Your cart is currently empty!
COUR D’APPEL DE BORDEAUX
QUATRIÈME CHAMBRE CIVILE
————————–
ARRÊT DU : 18 OCTOBRE 2022
N° RG 20/00498 – N° Portalis DBVJ-V-B7E-LNZA
SAS SUPERTEK
c/
SAS COMPAGNIE GENERALE DE MAINTENANCE IMMOBILIERE (CGM I)
Nature de la décision : AU FOND
Grosse délivrée le :
aux avocats
Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 12 décembre 2019 (R.G. 2019F00361) par le Tribunal de Commerce de BORDEAUX suivant déclaration d’appel du 29 janvier 2020
APPELANTE :
SAS SUPERTEK, prise en la personne de son représentant légal, domicilié en cette qualité au siège sis, [Adresse 1]
représentée par Maître Philippe LECONTE de la SELARL LEXAVOUE BORDEAUX, avocat au barreau de BORDEAUX et assistée par Maître Marc Antoine JULIEN de la SCP GARRIGUES, avocat au barreau de LA ROCHELLE
INTIMÉE :
SAS COMPAGNIE GENERALE DE MAINTENANCE IMMOBILIERE (CGM I), prise en la personne de son représentant légal, domicilié en cette qualité au siège sis, [Adresse 2]
représentée par Maître Frédéric BIAIS de la SELARL BIAIS ET ASSOCIES, avocat au barreau de BORDEAUX et assistée par Maître Emmanuelle ROMAT de la SELARL STV AVOCATS, avocat au barreau de TOULOUSE
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions de l’article 805 du Code de Procédure Civile, l’affaire a été débattue le 06 septembre 2022 en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant Madame Elisabeth FABRY, Conseiller chargé du rapport,
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
Madame Nathalie PIGNON, Présidente,
Madame Elisabeth FABRY, Conseiller,
Madame Marie GOUMILLOUX, Conseiller,
Greffier lors des débats : Monsieur Hervé GOUDOT
ARRÊT :
– contradictoire
– prononcé publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l’article 450 alinéa 2 du Code de Procédure Civile.
EXPOSE DU LITIGE :
La société Supertek a pour activité l’assistance technique aux particuliers et aux sociétés dans le domaine informatique.
Courant 2015, elle a conclu avec la société Compagnie Générale de Maintenance Immobilière (la société CGMI) un contrat d’assistance technique prévoyant que la société CGMI ne pouvait engager de collaborateurs de la société Supertek pendant la durée du contrat augmentée d’une durée de 12 mois.
M. [R], salarié de la société Supertek, a démissionné de ses fonctions le 16 avril 2018.
Le contrat d’assistance technique a été renouvelé en mai 2018 moyennant le paiement mensuel de la somme de 2 650 euros HT.
M. [R] a été embauché par la société CGMI le 25 juin 2018.
Par courrier du 23 janvier 2019, la société CGMI a notifié à la société Supertek sa volonté de ne pas renouveler le contrat de maintenance à sa date d’échéance.
Par courrier du 04 février 2019, la société Supertek a mis en demeure la société CGMI d’avoir à lui régler la somme de 57 890,36 euros, sans succès.
Par exploit d’huissier du 26 mars 2019, la société Supertek a assigné la société CGMI devant le tribunal de commerce de Bordeaux aux fins qu’il dise et juge que la société CGMI a manqué à ses obligations contractuelles et afin de la condamner à lui payer la somme de 57 890,36 euros au titre de son préjudice pour ne pas avoir respecté la clause de non-sollicitation.
Par jugement contradictoire du 12 décembre 2019, le tribunal de commerce de Bordeaux a :
– débouté la société Supertek SASU de l’ensemble de ses demandes,
– condamné la société Supertek SASU à payer à la societé CGMI SAS la somme de 2 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,
– condamné la société Supertek SASU aux dépens.
La société Supertek a relevé appel du jugement par déclaration du 29 janvier 2020 énonçant les chefs du jugement expressément critiqués, intimant la Compagnie Générale de Maintenance Immobilière.
