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CIV. 1
SG
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 15 juin 2022
Rejet non spécialement motivé
M. CHAUVIN, président
Décision n° 10469 F
Pourvoi n° F 20-19.221
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
DÉCISION DE LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, DU 15 JUIN 2022
1°/ M. [H] [W], domicilié [Adresse 3],
2°/ la société Cassius avocats, société d’exercice libéral à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 3],
ont formé le pourvoi n° F 20-19.221 contre l’arrêt rendu le 28 mai 2020 par la cour d’appel de Paris (pôle 5, chambre 5), dans le litige les opposant :
1°/ à M. [K] [D], domicilié [Adresse 2], de la société BTSG pris en qualité de mandataire judiciaire et de commissaire à l’exécution du plan de redressement judiciaire de la société Cassius avocats,
2°/ à la société GAC, dont le siège est [Adresse 1], venant aux droits de la société GAC conseil,
défendeurs à la cassation.
La société GAC a formé un pourvoi incident éventuel contre le même arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Le Gall, conseiller référendaire, les observations écrites de la SCP Delamarre et Jehannin, avocat de M. [W] et de la société Cassius avocats, de la SARL Boré, Salve de Bruneton et Mégret, avocat de la société GAC, après débats en l’audience publique du 10 mai 2022 où étaient présents M. Chauvin, président, Mme Le Gall, conseiller référendaire rapporteur, Mme Duval-Arnould, conseiller doyen, et Mme Tinchon, greffier de chambre,
la première chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu la présente décision.
1. Les moyens de cassation annexés, qui sont invoqués à l’encontre de la décision attaquée, ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
2. En application de l’article 1014, alinéa 1er, du code de procédure civile, il n’y a donc pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce pourvoi.
EN CONSÉQUENCE, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne M. [W] et la société Cassius avocats aux dépens ;
En application de l’article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par M. [W] et la société Cassius avocats et les condamne à payer à la société GAC la somme de 3 000 euros ;
Ainsi décidé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du quinze juin deux mille vingt-deux.
MOYENS ANNEXES à la présente décision
Moyens produits par la SCP Delamarre et Jehannin, avocat aux Conseils, pour M. [W] et la société Cassius avocats
PREMIER MOYEN DE CASSATION
Me [W] et la Selarl Cassius Avocats font grief à l’arrêt attaqué d’avoir condamné Me [W] à payer à la société GAC les sommes de 15 000 euros au titre du trouble commercial, 114 783 euros au titre du préjudice économique, et 10 000 euros au titre du préjudice d’image et de réputation, et d’avoir fixé la créance de la société GAC à l’égard de la Selarl Cassius Avocats aux sommes de 15 000 euros au titre du trouble commercial, 114 783 euros au titre du préjudice économique, et 10 000 euros au titre du préjudice d’image et de réputation ;
1/ ALORS QUE lorsque les appréciations portées sur un produit ou sur un service concernent un sujet d’intérêt général et reposent sur une base factuelle suffisante, leur divulgation relève du droit à la liberté d’expression, qui inclut le droit de libre critique, et ne saurait, dès lors, être regardée comme fautive, sous réserve qu’elles soient exprimées avec une certaine mesure ; que l’existence, le contenu, et la portée du monopole de rédaction des consultations juridiques reconnu aux avocats se rapportent à une question d’intérêt général dès lors que ledit monopole a pour fonction de garantir à chaque justiciable la compétence des rédacteurs de consultation à caractère juridique ; qu’en l’espèce, les faits de dénigrement imputés aux exposants consistaient en l’envoi de courriels relatant une décision de jurisprudence relative à l’illicéité de certaines pratiques de cabinets dits « cost killers », la sanction pénale de la violation du monopole et la nullité des conventions conclues en contravention avec le monopole (arrêt, p. 10 et 11) ; que ces courriels se rapportaient donc à un débat d’intérêt général, de sorte qu’en retenant pourtant leur caractère dénigrant, la cour d’appel a violé l’article 1382, devenu 1240, du code civil et l’article 10 de la Convention de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales ;
2/ ALORS QUE lorsque les appréciations portées sur un produit ou sur un service concernent un sujet d’intérêt général et reposent sur une base factuelle suffisante, leur divulgation relève du droit à la liberté d’expression, qui inclut le droit de libre critique, et ne saurait, dès lors, être regardée comme fautive, sous réserve qu’elles soient exprimées avec une certaine mesure ; qu’en l’espèce, les faits de dénigrement imputés aux exposants consiste en l’envoi de courriels relatant une décision de jurisprudence relative à l’illicéité de certaines pratiques de cabinets dits « cost killers », la sanction pénale de la violation du monopole et la nullité des conventions conclues en contravention avec le monopole (arrêt, p. 10 et 11) ; qu’à l’évidence ces informations reposaient sur une base factuelle suffisante puisqu’était rapportée l’existence d’une décision de justice définitive, qui, au demeurant, s’inscrivait dans un important courant jurisprudentiel ; qu’en retenant pourtant que le doute exprimé par les exposants sur l’activité des conseils d’audit se proposant de réaliser des audits des coûts sociaux de ses clients aurait été un acte de dénigrement, la cour d’appel a violé l’article 1382, devenu 1240, du code civil et l’article 10 de la Convention de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales ;
