour de :

Confirmer le jugement en ce que celui-ci a jugé qu’aucune violation de la clause de non-concurrence n’était caractérisée et qu’au surplus, la société ne lui avait pas valablement versé son indemnité de non-concurrence,

Débouter la société de l’intégralité de ses demandes, fins et prétentions,

Confirmer le jugement en ce que celui-ci a condamné la société à lui verser les sommes de 30 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code civil et de 1 000 euros à titre d’article 700 du code de procédure civile,

Infirmer le jugement concernant le quantum des dommages-intérêts octroyés à titre de procédure abusive,

Condamner la société à lui verser 30 000 euros sur le fondement de l’article 32-1 du code de procédure civile et 5 000 euros en cause d’appel à titre d’article 700 du code de procédure civile,

Assortir les condamnations de l’intérêt au taux légal et ordonner la capitalisation des intérêts sur le fondement des articles 1231-6 et suivants et 1343-2 du code civil,

Condamner la société aux entiers dépens, en ce compris, l’éventuelle exécution forcée de la présente décision.

Pour un plus ample exposé des faits et de la procédure, ainsi que des moyens et prétentions des parties, il convient de se référer aux écritures susvisées.

MOTIFS

I – Sur la violation de la clause de non concurrence :

Au soutien de son action, la société Bonitasoft expose que le rapport d’enquête qu’elle a commandé auprès d’un cabinet d’enquête a confirmé les informations qu’elle avait reçues selon lesquelles M. [P] exerçait une activité professionnelle pour le compte d’une société concurrente, la société Alfresco, depuis son domicile personnel situé en France, au mépris de ses engagements contractuels. Elle affirme que les éléments recueillis par l’huissier mandaté sur autorisation du président du tribunal de grande instance de Nanterre, ont confirmé la violation de la clause de non concurrence par son ancien salarié.

La société appelante déclare justifier que la société Alfresco exerce bien une activité concurrente à la sienne, que M. [P] travaille sur l’activité BPM d’Alfresco de France et en France, ainsi que l’établissent son tweet du 28 avril 2017, l’article qu’il a écrit le 6 juillet 2017 à l’occasion d’une nouvelle version de la solution de BPM de son nouvel employeur, l’interview du 2 mars 2018, aux termes de laquelle il concède travailler depuis plus de cinq ans à l’industrie du logiciel BPM. Elle considère que l’intimé a bien violé la clause territoriale dès lors que son contrat de travail s’est exécuté en majorité en France, le contrat de travail qui le lie à la société Alfresco étant de surcroît régi par le droit français.

La société plaide qu’en dépit des restrictions théoriques et apparentes à son activité en France, son travail en qualité de Product Marketing Manager consistait bien à développer le logiciel ‘BPM’ d’Alfresco, dénommé ‘Activiti’, en lien avec les équipes dédiées et ce ‘nécessairement sur le territoire français’ et de conclure qu’ ‘en travaillant sur le BPM de la société Alfresco le produit étant commercialisé en France comme dans le reste du monde’, le salarié a violé la clause de non-concurrence stipulée à son contrat de travail justifiant le bien-fondé de sa réclamation et de l’ensemble de ses demandes financières.

M. [P] conteste avoir violé la clause de non concurrence. Il objecte que les sociétés n’ont pas les mêmes activités, celles de son nouvel employeur étant en réalité complémentaires de celles de la société Bonitasoft. Il explique que cette dernière, spécialisée dans l’édition de logiciels applicatifs développe plus particulièrement une solution de gestion des processus métiers dites ‘BPM’ (Business Process Management) haut de gamme, dénommée ‘Bonita’, alors que la société Alfresco est spécialisée dans l’édition des ‘solutions de contenu’.

Affirmant avoir été d’emblée transparent vis-à-vis des dirigeants de la société Bonitasoft sur les raisons de sa démission, il indique n’avoir jamais travaillé sur le territoire français, conformément aux stipulations de l’ addendum conclu le 28 octobre 2016, aux termes duquel il a été convenu avec son nouvel employeur qu’il ne travaillerait pas pendant un an sur le marché français. Il fait valoir sur ce point qu’ ‘à l’ère où le télétravail se développe, la limitation du champ territorial de la clause de non concurrence doit s’apprécier non pas en fonction du lieu de travail, mais en regardant à qui l’activité exercée profite’ et indique justifier de ses nombreux déplacements aux Etats-Unis et au Royaume-Uni.

