Clause de non-sollicitation : 1 décembre 2020 Cour d’appel de Paris RG n° 19/00030

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Clause de non-sollicitation : 1 décembre 2020 Cour d’appel de Paris RG n° 19/00030
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Copies exécutoiresRÉPUBLIQUE FRANÇAISE

délivrées aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D’APPEL DE PARIS

Pôle 5 – Chambre 8

ARRÊT DU 1er DÉCEMBRE 2020

(n° / 2020 , 25 pages)

Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 19/00030 – N° Portalis 35L7-V-B7D-B67WY

Décision déférée à la cour : Jugement du 23 Novembre 2018 – Tribunal de commerce de Paris – RG n° 2014000609

APPELANTS

Monsieur [N] [R]

Né le [Date naissance 6] 1977 à [Localité 16]

Demeurant [Adresse 11]

[Localité 13]

SAS LINAGORA, prise en la personne de son président en exercice, Monsieur [N] [R], domicilié en cette qualité audit siège,

Immatriculée au RCS. de NANTERRE sous le numéro 431 473 669,

Ayant son siège social [Adresse 4]

[Localité 12]

SA LINAGORA GRAND SUD OUEST, prise en la personne de son président et directeur général, Monsieur [N] [R], domicilié en cette qualité audit siège,

Immatriculée au RCS. de TOULOUSE sous le numéro 414 316 125,

Ayant son siège social [Adresse 10]

[Localité 8]

SAS LINAGORA INVESTISSEMENTS, prise en la personne de son président en exercice, Monsieur [N] [R], domicilié en cette qualité audit siège,

Immatriculée au RCS de NANTERRE sous le numéro 434 023 842,

Ayant son siège social [Adresse 3]

[Localité 12]

Représentés et assistés de Me Richard WILLEMANT de la SELEURL WILLEMANT LAW, avocat au barreau de PARIS, toque :J106

INTIMÉS

Monsieur [F] [W]

Né le [Date naissance 1] 1973 à [Localité 17]

Demeurant [Adresse 2]

[Localité 7]

Monsieur [F] [B]

Né le [Date naissance 5] 1973 à [Localité 17]

Demeurant [Adresse 9]

[Adresse 18]

[Localité 8]

Représentés par Me Frédéric INGOLD de la SELARL INGOLD & THOMAS – AVOCATS, avocat au barreau de PARIS, toque : B1055,

Assistés de Me Elodie BAUDRAS, avocat au barreau de TOULOUSE, toque : 48

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions de l’ article 907 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 12 Octobre 2020, en audience publique, devant la cour, composée de :

Madame Marie-Christine HÉBERT-PAGEOT, Présidente de chambre,

Madame Anne-Sophie TEXIER, conseillère,

Madame Florence DUBOIS-STEVANT, conseillère,

qui en ont délibéré.

Un rapport a été présenté à l’audience par Madame Florence DUBOIS-STEVANT dans les conditions prévues à l’article 804 du code de procédure civile.

Greffier, lors des débats : Madame Liselotte FENOUIL

ARRÊT :

– contradictoire

– par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

– signé par Marie-Christine HÉBERT-PAGEOT, Présidente de chambre et par Liselotte FENOUIL, greffière, présente lors de la mise à disposition.

***

FAITS ET PROCÉDURE:

M. [F] [W] et M. [F] [B] ont créé en 1997 la société Aliasource spécialisée dans l’édition et l’intégration de solutions open source. Ils détenaient respectivement 21,8 % et 10,9 % du capital social. La société disposait de deux centres de formation, l’un à Toulouse et l’autre à Paris. Elle a en particulier développé le logiciel «’open business management’» (OBM), solution de messagerie et de travail collaboratif permettant de gérer et de partager les informations au sein d’une organisation.

M. [N] [R] est le fondateur et président de la société Linagora, ayant pour sigle ‘Linux’, créée en 2000 et intervenant sur le marché des prestations de services informatiques. Il est également actionnaire de la société Linagora investissements elle-même actionnaire de la société Linagora.

Par protocole en date du 14 mai 2007, la société Linagora a acquis la totalité des actions de la société Aliasource, M. [R] en devenant le président-directeur général, et MM. [W] et [B] sont devenus actionnaires de la société Linagora.

Le 12 juin 2007, MM. [W] et [B] ont adhéré au pacte d’actionnaires de la société Linagora comprenant une clause de non-concurrence et, le 13 juin 2007, ils ont conclu un contrat de travail avec la société Aliasource, devenue par la suite Linagora grand sud-ouest.

Le 22 avril 2010, M. [B] a démissionné de ses fonctions salariées avec effet le 29 juillet 2010.

Le 10 mai 2010, M. [W] a également démissionné de ses fonctions salariées avec effet le 10 août 2010.

Le 17 mai 2011, MM. [B] et [W] ont cédé leurs actions Linagora à la société Linagora.

Entre temps, le 12 octobre 2010, M. [W] a créé la société Blue mind à Toulouse et, en octobre 2011, M. [B] a rejoint cette société.

Estimant que MM. [W] et [B] n’avaient pas respecté leurs obligations, la société Linagora les a assignés devant le tribunal de commerce de Paris par acte du 24 décembre 2013. Les sociétés Linagora grand sud ouest et Linagora investissements et M. [R] sont intervenus volontairement.

Par jugement du 23 novembre 2018, le tribunal de commerce de Paris a :

– dit recevable l’intervention volontaire de la société Linagora grand sud ouest,

– débouté les sociétés Linagora, Linagora grand sud ouest et Linagora investissements et M. [R] de toutes leurs demandes,

– débouté MM. [W] et [B] de leur demande de dommages-intérêts,

– condamné in solidum les sociétés Linagora, Linagora grand sud ouest et Linagora investissements et M. [R] à payer à M. [B] la somme de 20.000 euros et à M. [W] la somme de 20.000 euros.

– condamné in solidum les sociétés Linagora, Linagora grand sud ouest et Linagora investissements et M. [R] aux dépens.

Le tribunal a considéré que la violation de la garantie légale d’éviction due par MM. [W] et [B], cédants, à la société Linagora, cessionnaire, n’était pas démontrée, que la clause de non-concurrence insérée dans le pacte d’actionnaires était illicite en l’absence de limitation géographique et de contrepartie financière et que les demandeurs ne démontrant pas la commission d’actes de concurrence déloyale n’établissaient pas la violation alléguée des obligations de loyauté et de fidélité pesant sur MM. [W] et [B] en leur qualité d’actionnaires de la société Linagora.

Par déclaration du 27 décembre 2018, les sociétés Linagora, Linagora grand sud ouest et Linagora investissements et M. [R] ont fait appel de ce jugement en intimant MM. [W] et [B].

Par dernières conclusions déposées au greffe et notifiées par voie électronique le 4 février 2020, les sociétés Linagora, Linagora grand sud ouest, Linagora investissement et M. [R] demandent à la cour :

– d’infirmer le jugement déféré en toutes ses dispositions, sauf en ce qu’il a déclaré recevable l’intervention volontaire de la société Linagora grand sud ouest et débouté MM. [W] et [B] de leurs demandes de dommages-intérêts ;

– statuant à nouveau :

– de les déclarer recevables et bien fondés en leur appel et leurs demandes ;

– de déclarer les sociétés Linagora grand sud ouest et Linagora investissements et M. [R] recevables et bien fondés en leur intervention volontaire ;

– de dire et juger que MM. [W] et [B] ont gravement violé leur obligation légale de garantie d’éviction en raison de leur fait personnel ;

– de dire et juger que MM. [W] et [B] ont gravement manqué à leurs obligations contractuelles de non-concurrence, non rétablissement, non débauchage et non sollicitation stipulées par le pacte d’actionnaires de la société Linagora ;

– de dire et juger qu’ils sont bien fondés en leurs demandes de réparation des préjudices subis du fait des agissements de MM. [W] et [B] ;

– en conséquence :

– d’interdire à MM. [W] et [B] de poursuivre leurs agissements causant un trouble à la jouissance paisible par la société Linagora des droits sociaux qu’elle a acquis dans la société Aliasource devenue Linagora grand sud ouest, et ce sous une astreinte provisoire de 500 euros par jour de retard à l’expiration d’un délai de 10 jours à compter de la signification de l’arrêt à intervenir ;

– de condamner MM. [W] et [B] à verser à la société Linagora respectivement la somme de 270.304 euros et celle de 135.437 euros au titre de la restitution partielle du prix de cession des actions Aliasource et des compléments de prix ;

– de condamner in solidum MM. [W] et [B] à verser à la société Linagora la somme de 1.725.000 euros à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice subi au titre du gain manqué présent et futur issu de la perte de bénéfices distribués par la société Aliasource devenue Linagora grand sud ouest ;

– de condamner MM. [W] et [B] à verser aux sociétés Linagora et Linagora investissements et à M.  [R] respectivement la somme de 312.144 euros et celle de 153.216 euros à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice subi du fait des manquements graves à leurs obligations contractuelles de non-concurrence en qualité ‘d’hommes clés’ et à leur devoir général de loyauté, de fidélité et d’information en leur qualité d’actionnaires dirigeants ‘hommes clés’ ;

– de condamner in solidum MM. [W] et [B], au titre de leur responsabilité délictuelle, à verser à la société Linagora grand sud ouest :

– la somme de 405.740 euros à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice subi résultant du gain manqué et de la perte de chance du fait du détournement de la clientèle de cette société ;

– la somme de 250.000 euros à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice moral et du préjudice d’image résultant du dénigrement du logiciel OBM propriété exclusive de cette société ;

– la somme de 672.639 euros à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice subi résultant des dépenses d’investissement perdu par la captation parasitaire du savoir-faire de cette société ;

– la somme de 76.000 euros à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice subi résultant du coût des recrutements dus au débauchage des salariés de cette société ;

– d’ordonner, à titre de complément de dommages-intérêts, la publication de l’intégralité du dispositif de l’arrêt à intervenir, ainsi que d’extraits de la motivation de cet arrêt qui seront choisis par les appelants, dans cinq journaux ou publications de leur choix et aux frais avancés supportés in solidum par MM. [W] et [B] sur simple présentation des devis justificatifs, sans que le coût de chaque insertion ne puisse excéder la somme de 8.000 euros HT, soit la somme totale de 40.000 euros HT ;

– à titre subsidiaire sur l’évaluation du préjudice, de désigner tel expert judiciaire en matière d’évaluation de préjudice qu’il plaira à la cour avec pour mission de :

– se faire remettre par les parties ou leurs conseils tous éléments utiles, et notamment leurs écritures et les pièces versées aux débats incluant tous les éléments relatifs au marché public en cause ;

– entendre les parties, leurs conseils et tout sachant, y compris les experts judiciaires qui ont été sollicités par les parties ;

– procéder à une évaluation du préjudice financier subi par les sociétés Linagora, Linagora grand sud ouest et Linagora investissements et M. [R], en précisant ses références, bases et méthodes de calculs, en procédant à un chiffrage distinct pour chacun des postes de préjudice ;

– déposer son rapport dans un délai de trois mois à compter de la date à laquelle il aura été avisé de la consignation de la provision à valoir sur sa rémunération ;

et d’autoriser l’expert judiciaire à se faire assister par tout sapiteur de son choix, indépendant des parties, de fixer le montant total de la consignation à valoir sur la rémunération de l’expert judiciaire qui devra être versé au préalable par chacune des parties pour moitié et de réserver le sort des dépens et des frais irrépétibles afférents à l’expertise judiciaire ;

– en tout état de cause, de débouter MM. [W] et [B] de l’ensemble de leurs demandes et de les condamner in solidum à leur verser la somme de 150.000 euros, au titre des frais irrépétibles sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’aux dépens.

