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RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D’APPEL DE PARIS
Pôle 6 – Chambre 9
ARRÊT DU 30 AOUT 2023
(n° , 15 pages)
Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 21/01541 – N° Portalis 35L7-V-B7F-CDEXS
Décision déférée à la Cour : Jugement du 7 Janvier 2021 – Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de PARIS – Section Encadrement chambre 6 – RG n° F19/02487
APPELANTE
Madame [Z] [B]
[Adresse 1]
[Adresse 1]
Représentée par Me Jonathan BELLAICHE, avocat au barreau de PARIS, toque : K103
INTIMÉE
SAS LAFAYETTE ASSOCIES
[Adresse 2]
[Adresse 2]
Représentée par Me Patrick CHADEL, avocat au barreau de PARIS, toque : P0105
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 12 Avril 2023, en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant M. Philippe MICHEL, président, et M. Fabrice MORILLO, conseiller, chargé du rapport.
Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
M. Philippe MICHEL, président de chambre
M. Fabrice MORILLO, conseiller
Mme Nelly CHRETIENNOT, conseillère
Greffier : Mme Pauline BOULIN, lors des débats
ARRÊT :
– contradictoire
– mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du Code de procédure civile, prorogé à ce jour.
– signé par Monsieur Philippe MICHEL, président et par Madame Pauline BOULIN, greffier à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
RAPPEL DES FAITS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES
Suivant contrat de travail à durée indéterminée à compter du 4 janvier 2018, Mme [Z] [B] a été engagée en qualité de responsable de développement commercial, statut cadre, par la société Lafayette Associés, ladite société employant habituellement au moins 11 salariés et appliquant la convention collective nationale des bureaux d’études techniques, des cabinets d’ingénieurs-conseils et des sociétés de conseils.
Après avoir été convoquée, suivant courrier recommandé du 2 janvier 2019, à un entretien préalable fixé au 14 janvier 2019, puis reporté au 29 janvier 2019, Mme [B] a été licenciée pour faute lourde suivant courrier recommandé du 4 février 2019.
Invoquant l’existence de faits de harcèlement sexuel et de harcèlement moral, contestant le bien-fondé de son licenciement et s’estimant insuffisamment remplie de ses droits, Mme [B] a saisi la juridiction prud’homale le 26 mars 2019.
Par jugement du 7 janvier 2021, le conseil de prud’hommes de Paris a :
– débouté Mme [B] de l’ensemble de ses demandes,
– condamné Mme [B] à rembourser, en deniers ou quittances, à la société Lafayette Associés la somme de 4 341,25 euros au titre des indemnités de sécurité sociale,
– condamné Mme [B] à payer à la société Lafayette Associés la somme de 100 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
– débouté la société Lafayette Associés du surplus de ses demandes reconventionnelles,
– condamné Mme [B] aux entiers dépens.
Par déclaration du 29 janvier 2021, Mme [B] a interjeté appel du jugement.
Dans ses dernières conclusions transmises par voie électronique le 5 octobre 2021, Mme [B] demande à la cour de :
– déclarer irrecevable la demande formulée par la société Lafayette Associés visant à la condamner au paiement de la somme de 5 000 euros à titre de dommages-intérêts,
– infirmer le jugement et, en conséquence,
– dire qu’elle a subi des faits de harcèlement sexuel et de harcèlement moral,
à titre principal,
– condamner la société Lafayette Associés à lui payer la somme de 56 000 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement nul,
à titre subsidiaire,
– condamner la société Lafayette Associés à lui payer la somme de 9 333,32 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
en tout état de cause,
– condamner la société Lafayette Associés à lui payer les sommes suivantes :
– 30 000 euros à titre de dommages-intérêts pour harcèlement moral,
– 15 000 euros à titre de dommages-intérêts pour violations de l’obligation de sécurité,
– 2 074,07 euros au titre de l’indemnité légale de licenciement,
– 13 999,98 euros au titre de l’indemnité compensatrice de préavis outre 1 399,99 euros au titre des congés payés sur préavis,
– 6 500 euros à titre de dommages-intérêts pour le préjudice subi du fait du respect d’une clause de non-concurrence illicite,
– 933,91 euros à titre de rappel de salaire pour le mois de décembre 2018 outre 93,39 euros de congés payés afférents,
– 1 208,48 euros à titre de rappel de salaire pour le mois de janvier 2019 outre 120,84 euros de congés payés afférents,
– 237,62 euros à titre de rappel de salaire pour le mois de février 2019 outre 23,76 euros de congés payés afférents,
– condamner la société Lafayette Associés au paiement de la somme de 5 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
– prononcer les intérêts au taux légal sur toutes les demandes en paiement à compter de la date de saisine du conseil,
– condamner la société Lafayette Associés aux entiers dépens de la procédure,
– débouter la société Lafayette Associés de l’ensemble de ses demandes, fins et conclusions.
Dans ses dernières conclusions transmises par voie électronique le 5 juillet 2021, la société Lafayette Associés demande à la cour de :
– débouter intégralement Mme [B] de ses demandes,
– condamner Mme [B] à lui payer la somme de 5 000 euros à titre de dommages-intérêts,
– condamner Mme [B] à lui payer le montant des indemnités de sécurité sociale pour un montant de 4 341,25 euros,
à titre subsidiaire, si par extraordinaire la cour faisait droit à la demande de dommages-intérêts pour licenciement nul ou sans cause réelle et sérieuse,
– revoir le quantum à de plus justes proportions dans la mesure où Mme [B] ne justifie pas de son préjudice,
– condamner Mme [B] au paiement de la somme de 3 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux éventuels dépens.
L’instruction a été clôturée le 7 mars 2023 et l’affaire a été fixée à l’audience du 12 avril 2023.