Enfin, relevant que l’employeur ne s’est pas acquitté de l’intégralité de la contrepartie pécuniaire à la clause de non concurrence, qu’il ne régularisera qu’à l’issue de la période litigieuse, ce manquement de l’employeur à son obligation de se libérer de l’intégralité de cette contrepartie l’a libéré de son obligation.

L’article 11 du contrat de travail signé par M. [P] stipulait que :

« Afin de sauvegarder les intérêts de la société et compte tenu du poste de Product Manager qui sera occupé par M. [P] qui le conduit à avoir une connaissance très importante des techniques et procédés applicables au sein de la société ainsi que des listings de clients, le salarié s’interdit, en cas de rupture du présent contrat, pour quelque cause que ce soit :

‘ d’exploiter ou de s’intéresser directement ou indirectement à une entreprise ayant une activité similaire ou concurrente à celle de Bonitasoft,

‘ de s’engager dans une telle entreprise en vue d’exercer une activité similaire aux fonctions qu’il occupe actuellement au sein de la société ou qu’il serait amené à occuper ultérieurement, ou de lui apporter les connaissances acquises auprès de la société Bonitasoft ;

‘ d’entrer au service d’une société ou de toute autre structure quelle qu’elle soit ayant des activités concurrentes à celles de Bonitasoft.

Cette interdiction de concurrence est limitée à une période de 1 an commençant le jour de la cessation effective de son contrat de travail et sera valable sur l’ensemble du territoire Français.

En contrepartie de cette obligation de non-concurrence, M. [P] percevra après la cessation effective de son contrat et pendant toute la durée de cette interdiction, une indemnité spéciale forfaitaire égale à 30 % du salaire brut fixe mensuel (c’est-à-dire à l’exclusion de toute prime ou commission) perçu par lui au cours de ses trois derniers mois de présence dans la société.

En cas de violation de la présente clause par M. [P] celui-ci devra verser automatiquement une pénalité fixée dès à présent forfaitairement à 10 000 euros, pénalité due pour chaque infraction constatée, sans qu’il soit besoin d’une mise en demeure d’avoir à cesser l’activité concurrentielle telle que définie ci-dessus.

Enfin, le cas échéant, la société se réserve d’intenter toute action en justice afin d’obtenir des dommages et intérêts en réparation du préjudice financier et moral effectivement subi et de faire ordonner sous astreinte la cessation de l’activité concurrentielle. […]

L’indemnité spéciale forfaitaire fixée ci-dessus tient également compte de cette obligation de non démarchage et de non sollicitation de clientèle. […] ».

Il est constant que M. [P] ayant démissionné par lettre du 19 octobre 2016, le contrat de travail a pris fin le 9 décembre 2016, de sorte qu’il était tenu par cette obligation de non concurrence dont il ne remet pas en question la validité jusqu’au 9 décembre 2017.

Il appartient à l’employeur de rapporter la preuve d’une éventuelle violation de l’obligation de non-concurrence pesant sur le salarié.

I – a) Sur le caractère concurrentiel des activités exercées par les sociétés Bonitasoft et société Alfresco :

Les parties s’accordent sur le fait que la société Bonitasoft est, ainsi que le conclut le salarié, une ‘entreprise mono-produit qui commercialise un seul logiciel dénommé Bonita, qui est une solution de gestion des processus métiers dite ‘BPM’.

La société appelante soutient que la société Alfresco propose à ses clients une solution ‘BPM’, concurrentielle du logiciel qu’elle commercialise.

Ainsi que le plaide et le justifie la société Bonitasoft, Alfresco présente sur son site rédigé en langue française ‘Alfresco Process Services (BPM) basé sur Activiti’ comme ‘une solution de gestion des processus métiers (BPM) spécialement conçue pour les utilisateurs métiers et les développeurs’ qui ‘s’appuie sur un moteur de processus open source haute performance basé sur Activiti dont la flexibilité et l’évotulité permettent de gérer une multiplicité de processus métiers […]’.

Le fait que la société Alfresco développe essentiellement son activité sur le secteur dit ‘du contenu’ et que sa solution dans ce domaine soit compatible voire complémentaire au logiciel ‘BPM’ produit et commercialisé par la société Bonitasoft, qui promeut effectivement la connectivité et l’intégration de leurs outils respectifs, est inopérant dans la mesure où la société Alfresco développe et propose à sa clientèle une solution de gestion des processus métiers.