Par dernières conclusions déposées au greffe et notifiées par voie électronique le 10 février 2020, MM. [W] et [B] demandent à la cour :

– de réformer le jugement en ce qu’il a rejeté leur demande tendant à faire condamner les sociétés Linagora, Linagora grand sud ouest et Linagora investissements et M.  [R] pour procédure abusive et les a déboutés de leur demande de dommages-intérêts de 20.000 euros chacun en réparation du préjudice résultant de la présente procédure abusive ;

– statuant à nouveau sur leurs demandes reconventionnelles, de dire et juger que les sociétés Linagora, Linagora grand sud ouest et Linagora investissements et M.  [R] ont abusé de leur droit d’agir en justice et, en conséquence, de les condamner à leur verser la somme de 20.000 euros chacun en réparation du préjudice résultant de la présente procédure abusive ;

– de confirmer le jugement sur ses autres chefs ;

– en tout état de cause à titre principal :

– de constater que l’appel partiel interjeté le 27 décembre 2019 par les sociétés Linagora, Linagora grand sud ouest et Linagora investissements et M.  [R] ne mentionnait aucune critique relative à leur demande d’expertise aux fins d’évaluation du préjudice, par conséquent, de déclarer irrecevable la demande d’expertise aux fins d’évaluation du préjudice formulée par voie de conclusions en date du 4 février 2020 ;

– de constater que les sociétés Linagora, Linagora grand sud ouest et Linagora investissements et M.  [R] n’ont communiqué aucune conclusion en réponse à leurs conclusions d’appel incident du 27 juin 2019 dans le délai de trois mois qui leur était imparti et, par conséquent, de déclarer irrecevable toute défense formulée par les sociétés Linagora, Linagora grand sud ouest et Linagora investissements et M.  [R] à l’encontre de leur appel incident ;

– en tout état de cause, de débouter les sociétés Linagora, Linagora grand sud ouest et Linagora investissements et M.  [R] de l’ensemble de leurs demandes à leur encontre ;

– à titre subsidiaire, sur le préjudice, de constater l’absence de préjudice des sociétés Linagora, Linagora grand sud ouest et Linagora investissements et de M.  [R] et, à titre infiniment subsidiaire, de ramener le préjudice aux conséquences économiques négatives effectivement subies par les sociétés Linagora, Linagora grand sud ouest et Linagora investissements et M. [R] ;

– en toute hypothèse, de condamner les sociétés Linagora, Linagora grand sud ouest et Linagora investissements et M.  [R] à leur payer la somme de 40.000 euros chacun sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux dépens d’appel.

SUR CE,

Les appelants demandent la confirmation du jugement en ce qu’il a déclaré recevable l’intervention volontaire de la société Linagora grand sud ouest, étant précisé que celle de la société Linagora investissements et de M. [R] n’avait pas été discutée devant les premiers juges. MM. [W] et [B] ne demandant pas l’infirmation de ce chef du jugement, il convient de faire droit à la demande de confirmation formée par les appelants.

1. Sur la garantie légale d’éviction

1.1. Sur la violation de l’obligation

La société Linagora invoque la garantie légale d’éviction, prévue par les articles 1625 et suivants du code civil, et soutient que MM. [W] et [B] ont commis des manoeuvres destinées à capter ou détourner, même partiellement, les actifs clés de la société Aliasource cédée et que ces manoeuvres ont constitué une éviction partielle de leur fait personnel à son égard.

La société Linagora grand sud ouest soutient qu’elle est fondée à réclamer la réparation des préjudices qu’elle a subis sur le fondement de la responsabilité délictuelle à raison de la violation dolosive des obligations contractuelles de MM. [W] et [B] au titre de leur garantie d’éviction et à raison de l’action en garantie d’éviction, la société dont les parts sociales ont été cédées étant recevables agir en indemnisation.

Elles font valoir que MM. [W] et [B] sont les auteurs d’une éviction partielle pour troubles de fait pour s’être rétablis en constituant la société Blue mind afin d’exercer une activité identique ou similaire à celle de la société Aliasource auprès de la même clientèle, sur le même marché et en offrant un logiciel de messagerie collaborative et des services afférents concurrents à ceux de la société cédée, pour avoir détourné une partie du savoir-faire cédé, notamment par des actes de reprise illicite du code source du logiciel OBM, par l’appropriation de modules de ce logiciel et par l’utilisation des documents commerciaux de la société Aliasource, pour avoir capté une partie de la clientèle cédée qui a disparu du fonds de la société Aliasource devenue Linagora grand sud ouest pour apparaître dans le fonds de la société Blue mind jusqu’à représenter plus de la moitié du chiffre d’affaires de celle-ci, et pour avoir débauché massivement tous les membres de l’équipe-clé (‘core team’) de la société cédée provoquant ainsi une désorganisation grave de celle-ci.

MM. [W] et [B] soutiennent que leur rétablissement n’est pas illicite dès lors qu’il ne s’est pas réalisé dans le cadre d’actes de concurrence déloyale et qu’il n’a pas empêché la poursuite de l’activité de la société Aliasource, que la société Linagora ne démontre pas l’existence d’un détournement de clientèle, faute pour elle de prouver que la société Blue mind a eu pour clients ceux de la société Aliasource pour des produits et prestations identiques à ceux de celle-ci, ni des agissements de démarchage de leur part, que la société Linagora manque également à démontrer le détournement d’un savoir-faire dont, de surcroît, elle ne rapporte pas la preuve du caractère confidentiel, qu’en particulier le logiciel OBM est un logiciel libre accessible à chacun et qu’aucune reprise du code source au sein du logiciel Blue mind n’a été établie, qu’aucun fait de débauchage de salariés n’est démontré, le départ de salariés de la société Aliasource devenue Linagora grand sud ouest étant imputable aux méthodes et comportements de la nouvelle direction et les personnes concernées ayant été d’abord recrutées par d’autres sociétés avant de rejoindre la société Blue mind en 2012 ou 2013, que la société Linagora ne rapporte pas non plus la preuve qu’ils sont à l’origine d’une désorganisation de la société Aliasource alors qu’un transfert de compétences concernant le logiciel OBM a pu s’opérer au sein de la société Aliasource avant leur propre départ et celui de certains salariés et qu’ainsi aucun trouble de jouissance n’est démontré.

Sur ce,

La garantie légale d’éviction du fait personnel du vendeur des actions d’une société interdit au cédant tout agissement ayant pour effet d’empêcher l’acquéreur de poursuivre, même partiellement, l’activité économique de la société cédée et de réaliser l’objet social. Si le cessionnaire qui l’invoque doit faire la démonstration d’un tel effet, il n’a pas à faire la démonstration du caractère fautif ou déloyal des agissements qu’il reproche au cédant.

En l’espèce, MM. [W] et [B] et les autres actionnaires ont cédé la totalité des actions de la société Aliasource à la société Linagora par acte du 14 mai 2007. M. [W] a créé la société Blue mind, à Toulouse, le 12 octobre 2010, et, en octobre 2011, M. [B] a rejoint cette société et ce, après avoir quitté leur emploi salarié au sein de la société Aliasource, devenue Linagora grand sud ouest, le 29 juillet 2010 s’agissant de M. [B] et le 10 août 2010 s’agissant de M. [W], la cession de leurs actions Linagora étant intervenue le 17 mai 2011.

En leur qualité de cédants de leurs actions de la société Aliasource, MM. [W] et [B] étaient tenus, à l’égard de la société Linagora, de l’obligation légale de garantie d’éviction telle que prévue par les articles 1625 et suivants du code civil.

La société Linagora leur reproche à ce titre de s’être rétablis par l’intermédiaire de la société Blue mind, d’avoir détourné une partie du savoir-faire de la société Aliasource, d’avoir capté une partie de la clientèle cédée et d’avoir débauché les salariés de la société Aliasource composant l’équipe ayant créé le logiciel de messagerie collaborative OBM. Il convient d’examiner chacun de ces griefs et d’apprécier, le cas échéant, s’ils ont eu pour effet d’empêcher la société Linagora de poursuivre, même partiellement, l’activité économique de la société Aliasource et de réaliser son objet social.

– sur le rétablissement de MM. [W] et [B] dans l’exercice d’une activité concurrente à celle de la société cédée :

Au jour de sa cession à la société Linagora et selon le protocole de cession, la société Aliasource avait pour objet la création, le développement, l’édition et la commercialisation de logiciels informatiques et pour principale activité la prestation de services informatiques, et était spécialisée dans les logiciels libres et le développement et l’intégration de logiciels. Plus précisément, l’annexe 1.1 (d) du protocole de cession indique qu’elle intervient en matière de conseil, d’ingénierie, de formation, de support et de tierce maintenance applicative. La société Aliasource a en particulier conçu le logiciel OBM. L’annexe 10.7 (c) du protocole de cession énumère comme contrats en cours conclus par la société cédée représentant un chiffre d’affaires de 90.000 euros HT ceux conclus avec la direction générale de l’armement du ministère de la défense, le ministère de la culture, le ministère de l’intérieur, l’Assemblée nationale et ‘AGI Udaf’.

La société Blue mind a été créée par M. [W] trois ans et demi après qu’il a cédé ses actions Aliasource. Selon l’extrait k-bis, elle a pour objet le conseil en technologie, système d’information, organisation, stratégie et développement de société. Selon ses statuts, qui reprennent ces termes, son objet est ‘d’une façon générale, toutes opérations commerciales, industrielles, mobilières ou financières se rapportant directement ou indirectement ou pouvant être utiles à cet objet ou susceptibles d’en faciliter la réalisation’. M. [B] a rejoint la société Blue mind en octobre 2011 un an après sa création.

Sa présentation sur son site internet, telle que décrite par un constat d’huissier produit par la société Linagora, indique, au 9 mars 2012, que la société Blue mind, présente dans le département de Haute-Garonne, a été développée par ‘l’équipe qui a mené les plus grands projets français de messagerie open source’ et qu’elle ‘apporte une nouvelle vision fonctionnelle aux solutions de messagerie, d’agendas et de contacts partagés, en s’ouvrant vers les espaces collaboratifs multiorganismes et ‘l’open innovation’ portée par une nouvelle dimension technologique’.

Le 22 novembre 2011, sur le site Linkedin, M. [E], salarié de la société Aliasource puis de la société Linagora grand sud ouest jusqu’au 1er octobre 2010, a publié le message suivant :’aujourd’hui, après une longue durée gestation (sic), nous vous annonçons la naissance d’un nouveau projet/produit opensource ‘Blue mind’ messagerie et espaces collaboratifs’.

Selon l’expertise judiciaire, ordonnée dans le cadre de l’action en contrefaçon et concurrence déloyale introduite par les sociétés Linagora et Linagora grand sud ouest, la première version du code du logiciel de la société Blue mind a été déposée en mars-avril 2012 et le développement peut avoir démarré en octobre 2011, ce qui est cohérent avec le message de M. [E].