Par conclusions déposées en dernier lieu par RPVA le 21 décembre 2020 auxquelles il convient de se reporter pour plus ample exposé de ses moyens et prétentions, la société Supertek demande à la cour de :
– infirmer le jugement,
– en conséquence,
– dire et juger que la CGMI a manqué à ses obligations contractuelles,
– condamner la CGMI à lui verser la somme de 57 890,36 euros au titre de son préjudice pour ne pas avoir respecté la clause de non-sollicitation,
– condamner la CGMI à lui payer la somme de 6 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile depuis la première instance,
– condamner la même aux entiers frais et dépens de l’instance, y compris ceux de première instance.
La société Supertek fait notamment valoir que la société CGMI a manqué à ses obligations contractuelles les plus élémentaires ; qu’elle n’a jamais accepté tacitement le départ de son salarié et qu’elle a tenté de le retenir ; que le préjudice est constitué par un manquement contractuel consistant à ne pas solliciter l’un de ses salariés pendant la durée du contrat augmentée d’un an, ledit manquement ayant pour double conséquence, la perte d’un salarié formé et la perte du contrat d’assistance technique.
Par conclusions déposées en dernier lieu par RPVA le 23 juillet 2020 auxquelles il convient de se reporter pour plus ample exposé de ses moyens et prétentions, la société Compagnie Générale de Maintenance Immobilière demande à la cour de :
– vu les dispositions de l’article 1120 du code civil,
– confirmer le jugement du tribunal de commerce de Bordeaux en date du 12 décembre 2019,
– debouter la société Supertek de ses demandes, infondées et injustifiées,
– condamner la société Supertek au paiement d’une somme de 3 500 euros sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code procédure civile, ainsi qu’aux entiers dépens de l’instance.
La Compagnie Générale de Maintenance Immobilière fait notamment valoir que M. [R] n’était plus collaborateur de l’appelante au moment de son embauche ; que l’appelante était informée et avait donné son accord à cette sollicitation ; que l’appelante est dans l’incapacité de rapporter la preuve de l’existence d’un quelconque préjudice réel.
La clôture de la procédure a été prononcée par ordonnance du 16 août 2022 et l’audience fixée au 06 septembre 2022.
MOTIFS DE LA DECISION :
sur la demande principale :
La société Supertek fonde sa demande indemnitaire sur l’article IV – section 5.03 du contrat du 26 avril 2018 prenant fin le 14 mai 2019 (pièce 3 de l’appelante).
Aux termes de cet article intitulé “non sollicitation”, ” le client s’interdit d’engager directement ou indirectement ou par personne interposée, sauf accord mutuel, les collaborateurs du fournisseur. Cette renonciation est valable pendant la durée du contrat augmentée d’une durée de 12 mois “. (pièce 11 de l’appelante).
Cet article figure inchangé dans le contrat conclu le 1er mars 2015 entre les parties comme dans celui conclu le 10 janvier 2018 prenant fin le 14 janvier 2019 (pièces 11 et 13 de l’appelante).
Les relations entre les parties se sont déroulées sans discontinuer de mars 2015 au 14 mai 2019, de sorte que l’engagement de la société CGMI de ne pas recruter un collaborateur de la société Supertek couvrait la période de mars 2015 au 14 mai 2020, 12 mois après la fin du dernier contrat.
La société CGMI a embauché le 25 juin 2018 M. [R], salarié de la société Supertek depuis le 29 octobre 2012 et démissionnaire depuis le 16 avril 2018.
Le tribunal a considéré que dans la mesure où M. [R] avait donné sa démission avant même la signature du contrat, et qu’il n’était plus à cette date collaborateur de la société Supertek, l’article 5.03 ne trouvait pas à s’appliquer.
L’appelante est cependant fondée à opposer que M. [R], dont le nom figurait expressément sur l’annexe 1 du contrat comme le ‘représentant technique fournisseur’, comptait encore parmi ses collaborateurs à la date de signature du contrat du 26 avril 2018, son préavis ne prenant fin que le 16 juin 2018. La cour relève par ailleurs qu’à la date du précédent contrat du 10 janvier 2018, aux termes duquel la société CGMI s’était pareillement engagée jusqu’au 14 janvier 2020, M. [R] n’était pas démissionnaire, de sorte qu’elle a enfreint aussi son engagement dans le cadre de ce contrat.