MOTIFS
Sur le harcèlement sexuel et le harcèlement moral
L’appelante fait valoir que son supérieur hiérarchique lui a envoyé des messages, de façon régulière et insistante, ne cachant pas l’attirance qu’il éprouvait à son égard et que, craignant pour son avenir professionnel et notamment la pérennité de son emploi, elle a fini par céder aux avances de M. [U], et ce, dans l’unique but de conserver son poste. Elle ajoute que ses craintes ont été confirmées en ce que, postérieurement à leur relation charnelle, elle a été victime d’un harcèlement moral de la part de M. [U], ce dernier ayant alors tout mis en oeuvre pour la pousser à démissionner.
L’intimée réplique que, suite à une séduction réciproque sans contrainte, une relation amoureuse a bien existé entre l’appelante et M. [U] au cours du deuxième trimestre 2018, ladite relation ayant cessé dès la mi-avril, date à laquelle M. [U] a décidé d’y mettre un terme, les relations s’étant alors poursuivies sur un plan exclusivement professionnel. Elle précise que la dénonciation des faits de harcèlement sexuel par la salariée n’est pas intervenue spontanément mais alors que des tensions se matérialisaient entre la salariée et la société sur les objectifs qui lui étaient assignés, l’intéressée s’affichant en totale opposition avec sa hiérarchie, opposition uniquement fondée sur le refus de la société d’accepter ses demandes. La société intimée ajoute que les pièces du dossier ne justifient pas plus le harcèlement moral que le harcèlement sexuel invoqué malicieusement par l’appelante et qu’il n’a jamais été question de la pousser à démissionner.
Selon l’article L. 1152-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.
Aux termes de l’article L. 1153-1 du code du travail, dans sa version applicable au litige, aucun salarié ne doit subir des faits :
1° Soit de harcèlement sexuel, constitué par des propos ou comportements à connotation sexuelle répétés qui soit portent atteinte à sa dignité en raison de leur caractère dégradant ou humiliant, soit créent à son encontre une situation intimidante, hostile ou offensante ;
2° Soit assimilés au harcèlement sexuel, consistant en toute forme de pression grave, même non répétée, exercée dans le but réel ou apparent d’obtenir un acte de nature sexuelle, que celui-ci soit recherché au profit de l’auteur des faits ou au profit d’un tiers.
Il résulte par ailleurs de l’article L. 1154-1 du code du travail que, lorsque survient un litige relatif à l’application des articles L. 1152-1 à L. 1152-3 et L. 1153-1 à L. 1153-4, le candidat à un emploi, à un stage ou à une période de formation en entreprise ou le salarié présente des éléments de fait laissant supposer l’existence d’un harcèlement.
Au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d’un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.
Le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d’instruction qu’il estime utiles.
Sur le harcèlement sexuel
En l’espèce, l’appelante, qui fait valoir que son supérieur hiérarchique lui a envoyé des messages, de façon insistante et régulière, ne cachant pas son attirance à son égard et, que craignant pour son avenir professionnel et notamment la pérennité de son emploi, elle a fini par céder aux avances de l’intéressé et ce, dans l’unique but, de conserver son poste, produit les éléments suivants :
– des échanges de messages SMS avec son supérieur hiérarchique (M. [H] [U]) dont il résulte notamment que ce dernier lui a indiqué : « c’est compliqué tout ça … écoute je vais plus t’écrire car effectivement je veux pas jouer avec toi ou t’utiliser. Je t’aime bien et j’ai pas envie de te faire du mal. Et dans tous les cas tu aurais mal », « J’aimerais bien qu’on puisse parler plus », « Je suis perdu je t’aime bien », « Tu viens faire la teuf avec moi ” J’aimerais trop !!!», « J’en sais rien … Je suis perdu. J’arrête pas de penser à toi », « Je suis perdu je t’aime bien », « désolé j’étais un peu soûl et maladroit. J’espère que toi ça va »,
– les mails de dénonciation de faits de harcèlement sexuel adressés à l’employeur, par l’intermédiaire de l’avocat de l’appelante le 6 décembre 2018 et par la salariée elle-même le 14 décembre 2018,
– différents échanges de mails avec son employeur ainsi que la psychologue clinicienne et consultante en entreprise, désignée par l’employeur pour procéder à une enquête suite à la dénonciation des faits de harcèlement sexuel.
Il apparaît ainsi que la salariée présente des éléments de fait, qui, pris dans leur ensemble, laissent supposer l’existence d’un harcèlement sexuel.
Cependant, au vu des éléments produits en réplique par l’employeur et notamment des différents échanges de SMS entre l’appelante et M. [U] au titre de la période courant de mars à décembre 2018 ainsi que du compte-rendu d’enquête établi par une psychologue clinicienne spécialisée en clinique du travail chargée par l’employeur de procéder à une enquête dans le cadre de la plainte de l’appelante pour harcèlement sexuel, il apparaît que les intéressés ont effectivement entretenu une relation sentimentale au cours des mois de mars et avril 2018, les autres salariés de l’entreprise, auditionnés dans le cadre de l’enquête, ayant indiqué qu’ils n’avaient jamais remarqué de la part de M. [U] de comportements déplacés, inappropriés ou laissant penser à une forme de harcèlement et qu’ils avaient constaté une grande complicité entre les intéressés (celle-ci ressortant également de l’ensemble des échanges de messages SMS versés aux débats par l’employeur) sur les six premiers mois de l’arrivée de l’appelante avant un changement d’attitude à compter de juillet 2018, la psychologue indiquant en conclusion de son compte-rendu d’enquête que « même si la souffrance de [Z] [B] est très probablement réelle, elle ne semble pas liée à une situation de harcèlement sexuel. »
Dès lors, au vu de l’ensemble de ces éléments, la cour retient que la société intimée établit que les agissements précités ne sont pas constitutifs d’un harcèlement sexuel et que ses décisions étaient justifiées par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.