Début avril 2012, la société Blue mind a présenté publiquement le logiciel qu’elle a développé, ce logiciel étant une solution de messagerie collaborative open source comme l’indique un article de presse numérique paru sur le site Mid e-news se définissant comme ‘l’actualité des TIC dans le sud-ouest’. Sur ce même site, la société Blue mind revendique comme clients le centre hospitalier du Gers, la mairie de Saint-Ouen, le syndicat des transports d’Ile-de-France, le groupe Les Chalets.

A partir du printemps 2012, la société Blue mind offre ses services de messagerie à divers interlocuteurs en répondant à des sollicitations ou des appels d’offre de Méteo France, la Ville de Saint-Ouen, les centres hospitaliers du Gers et de [Localité 15], le conseil départemental du Tarn-et-Garonne, AG2R, le STIF, ou en adressant des devis (société H3C énergies), comme cela résulte des courriels internes à la société saisis dans le cadre de la saisie-contrefaçon et des réponses aux appels d’offre versées aux débats. Ces courriels font également apparaître que les projets commandés par la Ville de Saint-Ouen, le centre hospitalier du Gers, le conseil départemental du Tarn-et-Garonne et AG2R sont déjà en production.

En juin 2012, la société Blue mind a participé au salon professionnel dédié aux solutions Linux. Elle s’y présente comme spécialisée dans la messagerie collaborative open source.

Dans un courriel du 16 juillet 2012, M. [W], sollicité par un prospect souhaitant obtenir des références, décrit la société Blue mind comme une nouvelle entreprise devant lancer un nouveau produit début septembre 2012 mais aussi comme ayant de l’expérience, son équipe étant celle ayant développé le logiciel OBM et mené les principaux projets de messagerie open source en France, et comme étant ‘le successeur naturel d’OBM’. Dans ce même message, M. [W] cite comme références des administrations publiques, dont le ministère de la culture, et l’Assemblée nationale, ces deux entités ayant été des clients de la société Aliasource au jour de sa cession à la société Linagora.

MM. [W] et [B] énoncent eux-mêmes dans leurs écritures que le logiciel Blue mind, dans sa version finale, a été mise en ligne le 29 octobre 2012.

La description des activités de la société Blue mind dans ses statuts, sur son site internet et à l’occasion de la présentation de sa propre solution logicielle de messagerie auprès d’un public professionnel et de potentiels clients et les réponses à des appels d’offres montrent que la société Blue mind exerce une activité en tous points similaire à celle de la société Aliasource, devenue Linagora grand sud ouest, intervient sur le même marché des services informatiques et propose en particulier des solutions de messagerie et de travail collaboratif de type open source.

M. [W] s’est ainsi rétabli, par l’intermédiaire de la société Blue mind, dans l’exercice d’une activité professionnelle directement concurrente à celle de la société Aliasource, devenue Linagora grand sud ouest, étant observé en outre que les deux sociétés sont installées dans le même département. Il en est de même de M. [B] qui a rejoint la société Blue mind en octobre 2011. Ce rétablissement est susceptible de caractériser un trouble de jouissance paisible.

– sur le détournement d’une partie du savoir-faire cédé :

La société Linagora soutient que MM. [W] et [B] ont porté une atteinte à la jouissance paisible du savoir-faire de la société Aliasource caractérisée par la reprise du code source du logiciel OBM, l’appropriation de deux modules de ce logiciel (‘OBM-SYNC’ et ‘OPUSH’) et l’utilisation des documents commerciaux de la société Aliasource.

S’agissant de ce dernier point, la société Linagora ne désigne pas les documents commerciaux de la société Aliasource auxquels elle se réfère ni ne produit aucune pièce établissant l’utilisation reprochée à MM. [W] et [B].

Aux termes de l’article 10.4 du protocole de cession relatif aux déclarations des garants quant aux actifs, la société cédée est ‘propriétaire (…) de tous les développements/codes sources ainsi que de tout savoir-faire et autres droits de propriété intellectuelle nécessaires à son activité telle qu’actuellement exercée et dont la liste figure en annexe 10.4 (a)’. Cette liste comprend, au titre des développements et codes sources, ‘aliamin, ‘OBM’, ‘connecteur Outlook pour OBM’, ‘connecteur Thunderbird pour OBM’ et ‘connecteur Funambol pour OBM’. Seuls ces codes source et développements, à l’exclusion de tout savoir-faire, dont aucun n’a été ni défini ni inclus dans l’annexe 10.4 (a), ont donc été considérés par les parties à la cession comme nécessaires à la poursuite de l’activité économique de la société Aliasource.

Concernant l’appropriation du module OPUSH, il ressort de l’expertise judiciaire, ordonnée par le tribunal de grande instance de Bordeaux dans la cadre de l’action en contrefaçon et concurrence déloyale introduite par les sociétés Linagora et Linagora grand sud ouest, qu’au jour de la cession de la société Aliasource, le logiciel OBM ne comprenait pas ce module qui a été développé en 2009 par un salarié de la société Linagora grand sud ouest, M. [Y], et dont la titularité est discutée. L’utilisation de ce module par la société Blue mind ne peut donc caractériser un trouble dans la jouissance paisible des codes et développements cédés.

Il ressort de cette même expertise que :

– les logiciels examinés (OBM-SYNC et BM-CORE) ne comprennent pas d’amélioration substantielle de l’état de l’art au sens de l’innovation,

– la comparaison des versions beta du 31 mars 2012 et 1.0 du 29 octobre 2012 de BM-CORE avec OBM-SYNC montre que 12.973 des 17.084 lignes de code d’OBM-SYNC, soit 75 % des instructions, ont été reprises dans BM-CORE et que ces lignes reprises d’OBM-SYNC représentent 15 % des lignes de BM-CORE qui sont alors au nombre de 83.859,

– BM-CORE a comme paternité OBM-SYNC mais il n’y a pas eu jusqu’en 2014 de référencement de la paternité de Linagora pour le logiciel OBM-SYNC dans BM-CORE.

Ce défaut de référencement de la paternité de Linagora est confirmé par des courriels des 14 et 31 mars 2012 de M. [W] à son équipe faisant état d’une démarche de suppression des mentions faisant référence à ‘obm’ dans le code source de BM-CORE.

Ces constats démontrent la reprise par la société Blue mind d’une partie du code source du logiciel OBM et, en particulier, une appropriation du module OBM-SYNC, cette reprise étant en outre empreinte de dissimulation dans le code source de BM-CORE au moins jusqu’en 2014 puisque les mentions de paternité y ont été supprimées. Le caractère open source du code d’OBM ne justifie pas une telle réappropriation par MM. [W] et [B], via la société Blue mind, au regard de leurs obligations de cédants de la société Aliasource. Elle est susceptible de caractériser un trouble de jouissance paisible.

– sur le débauchage massif de tous les membres de l’équipe-clé (‘core team’) de la société cédée provoquant une désorganisation grave de celle-ci :

La société Linagora soutient que MM. [W] et [B] ont conçu et mis en oeuvre une stratégie de débauchage des membres de l’équipe-clé de la société Aliasource qui avait développé le logiciel OBM en vue de leur recrutement par la société Blue mind à l’expiration de la clause de non-concurrence qui s’imposait à ces salariés et que ce débauchage a provoqué une désorganisation grave de la société Aliasource devenue Linagora grand sud ouest.

MM. [W] et [B] ne contestent pas que la société Blue mind a embauché MM. [Y], [E], [O], [T], [H] et [P], que ces salariés ont été salariés de la société Aliasource et qu’ils ont démissionné de la société après son rachat par la société Linagora.

Avant leur embauche par la société Blue mind courant 2012, ces personnes ont été salariées de la société Aliasource puis de Linagora grand sud ouest comme suit :

– M. [H] : du 22 novembre 1999 au 14 décembre 2010, date d’effet de sa démission du15 septembre 2010,

– M. [Y] : du 1er septembre 2001 au 1er octobre 2010, date d’effet de sa démission du 26 juin 2010,

– M. [P] : du 9 octobre 2001 au 21 janvier 2011, date d’effet de sa démission du 18 octobre 2010.

– M. [O] : du 15 novembre 2004 au 10 novembre 2010, date d’effet de sa démission du 15 juillet 2010,

– M. [T] : du 5 septembre 2005 au 31 mai 2010, date d’effet de sa démission,

– M. [E] : du 19 juin 2006 au 1er octobre 2010, date d’effet de sa démission du 20 juillet 2010,

Dès lors que la société Linagora reproche aux intimés le débauchage de ces seuls salariés et que l’éviction est susceptible d’être caractérisée par le seul recrutement de ces mêmes personnes par la société Blue mind sans que ce recrutement revêt en lui-même un caractère fautif, le débat instauré par les parties sur le nombre plus grand de départs de salariés entre 2009 et 2013 et son importance relative et sur les raisons ayant conduit les salariés à démissionner de la société Linagora grand sud ouest est sans intérêt pour apprécier l’existence de l’éviction alléguée. De même, la circonstance que les six salariés recrutés par la société Blue mind ne l’ont été que plusieurs mois après leur départ de la société Linagora grand sud ouest et après avoir travaillé pour d’autres sociétés n’est pas de nature à écarter une éviction dont le caractère fautif n’a pas à être démontré pour être établie.

Or, MM. [Y], [E], [O], [T], [H] et [P] ont constitué, avec MM. [W] et [B], le personnel qui avait développé la solution OBM au sein de la société Aliasource cédée à la société Linagora.

Dès le 22 novembre 2011, M. [E] annonçait ainsi sur son blog ‘la naissance d’un nouveau projet/produit opensource ‘Blue mind’ et le ‘retour de la dream team’ et citait les membre de cette équipe : MM. [W], [B], [Y], [O], [T], [H] et [P] et lui-même.

Dans un courriel du 10 avril 2012 adressé à un ami, M. [W] explique avoir créé la société Blue mind dix jours après son départ de la société Linagora grand sud ouest et avoir relancé un projet similaire avec ‘les 8 de feu l’équipe OBM’. Dans un autre courriel du 28 mars 2012 de réponse à une offre de prestation formulée par Meteo France, M. [W] présente sa société Blue mind comme comprenant ‘l’équipe créatrice du logiciel OBM et du déploiement des messageries de différents ministères, Inserm, Assemblée nationale et autres références’.

La reconstitution de cette équipe ayant développé le logiciel OBM est un argument commercial présenté par la société Blue mind dans une réponse à un appel d’offres du conseil départemental du Tarn-et-Garonne, en date du 10 avril 2012. Il y est en effet indiqué que la société Blue mind a été créée ‘par l’équipe ayant réalisé les plus grands projets de messagerie open source’, que c’est cette équipe qui a créé le projet OBM et l’a géré jusqu’en 2010 et que, s’agissant du projet en cause, elle a pour collaborateurs MM. [H] et [E] et peut compter sur d’autres experts tels que MM. [Y], [P], [T] et [O].

Il est ainsi établi que la société Blue mind a recruté le personnel qui avait été essentiel à l’activité de la société Aliasource cédée à la société Linagora. La cour relève en outre que la reconstitution de cette équipe-clé en dehors de la société Linagora grand sud ouest a été envisagée dès juin 2010 par M. [W] comme le révèle l’un de ses courriels du 10 juin 2010 adressé à M. [U] de la société E-deal exposant les options juridiques permettant l’intégration de ce personnel dans une nouvelle structure. Il affirme ainsi : ‘J’en ai parlé à [C] [[Y]] hier. Globalement il est très positif (ça lui permet de quitter rapidement la société) et de faire une activité qui a un intérêt (…). Sur le mode, il suivra dans tous les cas, mais il avait une légère appréhension sur l’aspect monter une structure uniquement due au fait, de peur, de sentiment de traitement privilégié par le reste de l’équipe. En gros, il ne veut pas que l’équipe obm pense qu’il soit privilégié dans notre futur projet car il créé avec moi de suite et que donc dans un an il soit en position différente des autres de l’équipe. Donc sentiment noble et je traite cet aspect psychologie d’équipe avec l’équipe (j’en ai déjà parlé à 2 il n’y a pas de soucis). Toute l’équipe vient chez moi samedi 3 juillet. (…)’.