3/ ALORS QUE lorsque les appréciations portées sur un produit ou sur un service concernent un sujet d’intérêt général et reposent sur une base factuelle suffisante, leur divulgation relève du droit à la liberté d’expression, qui inclut le droit de libre critique, et ne saurait, dès lors, être regardée comme fautive, sous réserve qu’elles soient exprimées avec une certaine mesure ; que des critiques mêmes sévères, et formulées en des termes virulents, demeurent exprimées avec une mesure suffisante lorsqu’elles s’inscrivent dans un débat d’intérêt général, n’ont pas un caractère injurieux, et reposent sur des éléments factuels suffisants ; qu’en l’espèce, la cour d’appel a retenu que « ces mails ne sont pas seulement informatifs en ce qu’ils invoquent la nullité des contrats signés, des difficultés à venir pour les cocontractants qui ne réagiraient pas, les sanctions pénales encourues ce qui corrobore l’illégalité de l’activité poursuivie, et sont accompagnés de la proposition d’assister les sociétés qui n’auraient aucune obligation de payer les factures qui leur sont adressées » (arrêt, p. 10, dernier alinéa) ; qu’en en déduisant que les propos tenus seraient dénigrants, cependant qu’il était exact que des conventions conclues par des cabinets d’audit avaient été annulées en justice, et que le monopole des avocats est pénalement sanctionné, de sorte qu’à supposer même qu’ils aient été vivement exprimés, les propos étaient formulés avec une mesure suffisante, la cour d’appel a violé l’article 1382, devenu 1240, du code civil et l’article 10 de la Convention de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales ;
4/ ALORS QUE Me [W] et le cabinet Cassius soutenaient expressément dans leurs conclusions qu’en réalité deux séries de courriels avaient été adressés aux clients supposément démarchés ; qu’un premier courriel se bornait, dans le cadre d’une « newsletter », à informer de nombreux clients, anciens ou actuels, ainsi que des prospects de l’existence de l’arrêt du 18 septembre 2013 sans la moindre allusion à la société GAC ; que « c’est dans un second temps et sur demande d’entreprises ayant été rendues destinataires de la newsletter susvisée, que le cabinet CASSIUS a adressé un courriel personnalisé à ces dernières, fournissant cette fois une analyse sommaire des contrats signés avec la société GAC à la lumière de la décision définitive susvisée de la Cour d’appel de Paris, de nature à avoir un impact sur lesdits contrats » (conclusions, p. 10 et s., n° 34 et s.) ; qu’en se bornant à citer les courriels adressés dans un second temps par Me [W], sans aucunement répondre à ce chef déterminant des conclusions des exposants, la cour d’appel a violé l’article 455 du code de procédure civile.
DEUXIEME MOYEN DE CASSATION
Me [W] et la Selarl Cassius Avocats font grief à l’arrêt attaqué d’avoir condamné Me [W] à payer à la société GAC la somme de 114 783 euros au titre du préjudice économique, et d’avoir fixé la créance de la société GAC à l’égard de la Selarl Cassius Avocats à la somme de 114 783 euros au titre du préjudice économique ;
1/ ALORS QUE pour décider qu’existerait un lien de causalité entre le supposé démarchage imputé aux exposants et la résiliation du contrat liant la société Plein Sud à la société GAC, la cour d’appel a retenu que « la société GAC verse aux débats un courrier en date du 3 juin 2014, soit 7 jours après la résiliation de son contrat par la société Plein Sud, aux termes duquel le cabinet Cassius écrivait à ATM Avocats, missionné dans ce dossier par la société GAC, pour l’informer de ce qu’il défendait à présent la société Plein Sud dans le cadre des contentieux en cours relatifs à l’optimisation des taux de cotisation AT/MP de ses établissements » (arrêt, p. 11, alinéa 7) ; qu’un tel motif était manifestement inopérant à établir un quelconque lien de causalité entre le manquement contractuel imputé aux exposants, à savoir la violation de la clause de non-sollicitation, et le dommage dès lors que la circonstance que la société Plein Sud ait changé de représentant en justice n’impliquait aucunement qu’elle l’ait fait en raison du supposé démarchage imputé à faute ; qu’en statuant comme elle l’a fait, la cour d’appel a donc privé sa décision de base légale au regard de l’article 1147 du code civil, dans sa rédaction antérieure à l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 ;