Sur le harcèlement moral
En l’espèce, la salariée, qui indique avoir fait l’objet, à compter de la fin de sa « relation charnelle » avec M. [U], de faits de harcèlement moral se manifestant par des critiques et des reproches injustifiés, des convocations régulières aux fins d’établissement de comptes-rendus ou de lui faire part de son mécontentement, outre la tentative de lui faire signer un avenant modifiant ses objectifs de manière à les rendre irréalisables ainsi que le fait de dévoiler sa situation à l’ensemble des salariés de la société, l’ensemble de ces éléments résultant d’une volonté malicieuse de son employeur afin de la pousser à démissionner, produit les éléments suivants :
– un courriel de M. [U] du 31 juillet 2018 faisant état de différents reproches,
– le compte-rendu d’entretien annuel d’évaluation du 3 octobre 2018,
– le projet d’annexe au contrat de travail daté du 15 octobre 2018 faisant état des nouveaux objectifs de l’appelante (1 000 000 euros HT pour la période du 1er octobre 2018 au 30 septembre 2019 alors que l’objectif de vente fixé dans le contrat de travail était de 600 000 euros HT annuels),
– un mail de dénonciation adressé à son employeur le 14 décembre 2018 mentionnant notamment « Je vous ai informé à maintes reprises que j’étais victime de harcèlement sexuel. Vous m’avez traitée de menteuse puis ensuite vous m’avez proposé de démissionner, et ça continue […] J’ai craqué lorsque vous avez conjointement commencé à faire le nécessaire pour me pousser à la porte en augmentant mes objectifs. Ce courrier, c’est la goutte d’eau. Je souffre… merci d’arrêter de m’humilier et par respect pour ma santé, il est préférable que les échanges aient lieu entre nos avocats »,
– différents mails échangés avec son employeur le 7 janvier 2019 concernant le fait que l’ensemble des salariés de la société ont été publiquement informés de la dénonciation de faits de harcèlement sexuel, l’appelante indiquant notamment : « Cette situation est extrêmement dérangeante. Comment puis-je reprendre mon poste sous les regards de l’ensemble de mes collègues au courant de ma situation ‘ Votre objectif a été atteint, me faire honte et dévoiler publiquement une situation qui ne concerne que vous et moi, et non mes collègues. L’employeur a des obligations en matière de vie privée des salariés. Je vous informe dénoncer cette grave atteinte à ma vie privée. », l’employeur lui ayant répondu : « Je n’entends pas intervenir dans votre vie privée et je conteste vos propos sur des déclarations publiques que j’aurai tenues. […] J’ai bien compris les suites contentieuses que votre avocat souhaite donner à ce dossier, mais ne souhaite pas rentrer dans ce marchandage »,
– des relevés de versements de l’assurance maladie pour la période courant de décembre 2018 à février 2019 faisant état de l’existence d’arrêts de travail pour maladie du 6 au 20 décembre 2018, du 2 au 31 janvier 2019 et du 1er au 6 février 2019,
lesdits éléments faisant état de la mise en ‘uvre par la hiérarchie de l’appelante, postérieurement à la fin de sa relation sentimentale avec M. [U], de pratiques managériales génératrices d’humiliation, d’anxiété et de perte de confiance se manifestant par des critiques systématiques sur la qualité de son travail ainsi que son comportement et son attitude à l’égard des membres de son équipe, ainsi que par des pratiques d’isolement avec stigmatisation de la salariée concernant la dénonciation de faits de harcèlement sexuel, outre des pratiques constitutives de mesures de rétorsion s’agissant notamment de la convocation à différents entretiens informels et de la volonté de fortement augmenter ses objectifs commerciaux tout en lui indiquant qu’il ne serait pas possible de poursuivre la relation contractuelle si elle refusait de collaborer à la politique commerciale de la société en s’abstenant de signer ses nouveaux objectifs, lesdits agissements ayant eu pour effet de dégrader les conditions de travail et d’altérer la santé physique et mentale de la salariée.
Dès lors, il apparaît que la salariée présente des éléments de fait, qui, pris dans leur ensemble, permettent de présumer l’existence d’un harcèlement moral.
La société intimée, qui conteste en réplique les affirmations de la salariée et critique les pièces produites par cette dernière, en soulignant que l’appelante a adopté un comportements irrégulier ayant nécessité un recadrage, qu’elle n’a initialement fait état d’aucun comportement harcelant et que sa dénonciation n’est intervenue que lorsque des tensions se sont matérialisées avec sa hiérarchie concernant la fixation de ses objectifs, et ce alors qu’elle s’affichait en totale opposition avec la société devant le refus de celle-ci de faire droit à ses demandes, ne démontre cependant pas que les agissements litigieux ne sont pas constitutifs d’un harcèlement et que ses décisions étaient justifiées par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.
Il sera ainsi notamment relevé qu’outre le fait qu’il n’est pas suffisamment justifié, au regard des seuls éléments versés aux débats, du comportement problématique ou des propos inappropriés effectivement adoptés par l’appelante de nature à perturber le travail dans la société ou à déstabiliser l’entente générale et l’adhésion au projet des salariés, il apparaît également que l’employeur ne caractérise pas l’existence d’une opposition de la salariée à la nouvelle politique commerciale fixée par la société se manifestant par le refus d’accepter ses nouveaux objectifs, étant en toute hypothèse observé que l’intimée s’abstient de justifier du caractère réaliste et raisonnable des objectifs fixés compte tenu de la très forte augmentation envisagée en une seule année.
Il sera de surcroît noté à la lecture du compte-rendu d’enquête précité établi par la psychologue clinicienne spécialisée en clinique du travail, versé aux débats par l’intimée, que l’appelante était effectivement dans une situation de grande souffrance au travail, croissante lors du second trimestre 2018, l’intéressée ayant le sentiment de faire l’objet d’une rétrogradation dans ses responsabilités au sein de l’entreprise ainsi que d’un manque de reconnaissance de son travail, étant observé que le seul fait que l’appelante n’ait pas immédiatement fait état de l’existence d’agissements de harcèlement moral à son encontre est en lui-même manifestement inopérant pour remettre en cause les éléments circonstanciés et concordants produits par l’intéressée.
Par conséquent, l’existence de faits de harcèlement moral étant caractérisée en l’espèce et la salariée justifiant d’un préjudice spécifique résultant des agissements de harcèlement moral dont elle a fait l’objet de la part de son employeur durant plusieurs mois ainsi que cela résulte des éléments versés aux débats, la cour lui accorde une somme de 3 000 euros à titre de dommages-intérêts de ce chef, et ce par infirmation du jugement.