Le débauchage de l’équipe-clé de la société cédée est ainsi établi sans qu’il y ait lieu d’apprécier ses conséquences en termes de désorganisation de la société Linagora grand sud ouest pour caractériser l’éviction.

– sur la captation d’une partie de la clientèle cédée :

La société Linagora soutient qu’au jour de la cession, la société Aliasource avait notamment pour clients le ministère de l’intérieur, EDF, AG2R, le CNRS, l’INSERM, le STIF, le conseil départemental du Tarn-et-Garonne, l’Institut national des sciences appliquées de Toulouse, le centre hospitalier du Gers, le groupe HLM Les Chalets, la société Ratier-Figeac, que sa clientèle représentait un chiffre d’affaires passé de 48.000 euros en 2006 à 510.000 euros en 2009, qu’à partir de 2010 cette clientèle a progressivement disparu du fonds de commerce de la société Aliasource pour apparaître dans celui de la société Blue mind et représenter jusqu’à 63 % du chiffre d’affaires de celle-ci en 2014.

L’annexe 10.7 (c) du protocole de cession énumère comme contrats en cours conclus par la société cédée représentant un chiffre d’affaires de 90.000 euros HT ceux conclus avec la direction générale de l’armement du ministère de la défense (contrat conclu à effet au 1er février 2007 d’une durée de 42 mois), le ministère de la culture (contrat conclu à effet au 2 mai 2007 d’une durée de 10 mois), le ministère de l’intérieur (contrat conclu à effet au 8 janvier 2007 d’une durée de 12 mois), l’Assemblée nationale (contrat conclu à effet au 3 mai 2007 d’une durée de 6 mois) et ‘AGI Udaf’ (contrat conclu le 1er juin 2006).

En pièce 186, la société Linagora indique que la société Aliasource avait comme clients en 2007, année de son acquisition, le ministère de l’intérieur, AG2R, le groupe HLM Les Chalets, EDF, l’Institut national des sciences appliquées de Toulouse (‘l’INSA’), le CNRS, l’INSERM, la société Weishardt, le conseil départemental du Tarn-et-Garonne, le STIF, représentant en 2007 un chiffre d’affaires de 289.000 euros sur un total de 2.278.000 euros. Elle ne fait donc pas état des contrats énumérés dans le protocole de cession.

MM. [W] et [B] ne contestent pas le fait que AG2R, le groupe HLM Les Chalets, EDF, l’INSA, le CNRS, l’INSERM et le conseil départemental du Tarn-et-Garonne étaient des clients de la société Aliasource au moment de sa cession. Ils affirment en revanche que le ministère de l’intérieur, la société Weishardt et le STIF le sont devenus en 2007 mais après la cession.

Concernant la société Weishardt, la société Linagora produit une proposition technico-commerciale en date du 20 novembre 2006 et un bon de commande en date du 26 mai 2010 et il ressort du grand livre clients de la société Aliasource que la facturation de prestations a été enregistrée à compter du 14 juin 2007, soit après la cession. Ainsi, la société Linagora manque à établir qu’au jour du protocole de cession du 14 mai 2007, la société Alisource avait pour cliente la société Wieshardt.

S’agissant du STIF, la société Linagora ne produit aucune pièce permettant d’établir qu’un contrat avait été conclu avec la société Aliasource avant sa cession et le grand livre clients fait apparaître une facturation au 31 décembre 2007 de sorte que la société Linagora manque également à établir qu’au jour du protocole de cession du 14 mai 2007, la société Aliasource avait pour cliente le STIF.

S’agissant du ministère de l’intérieur, le protocole d’acquisition fait mention d’un contrat conclu avec ce ministère à effet au 8 janvier 2007 et d’une durée de 12 mois, ce contrat expirant ainsi le 8 janvier 2008. Il doit donc être considéré que ce ministère était le client de la sociéré Aliasource au jour de sa cession, ce qu’au demeurant les intimés ne peuvent sérieusement contester puisque l’acquisition de la société Aliasource par la société Linagora a notamment été justifiée publiquement par l’obtention par la première d’un contrat avec le ministère de l’intérieur.

Parmi les clients existants au jour de la cession de la société Aliasource (AG2R, le groupe HLM Les Chalets, EDF, l’INSA, le CNRS, l’INSERM et le conseil départemental du Tarn-et-Garonne et le ministère de l’intérieur), la société Linagora affirme qu’ont cessé d’être des clients de la société Linagora grand sud ouest pour devenir clients de la société Blue mind la même année :

– EDF en 2010 (en 2011 dans le graphique),

– le groupe HLM Les Chalets en 2011 (en 2012 dans le graphique),

– l’INSA en 2011 selon le seul graphique,

– le conseil départemental du Tarn-et-Garonne en 2012,

– AG2R en 2012 (en 2013 dans le graphique),

– l’INSERM en 2012 selon le seul graphique,

– le CNRS en 2013 selon le seul graphique,

– le ministère de l’intérieur en 2014 (en 2013 dans le graphique).

S’agissant du CNRS, la société Linagora ne produit aucune pièce à l’appui de ses dires et MM. [W] et [B] les contestent affirmant que le laboratoire IPCMS du CNRS, client de la société Blue mind, n’a jamais été un client de la société Linagora grand sud ouest. La société Linagora ne précisant pas la structure du CNRS, qui comporte de très nombreux laboratoires et centres de recherche, qui aurait été cliente de la société Linagora grand sud ouest puis de la société Blue mind, et les intitulés du grand livre clients relatifs à la facturation du CNRS ne permettant pas d’établir que le laboratoire IPCMS a été un client de la société Linagora grand sud ouest, le détournement de clientèle allégué n’est pas établi.

S’agissant d’EDF, la société Linagora ne produit pas non plus de pièce à l’appui de ses dires. Toutefois, le grand livre clients montre que la société Linagora grand sud ouest a émis des factures à l’égard d’EDF jusqu’au 3 août 2010, le dernier paiement étant intervenu le 15 octobre suivant. MM. [W] et [B] affirment que la société Linagora grand sud ouest n’avait pas donné suite à sa mission chez EDF. M. [I], représentant EDF, indique dans une attestation que M. [W] a un rôle d’expert et conseil en sécurité du système d’information du département dont il a la direction, et ce depuis 2003, qu’à son départ de la société Linagora, il lui avait demandé de poursuivre son accompagnement du département sans considération de sa nouvelle structure d’accueil et que fin 2009 M. [W] avait organisé un rendez-vous avec une commerciale de la société Linagora qui n’avait pas donné de suite à cet entretien. Il se déduit de l’ensemble de ces éléments que la prestation de la société Linagora grand sud ouest a cessé après le départ de MM. [W] et [B], le second ayant quitté la société le 31 juillet 2010 et le premier ayant démissionné de ses fonctions de salarié le 10 août 2010 et créé la société Blue mind en octobre 2010, et que M. [W] a fourni à EDF les prestations auparavant assurées par la société Linagora grand sud ouest, peu important les raisons qui ont amené EDF à changer de prestataire.

Concernant l’INSA, MM. [W] et [B] indiquent qu’en 2012, selon le grand livre clients, la société Linagora grand sud ouest avait encore comme client l’INSA, qu’elle a perdu ce client en 2013 et que la société Blue mind a fourni à l’INSA en 2014 une prestation de support de la messagerie sans rapport, selon eux, avec la prestation précédemment fournie par la société Linagora grand sud ouest. Il n’est donc pas contesté par les intimés que l’INSA était toujours client de la société Linagora grand sud ouest lors de leur départ de celle-ci et qu’il est devenu client de la société Blue mind en 2014. La prestation fournie portant sur la messagerie de l’INSA et étant ainsi susceptible d’être fournie par la société Linagora grand sud ouest, il est indifférent que l’intervention de la société Blue mind n’ait pas porté sur les mêmes prestations que celles que la société Linagora grand sud ouest avait préalablement fournies.

Concernant l’INSERM, la société Linagora produit une lettre de cet établissement, en date du 20 juillet 2015, l’informant qu’elle n’a pas été retenue dans le cadre d’un appel d’offres portant sur la maintenance et le support de la messagerie et des outils collaboratifs et que le candidat attributaire du marché est la société Blue mind. La société Linagora a donc bien perdu ce client, quelle qu’en soit la raison, au profit de la société Blue mind. Il est à relever que dès juin 2012 M. [W], selon un courriel du 20 juin 2012 rendant compte de sa participation au salon Linux, a discuté avec les services de l’INSERM ‘de la méthode (administrative) pour passer à BM’.

Par lettre du 20 janvier 2011, la société d’HLM Les Chalets a résilié le contrat support OBM conclu avec la société Linagora grand sud ouest et ce, à la date de son échéance, le 30 juin 2011 selon une attestation produite par les intimés. Dans un courriel du 23 avril 2012 adressé à la responsable informatique d’une université l’informant de la sortie prochaine du logiciel Blue mind, M. [W] indique avoir signé un contrat avec cette société Les Chalets. De même, dans une réponse à une consultation, datée du 30 mai 2012, la société Blue mind précise assurer, au profit de la société Les Chalets, le support de la solution messagerie/agendas/annuaire actuelle et la migration vers le logiciel Blue mind. Il est ainsi établi que la société Les Chalets a mis un terme à sa relation contractuelle avec la société Linagora grand sud ouest au profit de la société Blue mind.

Concernant le conseil départemental du Tarn-et-Garonne, le grand livre clients de la société Linagora grand sud ouest montre qu’elle lui a facturé en octobre 2010 des prestations pour un montant total de 18.418,40 euros, la facture ayant été réglée le 29 décembre suivant, et qu’en 2011 aucune facturation n’a été faite. Le conseil départemental du Tarn-et-Garonne a donc mis un terme à sa relation contractuelle avec la société Linagora grand sud ouest après le départ de MM. [W] et [B] et la constitution de la société Blue mind. La société Blue mind a, quant à elle, répondu, le 10 avril 2012, à un appel d’offres du conseil départemental du Tarn-et-Garonne portant sur ‘une prestation d’assistance, maintenance et évolution de l’architecture Linux et services associés’, sa proposition étant de procéder à une migration des logiciels Aliamin et OBM, inclus dans le protocole d’acquisition de la société Aliasource, vers le logiciel BM. Dans le courriel précité du 23 avril 2012, M. [W] inclut dans les contrats alors signés par la société Blue mind un contrat avec la société Les Chalets et, dans la réponse à la consultation précitée du 30 mai 2012, la société Blue mind indique avoir un projet en cours avec le conseil départemental du Tarn-et-Garonne correspondant à l’appel d’offres d’avril 2012. Un échange de courriels entre la société Blue mind et le conseil départemental, du 22 mai 2012, montre enfin la mise en place de l’outil de suivi du projet. Il est ainsi établi que la société Blue mind a répondu et emporté un appel d’offres du conseil départemental du Tarn-et-Garonne en 2012 après que celui-ci a mis un terme à sa relation contractuelle avec la société Linagora grand sud ouest, ce terme étant intervenu après la constitution de la société Blue mind.