De même, il est indifférent que sa solution ‘Alfresco Process Services’ soit basée sur Activiti, moteur de processus en Open source.

L’argumentation développée, par ailleurs, par M. [P] selon laquelle la société appelante ne développe aucune activité ‘de contenu’ est indifférente, dès lors qu’il est établi que la société qu’il a rejointe propose à sa clientèle, entre autres services, une solution ‘BPM’ qui elle entre directement en concurrence avec le mono produit de Bonitasoft, peu important que le produit développé par son nouvel employeur ne serait pas ‘haut de gamme’, que sa solution serait moins complète, ne bénéficierait pas de la même notoriété que le logiciel édité par la société Bonitasoft ou qu’elle ne soit pas recensée sur l’ensemble des sites professionnels (Gartner, Trustradius et Owler).

Les témoignages de MM. [L] et [W], qui n’évoquent pas les solutions Activiti et Alfresco Process Services, mais font essentiellement état de la complémentarité des produits Alfresco et Bonita ne convainquent pas la Cour.

Du reste, il est remarquable qu’ in fine, le salarié concède dans ses écritures, par référence aux pièces n° 24 et 25 versées aux débats par la société Bonitasoft, que son nouvel employeur a créé, en support de son activité principale, un projet communautaire de logiciel libre ‘BPM’ dénommé ‘Activiti’, puis développé le logiciel ‘Alfresco Activiti’, postérieurement renommé ‘Alfresco Process Services’, et surtout qu’en 2014 le nouvel employeur de l’intéressé a lancé sa ‘première offre commerciale Alfresco dans le BPM’.

Force est de relever que selon les propres écritures du salarié, la société Alfresco a créé les solutions BPM Activiti et Alfresco Process Services ‘en support de son activité principale’, à savoir l’élaboration et la commercialisation de logiciels dits de contenus, dont il établit par ailleurs qu’elle est complémentaire et compatible du logiciel BPM Bonita. Il en résulte donc que nonobstant les appréciations portées par le salarié sur les caractères ‘haut de gamme’ et ‘complet’ du logiciel édité par la société appelante, les solutions proposées par la société Alfresco viennent bien en concurrence avec celle de son ancien employeur.

Selon le contrat de travail signé avec la société Alfresco, le salarié avait notamment pour fonctions contractuelles de développer la stratégie globale de marketing produit et du plan de mise sur le marché pour Activiti d’Alfresco, soit une fonction similaire à celle exercée au sein de la société Bonitasoft.

Il sera retenu que M. [P] a été engagé par la société Alfresco, laquelle développe plusieurs activités parmi lesquelles figurent une solution ‘BPM’, activité directement concurrentielle avec celle ‘mono produit’ de la société Bonitasoft, et ce dans les jours précédents la rupture de son contrat de travail pour exercer des fonctions similaires à celles exercées au sein de la société Bonitasoft.

Sur ce point, les observations développées par M. [P] ne sont pas pertinentes.

I – b) Sur la limite territoriale de la clause :

La société appelante souligne justement que les parties ont convenu de soumettre leurs relations contractuelles au droit du travail français, spécifiquement à la convention collective applicable dite Syntec. Ce contrat de travail, signé à [Localité 4], stipulait que le salarié ‘travaillerait depuis son domicile ou en tout autre lieu situé à [Localité 4] ou région parisienne’.

Confirmant les informations recueillies par la société Bonitasoft dans le cadre d’investigations diligentées au siège de la société Alfresco pour connaître le lieu d’exécution de la prestation de travail, M. [P] concède que, nonobstant les déclarations maladroites faites par son épouse à l’huissier de justice, le 16 octobre 2017, la majeure partie de son activité professionnelle est développée depuis son domicile situé (alors) à [Localité 5] (92), le salarié justifiant, par ailleurs, se rendre régulièrement au Royaume-Uni et aux Etats-Unis.