Sur la demande de dommages-intérêts pour manquement à l’obligation de sécurité
L’appelante soutient que la société intimée a manqué à son obligation de sécurité en l’absence de mesures prises pour protéger sa santé physique et mentale alors qu’elle était victime de faits de harcèlement sexuel et de harcèlement moral.
En l’espèce, il sera relevé que suite aux mails de dénonciation de faits de harcèlement des 6 et 14 décembre 2018, l’employeur a fait état, suivant courrier/courriel des 11 et 19 décembre 2018, de sa décision d’engager une enquête concernant les faits dénoncés et de mandater à cet effet une psychologue clinicienne/consultante indépendante intervenant régulièrement au sein des entreprises dans les situations de conflit entre personnes, et ce aux fins de rencontrer les personnes concernées ainsi que toute personne pouvant avoir un témoignage à apporter puis de donner un avis objectif et indépendant, la psychologue désignée ayant contacté l’appelante dès le 19 décembre 2018, la salariée ayant cependant refusé de la rencontrer en remettant en cause sa neutralité et son impartialité, les entretiens avec les autres salariés de l’entreprise ayant été réalisés le 27 décembre 2018, la psychologue ayant finalement établi un compte-rendu d’enquête.
Dès lors, l’employeur démontrant avoir pris, une fois informé de l’existence de faits susceptibles de constituer un harcèlement, les différentes mesures nécessaires en vue de faire cesser et de prévenir lesdits agissements, et ce conformément aux dispositions des articles L. 1152-4, L. 1153-5, L. 4121-1 et L. 4121-2 du code du travail, la société intimée justifiant ainsi avoir respecté ses obligations en matière de prévention et de traitement des situations de harcèlement, le seul fait que l’appelante ait refusé de participer à l’enquête en contestant la neutralité et l’impartialité de la psychologue et en indiquant préférer la mise en oeuvre d’une expertise avec désignation de conseillers rapporteurs devant le conseil de prud’hommes, n’étant en lui-même pas de nature à remettre en cause la réalité et l’effectivité des mesures prises par l’employeur, la cour confirme le jugement en ce qu’il a débouté la salariée de sa demande de dommages-intérêts pour manquement de l’employeur à son obligation de sécurité.
Sur la rupture du contrat de travail
L’appelante fait valoir qu’elle a été licenciée pour faute lourde pour avoir dénoncé des faits de harcèlement et qu’eu égard au motif invoqué par la société intimée pour justifier son licenciement et en l’absence de démonstration par celle-ci de ce qu’elle aurait été de mauvaise foi, le licenciement ne pourra que produire les effets d’un licenciement nul.
L’intimée réplique qu’il est reproché à l’appelante d’avoir mis en cause en cause M. [U] alors qu’il conteste avoir eu un comportement harcelant, mais également d’avoir mis en cause le président de la société en déclarant dans un second temps que ce dernier, informé du harcèlement, ne serait pas intervenu en allant jusqu’à le qualifier de complice d’un délit, les faits dénoncés étant non seulement infondés et démentis mais relevant d’accusations fausses et mensongères dans le but d’obtenir un avantage indu, caractérisant une réelle intention de nuire tant à l’encontre de M. [U] que de la société, la salariée ayant ainsi fait preuve de mauvaise foi pouvant être sanctionnée sur le terrain disciplinaire.
Aux termes de l’article L. 1235-1 du code du travail, le juge, à qui il appartient d’apprécier la régularité de la procédure suivie et le caractère réel et sérieux des motifs invoqués par l’employeur, forme sa conviction au vu des éléments fournis par les parties après avoir ordonné, au besoin, toutes les mesures d’instructions qu’il estime utiles. Si un doute subsiste, il profite au salarié.
La faute grave est celle qui résulte d’un fait ou d’un ensemble de faits imputable au salarié constituant une violation des obligations du contrat de travail ou des relations de travail d’une importance telle qu’elle rend impossible le maintien du salarié dans l’entreprise, le salarié licencié pour faute grave n’ayant pas droit aux indemnités de préavis et de licenciement.
L’employeur qui invoque la faute grave doit en rapporter la preuve.
La faute lourde est celle commise par le salarié dans l’intention de nuire à l’employeur ou à l’entreprise, ladite faute étant, comme la faute grave, privative de préavis et des indemnités de licenciement.
En l’espèce, la lettre de licenciement, qui fixe les limites du litige, est rédigée de la manière suivante :
« Nous vous notifions par la présente votre licenciement pour faute lourde pour les raisons suivantes :
Vous êtes embauchée depuis le 4 janvier 2018 en qualité de cadre pour réaliser les fonctions de Responsable du développement commercial.
Particulièrement vous êtes chargée d’assister la société dans la définition de sa politique commerciale et être force de proposition.
Au mois de juillet 2018, nous avons dû vous recadrer sur vos propos qui ont pu déstabiliser certains collaborateurs et compromettre la bonne entente générale.
Nous vous avons établi les objectifs pour l’exercice 2019, sur vos propositions.
Au mois d’octobre nous avons réalisé votre entretien annuel constatant vos réalisations commerciales, mais rappelant les progrès à faire en matière comportementale.
Vous avez alors refusé de signer les objectifs 2018/2019 que nous avions conjointement établis.
Je vous ai demandé à plusieurs reprises de revenir sur votre refus mais vous êtes restée sur vos positions.
Nous avons eu une discussion sur votre collaboration le 5 décembre au soir et nous avons décidé de nous revoir ultérieurement.
Le lendemain je constatais votre absence et recevais un mail particulièrement choquant de votre avocat dans lequel j’apprenais votre arrêt de travail et que vous dénonciez des faits « d’harcèlement sexuel et de rapports sexuels sous la contrainte ».
J’ai été à la fois très surpris et choqué par les accusations graves portées par votre avocat, alors que lors de nos différents échanges récents et pas plus tard que la veille, vous me déclariez vous sentir parfaitement intégrée dans la société.