Concernant AG2R, le grand livre clients de la société Linagora grand sud ouest montre qu’elle lui a facturé des prestations jusqu’en 2012, une dernière facture portant la mention 2012 étant émise et payée en janvier 2013. Le 6 mars 2012, la société Linagora grand sud ouest a informé AG2R qu’elle ne postulerait pas à un nouvel appel d’offres et, selon la représentante d’AG2R s’exprimant dans un courriel interne, la société Linagora grand sud ouest a expliqué qu’elle avait perdu la compétence technique pour les développements de l’application Diode objet de l’appel d’offres, que ses prestations ne s’étaient pas améliorées sur les derniers mois, surtout sur la partie hébergement, et qu’elle ne pouvait dès lors s’engager. La société Blue mind a répondu le 22 mars 2012 à cet appel d’offre mettant notamment en avant sa connaissance de l’application, plusieurs de ses collaborateurs, anciens salariés des sociétés Aliasource et Linagora grand sud ouest, ayant participé à son développement et à ses évolutions et M. [W] ayant été le partenaire technique dès le démarrage de ce projet informatique en 2001. Il résulte en outre d’un courriel de M. [W] du 9 mai 2012 adressé à son équipe que le projet Diode est alors en production, l’appel d’offres ayant été manifestement remporté. Il est ainsi établi que la société Blue mind a répondu et emporté un appel d’offres d’AG2R en 2012 alors que la société Linagora grand sud ouest était encore le prestataire d’AG2R sans pouvoir toutefois postuler à ce nouvel appel d’offres compte tenu d’une perte de compétences.

Concernant le ministère de l’intérieur, le grand livre clients de la société Linagora grand sud ouest montre qu’elle lui a facturé des prestations à compter d’octobre 2007 jusqu’en 2013, une dernière facture portant la mention 2013 étant émise et payée en janvier 2014. Dans un échange de courriels des 18 et 19 juin 2012, M. [W] rapporte avoir eu des contacts avec le représentant du ministère de l’intérieur se disant préoccupé par les difficultés de la société Linagora à développer et déployer un projet informatique dans les délais, prêt à arrêter le projet avec la société Linagora ou à laisser le contrat jusqu’à son terme en septembre 2013 et commençant à réfléchir à une alternative auprès d’un autre prestataire et ce, dans le cadre d’un contrat-support interministériel gagné par Cap gemini. Dans ces courriels, M. [W] précise : ‘c’est très en amont, donc on reste calme, mais enfin moi ça m’excite au max ( ! :)) d’imaginer d’aller rechopper ça à [G] (je suis sûr que tu t’imagines déjà la news : le min int migre sa messagerie d’obm vers blue mind plus moderne) et ça serait notre killer reference imparable’, ce à quoi son interlocuteur répond : ‘je reconnais que je ne serais pas insensible à la récupération de ce client’. En outre, dans un courriel du 20 juin 2012 rendant compte de sa présence au salon Linux, M. [W] informe ses interlocuteurs que la société Alterway s’est dite intéressée pour être partenaire avec la société Blue mind. Or MM. [W] et [B] indiquent, dans leur pièce 100, que la société Linagora grand sud ouest a perdu en 2013 l’appel d’offre interministériel remporté par la société Alterway et la société Linagora produit des factures de la société Blue mind aux sociétés prestataires Alterway solutions et SCC, émises entre le 30 juin 2014 et le 30 juillet 2015, sur lesquelles figurent des mentions ‘ telles que le nom d’application ou de logiciel, les intitulés ‘marché support logiciel libre interministériel’ ou ‘client final ministère de l’intérieur’, le nom de l’interlocuteur de M. [W] au ministère de l’intérieur ‘ correspondant aux explications de M. [W] de juin 2012 sur le projet du ministère. Il se déduit de l’ensemble de ces éléments que la société Blue mind a eu pour client final le ministère de l’intérieur après que celui-ci n’a pas reconduit la société Linagora grand sud ouest au terme d’un contrat intervenu en 2013 et que cette situation résulte de l’intention exprimée par M. [W], dès juin 2012, de prendre ce client à la société Linagora grand sud ouest.

En définitive, il est établi qu’à l’exception du CNRS, les clients de la société Alisaource, existants au jour de sa cession (AG2R, le groupe HLM Les Chalets, EDF, l’INSA, l’INSERM et le conseil départemental du Tarn-et-Garonne et le ministère de l’intérieur) ont cessé de faire appel à elle après le départ de MM. [W] et [B] et la constitution de la société Blue mind et sont devenus clients de celle-ci peu après la cessation de leurs relations contractuelles avec la société Linagora grand sud ouest. Ces faits sont constitutifs d’une captation de clientèle, quelle que soit la raison pour laquelle les clients de la société Alisaource devenue Linagora grand sud ouest ont cessé de faire appel à elle.

Il résulte de l’ensemble de ces éléments que MM. [W] et [B] se sont rétablis via la société Blue mind dans le même secteur d’activité que la société cédée pour offrir un produit concurrent à celui développé par celle-ci, qu’ils ont repris une partie du code source du logiciel OBM et se sont appropriés le module OBM-SYNC, tout en dissimulant cette reprise dans le code source de BM-CORE au moins jusqu’en 2014, que le personnel essentiel de la société Aliasource, toujours salarié de la société Linagora grand sud ouest après la cession, a été recruté en 2012 par la société Blue mind tout en ayant participé au préalable au nouveau projet de MM. [W] et [B] puisque la première version du code du logiciel de la société Blue mind a été déposée en mars-avril 2012 et que le développement a pu avoir démarré en octobre 2011 selon l’expert judiciaire, qu’enfin des clients de la société Alisaource se sont détournés d’elle après le départ de MM. [W] et [B] pour contracter avec la société Blue mind après une procédure d’appel d’offres à laquelle la société Blue mind avait répondu pour certains de ces clients.

Il est également démontré que ces agissements ont eu pour conséquence d’aboutir à un détournement de la clientèle attachée aux produits et services vendus par la société Aliasource devenue Linagora grand sud ouest, les sociétés AG2R, Les Chalets et EDF, l’INSA, l’INSERM, le conseil départemental du Tarn-et-Garonne et le ministère de l’intérieur ayant cessé de faire appel à elle après le départ de MM. [W] et [B] et la constitution de la société Blue mind et étant devenus clients de celle-ci. La société Linagora a ainsi été empêchée de poursuivre pleinement l’activité de la société Aliasource devenue Linagora grand sud ouest. MM. [W] et [B] ont ainsi violé leur obligation de garantie d’éviction.

La cour relève en outre le caractère délibéré de ces agissements tendant à évincer la société Linagora grand sud ouest du marché de la messagerie collaborative révélé par un courriel de M. [W] du 4 avril 2012 adressé à un ami dans lequel il affirme : ‘ (…) à ce sujet (Linagora), je ne t’ai pas répondu plus tôt car justement je préparais (avec mon équipe) la solution qui va les barrer du marché de la messagerie open source’.

1.2. Sur la demande de restitution partielle du prix de cession formée par la société Linagora

Sur le fondement de l’article 1630 du code civil et un rapport établi à sa demande par M. [S], la société Linagora sollicite la restitution du prix de cession à hauteur de la perte de la valeur des actions cédées, estimée en fonction de la clientèle détournée – valorisée par le chiffre d’affaires généré par cette clientèle de 2007 à 2010 affecté du multiple de valorisation retenu lors de l’acquisition des actions Aliasource (1,27) – et correspondant selon elle à un gain manqué pour les clients détournés et à une perte de chance d’en obtenir de nouveaux en raison des actes d’éviction. Elle estime ainsi la survalorisation des titres cédés, tant au titre du prix initial que des compléments de prix, à hauteur de la somme de 270.304 euros pour M. [W] et de celle de 135.437 euros pour M. [B]. Elle soutient que les intimés évoquent à tort une transaction intervenue en 2009 aux motifs qu’elle porte sur les seuls éléments de détermination des compléments de prix et ne peut faire obstacle à une action en garantie d’éviction dont l’objet est tout autre.

MM. [W] et [B] soulèvent l’absence de valeur probante du rapport sur lequel se fonde la société Linagora faisant valoir que ce rapport ne concerne pas le présent litige mais a été élaboré dans le cadre de la procédure en contrefaçon et qu’il a été établi non contradictoirement, à la demande de la société Linagora et de manière partiale.

Ils soutiennent que la société Linagora se prévalant d’une éviction partielle sans solliciter la résolution de la cession, seule est possible la restitution de la valeur de la partie du fonds dont l’acquéreur est évincé, et ce en application de l’article 1637 du code civil, et que la société Linagora ne peut réclamer la restitution du prix des actions qu’ils ont cédées et apportées. MM. [W] et [B] font en outre valoir que la société Linagora ne produit aucun élément comptable au soutien de sa demande de restitution partielle de prix, qu’elle ne peut invoquer une ‘survalorisation’ des actions acquises, qu’elle a joui des fruits de cette acquisition en s’attribuant des clients de la société Aliasource ou en se servant du logiciel OBM, qu’elle ne s’explique pas sur le calcul d’une ‘survalorisation du prix de cession’, que la baisse du chiffre d’affaires et de valeur de la société Linagora grand sud ouest résulte de la stratégie de cantonnement instaurée par la société Linagora. Ils lui opposent une transaction de 2009 ayant réglé définitivement tout litige né ou à naître relativement au principe, au calcul et au paiement du complément de prix de 2008 et plus généralement de tout paiement par la société Linagora du fait des cessions et apports de titres.

Sur ce,

a) sur la transaction :

La transaction conclue en 2009 entre la société Linagora, d’une part, et MM. [W], [B] et [L], d’autre part, porte sur la détermination des compléments de prix 1 et 2 prévus par l’acte de cession. Aux termes de son article 7, elle règle entre les parties ‘tout litige né ou à naître relativement au principe, au calcul et au paiement du complément de prix 2008 et plus généralement de tout paiement par Linagora aux cédants du fait des cessions et/ou apports des actions 1 et actions 2 de la société Aliasource détenues par les cédants au profit de la société Linagora et emporte renonciation des parties à l’ensemble de leurs droits, actions et prétentions de ces chefs.’

L’objet de la transaction est ainsi limité au paiement des compléments de prix et de tout paiement par la société Linagora fondé sur l’acte de cession. Une telle transaction ne s’oppose pas à ce que le cessionnaire mette en cause la garantie d’éviction due par les cédants, quand bien même la mise en jeu de cette garantie conduirait à la restitution, totale ou partielle, du prix de cession.

b) sur le fond

La société Linagora se réfère au seul rapport établi à sa demande par M. [S] dans le cadre de l’action en contrefaçon qu’elle a initiée devant le tribunal de grande instance de Bordeaux (pièce 108). La cour ne prendra en compte le cas échéant ce rapport, établi de manière non contradictoire, que si les données utilisées ou ses conclusions sont corroborées par d’autres pièces produites aux débats.

Il résulte de l’article 1637 du code civil qu’en cas d’éviction partielle sans résiliation de la vente, l’acquéreur a droit au seul remboursement de la valeur de la partie dont il se trouve évincé, suivant l’estimation à l’époque de l’éviction.