L’appelante verse aux débats des communiqués de la société Alfresco, datés du 7 août et 11 octobre 2017, soit en pleine période litigieuse :

– le premier étant intitulé ’15 mois après son arrivée en France (la société) confirme son ascension en signant 10 nouveaux clients’, (Plastic Omnium, La Poste, le Ministère de la Justice etc), dans lequel le nouvel employeur du salarié, après avoir vanté ‘l’intérêt grandissant des entreprises pour notre solution de gestion de contenu Open Source […]’, fait figurer sous son logo la liste de ses activités parmi lesquels figurent, certes en première ligne, ‘Gestion de contenu d’entreprises’, mais en deuxième ligne ‘Gestion des processus métiers’ (pièce n°9 de l’appelante).

– Le second communiqué de presse du 11 octobre 2017 invite à ‘découvrir toute l’actualité de la nouvelle plateforme digitale Alfresco lors de l’Alfresco day Paris 2017″ et notamment les innovations produites parmi lesquelles figurent ‘Alfresco Process Services’, c’est à dire le nom de la solution BPM développée par Alfresco. (pièce n°11 de l’appelante)

En l’état de ces éléments, dans la mesure où, d’une part, les deux sociétés ont une activité concurrente sur les solutions de gestion des processus métiers dite ‘BPM’, d’autre part, que la société britannique Alfresco commercialisait en 2017 ses services sur le territoire national, ainsi qu’il ressort des communiqués de presse rédigés en langue française où sont cités plusieurs de ses clients implantés en France et, invitait ainsi à découvrir dans sa documentation à destination du public en France, parmi ses innovations, l’activité concurrentielle de ‘gestion des processus métiers’, et au constat de la conclusion d’un contrat de droit français, signé à [Localité 4], précisant que le salarié travaillerait ‘depuis son domicile ou en tout autre lieu situé à [Localité 4] ou région parisienne’, la société Bonitasoft établit que le salarié a manqué à ‘son obligation de ne pas s’engager’ dans l’année suivant le terme de son contrat de travail, ‘au service d’une société ayant des activités concurrentes à celles de Bonitasoft sur le territoire national.

Le fait que l’avenant du 28 octobre 2016 stipule qu’il ne pourrait exercer aucune activité en lien avec la France n’est pas susceptible d’exonérer le salarié de ce manquement.

I – c) Sur l’exception d’inexécution :

Il est constant que si la société Bonitasoft s’est libérée de son obligation financière pour le mois de décembre 2016, elle n’a pas versé de janvier à décembre 2017 l’intégralité du montant de la contrepartie mensuelle revenant à M. [P].

À titre liminaire, force est de constater qu’en s’engageant auprès de la société Alfresco, dès avant sa démission et en travaillant pour la société concurrente, en toute hypothèse, avant la fin du mois de décembre 2017, la violation de la clause de non concurrence était consommée antérieurement au manquement de l’employeur à son obligation de payer l’intégralité de la contrepartie financière à partir du mois de janvier 2017.

En outre, la société qui plaide sa bonne foi justifie par la communication de l’attestation de M. [C], expert-comptable, qu’une erreur a été commise dans le montant de cette obligation en répercutant de mois en mois le montant de la contrepartie définie en décembre 2016, alors même que l’obligation de l’employeur pour ce mois ne portait pas sur 30 jours, mais était limitée compte tenu du point de départ de l’obligation au 9 décembre.

Il est établi que la société a régularisé son obligation au cours de la première instance, par un versement en février 2019, suite à la légitime réclamation formée à ce titre par le salarié, pour un montant de 5 604,72 euros bruts.

En l’état de la bonne foi de l’employeur à ce titre et de la régularisation intervenue à première réclamation, cette simple erreur ne saurait libérer M. [P] de son obligation de non concurrence.

En définitive, le jugement sera infirmé en ce qu’il a jugé que l’action de l’employeur n’était pas fondée à ce titre.

II – Sur l’indemnisation :

Conformément aux stipulations contractuelles, M. [P] sera condamné à verser à la société appelante la somme de 10 000 euros à titre de clause pénale, laquelle n’est pas excessive au regard de la rémunération du salarié et des éléments de la cause.

De même, faute pour le salarié d’avoir respecté son obligation, la société est bien fondée à solliciter le remboursement des sommes versées à M. [P] au titre de la contrepartie financière de la clause de non concurrence qu’il n’a pas respectée.

En revanche, s’agissant de la demande de dommages et intérêts, la société Bonitasoft ne justifie pas de l’existence de son préjudice. La demande formée à ce titre sera rejetée.