Devant la gravité des faits dénoncés et la violence des propos de votre conseil, j’ai décidé d’engager une enquête.
Je vous ai donc demandé à cette fin de me décrire les agissements reprochés afin de me permettre d’engager cette enquête et pouvoir donner une suite à vos graves accusations.
Parallèlement et de manière indirecte, j’apprenais que vous mettiez en cause [H] [U] et, sur mon interpellation, ce dernier me confirmait avoir entretenu une relation sentimentale avec vous au printemps qui s’était achevée en mai, mais sans aucune contrainte.
J’ai reçu très rapidement une réponse de votre part dans laquelle vous m’avez alors mis en cause personnellement en me qualifiant de complice ! Ce que je réfute particulièrement ignorant les relations qui avaient pu être entretenues entre [H] [U] et vous-même.
Mis en cause personnellement, j’ai alors mandaté une psychologue indépendante pour réaliser cette enquête qui a pris contact avec vous et des collaborateurs du bureau.
Vous avez refusé de participer à cette enquête, refusé de rencontrer cette psychologue, ce qui est naturellement votre droit, mais proposé une solution parfaitement inadaptée à vos accusations et à la nécessaire urgence à traiter la situation que vous dénonciez, alors même que vous auriez pu imposer toutes les garanties d’impartialité nécessaire avec l’aide de votre avocat. Cela n’a pas été votre choix et je le regrette.
Il résulte des diligences effectuées que vous avez eu avec [H] [U] des relations sentimentales durant environ deux mois et qu’elles ont cessé au mois de mai.
Que les faits que vous dénoncez sont démentis par l’équipe du bureau et ne sont corroborés par aucun élément matériel.
Ainsi, après la fin de votre relation avec [H] [U], vous avez travaillé sans difficulté jusqu’à votre refus de signer vos objectifs pour l’exercice 2019 et je vous ai alors précisé que nous ne pourrions continuer très longtemps avec un responsable du développement commercial qui refuse de collaborer à la politique commerciale de la société.
Vous avez alors à l’occasion de votre arrêt maladie porté de fausses accusations à l’encontre de [H] [U] puis, si cela n’était pas suffisant, contre moi-même.
Vous n’avez pas daigné participer à la recherche de la vérité ni cherché à étayer vos accusations, alors que dans une structure aussi petite que la nôtre un tel comportement que celui que vous dénoncé aurait sauté aux yeux de tout le monde.
Vous connaissez en outre, au regard de notre proximité de travail, mon profond respect pour l’égalité et le respect entre tous dans l’entreprise et j’ai été profondément affecté par vos accusations portées contre moi.
Vous n’avez pas été menacée dans votre emploi pour les raisons que vous avez dénoncées malicieusement mais par votre seul refus de signer vos objectifs et ainsi de participer à l’activité commerciale de la société.
Les accusations que vous portez sont mensongères et la preuve en est rapportée par les pièces que nous avons collectées. Votre comportement démontre une réelle intention de nuire tant à l’encontre de [H] [U] que de moi. De plus, agissant de la sorte vous avez enfreint les dispositions de votre contrat de travail relatives à votre obligation de loyauté en tentant par vos manoeuvres de « négocier » votre départ par l’entremise de votre avocat.
Vos accusations mensongères lancées à l’encontre de Monsieur [U] et de moi-même, votre refus de vous expliquer et de justifier vos propos outranciers démontrent une réelle intention de nuire à l’encontre de la direction et de la société et sont constitutifs d’une faute lourde. […] »
Aux termes des articles L. 1152-2 du code du travail, dans sa rédaction antérieure à la loi n°2022-401 du 21 mars 2022, aucun salarié, aucune personne en formation ou en stage ne peut être sanctionné, licencié ou faire l’objet d’une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, notamment en matière de rémunération, de formation, de reclassement, d’affectation, de qualification, de classification, de promotion professionnelle, de mutation ou de renouvellement de contrat pour avoir subi ou refusé de subir des agissements répétés de harcèlement moral ou pour avoir témoigné de tels agissements ou les avoir relatés, l’article L. 1153-3 du même code, applicable aux faits du litige, disposant qu’aucun salarié, aucune personne en formation ou en stage ne peut être sanctionné, licencié ou faire l’objet d’une mesure discriminatoire pour avoir témoigné de faits de harcèlement sexuel ou pour les avoir relatés.
Par ailleurs, en application de l’article L. 1152-3 du code du travail, toute rupture du contrat de travail intervenue en méconnaissance des articles L. 1152-1 et L. 1152-2, toute disposition ou tout acte contraire est nul, l’article L. 1153-4 prévoyant que toute disposition ou tout acte contraire aux dispositions des articles L. 1153-1 à L. 1153-3 est nul.
Il se déduit des dispositions précitées que le salarié qui relate des faits de harcèlement moral ou de harcèlement sexuel ne peut être licencié pour ce motif, sauf mauvaise foi, laquelle ne peut résulter que de la connaissance par le salarié de la fausseté des faits qu’il dénonce, et que le grief énoncé dans la lettre de licenciement tiré de la relation par le salarié de faits de harcèlement moral ou de harcèlement sexuel emporte à lui seul la nullité du licenciement.
Il est également établi que l’absence éventuelle dans la lettre de licenciement de mention de la mauvaise foi avec laquelle le salarié a relaté des agissements de harcèlement moral ou de harcèlement sexuel n’est pas exclusive de la mauvaise foi de l’intéressé, laquelle peut être alléguée par l’employeur devant le juge, étant par ailleurs rappelé qu’il résulte des articles L. 1121-1 du code du travail et 10, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales que sauf abus, le salarié jouit, dans l’entreprise et en dehors de celle-ci, de sa liberté d’expression, à laquelle seules des restrictions justifiées par la nature de la tâche à accomplir et proportionnées au but recherché peuvent être apportées et que le licenciement prononcé par l’employeur pour un motif lié à l’exercice non abusif par le salarié de sa liberté d’expression est nul.
