Classement en monument historique : la tombe de Tania Rachewskaïa en suspens
Classement en monument historique : la tombe de Tania Rachewskaïa en suspens
Ce point juridique est utile ?

Le préfet de Paris a inscrit au titre des monuments historiques, en totalité, la tombe de Tania Rachewskaïa, y compris le groupe sculpté « Le Baiser » de Constantin Brancusi et son socle formant stèle, située au cimetière du Montparnasse.  

Les sociétés Duhamel Fine Art et Millon et associés, agissant au nom des ayants droit de la concession funéraire, ont demandé au service des cimetières de la Ville de Paris l’autorisation de déposer cette sculpture, avant de retirer cette demande le lendemain au motif qu’en l’absence de toute protection au titre des monuments historiques, la modification de la tombe ne nécessitait plus ni permis de construire, ni déclaration préalable de travaux.

A titre conservatoire la ministre de la culture a, par une décision du 18 décembre 2020 contre laquelle les défendeurs ont d’ailleurs introduit un recours en excès de pouvoir, engagé une procédure de classement de ce groupe sculpté sur le fondement de l’article L. 622-5 du code du patrimoine relatif aux objets mobiliers dont la conservation ou le maintien sur le territoire national est menacé.

Le Conseil d’Etat a suspendu provisoirement l’exécution de la décision permettant la dépose et l’exportation de cette œuvre qui revêt un intérêt majeur pour le patrimoine national. Affaire à suivre …  

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REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Conseil d’État

N° 447968

ECLI:FR:CECHS:2021:447968.20210331

Inédit au recueil Lebon

10e chambre

M. Laurent Roulaud, rapporteur

M. Alexandre Lallet, rapporteur public

SCP BAUER-VIOLAS, FESCHOTTE-DESBOIS, SEBAGH ; SCP FABIANI, LUC-THALER, PINATEL, avocats

Lecture du mercredi 31 mars 2021

Vu la procédure suivante :

La société Duhamel Fine Art, la société Millon et associés, Mme A… M… H…, épouse F…, M. J… K… D…, Mme L… M… H…, épouse E…, M. B… K… D…, Mme G… I…, épouse H…, et M. C… K… D… ont demandé au tribunal administratif de Paris, d’une part, d’annuler l’arrêté n° 2010-480 du 21 mai 2010 par lequel le préfet de la région Ile-de-France, préfet de Paris, a inscrit au titre des monuments historiques, en totalité, la tombe de Tania Rachewskaïa, y compris le groupe sculpté « Le Baiser » de Constantin Brancusi et son socle formant stèle, située au cimetière du Montparnasse 3, boulevard Edgar Quinet à Paris (14e), d’autre part, d’annuler la décision du 28 juin 2016 par laquelle la même autorité a rejeté le recours gracieux formé contre la décision du 17 mars 2016 par laquelle elle a déclaré irrecevable la « demande d’autorisation de travaux », déposée le 8 mars 2016, tendant à la dépose de cette sculpture, ainsi que cette décision du 17 mars 2016.

Par un jugement n° 1609810-1613427 du 12 avril 2018, le tribunal administratif de Paris a rejeté leurs demandes.

Par un arrêt n° 18PA02011 du 11 décembre 2020, la cour administrative d’appel de Paris, saisie par la société Duhamel Fine Art, la société Millon et associés, Mme A… M… H…, épouse F…, M. J… K… D…, Mme L… M… H…, épouse E…, M. B… K… D…, Mme I…, épouse H…, et M. C… K… D…, a annulé ce jugement en tant qu’il rejette les conclusions de Mme A… M… H…, épouse F…, de M. J… K… D…, de Mme L… M… H…, épouse E…, de M. B… K… D…, de Mme G… I…, épouse H… et de M. C… K… D…, ainsi que l’arrêté n° 2010-480 du 21 mai 2010 du préfet de la région Ile-de-France, préfet de Paris et ses décisions du 17 mars 2016 et du 28 juin 2016, et enjoint à ce dernier de procéder au réexamen de la déclaration de travaux à intervenir sur le groupe sculpté « Le Baiser » dans un délai de trois mois à compter de la notification de son arrêt.

Par une requête et des observations complémentaires, enregistrées les 18 et 31 décembre 2020 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, la ministre de la culture demande au Conseil d’Etat :

1°) d’ordonner qu’il soit sursis à l’exécution de cet arrêt ;

2°) de mettre la somme de 4 000 euros à la charge de la société Duhamel Fine Art et autres au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

La ministre soutient que :

— l’arrêt rendu par la cour risque d’entraîner des conséquences difficilement réparables, dès lors qu’il prive la tombe de Tania Rachewskaïa, dans son entier, de toute protection au titre des monuments historiques, exposant l’oeuvre de Constantin Brancusi au risque d’être déposée et exportée ;

 – la cour a méconnu l’autorité de la chose jugée par le juge judiciaire et commis une erreur de droit en considérant que le groupe sculpté Le Baiser n’était pas un immeuble par nature ;

 – la cour a entaché son arrêt d’une erreur de droit et d’une erreur de qualification juridique en subordonnant la qualification d’immeuble par nature de la sculpture à la preuve, d’une part, de l’intention de son auteur de la concevoir dans le but de l’incorporer à la sépulture et, d’autre part, de l’impossibilité de procéder à la dissociation de la sculpture sans porter atteinte à la tombe ou à la sculpture elle-même ;