La société Linagora, victime d’une éviction partielle, n’a donc pas droit à la restitution du prix de cession, l’article 1630 du code civil s’appliquant à l’éviction totale, mais au remboursement de la seule valeur de la partie évincée et ce, suivant l’estimation à l’époque de l’éviction, conformément à l’article 1637 du code civil comme le soutiennent MM. [W] et [B].

Il convient dès lors d’estimer la valeur des parts sociales de la société Aliasource perdue en raison de la clientèle détournée.

Aucune des parties ne procède toutefois à cette estimation fondée sur la clientèle détournée. Il convient dès lors de rouvrir les débats et d’inviter les parties à faire part de leur propre estimation, étant précisé que la cour relève qu’au jour de la cession, le capital social de la société a été évalué par le commissaire aux apports à partir du chiffre d’affaires réalisé en 2006, soit une somme de 1.361.352 euros, et d’un coefficient multiplicateur de 0,866, la valeur de chaque part sociale étant alors de 326,7 euros.

Il y a lieu en conséquence d’inviter les parties à faire part de leurs observations sur le calcul du montant du chiffre d’affaires généré par la clientèle détournée, telle qu’établie précédemment par la cour (à savoir perte des clients suivants : AG2R, le groupe HLM Les Chalets, EDF, l’INSA, l’INSERM et le conseil départemental du Tarn-et-Garonne et le ministère de l’intérieur), et sur le coefficient mutliplicateur à retenir pour établir la valeur des parts sociales perdue.

1.3. Sur la demande de dommages-intérêts formée par la société Linagora

Sur le fondement des articles 1630 et 1639 du code civil, la société Linagora demande en outre l’indemnisation des préjudices causés par la violation de la garantie d’éviction qui ne sont pas inclus dans la restitution partielle du prix de cession. Elle soutient ainsi qu’elle doit, compte tenu de la faute lourde des intimés, être indemnisée de la perte éprouvée, directe et prévisible de bénéfices distribuables au titre des exercices 2007 à 2016 inclus et du gain manqué constitué de bénéfices futurs. Elle retient un gain manqué par la société Linagora grand sud ouest d’un montant évalué par M. [S] à 975.000 euros entre 2010 et 2012, un même gain manqué d’un montant de 666.000 euros entre 2013 et 2016 outre la capitalisation de ces deux sommes sur ces deux périodes représentant une somme de 933.000 euros et en déduit comme perte de bénéfices distribuables la somme totale de 1.725.000 euros, déduction faite de l’impôt.

MM. [W] et [B] font observer que la société Linagora se prévaut deux fois du même préjudice constitué d’un gain manqué, qu’elle invoque à tort une perte éprouvée de bénéfices distribuables dès l’acquisition de la société Aliasource en 2007, qu’elle ne peut réclamer la réparation d’un préjudice postérieur aux faits d’éviction reprochés entre 2010 et 2012, une éviction étant instantanée, qu’elle ne démontre pas l’existence au sein de la société Linagora d’un système de capitalisation dont elle aurait été privée du fait de l’éviction, qu’elle ne rapporte pas la preuve d’une pratique de distribution de dividendes validant l’évaluation de son préjudice de gain manqué, que la baisse du chiffre d’affaires de la société Linagora grand sud ouest ne peut leur être imputée compte tenu des facteurs économiques ayant alors impacté le secteur des prestations informatiques, que sur la période 2010-2012 la société Blue mind n’avait aucune activité concurrente de celle de la société Linagora grand sud ouest, que la société Linagora ayant choisi de transférer en son sein, sans contrepartie financière pour sa filiale, les plus gros projets de société Linagora grand sud ouest, elle est seule responsable du manque à gagner qu’elle invoque sur la période 2010-2016.

Sur ce,

Aux termes de l’article 1639 du code civil, les autres questions auxquelles peuvent donner lieu des dommages et intérêts résultant pour l’acquéreur de l’inexécution de la vente doivent être décidées suivant les règles générales établies au titre Des contrats ou obligations conventionnelles en général. Selon l’article 1151 du même code, ‘dans le cas même où l’inexécution de la convention résulte du dol du débiteur, les dommages et intérêts ne doivent comprendre à l’égard de la perte éprouvée par le créancier et du gain dont il a été privé, que ce qui est une suite immédiate et directe de l’inexécution de la convention.’

Il en résulte que l’acquéreur évincé partiellement peut en sus du remboursement de la valeur de la partie évincée obtenir des dommages-intérêts s’il justifie que ledit remboursement ne répare pas son entier préjudice qu’il doit justifier.

En invoquant comme préjudice subi au titre du gain manqué, présent et futur, la perte de bénéfices distribués par la société Aliasource devenue Linagora grand sud ouest, la société Linagora sollicite la réparation d’un préjudice qui n’est pas réparé par le remboursement de la valeur des titres cédés dont elle a été partiellement évincée.

Cependant, outre que son évaluation du préjudice est fondée sur le seul rapport de M. [S], le préjudice allégué par la société Linagora sur la période 2010-2012 repose tout d’abord sur l’hypothèse que les agissements fautifs de MM. [W] et [B] ont privé la société cédée de la réalisation d’un chiffre d’affaires sur cette période correspondant à l’évolution qu’il aurait pu connaître compte tenu de la tendance, à la hausse, constatée sur la période antérieure 2006-2009. Une telle évaluation fait peser la perte de chiffre d’affaires sur les seuls actes de MM. [W] et [B] sans tenir compte du contexte économique baissier de l’époque ni du fait que la société Linagora a pu transférer des clients de sa filiale chez elle comme le soutiennent les intimés, assertion d’autant plus crédible que la société cédée, qui avait 89 clients en 2007, n’en comptait plus que 37 en 2013 et que la stratégie de la société Linagora en 2009/2010 était de faire prendre en charge les grands projets nationaux par elle-même et non plus sa filiale. Le préjudice allégué repose ensuite sur l’hypothèse que la totalité de ce supposé gain manqué aurait été distribuée à la société-mère alors que la société Linagora ne justifie pas avoir bénéficié de telles distributions. Dans ces conditions, il n’est pas établi que le préjudice allégué constitue la suite immédiate et directe de l’éviction.

S’agissant du préjudice né d’un gain manqué sur la période 2013-2016, la société Linagora ne justifie pas d’un chiffre d’affaires manqué résultant des agissements de MM. [W] [B] distinct de la perte de chiffre d’affaires déjà prise en compte dans l’indemnité d’éviction accordée, aucun élément de calcul de ce gain manqué sur cette période n’étant exposé dans ses écritures ni justifié par des pièces.

S’agissant du gain manqué résultant de l’absence de capitalisation des bénéfices distribuables qu’elle aurait dû selon elle percevoir, la société Linagora ne justifie pas d’une telle pratique de capitalisation ni n’expose les déterminants de son calcul ni ne le justifie par des pièces produites au débat.

La société Linagora n’établissant pas l’existence d’un préjudice distinct de celui réparé par le remboursement de la valeur des titres cédés dont elle a été partiellement évincée et constituant une suite immédiate et directe de l’éviction doit être déboutée de sa demande de dommages-intérêts.

1.4. Sur les demandes de dommages-intérêts formées par la société Linagora grand sud ouest

Se fondant sur l’article 1240 nouveau du code civil et invoquant à la fois sa qualité de tiers à la cession intervenue entre MM. [W] et [B] et la société Linagora et sa qualité de société dont les parts ont été cédées ayant subi un dommage du fait de la violation par les premiers de leurs obligations contractuelles, la société Linagora grand sud ouest demande la réparation du préjudice subi du fait du gain manqué et de la perte de chance résultant du détournement de sa clientèle, du préjudice moral incluant un préjudice d’image, du préjudice constitué des dépenses d’investissement perdues par la captation parasitaire de son savoir-faire et du préjudice constitué des coûts de recrutement dus au débauchage de ses salariés. Elle indique former ces demandes ‘au regard des pièces versées aux débats dont le rapport d’expertise financière de M. [S]’.

MM. [W] et [B] contestent les fautes reprochées et soutiennent que la société Linagora grand sud ouest ne justifie d’aucun préjudice propre, qu’elle n’apporte aucune explication quant au gain manqué et à la perte de chance du fait du détournement de clientèle évalués au montant de 405.740,38 euros, que l’évaluation du préjudice moral et du préjudice d’image repose sur le rapport de M. [S] établi dans la procédure en contrefaçon, concurrence déloyale et parasitisme qui ne concerne pas le présent litige, que le préjudice moral n’est pas démontré et que son estimation n’est pas justifiée, que les sociétés Linagora et Linagora grand sud ouest ont contribué elles-mêmes à la dégradation de l’image de celle-ci, que la société Linagora grand sud ouest ne produit aucune pièce au soutien de sa demande d’indemnisation de dépenses d’investissement perdues, que la demande au titre du coût des recrutements dus au débauchage de salariés est fondée sur des factures établies au nom de la société Linagora et non de la société Linagora grand sud ouest, qu’il n’est justifié d’aucun paiement, qu’ils n’ont pas à supporter les coûts de recrutement du remplaçant de M. [W] qui avait le droit de démissionner, que les factures d’annonces dans la presse spécialisée ne portent pas sur des annonces de recrutement.

Sur ce,

En conséquence des actes de rétablissement commis par MM. [W] et [B] et caractérisant une éviction partielle au préjudice de la société Linagora, la société Linagora grand sud ouest a également subi un préjudice né de la perte de la clientèle qui existait au moment de sa cession en mai 2007.

Ce préjudice doit être évalué à l’aune du montant du chiffre d’affaires perdu à cause de ces actes, préjudice dont l’évaluation fait l’objet de la réouverture des débats et que la société Linagora grand sud ouest arrête à la somme de 405.740 euros sans s’expliquer toutefois sur le calcul de ce montant ni sur la perte de chance alléguée.

Dès lors qu’il a été établi que les départs de MM. [W] et [B] et des membres de l’équipe-clé de la société Linagora grand sud ouest avaient été motivés par la perspective de reconstituer une équipe concurrente de celle-ci au sein de la société Blue mind, les dépenses engagées pour remplacer ces salariés doivent être considérées comme résultant des actes d’éviction commis par MM. [W] et [B]. La société Linagora grand sud ouest produit des factures de recherche d’un chef de produit OBM et de publication d’annonces émises par les prestataires non à son encontre mais à l’encontre de la société Linagora et ne justifie nullement de la nature des prestations facturées et de leur lien avec les recrutements allégués. Il s’ensuit que la société Linagora grand sud ouest ne justifie pas des dépenses prétendument engagées en lien avec le préjudice subi. Elle doit dès lors être déboutée de sa demande de ce chef.

Enfin, la société Linagora grand sud ouest ne démontre pas l’existence d’un préjudice moral et d’image ni d’une perte de dépenses d’investissement résultant des actes de rétablissement.

Il sera donc fait droit à la demande d’indemnisation de la société Linagora grand sud ouest à hauteur du seul préjudice résultant d’une perte de chiffre d’affaires, l’estimation de ce préjudice devant également faire l’objet d’une réouverture des débats pour permettre notamment à la société Linogora grand sud ouest de s’expliquer sur le montant de 405.740 euros dont elle se prévaut au titre de la perte de chiffre d’affaires et d’une perte de chance.