Dès lors, au regard, d’une part de la faculté pour l’employeur d’invoquer devant le juge, sans qu’il soit tenu d’en avoir fait mention au préalable dans la lettre de licenciement, la mauvaise foi du salarié licencié pour avoir dénoncé des faits de harcèlement moral ou de harcèlement sexuel, d’autre part de la protection conférée au salarié licencié pour un motif lié à l’exercice non abusif de sa liberté d’expression, dont le licenciement est nul pour ce seul motif à l’instar du licenciement du salarié licencié pour avoir relaté, de bonne foi, des agissements de harcèlement, il est désormais établi que le salarié qui dénonce des faits de harcèlement moral ou de harcèlement sexuel ne peut être licencié pour ce motif, peu important qu’il n’ait pas qualifié lesdits faits de harcèlement moral ou de harcèlement sexuel lors de leur dénonciation, sauf mauvaise foi, laquelle ne peut résulter que de la connaissance par le salarié de la fausseté des faits qu’il dénonce et non de la seule circonstance que les faits énoncés ne sont pas établis.
En l’espèce, étant constaté que la lettre de licenciement reproche à l’appelante d’avoir porté de fausses accusations à l’encontre de M. [U] puis à l’encontre du président de la société intimée, l’employeur précisant que les accusations portées sont mensongères et que le comportement de la salariée démontre une réelle intention de nuire tant à l’encontre de M. [U] que du président de la société, qu’agissant de la sorte elle a enfreint les dispositions de son contrat de travail relatives à son obligation de loyauté en tentant par ses manoeuvres de négocier son départ par l’entremise de son avocat, lesdites accusations mensongères, son refus de s’expliquer et de justifier de ses propos outranciers démontrant une réelle intention de nuire à l’encontre de la direction de la société et étant constitutifs d’une faute lourde, la cour retient que le grief énoncé dans la lettre de licenciement est pris de la relation d’agissements de harcèlement sexuel et de harcèlement moral, et ce alors que la mauvaise foi de la salariée n’est pas démontrée. En effet, outre que l’existence de faits de harcèlement moral a été retenue par la cour, il apparaît également, au vu des éléments versés aux débats et mises à part les propres affirmations de l’intimée, que celle-ci n’établit pas, s’agissant du harcèlement sexuel, que l’appelante aurait exprimé, en connaissance de cause, des accusations dont elle savait qu’elles étaient fausses, le compte-rendu d’enquête précité établi par la psychologue clinicienne retenant expressément qu’une des hypothèses était que « cette relation considérée comme consentie par [H] [U] ne l’était pas pour [Z] [B], ce qu’elle a vécu comme une forme de harcèlement sexuel. »
Par conséquent, au vu de l’ensemble de ces éléments, la cour retient que le grief tiré de la relation par la salariée, sans mauvaise foi, d’agissements de harcèlement sexuel et de harcèlement moral, emporte à lui seul la nullité du licenciement, et ce par infirmation du jugement.
Sur les conséquences financières de la rupture
Il résulte de l’article L. 1235-3-1 du code du travail, dans sa version applicable au litige, que l’article L. 1235-3 n’est pas applicable lorsque le juge constate que le licenciement est entaché d’une des nullités prévues au deuxième alinéa du présent article. Dans ce cas, lorsque le salarié ne demande pas la poursuite de l’exécution de son contrat de travail ou que sa réintégration est impossible, le juge lui octroie une indemnité, à la charge de l’employeur, qui ne peut être inférieure aux salaires des six derniers mois.
Les nullités mentionnées à l’alinéa précédent sont celles qui sont afférentes à la violation d’une liberté fondamentale, à des faits de harcèlement moral ou sexuel dans les conditions mentionnées aux articles L. 1152-3 et L. 1153-4, à un licenciement discriminatoire dans les conditions prévues aux articles L. 1134-4 et L. 1132-4 ou consécutif à une action en justice, en matière d’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes dans les conditions mentionnées à l’article L. 1144-3 et en cas de dénonciation de crimes et délits, ou à l’exercice d’un mandat par un salarié protégé mentionné au chapitre Ier du titre Ier du livre IV de la deuxième partie, ainsi qu’aux protections dont bénéficient certains salariés en application des articles L. 1225-71 et L. 1226-13.
L’indemnité est due sans préjudice du paiement du salaire, lorsqu’il est dû en application des dispositions de l’article L. 1225-71 et du statut protecteur dont bénéficient certains salariés en application du chapitre Ier du Titre Ier du livre IV de la deuxième partie du code du travail, qui aurait été perçu pendant la période couverte par la nullité et, le cas échéant, sans préjudice de l’indemnité de licenciement légale, conventionnelle ou contractuelle.
En application des dispositions des articles L. 1234-1, L. 1234-9, R. 1234-2 et R. 1234-4 du code du travail ainsi que de celles de la convention collective nationale des bureaux d’études techniques, des cabinets d’ingénieurs-conseils et des sociétés de conseils, étant rappelé que lorsque le licenciement est nul, le salarié a droit à l’indemnité compensatrice de préavis, peu important les motifs de la rupture, l’indemnité compensatrice de préavis étant intégralement due bien que le salarié, irrégulièrement licencié, n’ait pas été en état d’exécuter un préavis, la cour accorde à l’appelante, sur la base d’une rémunération de référence de 4 666,66 euros (calculée sur la moyenne des 3 derniers mois selon la formule la plus avantageuse justement retenue par l’appelante), une indemnité compensatrice de préavis d’un montant de 13 999,98 euros (correspondant à un préavis d’une durée de 3 mois) outre 1 399,99 euros au titre des congés payés y afférents ainsi qu’une somme de 1 551,66 euros à titre d’indemnité légale de licenciement (compte tenu d’une l’ancienneté dans l’entreprise de 1 an et 4 mois), et ce par infirmation du jugement.
Par ailleurs, eu égard à l’ancienneté précitée dans l’entreprise (1 an et 4 mois), à l’âge de la salariée (32 ans) et à la rémunération de référence précitée lors de la rupture du contrat de travail et compte tenu des seuls éléments produits concernant sa situation personnelle et professionnelle postérieurement à ladite rupture, la cour lui accorde, par infirmation du jugement, la somme de 29 000 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement nul.
