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ARRÊT N° /2024
SS
DU 31 JANVIER 2024
N° RG 23/00640 – N° Portalis DBVR-V-B7H-FEUE
Pole social du TJ de CHARLEVILLE-
MÉZIERES
20/62
28 février 2023
COUR D’APPEL DE NANCY
CHAMBRE SOCIALE
SECTION 1
APPELANTE :
S.N.C. [5] prise en la personne de son représentant légal pour ce domicilié au siège social
[Adresse 4]
[Localité 1]
Représentée par Me Maximilien LONGUE EPEE de l’ASSOCIATION DM AVOCATS substitué par Me Laure MOREAU ANSART, avocats au barreau de LILLE
INTIMÉE :
Caisse CPAM DES ARDENNES prise en la personne de son représentant légal pour ce domicilié au siège social
[Adresse 3]
[Localité 2]
Représentée par Madame [O] [Z], régulièrement munie d’un pouvoir de représentation
COMPOSITION DE LA COUR :
Lors des débats, sans opposition des parties
Président : M. HENON
Siégeant en conseiller rapporteur
Greffier : Madame PERRIN (lors des débats)
Lors du délibéré,
En application des dispositions de l’article 945-1 du Code de Procédure Civile, l’affaire a été débattue en audience publique du 19 Décembre 2023 tenue par M. HENON, magistrat chargé d’instruire l’affaire, qui a entendu les plaidoiries, les avocats ne s’y étant pas opposés, et en a rendu compte à la Cour composée de Guerric HENON, président, Dominique BRUNEAU et Catherine BUCHSER-MARTIN, conseillers, dans leur délibéré pour l’arrêt être rendu le 31 Janvier 2024 ;
Le 31 Janvier 2024, la Cour après en avoir délibéré conformément à la Loi, a rendu l’arrêt dont la teneur suit :
Faits, procédure, prétentions et moyens
Le 25 juin 2019, M. [M] [L], salarié de la société [5] en qualité de chauffeur poids lourd depuis le 6 novembre 2017, est décédé au volant de son camion d’un infarctus massif foudroyant.
Selon formulaire du 26 juin 2019, son employeur a souscrit une déclaration d’accident de travail pour ces faits.
La caisse primaire d’assurance maladie des Ardennes (la caisse) a diligenté une enquête administrative et son médecin-conseil, selon avis du 5 août 2019, a estimé que le décès de M. [L] était imputable à l’accident du travail
Par courrier du 18 septembre 2021, la caisse a informé la société de la prise en charge de ce décès au titre de la législation professionnelle.
Le 22 novembre 2019, la société a sollicité l’inopposabilité de cette décision devant la commission de recours amiable de la caisse au motif qu’il s’agissait d’une mort naturelle.
La commission, par décision du 9 janvier 2020, a rejeté sa demande.
Le 10 mars 2020, la société a contesté cette décision devant le pôle social du tribunal judiciaire de Charleville Mézières.
Par jugement 28 février 2023, le tribunal a :
– déclaré opposable à la SNC [5] la décision de la caisse primaire d’assurance maladie des Ardennes de prendre en charge, au tire de la législation professionnelle, l’accident dont a été victime son salarié, M. [L], le 25 juin 2019,
– condamné la SNC [5] à verser à la caisse primaire d’assurance maladie des Ardennes la somme de 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
– débouté la société de sa demande de condamnation de la caisse primaire d’assurance maladie des Ardennes à lui verser la somme de 1 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
– condamné la SNC [5] au paiement des entiers dépens.
Par acte du 24 mars 2023, la société a interjeté appel de ce jugement.
Suivant conclusions notifiées par RPVA le 20 novembre 2023, la société demande à la cour de :
– réformer la décision de première instance en ce qu’elle :
– DECLARE opposable à la SNC [5] la décision de prise en charge par la caisse primaire d’assurance maladie des Ardennes de l’accident du travail de M. [L] dont il a été victime le 25 juin 2019 ;
– CONDAMNE la société [5] à verser à la caisse primaire d’assurance maladie des Ardennes la somme de 500 euros en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile ;
– DEBOUTE la société de sa demande de condamnation de la caisse primaire d’assurance maladie des Ardennes à lui verser la somme de 1 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
– CONDAMNE la société [5] au paiement des entiers dépens.
Statuant à nouveau sur ces points et y ajoutant,
– déclarer que :
– la décision de la CPAM du 18 septembre 2019 (reçue le 24 septembre 2019) de prise en charge du décès de M. [L] au titre de la législation relative aux accidents du travail lui est inopposable,
– le décès de M. [L] ne doit pas être pris en charge au titre de la législation relative aux accidents du travail,
– déclarer que dans les rapports entre la CPAM et la société [5], ce décès ne relève pas des accidents du travail,
– déclarer que le décès de M. [L] ne peut, en toute hypothèse, lui être imputée,
– condamner la CPAM à lui verser la somme de 1.500 € en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,
– condamner la CPAM aux dépens,
– débouter la CPAM de ses demandes reconventionnelles.