 – la cour a commis une erreur de droit en se fondant, pour écarter la qualification d’immeuble par nature, sur l’existence d’un doute quant à l’auteur de l’épitaphe et de la signature apposée sur la stèle ;

 – la cour a commis une erreur de droit en se fondant sur le but poursuivi par Brancusi quand il a créé « Le Baiser » en 1909 et non sur celui poursuivi par les auteurs du monument funéraire, à savoir l’artiste et le marbrier-sculpteur, en 1911 ;

 – l’annulation de l’arrêt de la cour en tant qu’il a annulé l’arrêté du 21 mai 2010 entraînera l’annulation, par voie de conséquence, du même arrêt en tant qu’il a annulé les décisions du 17 mars et du 28 juin 2016.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

 – le code général des collectivités territoriales ;

 – le code du patrimoine ;

 – le code de l’urbanisme ;

 – le code de justice administrative et le décret n° 2020-1406 du 18 novembre 2020.

Après avoir entendu en séance publique :

— le rapport de M. Laurent Roulaud, maître des requêtes en service extraordinaire,

— les conclusions de M. Alexandre Lallet, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Bauer-Violas, Feschotte-Desbois, Sebagh, avocat du ministre de la culture et à la SCP Fabiani, Luc-Thaler, Pinatel, avocat de la société Duhamel Fine Art et autres , de la société Millon et associes , de Mme A… F…, de M. J… D…, de Mme L… E…, de M. B… D…, de Mme G… H… et de M. C… D… ;

1. Aux termes de l’article R. 821-5 du code de justice administrative : « La formation de jugement peut, à la demande de l’auteur du pourvoi, ordonner qu’il soit sursis à l’exécution d’une décision juridictionnelle rendue en dernier ressort si cette décision risque d’entraîner des conséquences difficilement réparables et si les moyens invoqués paraissent, en l’état de l’instruction, sérieux et de nature à justifier, outre l’annulation de la décision juridictionnelle, l’infirmation de la solution retenue par les juges du fond (…) » ;

2. D’une part, par l’arrêt attaqué du 11 décembre 2020, la cour administrative d’appel de Paris a privé la tombe de Tania Rachewskaïa de toute protection au titre des monuments historiques, y compris le groupe sculpté « Le Baiser » de Constantin Brancusi qu’un arrêté du ministre de la culture du 4 octobre 2006 a élevé au rang de trésor national. Il ressort des pièces du dossier que, dès le 15 décembre 2020, les sociétés Duhamel Fine Art et Millon et associés, agissant au nom des ayants droit de la concession funéraire, ont demandé au service des cimetières de la Ville de Paris l’autorisation de déposer cette sculpture, avant de retirer cette demande le lendemain au motif qu’en l’absence de toute protection au titre des monuments historiques, la modification de la tombe ne nécessitait plus ni permis de construire, ni déclaration préalable de travaux. Dans ces conditions, et alors même qu’à titre conservatoire la ministre de la culture a, par une décision du 18 décembre 2020 contre laquelle les défendeurs ont d’ailleurs introduit un recours en excès de pouvoir, engagé une procédure de classement de ce groupe sculpté sur le fondement de l’article L. 622-5 du code du patrimoine relatif aux objets mobiliers dont la conservation ou le maintien sur le territoire national est menacé, l’exécution de l’arrêt attaqué, qui permettrait la dépose et l’exportation de cette oeuvre, dont il n’est pas contesté qu’elle revêt un intérêt majeur pour le patrimoine national, est susceptible d’entraîner des conséquences difficilement réparables au sens de l’article R. 821-5 du code de justice administrative.

3. D’autre part, la ministre de la culture soutient notamment que la cour administrative d’appel a entaché son arrêt d’erreur de droit en subordonnant la qualification d’immeuble par nature de la sculpture, objet du litige, à la preuve, d’une part, de l’intention de son auteur de la concevoir dans le but de l’incorporer à la sépulture et, d’autre part, de l’impossibilité de procéder à la dissociation de la sculpture sans porter atteinte à la tombe ou à la sculpture elle-même. Ce moyen paraît, en l’état de l’instruction, sérieux et de nature à justifier, outre l’annulation de cet arrêt, l’infirmation de la solution retenue par les juges d’appel.

4. Dans ces conditions et en dépit du risque allégué de dégradations, il y a lieu d’ordonner qu’il soit sursis à l’exécution de l’arrêt du 11 décembre 2020 de la cour administrative d’appel de Paris jusqu’à ce qu’il ait été statué sur le pourvoi de la ministre de la culture.

5. Il n’y a pas lieu, dans les circonstances de l’espèce, de mettre à la charge de la société Duhamel Fine Art et autres la somme que l’Etat demande au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative. Ces mêmes dispositions font obstacle à ce qu’une somme soit mise à la charge de l’Etat, qui n’est pas la partie perdante dans la présente instance.

D E C I D E :

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Article 1er : Jusqu’à ce qu’il ait été statué sur le pourvoi de la ministre de la culture contre l’arrêt de la cour administrative d’appel de Paris du 11 décembre 2020, il sera sursis à l’exécution de cet arrêt.

Article 2 : Les conclusions tendant à l’application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 3 : La présente décision sera notifiée à la ministre de la culture et à la société Duhamel Fine Art, première dénommée.

Copie en sera adressée à la mairie de Paris.


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