Sur la demande de dommages-intérêts pour clause de non-concurrence illicite
La salariée fait valoir que la clause de non-concurrence insérée au contrat de travail l’empêchait de travailler pour les clients de la société intimée dont elle avait pu s’occuper au cours de son contrat, et ce pendant une durée d’un an, et qu’elle a toujours, depuis la fin de son contrat, pris soin de respecter ladite clause de non-concurrence, restreignant ainsi son choix d’un nouvel employeur. Elle soutient que la clause de non-concurrence n’était pas valable et qu’ayant respecté l’ensemble de ses obligations découlant de cette clause, elle est en droit de solliciter le paiement de dommages-intérêts en réparation du préjudice subi de ce chef.
L’employeur réplique avoir libéré sa salariée de toute obligation à ce titre et indique qu’elle n’a jamais empêché le fait qu’elle puisse travailler chez un de ses clients ou partenaires, l’intéressée ne justifiant ainsi d’aucun préjudice.
Il résulte de l’article 11 du contrat de travail liant les parties que « Le salarié, à compter de son départ effectif de la société, pour quelque cause que ce soit, s’interdit, pendant un délai de 1 an, de travailler directement ou indirectement, de manière salariée ou non salariée, pour les clients de la société LAFAYETTE ASSOCIES dont il aurait pu s’occuper au cours de son contrat de travail, sans autorisation écrite de LAFAYETTE ASSOCIES. »
En application du principe fondamental de libre exercice d’une activité professionnelle, une clause de non-concurrence n’est licite que si elle est indispensable à la protection des intérêts légitimes de l’entreprise, limitée dans le temps et dans l’espace, qu’elle tient compte des spécificités de l’emploi du salarié et comporte l’obligation pour l’employeur de verser au salarié une contrepartie financière, ces conditions étant cumulatives, le juge devant prendre en compte, pour apprécier la validité de la clause, l’ensemble des limitations qu’elle comporte, dans le temps, dans l’espace, quant aux activités concernées et ce en tenant compte des spécificités de l’emploi.
Etant par ailleurs rappelé qu’une clause selon laquelle il est fait interdiction à un salarié, durant une période déterminée, d’entrer en relation, directement ou indirectement, selon quelque procédé que ce soit, avec la clientèle qu’il avait démarchée ou dont il s’était occupé lorsqu’il était au service de son ancien employeur est une clause de non-concurrence, la cour retient en l’espèce que la clause litigieuse, qui stipule que la salariée ne doit pas, à compter de son départ effectif de la société, travailler directement ou indirectement, de manière salariée ou non salariée, pour les clients de la société dont elle aurait pu s’occuper au cours de son contrat de travail, doit s’analyser comme une clause de non-concurrence, de surcroît illicite car dépourvue de contrepartie financière. Il sera par ailleurs relevé que l’intimée, qui s’est limitée à indiquer dans la lettre de licenciement, de manière nécessairement erronée, que l’appelante n’était liée par aucune clause de non-concurrence et qu’elle était libre de tout engagement à son égard, n’a ainsi pas expressément procédé à la levée de la clause de non-concurrence litigieuse.
S’il est établi que le salarié qui a respecté une clause de non-concurrence illicite en l’absence de contrepartie financière peut prétendre à des dommages-intérêts, il sera cependant rappelé que l’existence d’un préjudice et l’évaluation de celui-ci relèvent du pouvoir souverain d’appréciation des juges du fond en la matière. Or, au vu des seules pièces versées aux débats et mises à part les propres affirmations de l’appelante, la cour relève que cette dernière, qui a travaillé dès le 15 février 2019 pour le compte d’un nouvel employeur, ancien partenaire commercial de la société intimée, ne justifie pas du principe et du quantum du préjudice allégué qui résulterait de l’illicéité de la clause de non concurrence, de sorte que le jugement sera confirmé en ce qu’il l’a déboutée de sa demande de dommages-intérêts formée de ce chef.
Sur le maintien conventionnel de salaire et les indemnités journalières de sécurité sociale
En application des dispositions des articles L. 1226-1 du code du travail et 43 de la convention collective nationale des bureaux d’études techniques, des cabinets d’ingénieurs-conseils et des sociétés de conseils, en cas de maladie ou d’accident dûment constatés par certificat médical et contre-visite, s’il y a lieu, les IC [ingénieurs et cadres] recevront les allocations maladie nécessaires pour compléter, jusqu’à concurrence des appointements ou fractions d’appointements fixées ci-dessus, les sommes qu’ils percevront à titre d’indemnité, d’une part, en application des lois sur les accidents du travail et les maladies professionnelles et des lois sur l’assurance maladie, d’autre part, en compensation de perte de salaire d’un tiers responsable d’un accident. Les indemnités versées par un régime de prévoyance auquel aurait fait appel l’employeur viendront également en déduction. Dans le cas d’incapacité par suite d’accident du travail ou de maladie professionnelle survenus au service de l’employeur, les allocations prévues ci-dessus sont garanties dès le premier jour de présence, alors que dans les autres cas de maladie ou d’accident elles ne sont acquises qu’après 1 an d’ancienneté.
Cette garantie est fixée à 3 mois entiers d’appointements. Il est précisé que l’employeur ne devra verser que les sommes nécessaires pour compléter ce que verse la sécurité sociale et, le cas échéant, un régime de prévoyance, ainsi que les compensations de perte de salaire d’un tiers responsable, jusqu’à concurrence de ce qu’aurait perçu, net de toute charge, l’IC malade ou accidenté s’il avait travaillé à temps plein ou à temps partiel, non compris primes et gratifications.