2/ ALORS QUE la cour d’appel a elle-même constaté que la société NGE avait résilié le contrat la liant à la société GAC le 12 juillet 2012 (arrêt, p. 11, antépénultième alinéa), et que la société RDSL avait indiqué avoir rompu son propre contrat la liant à la société GAC en 2012 (arrêt, p. 11, dernier alinéa) ; que pour retenir qu’existait tout de même un lien de causalité entre ces résiliations et la faute imputée aux exposants, pourtant commise en 2013, la cour d’appel a considéré que « si cette résiliation est intervenue avant la signature du protocole d’accord, la SELARL Cassius Avocats était sous contrat avec la société GAC avec l’obligation de défendre les clients de cette société ce qui sous entendait de ne pas traiter directement avec eux ni les inciter à rompre leur contrat avec leur cocontractant » (arrêt, p. 11, pénultième alinéa) ; qu’en statuant ainsi quand aucune clause de non-concurrence ou de non-sollicitation n’était stipulée dans le contrat de mission et d’assistance et de représentation conclu entre les sociétés GAC et Cassius, ce qui interdisait d’y lire une quelconque obligation implicite ou sous-entendue de non concurrence, la cour d’appel a violé l’article 1134 du code civil, dans sa rédaction antérieure à l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, ensemble le principe de liberté du commerce et de l’industrie ;
3/ ALORS QUE la cour d’appel a elle-même constaté que la société NGE avait résilié le contrat la liant à la société GAC le 12 juillet 2012 (arrêt, p. 11, antépénultième alinéa), et que la société RDSL avait indiqué avoir rompu son propre contrat la liant à la société GAC en 2012 (arrêt, p. 11, dernier alinéa) ; que pour retenir qu’existait tout de même un lien de causalité entre ces résiliations et la faute imputée aux exposants, pourtant commise en 2013, la cour d’appel a considéré que « si cette résiliation est intervenue avant la signature du protocole d’accord, la SELARL Cassius Avocats était sous contrat avec la société GAC avec l’obligation de défendre les clients de cette société ce qui sous entendait de ne pas traiter directement avec eux ni les inciter à rompre leur contrat avec leur cocontractant » (arrêt, p. 11, pénultième alinéa) ; qu’en statuant ainsi quand les seuls éléments retenus à l’encontre de Me [W] consistaient à avoir incité les clients de la société GAC à rompre avec le cabinet d’audit par des courriels du mois d’octobre 2013, postérieurs aux résiliations des sociétés NGE et RDSL, la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard de l’article 1134 du code civil, dans sa rédaction antérieure à l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, ensemble le principe de liberté du commerce et de l’industrie ;
4/ ALORS ET EN TOUT ETAT DE CAUSE QUE le préjudice résultant de la seule disparition d’une probabilité favorable constitue une perte de chance ; que la réparation de la chance perdue ne peut être égale à la probabilité favorable perdue ; qu’en l’espèce, la cour d’appel a considéré que le préjudice économique subi par la société GAC correspondait à l’intégralité de la perte de marge qui serait résultée de la poursuite des contrats conclus entre ce cabinet et les clients prétendument démarchés par les exposants ; qu’en statuant ainsi, quand il n’était évidemment aucunement acquis qu’en l’absence du supposé démarchage lesdits clients n’auraient jamais résilié les contrats, la cour d’appel a violé l’article 1147 du code civil, dans sa rédaction antérieure à l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016.
TROISIEME MOYEN DE CASSATION (SUBSIDIAIRE)
Me [W] et la Selarl Cassius Avocats font grief à l’arrêt attaqué d’avoir condamné Me [W] à payer à la société GAC la somme de 15 000 euros au titre du préjudice commercial, et d’avoir fixé la créance de la société GAC à l’égard de la Selarl Cassius Avocats à la somme de 15 000 euros au titre du préjudice commercial ;
1/ ALORS QUE pour admettre l’existence d’un supposé préjudice d’image consécutif au dénigrement, la cour d’appel a adopté les motifs du jugement qui avait retenu que « présenté comme exerçant une activité illicite, le GAC a nécessairement perdu en crédibilité aux yeux de ses clients et s’est vu fragilisé sur son marché économique » (jugement, p. 9, alinéa 4) ; qu’il en résultait que le préjudice d’image de la société GAC avait donc pour objet de réparer sa perte de crédibilité auprès de ses clients et la fragilisation de sa position sur le marché, soit très précisément la même chose que la prétendue « perte de confiance auprès de sa clientèle habituelle » ainsi que la soi-disant gêne « dans son développement économique », déjà réparées au titre du trouble commercial ; qu’en condamnant pourtant les exposants à réparer un préjudice commercial correspondant à un dommage déjà réparé au titre du préjudice d’image, la cour d’appel a donc méconnu le principe de réparation intégrale sans perte, ni profit pour la victime, en violation de l’article 1382, devenu 1240, du code civil ;
2/ ALORS QUE la cour d’appel a elle-même considéré que la faute commise par les exposants aurait consisté à avoir tenu des propos dénigrants auprès de la clientèle de la société GAC ; qu’à supposer même qu’une telle faute ait été commise, il en résulte que c’est auprès de ses seuls clients que l’image de marque de la société GAC a pu être affectée ; qu’en retenant pourtant que le trouble commercial subi par celle-ci résultait également d’une perte de confiance auprès « de sa clientèle potentielle », la cour d’appel n’a aucunement caractérisé le lien de causalité entre la faute qu’elle retenait et le préjudice qu’elle réparait, en violation de l’article 1382, devenu 1240, du code civil.