1.5. Sur la demande d’interdiction sous astreinte de la poursuite des agissements causant un trouble à la jouissance paisible par la société Linagora de ses droits sociaux

Seule une éviction partielle étant établie, il sera fait interdiction à MM. [W] et [B] d’exercer tout acte de concurrence visant la clientèle cédée à travers la cession des actions de la société Aliasource devenue Linagora grand sud ouest au profit de la société Linagora, cette clientèle étant celle existant au jour de la cession des titres. Si cette interdiction est de nature à mettre fin au trouble à la jouissance paisible de la société cédée, il n’apparaît pas nécessaire de l’assortir d’une astreinte.

2. Sur la violation des obligations contractuelles de non-concurrence

Au soutien de leur demande de dommages-intérêts, les sociétés Linagora et Linagora investissements et M. [R], actionnaires de la société Linagora, invoquent le pacte d’actionnaires du 21 décembre 2005 et son avenant et l’acte d’adhésion signé par MM. [W] et [B] le 12 juin 2007 et prétendent que ceux-ci ont, en leur qualité d’actionnaires de référence spécialement et expressément définis comme les « hommes clés » de la société Linagora, violé les interdictions de rétablissement, de débauchage et de sollicitation auxquelles ils étaient tenus en créant la société Blue mind en septembre 2010, en présentant officiellement le logiciel Blue mind le 12 octobre 2010, en débauchant des salariés et en commençant à détourner la clientèle.

Ils prétendent que la clause de non-concurrence prévue par l’article 13 du pacte d’actionnaires est licite en ce qu’elle est limitée, d’une part, à la durée de détention des actions et à deux années à compter de la perte des qualités d’actionnaires et d’hommes-clés et, d’autre part, à l’Europe, que cette double limitation atteste de son caractère proportionné et raisonnable au but légitime à protéger – les conditions de limitation dans le temps et l’espace étant, en matière de pacte d’actionnaires, alternatives et non cumulatives – et que sa validité n’est pas subordonnée, s’agissant d’actionnaires, à l’existence d’une contrepartie financière. Sur ce dernier point, ils ajoutent qu’en tout cas MM. [W] et [B] ayant été actionnaires et salariés, la clause de non-concurrence comprise dans le pacte d’actionnaires trouve sa contrepartie dans l’indemnité prévue au titre de la clause de non-concurrence insérée dans leur contrat de travail et dans le prix de cession des titres Aliasource, MM. [W] et [B] ayant perçu un prix par action supérieur à celui des autres actionnaires de la société cédée.

MM. [W] et [B] répliquent que la clause de non-concurrence formulée est illicite. Ils soutiennent que l’acte d’adhésion au pacte d’actionnaires n’a permis aucune discussion entre les parties sur son contenu et qu’ils n’étaient pas des «’hommes clés’» de la société de Linagora auxquels la clause de non-concurrence était applicable, M. [W] ayant été membre du comité directeur sans disposer d’aucun pouvoir de décision et M. [B] n’ayant jamais été membre de l’équipe dirigeante. Ils font valoir que la clause est illicite en ce que la limitation géographique est très large et disproportionnée, qu’elle n’est assortie d’aucune contrepartie financière, celle prévue aux contrats de travail, au demeurant elle-même illicite, ne pouvant en tenir lieu et le prix de cession des actions Aliasource ne constituant pas une telle contrepartie dès lors que le contrat de cession ne stipule pas que la détermination du prix des actions aurait tenu compte d’une clause de non-concurrence et que les compléments de prix étaient subordonnés à l’atteinte d’un chiffre d’affaires après la vente.

Sur ce,

Aux termes du protocole d’acquisition du 14 mai 2007, la société Linagora a acquis l’intégralité des parts sociales de la société Aliasource dont MM. [W] et [B] étaient actionnaires et dirigeants et ces derniers sont devenus actionnaires de la société Linagora puis salariés de la société cédée, les contrats de travail ayant été signés le 13 juin 2007.

Le 12 juin 2007, MM. [W] et [B] ont signé un acte d’adhésion au pacte d’actionnaires de la société Linagora et ce, expressément en leur qualité ‘d’hommes clés’ au sens de l’article 13 du pacte. Cet article 13 se borne à désigner nominativement les hommes clés, en la personne de MM. [R] et [A], et non à en donner une définition générique. MM. [W] et [B] ayant adhéré au pacte d’actionnaires en se reconnaissant la qualité d’hommes clés, l’article 13 du dit pacte leur est applicable. Ils se sont ainsi engagés à ne pas concurrencer la société Linagora, société-mère de la société Aliasource cédée.

La validité d’une clause de non-concurrence prévue à l’occasion de la cession de droits sociaux n’est subordonnée à l’existence d’une contrepartie financière que dans le cas où les actionnaires qui la souscrivent avaient, à la date de leur engagement, la qualité de salariés de la société qu’ils se sont engagés à ne pas concurrencer. MM. [W] et [B] n’étaient salariés ni de la société Linagora ni de la société Aliasource au jour de leur adhésion au pacte d’actionnaires de la société Linagora de sorte que la clause de non-concurrence litigieuse n’avait pas, pour être licite, à être assortie d’une contrepartie financière.

L’article 13 du pacte d’actionnaires stipulant l’engagement de non-concurrence des actionnaires désignés comme ‘hommes clés’ est rédigé comme suit :

‘L’engagement des ‘hommes clés’ tels qu’ils sont définis ci-après consiste :

– tant qu’ils auront la qualité d’homme clé, et

– dans un délai de deux ans à compter de leur départ de la société,

à ne pas :

i) occuper un poste d’administrateur, directeur, employé, consultant ou prestataire de service, ou détenir des participations directes ou indirectes dans une autre société qui exerce une activité similaire dans un pays d’Europe,

ii) embaucher ou proposer d’embaucher des salariés de la société,

iii) solliciter les clients ou prospects de la société.’

Cette clause de non-concurrence est délimitée dans le temps puisqu’elle s’applique jusqu’au terme d’une période de deux ans à compter du départ de la société Linagora de l’actionnaire qui y est soumis. Le caractère proportionné de cette durée de deux ans doit toutefois être appréciée au regard des interdictions auxquelles elle s’applique.

L’article 13 du pacte prévoit plusieurs interdictions d’une portée large. Elle comprend ainsi, en premier lieu, une interdiction d’exercer l’activité professionnelle visée aussi bien en exerçant un mandat social d’administrateur ou de directeur, en occupant un emploi salarié, en offrant des prestations de consultant ou de service, ou en étant actionnaire ou associé d’une autre société, l’activité visée n’étant de surcroît pas délimitée mais définie comme se rapportant à une activité ‘similaire’ à celle de la société Linagora, laquelle est désignée dans l’extrait k-bis par les seuls termes génériques ‘portail internet, services informatiques’. La clause prévoit, en deuxième lieu, non seulement l’interdiction de proposer d’embaucher des salariés de la société Linagora mais aussi celle d’embaucher ces salariés, ce qui prohibe le recrutement de salariés quand bien même il n’aurait pas été provoqué par l’actionnaire soumis à cet engagement. Est en troisième lieu prévue l’interdiction de solliciter les clients de la société Linagora mais aussi ses prospects, ce qui, dans le domaine des prestations informatiques, est susceptible de recouvrir de nombreux acteurs et, en l’absence de définition de ces prospects, comprend ceux existants non seulement à la date de départ mais encore ceux apparaissant dans la période des deux années suivant ce départ.

Seule la première de ces interdictions est géographiquement limitée à l’Europe, cette limitation étant toutefois relative s’agissant d’un secteur correspondant à un continent.

Si une telle clause de non-concurrence est justifiée par la protection des intérêts légitimes de la société Linagora, le nombre important d’interdictions qu’elle contient, leur durée apparaissant longue dans le domaine du développement de produits informatiques et de prestations de service y afférentes où l’innovation technologique est rapide, et leur application à un secteur géographique étendu s’agissant de l’exercice d’une activité professionnelle et sans limite s’agissant de la prospection de clientèle en font une entrave excessive à la liberté de se rétablir et au libre exercice d’une activité professionnelle. La clause invoquée par les sociétés Linagora et Linagora investissements et M. [R] est donc illicite.

Il s’ensuit que leur demande de dommages-intérêts doit être rejetée et le jugement confirmé sur ce point.

Par suite, les demandes de la société Linagora grand sud ouest doivent également être rejetées en ce que, fondées sur la responsabilité délictuelle de MM. [W] et [B], elles tendent à la réparation de préjudices nés de la violation de la clause de non-concurrence.

3. Sur la violation de l’obligation contractuelle de loyauté

Au soutien de leur demande de dommages-intérêts, les sociétés Linagora et Linagora investissements et M. [R], actionnaires de la société Linagora, soutiennent que MM. [W] et [B] ont, en leur qualité d’actionnaires et de dirigeants de la société Linagora, violé leur devoir de loyauté et de fidélité vis-à-vis de la société Linagora et de ses autres actionnaires en ayant créé la société Blue mind dès 2010, démarré une activité concurrente et déloyale à celle de la société Linagora grand sud ouest dès 2011, détourné une partie importante de sa clientèle, démarché la clientèle des sociétés Linagora et Linagora grand sud ouest, dénigré le logiciel OBM, capté le savoir-faire intellectuel et industriel ainsi que les investissements de la société Linagora dans la société Linagora grand sud ouest, débauché des membres de l’équipe clé et des salariés de la société Linagora grand sud ouest, désorganisé celle-ci, et en s’étant approprié de manière illicite la technologie cédée à la société Linagora. Ils font valoir qu’un tel devoir de loyauté survit au départ de l’associé dirigeant, la notion de dirigeant dépassant celle du dirigeant détenant un mandat social, et prohibe tous les actes de concurrence fautive et déloyale.

Sur ce,

MM. [B] et [W] ont été actionnaires de la société Linagora, alors société anonyme, du14 mai 2007 au 17 mai 2011 sans jamais détenir aucun mandat social. En leur qualité d’actionnaires de la société Linagora et pendant cette seule période, ils étaient seulement tenus de s’abstenir d’actes de concurrence déloyale vis-à-vis de la société Linagora qui détenait sur cette même période la totalité du capital social de la société Aliasource devenue Linagora grand sud ouest.

La société Linagora et la société Linagora investissements et M. [R], deux de ses actionnaires, invoquent des actes de concurrence déloyale commis au préjudice de la société Linagora grand sud ouest dont MM. [W] et [B] n’étaient pas actionnaires durant la période considérée.

La seule création de la société Blue mind par M. [W] le 12 octobre 2010, quand bien même elle aurait développé une activité directement concurrente de celle des sociétés Linagora et Linagora grand sud ouest, ne constitue pas en soi une violation de ses obligations par M. [W] vis-à-vis de la société Linagora, seuls les actes de concurrence déloyale étant de nature à caractériser une telle violation.

Les appelants évoquent ‘une captation du savoir-faire intellectuel et industriel et des investissements de la société Linagora dans la société Linagora grand sud ouest’ sans en faire la démonstration puisqu’ils se bornent à renvoyer aux moyens développés au soutien de la violation de la garantie d’éviction par les intimés, et une appropriation illicite de la technologie cédée à la société Linagora. Or, la cour a précédemment énoncé que, selon l’expertise judiciaire, ordonnée dans le cadre de l’action en contrefaçon et concurrence déloyale introduite par les sociétés Linagora et Linagora grand sud ouest, la première version du code du logiciel de la société Blue mind avait été déposée en mars-avril 2012 et que le développement du logiciel BM concurrent du logiciel OBM avait pu démarrer en octobre 2011, soit postérieurement à la cession de leurs actions Linagora par MM. [W] et [B]. De même les appelants invoquent un dénigrement du logiciel OBM sans apporter de moyen de preuve à l’appui de leurs dires. En effet aucune des pièces produites aux débats ne se rapporte à une expression de la part de M. [W] ou de M. [B] jetant le discrédit sur ce logiciel, de surcroît sur la période considérée entre mai 2007 et mai 2011.