Si l’ancienneté de 1 an est atteinte par l’IC au cours de sa maladie, il recevra à partir du moment où l’ancienneté sera atteinte, l’allocation fixée par le présent article pour chacun des mois de maladie restant à courir. Le maintien du salaire s’entend dès le premier jour d’absence pour maladie ou accident dûment constatés par certificat médical. Les allocations fixées ci-dessus constituent le maximum auquel l’IC aura droit pour toute période de 12 mois consécutifs au cours de laquelle il aura eu une ou plusieurs absences pour maladie ou accident. Pour les incapacités temporaires de travail supérieures à 90 jours consécutifs, le relais des garanties sera assuré aux conditions prévues par l’accord “Prévoyance” annexé à la présente convention collective.
En application de ces dispositions, la salariée n’étant en droit de percevoir un maintien conventionnel de salaire qu’après 1 an d’ancienneté, soit uniquement à compter du mois de janvier 2019, de sorte que la demande afférente au mois de décembre 2018 sera rejetée, ledit maintien conventionnel de salaire étant dû jusqu’à concurrence de ce que la salariée aurait perçu, net de toute charge, si elle avait travaillé, non compris primes et gratifications, étant rappelé que les dispositions précitées n’excluent pas la prise en compte de la partie variable de la rémunération du salarié lorsqu’il en perçoit une, la cour accorde à l’appelante, après déduction des indemnités journalières de sécurité sociale versées en janvier 2019 (958,07 euros) et février 2019 (257,94 euros) et compte tenu par ailleurs des sommes déjà réglées par l’employeur au cours de cette même période, un rappel de maintien conventionnel de salaire d’un montant de 1 208,48 euros pour janvier 2019 outre 120,84 euros au titre des congés payés y afférents et de 237,62 euros pour février 2019 outre 23,76 euros au titre des congés payés y afférents, l’intimée devant par ailleurs être déboutée de sa demande de remboursement des indemnités journalières de sécurité sociale, et ce par infirmation du jugement.
Sur la demande de dommages-intérêts pour attitude déloyale formée par la société Lafayette Associés
L’appelante conclut à l’irrecevabilité de la demande en ce que les conclusions de l’intimée, prises dans le délai de l’article 909 du code de procédure civile, ne font état d’aucun appel incident, le dispositif desdites conclusions ne contenant pas de demande visant à l’infirmation du jugement de ce chef, et ce alors que la demande de dommages-intérêts a été rejetée par le conseil de prud’hommes.
L’intimée conclut au paiement de dommages-intérêts pour manquement de la salariée à son obligation de loyauté.
Il résulte des articles 542 et 954 du code de procédure civile que lorsque l’appelant ne demande dans le dispositif de ses conclusions, ni l’infirmation des chefs du dispositif du jugement dont il recherche l’anéantissement ni l’annulation du jugement, la cour d’appel ne peut que confirmer le jugement et que l’appel incident n’étant pas différent de l’appel principal par sa nature ou son objet, les conclusions de l’appelant, qu’il soit principal ou incident, doivent déterminer l’objet du litige porté devant la cour d’appel, que l’étendue des prétentions dont est saisie la cour d’appel étant déterminée dans les conditions fixées par l’article 954 du code de procédure civile, le respect de la diligence impartie par l’article 909 du code de procédure civile est nécessairement apprécié en considération des prescriptions de cet article 954.
En l’espèce, étant relevé que les conclusions de l’intimée, prises dans le délai de l’article 909 du code de procédure civile, ne comportent aucune prétention tendant à l’infirmation ou à la réformation du jugement attaqué relativement à la demande de dommages-intérêts déjà formée en première instance pour manquement de la salariée à son obligation de loyauté, il convient en conséquence, en l’absence de tout appel incident régulièrement formé de ce chef, non pas de déclarer irrecevable ladite demande, mais de confirmer le jugement en ce qu’il a rejeté la demande de dommages-intérêts pour attitude déloyale.
Sur les autres demandes
En application des articles 1231-6 et 1231-7 du code civil, il sera rappelé que les condamnations portent intérêts au taux légal à compter de la réception par l’employeur de la convocation devant le bureau de conciliation du conseil de prud’hommes pour les créances salariales et à compter du présent arrêt pour les créances indemnitaires.
En application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile, l’employeur sera condamné à verser à la salariée, au titre des frais exposés non compris dans les dépens, la somme de 2 500 euros, et ce par infirmation du jugement.
L’employeur, qui succombe, supportera les dépens de première instance et d’appel, et ce par infirmation du jugement.
PAR CES MOTIFS
La Cour,
Confirme le jugement en ce qu’il a débouté Mme [B] de ses demandes de dommages-intérêts pour manquement à l’obligation de sécurité ainsi que pour clause de non-concurrence illicite et la société Lafayette Associés de sa demande de dommages-intérêts pour attitude déloyale ;
L’infirme pour le surplus ;
Statuant à nouveau des chefs infirmés et y ajoutant,
Déclare nul le licenciement pour faute lourde prononcé à l’encontre de Mme [B] ;
Condamne la société Lafayette Associés à payer à Mme [B] les sommes suivantes :
– 3 000 euros à titre de dommages-intérêts pour harcèlement moral,
– 13 999,98 euros à titre d’indemnité compensatrice de préavis outre 1 399,99 euros au titre des congés payés y afférents,
– 1 551,66 euros à titre d’indemnité légale de licenciement,
– 29 000 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement nul,
– 1 208,48 euros à titre de rappel de maintien conventionnel de salaire pour janvier 2019 outre 120,84 euros au titre des congés payés y afférents,
– 237,62 euros à titre de rappel de maintien conventionnel de salaire pour février 2019 outre 23,76 euros au titre des congés payés y afférents ;
Rappelle que les condamnations portent intérêts au taux légal à compter de la réception par la société Lafayette Associés de la convocation devant le bureau de conciliation du conseil de prud’hommes pour les créances salariales et à compter du présent arrêt pour les créances indemnitaires ;
Condamne la société Lafayette Associés à payer à Mme [B] la somme de 2 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
Déboute Mme [B] du surplus de ses demandes ;
Déboute la société Lafayette Associés de l’ensemble de ses demandes ;
Condamne la société Lafayette Associés aux dépens de première instance et d’appel.
LE GREFFIER LE PRÉSIDENT