S’agissant de la demande de remboursement des frais d’avocat, d’enquête et d’huissier, à hauteur respectivement des sommes de 6 510,50 euros, 10 454 euros et 2 686,67 euros, la réclamation sera analysée au titre des frais irrépétibles.

III – Sur les demandes reconventionnelles :

III – a) Sur la demande de dommages et intérêts au visa de l’article 1240 du code civil :

M. [P] sollicite la confirmation du jugement entrepris en ce qu’il a condamné la société Bonitasoft au paiement de la somme de 30 000 euros de dommages et intérêts au motif que la société lui a occasionné un grave préjudice en diligentant cette procédure, alors qu’il avait fait preuve de transparence vis-à-vis des dirigeants, que la société formule des prétentions financières colossales, et que sa famille s’est trouvée impliquée dans cette procédure.

Il n’est pas établi par l’attestation de M. [K], qui se contente de rapporter les dires du salarié, que ce dernier ait informé les dirigeants de la société Bonitasoft qu’il rejoignait la société Alfresco.

Alors que le président du tribunal de grande instance de Nanterre a autorisé la mesure d’instruction à exécuter à son domicile, décision dont il n’est pas allégué qu’elle ait été contestée devant le juge des référés, que l’exécution de cette mesure au domicile du salarié résultait du contrat de travail conclu avec la société Alfresco, fixant en ce lieu son lieu de travail, M. [P] n’est pas fondé à se plaindre de ce que sa famille ait été impliquée dans la procédure, observations faites, que la mesure a été diligentée par un officier ministériel, accompagné du commissaire de police de la ville de St Cloud, qu’à l’occasion de la première intervention, en date du 13 octobre 2017, la nourrice de ses enfants a refusé d’ouvrir la porte du domicile, qu’à l’occasion de la deuxième visite, le 16 octobre, l’officier ministériel et le commissaire, se sont retirés après que Mme [P] a exposé que son époux était absent, la mesure n’ayant finalement été menée à son terme qu’en présence du salarié le 7 novembre 2017.

Aucun préjudice n’étant caractérisé par l’intimé en lien avec ces éléments, le jugement sera infirmé en ce qu’il a condamné la société Bonitasoft au paiement de la somme de 30 000 euros à titre de dommages et intérêts sur le fondement de l’article 1240 du code civil.

III – b) Sur la procédure abusive :

L’action diligentée par la société Bonitasoft étant fondée en son principe, celle-ci ne présente aucun caractère abusif.

Le salarié sera donc débouté de cette demande.

IV – Sur les dépens :

L’équité commande d’indemniser partiellement la société Bonitasoft des frais irrépétibles exposés, en ce compris les frais exposés par la société pour investiguer sur le non respect par son ancien salarié de son obligation de non concurrence. M. [P] sera condamné à verser à M. [P] la somme de 5 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

Conformément à l’article 696 du code de procédure civile, M. [P] qui succombe en ses prétentions est condamné aux dépens de première instance et d’appel, étant précisé que les frais d’huissier que l’employeur indique avoir par ailleurs exposés relèvent des frais irrépétibles.

PAR CES MOTIFS

La Cour, statuant publiquement, par arrêt contradictoire,

Infirme le jugement en toutes ses dispositions,

Dit que M. [P] a manqué à son obligation de non concurrence,

Condamne M. [P] à rembourser à la société Bonitasoft la somme de 27 139,02 euros, au titre de la contrepartie financière, des congés payés afférents et des charges patronales,

Condamne M. [P] à payer à la société Bonitasoft la somme de 10 000 euros à titre de clause pénale, avec intérêts au taux légal avec anatocisme à compter de présente décision,

Déboute la société Bonitasoft en sa demande de dommages et intérêts,

Déboute M. [P] en sa demande en paiement de dommages et intérêts sur le fondement de l’article 1240 du code civil et de sa demande de dommages et intérêts pour procédure abusive,

Condamne M. [P] à verser à la société Bonitasoft la somme de 5 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile en ce compris les frais engagés par la société au titre des frais d’avocats, des frais d’enquêtes déboursés et des frais d’huissiers déboursés,

Condamne M. [P] aux dépens de la présente instance, lesquels ne comprennent pas les frais de constats, qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile.

Prononcé publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

Signé par Monsieur Thomas LE MONNYER, Président, et par Monsieur TAMPREAU, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Le greffier,Le président,

 


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