S’agissant du détournement de clientèle, les appelants font état sur la période considérée de la seule perte des sociétés EDF et Les Chalets qui ont cessé leurs relations contractuelles avec la société Linagora grand sud ouest en 2011. Est en outre produit un courrier de résiliation à échéance du contrat conclu par le centre hospitalier de [Localité 14], ce courrier étant du 24 septembre 2010. Cette dernière lettre n’évoque pas de motif de résiliation et les appelants ne produisent aucune pièce se rapportant à des actes commis par M. [W] ou M. [B] en lien avec cette résiliation contractuelle. S’agissant de la société Les Chalets, alors que les appelants ne produisent pas non plus de pièce établissant l’existence d’actes commis par M. [W] ou M. [B] ayant provoqué le défaut de renouvellement du contrat, les intimés établissent que la cessation des relations contractuelles a résulté d’une défaillance de la société Linagora grand sud ouest dans l’exécution du contrat en produisant aux débats une attestation de M. [K], directeur des systèmes d’information, indiquant que le contrat de maintenance de la solution OBM n’avait pas été renouvelé car il n’avait pas donné satisfaction, qu’en particulier un appel au service support considéré comme critique était resté sans réponse pendant plusieurs mois et qu’aucune solution satisfaisante n’avait été trouvée. Concernant la société EDF, M. [I], représentant EDF, indique dans une attestation qu’au départ de M. [W] de la société Linagora, c’est la société EDF qui lui avait demandé de poursuivre son accompagnement du département, sans considération de sa nouvelle structure d’accueil, et que fin 2009 la société Linagora n’avait pas donné de suite à un entretien que M. [W] avait organisé avec une commerciale. Il s’ensuit que les appelants manquent à démontrer, en l’absence de production de pièces à l’appui de leurs dires, l’existence d’un acte de détournement de clientèle commis par M. [W] ou M. [B]. Les appelants invoquent enfin des échanges de courriels entre M. [W] et la société E-deal en juin 2010. Ces échanges, qui portent sur l’établissement de relations futures, ne permettent pas à eux seuls d’établir des actes de concurrence déloyale et M. [W] pouvait en tout cas exercer une activité concurrente de celle de la société Linagora dont il était actionnaire.

S’agissant du débauchage de l’équipe-clé et de salariés de la société Linagora grand sud ouest, MM. [T], [Y], [O], [E], [H] et [P], membres de l’équipe-clé, ont démissionné de la société Linagora grand sud ouest respectivement les 31 mai, 26 juin, 15 et 20 juillet, 15 septembre et 18 octobre 2010. Comme la cour l’a relevé précédemment, la reconstitution de cette équipe-clé en dehors de la société Linagora grand sud ouest a été envisagée dès juin 2010 par M. [W]. Elle n’a toutefois pas été effective avant mai 2011, date à laquelle les intimés ont cessé d’être actionnaires de la société Linagora, ces personnes ayant été recrutées par la société Blue mind à compter du début de l’année 2012 et les faits allégués de travail dissimulé étant également postérieurs à mai 2011. Les appelants soutiennent également que le départ de l’équipe-clé a entraîné celui de nombreux autres salariés. Selon leur décompte, en 2010 et 2011, 25 autres salariés ont ainsi quitté la société Linagora grand sud ouest, l’effectif en fin d’année passant de 33 en 2009 à 19 en 2010 et 8 en 2011. L’imputation de ces départs à celui de l’équipe-clé est toutefois remise en cause par :

– les attestations de salariés produites par les intimés faisant état d’un climat dégradé au sein de la société et d’un malaise créé par l’écart entre les engagements pris auprès des clients et les ressources effectivement mises à disposition pour les remplir, l’absence de stratégie et un manque de professionnalisme, ces constats ayant été renouvelés en 2020 sur le site Next inpact faisant état de témoignages de salariés de la société Linagora expliquant leur démission pour ces mêmes motifs,

– des règles de gestion OBM exposées en comité de direction ne prévoyant aucun recrutement de développeur et intégrateur OBM à Toulouse (donc par la société Linagora grand sud ouest) et la possiblité pour les intégrateurs OBM toulousains de changer de lieu de travail,

– la présentation des résultats 2009 à l’assemblée générale de la société Linagora du 24 juin 2010 évoquant la mise en oeuvre en 2009 d’une politique de ressources humaines conservatrice avec une diminution des effectifs à charge de travail équivalente et une forte pression sur les collaborateurs entraînant des gains de productivité mais aussi la fatigue des équipes et, s’agissant de la société Linagora grand sud ouest, ‘les difficultés commerciales rencontrées’.

Les appelants manquent en outre à démontrer l’existence d’une désorganisation de la société Linagora grand sud ouest qui aurait résulté du départ de ces six salariés et d’autres salariés jusqu’en mai 2011. La société Aliasource dont était issue l’équipe-clé ne détenait en effet pas un savoir-faire technique et commercial tel que le départ de cette équipe plus de trois ans après son rachat ait pu affaiblir la société dans sa capacité à poursuivre son activité et son développement. Il sera ainsi rappelé que l’expert judiciaire a considéré que le logiciel OBM ne présentait pas d’amélioration substantielle de l’état de l’art au sens de l’innovation. Ensuite, les appelants ne démontrent pas en quoi l’équipe-clé disposait d’un savoir-faire commercial particulier. Enfin, cette période de plus de trois années permettait à la société Linagora grand sud ouest d’assurer la formation d’autres développeurs et intégrateurs permettant de garantir la continuité de l’activité. M. [R] affirmait ainsi lui-même, le 18 juillet 2013 sur le site Magit.fr, que ‘les équipes d’Alisource ont intégré Linagora en 2007. Ainsi entre 2007 et 2010, le transfert de compétences et la courbe d’apprentissage des équipes de Linagora ont été très importants. Par ailleurs les départs se sont étalés dans le temps et n’ont pas eu lieu en une fois.’

Il résulte de l’ensemble de ces éléments que les appelants manquent à établir l’existence d’actes de concurrence déloyale commis par MM. [W] et [B] alors qu’ils étaient actionnaires de la société Linagora. Leurs demandes de dommages-intérêts doivent donc être rejetées et le jugement confirmé sur ce point.

4. Sur la demande de publication

Les appelants demandent que soit ordonnée, à titre de complément de dommages-intérêts, la publication de l’intégralité du dispositif de l’arrêt à intervenir et d’extraits de la motivation de cet arrêt choisis par eux. Le sens dans lequel la cour a statué sur les différentes demandes des appelants commande de ne pas faire droit à une telle publication.

5. Sur la demande subsidiaire d’expertise

La cour ayant statué sur les demandes principales des appelants, il n’y a pas lieu d’examiner la recevabilité et le bien fondé de la demande d’expertise formée à titre subsidiaire.

6. Sur la demande de dommages-intérêts de MM. [W] et [B]

MM. [W] et [B] demandent l’infirmation du jugement et la condamnation des appelants au paiement de dommages-intérêts pour procédure abusive.

L’issue du litige commande de ne pas faire droit à leur demande et de confirmer le jugement sur ce point.

PAR CES MOTIFS

La Cour statuant contradictoirement,

Confirme le jugement déféré en ce qu’il a déclaré recevable l’intervention volontaire de la société Linagora grand sud ouest ;

Confirme le jugement déféré en ce qu’il a débouté les sociétés Linagora et Linagora investissements et M. [R] de leur demande de dommages-intérêts en réparation du préjudice subi du fait des manquements aux obligations contractuelles de non-concurrence et à leur devoir général de loyauté ;

Confirme le jugement déféré en ce qu’il a débouté la société Linagora grand sud ouest de sa demande de dommages-intérêts en réparation du préjudice subi du fait des manquements aux obligations contractuelles de non-concurrence et au devoir de loyauté ;

Confirme le jugement déféré en ce qu’il a débouté MM. [F] [W] et [F] [B] de leur demande de dommages-intérêts ;

Infirme le jugement en ce qu’il a débouté les sociétés Linagora et Linagora grand sud ouest de leurs demandes fondées sur la garantie légale d’éviction et en ce qu’il a condamné in solidum les sociétés Linagora, Linagora grand sud ouest et Linagora investissements et M. [R] aux dépens et à payer à M. [B] la somme de 20.000 euros et à M. [W] la somme de 20.000 euros ;

Statuant à nouveau sur les chefs infirmés et y ajoutant,

Dit que M. [F] [W] et M. [F] [B] ont manqué à leur obligation née de la garantie légale d’éviction ;

Ordonne la réouverture des débats sur l’évaluation de l’indemnité due par M. [F] [W] et M. [F] [B] à la société Linagora au titre de l’éviction partielle ;

Invite les parties à faire part de leurs observations sur le calcul du montant du chiffre d’affaires généré par la clientèle détournée, telle qu’établie précédemment par la cour (à savoir perte des clients suivants : AG2R, le groupe HLM Les Chalets, EDF, l’INSA, l’INSERM et le conseil départemental du Tarn-et-Garonne et le ministère de l’intérieur), et sur le coefficient mutliplicateur à retenir pour établir la valeur perdue des parts sociales, selon le calendrier suivant :

– observations des appelants avant le 15 janvier 2021,

– observations des intimés avant le 19 février 2021,

– éventuelles répliques avant le 12 mars 2021,

Renvoie l’affaire à l’audience du 29 mars 2021 à 14 heures 00 ;

Déboute la société Linagora de sa demande de dommages-intérêts complémentaires fondée sur la garantie légale d’éviction ;

Interdit à MM. [F] [W] et [F] [B] d’exercer tout acte de concurrence visant la clientèle cédée à travers la cession des actions de la société Aliasource devenue Linagora grand sud ouest au profit de la société Linagora, cette clientèle étant celle existant au jour de la cession des titres ;

Déboute la société Linagora de sa demande de prononcé d’une astreinte provisoire ;

Dit que, du fait de leur manquement à leur obligation née de la garantie légale d’éviction, M. [F] [W] et M. [F] [B] ont engagé leur responsabilité à l’égard de la société Linagora grand sud ouest ;

Déboute la société Linagora grand sud ouest de ses demandes de dommages-intérêts au titre d’un préjudice moral et du préjudice d’image, des dépenses d’investissement perdu et du coût des recrutements dus au débauchage des salariés ;

Ordonne la réouverture des débats sur l’évaluation du préjudice subi par la société Linagora grand sud ouest résultant d’une perte de chiffre d’affaires, invite les parties à faire part de leurs observations sur l’évaluation de ce préjudice, sur la perte de chance invoquée par la société Linagora grand sud ouest et sur l’estimation faite par la société Linogora grand sud ouest de son préjudice à hauteur de 405.740 euros et ce, selon le même calendrier que celui précédemment fixé ;

Déboute les sociétés Linagora et Linagora grand sud ouest et M. [N] [R] de leur demande de publication du présent arrêt ;

Réserve les demandes fondées sur l’article 700 du code de procédure civile ;

Réserve les dépens de première instance et d’appel.

La greffière,

Liselotte FENOUIL

La Présidente,

Marie-Christine HÉBERT-PAGEOT

 


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