La société CGMI soutient par ailleurs que l’appelante était informée et avait donné son accord à cette sollicitation. Elle produit pour le démontrer trois attestations de M. [R] et de deux autres salariés de la société Supertek, M. [B] et Mme [F] (ses pièces 7, 8.1, 8.2 et 15).
L’appelante, qui conteste l’existence d’un accord mutuel, peut cependant opposer utilement que le témoignage de M. [R], désormais employé par la société CGMI et concerné par le litige, n’a pas de caractère véritablement probant, et que les deux autres attestations se bornent à confirmer qu’elle était informée de l’embauche de M. [R] par la société CGMI, ce qu’elle ne conteste pas. C’est par ailleurs à juste titre qu’elle fait valoir qu’il n’était pas en son pouvoir d’employeur de s’opposer au départ de M. [R], tout en soutenant qu’elle a tenté de le retenir, assertion confirmée par M. [J] (sa pièce 16).
Le fait que l’appelante ait poursuivi par la suite les échanges avec la société CGMI représentée par M. [R] ne permet pas d’établir davantage que ce départ était le fruit d’un accord mutuel.
Il résulte de ces considérations que la société CGMI, en embauchant M. [R], a violé son engagement contractuel.
S’agissant du préjudice, le contrat ne comporte aucune indication sur le mode de calcul de l’indemnisation.
La société Supertek, qui soutient que ce manquement a eu pour double conséquence la perte d’un salarié formé et la perte du contrat d’assistance technique, chiffre son préjudice à la somme de 57 890,36 euros correspondant à la perte du chiffre d’affaires annuel réalisé avec l’intimée (30 875 euros) d’une part pendant la durée de 10,5 mois restant à courir jusqu’à la fin du contrat (du 1er juillet 2018 au 15 mai 2019) et d’autre part pendant les 12 mois suivant la fin du contrat (du 15 mai 2019 au 15 mai 2020).
L’intimée fait valoir que l’appelante est dans l’incapacité de rapporter la preuve d’un quelconque préjudice tant sur la période de juillet 2018 jusqu’à la mi mai 2019 dès lors que le contrat s’est poursuivi, que sur la période postérieure où le préjudice, qui s’analyse en une perte de chance, est purement hypothétique et qu’elle aurait quant à elle résilié le contrat de toutes façons, n’étant pas satisfaite des prestations de la société Supertek.
Même si elle soutient à juste titre qu’il n’est pas établi que M. [R], qui avait des compétences lui permettant d’aspirer à un poste de responsable que la société Supertek ne lui offrait pas, serait resté encore longtemps à son service, elle ne verse aucun élément attestant de son mécontentement envers la société Supertek, cependant qu’il se déduit plutôt de la chronologie des faits que la démission de M. [R] et son embauche s’inscrivaient dans la réorganisation de ses services par l’internalisation des prestations de maintenance, ce qui confirme que cette embauche n’est pas étrangère à la résiliation du contrat.
Le préjudice subi par la société Supertek, qui s’analyse en une perte de chance, sera justement indemnisé par l’allocation d’une somme de 30 000 euros.
Le jugement sera donc infirmé, et la société CGMI condamnée au paiement de cette somme.
sur les demandes accessoires :
Il apparaît inéquitable de laisser à la charge de la société Supertek les sommes, non comprises dans les dépens, exposées par elle dans le cadre de la procédure. Le jugement qui l’a condamnée au paiement d’une indemnité à ce titre sera infirmé, et la société CGMI condamnée à lui payer la somme de 3 000 euros sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.
La société CGMI sera condamnée aux entiers dépens.
PAR CES MOTIFS :
La cour, statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort,
Infirme le jugement rendu le 12 décembre 2019 par le tribunal de commerce de Bordeaux,
Statuant à nouveau,
Condamne la societé Compagnie Générale de Maintenance Immobilière SAS à payer à la société Supertek SASU la somme de 30 000 euros à titre de dommages et intérêts,
Condamne la societé Compagnie Générale de Maintenance Immobilière SAS à payer à la société Supertek SASU la somme de 3 000 euros sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,
Condamne la societé Compagnie Générale de Maintenance Immobilière aux entiers dépens.
Le présent arrêt a été signé par Mme Pignon, présidente, et par M. Goudot, greffier, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.