Suivant conclusions récapitulatives et responsives reçues au greffe le 7 décembre 2023, la caisse demande à la cour de :
– confirmer le jugement rendu par le tribunal judiciaire de Charleville-Mézières le 28 février 2023 en toutes ses dispositions.
– juger que la décision de prise en charge du décès de M. [L] [M] au titre du risque professionnel est légalement fondée,
– juger que ladite décision de prise en charge est parfaitement opposable à la société [5],
– condamner la société [5] à lui payer la somme de 1 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
– condamner la société [5] aux entiers dépens.
Pour l’exposé des moyens des parties, il convient de faire référence aux conclusions sus mentionnées, reprises oralement à l’audience.
Motifs
1/ Sur le respect de la procédure de reconnaissance d’accident du travail :
Il résulte de l’article R. 441-11, III, du code de sécurité sociale qu’en cas de réserves motivées de la part de l’employeur, ou de décès et si elle l’estime nécessaire, la caisse procède à une enquête auprès des intéressés, selon des modalités qui peuvent différer de l’un à l’autre ( en ce sens, 2e Civ., 26 janvier 2023, pourvoi n° 21-14.852).
Par ailleurs et selon l’article L. 442-4 du code de la sécurité sociale la caisse doit, si les ayants droit de la victime le sollicitent ou avec leur accord si elle l’estime elle-même utile à la manifestation de la vérité, demander au tribunal dans le ressort duquel l’accident s’est produit de faire procéder à l’autopsie dans les conditions prévues aux articles 232 et suivants du code de procédure civile. Si les ayants droit de la victime s’opposent à ce qu’il soit procédé à l’autopsie demandée par la caisse, il leur incombe d’apporter la preuve du lien de causalité entre l’accident et le décès.
Il résulte de ce texte qu’en l’absence de demande des ayants droit de la victime, la caisse n’est pas tenue de faire procéder à une autopsie (Soc., 1 juillet 1999, pourvoi n° 97-20.570) dès lors qu’elle s’estime suffisamment informée par l’enquête (Soc., 11 décembre 1997, pourvoi n° 96-14.050 ; Soc., 20 juin 1996, pourvoi n° 94-13.689).
*-*-*
L’employeur fait valoir que l’enquête doit être menée de façon contradictoire. Il entend rappeler le principe de l’égalité des armes garanti par l’article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales qui impose d’offrir à chaque partie à un procès, une possibilité raisonnable de présenter sa cause dans des conditions qui ne la placent pas dans une situation de net désavantage par rapport à son adversaire. Si le malaise d’un salarié aux temps et lieu du travail est présumé avoir un caractère professionnel, l’employeur doit avoir la possibilité effective de renverser la présomption en ayant accès aux éléments susceptibles d’éclairer la cause médicale de ce malaise. A défaut, l’employeur est placé dans une situation où il doit rapporter la preuve d’un fait impossible à démontrer. Il conteste l’effectivité et l’exhaustivité de cette enquête, argument qui ne se résume pas seulement à l’absence d’autopsie ou de questionnaire comme retenu par le Pôle Social dès lors qu’elle présente un caractère sommaire. Elle n’a pas, ne serait-ce qu’interrogé la compagne de Monsieur [L] sur son état de santé avant ce décès, d’éventuels traitements. Quand bien même l’autopsie ou le questionnaire ne serait pas obligatoire comme s’en prévaut la CPAM, il n’en demeure pas moins qu’elle doit procéder à une véritable instruction afin de déterminer les circonstances dans lesquelles est intervenu le décès dont il est sollicité la prise en charge au titre de l’accident du travail. Il ressort surtout du dossier que la CPAM a omis de mettre à la disposition de l’employeur dans le dossier soumis à consultation l’avis du médecin conseil de la caisse sur l’imputabilité du décès au travail.
La caisse conteste le caractère insuffisant de l’enquête en l’état d’un décès survenu aux temps et lieu de travail bénéficiant de la présomption d’imputabilité. Aucun texte n’impose de produire un certificat médical et l’organisation d’une autopsie constitue une simple possibilité. Outre que l’avis du médecin conseil n’a pas à figurer parmi les pièces du dossier, en l’espèce cet avis a été rendu le 5 aout 2019 soit bien avant la décision prise par la caisse.
*-*-*
D’une part, les dispositions de l’article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales qui relèvent du droit à un procès équitable ne sont applicables à la procédure administrative de reconnaissance d’un accident du travail.
D’autre part, si l’employeur fait valoir que l’instruction de la caisse était insuffisante, la caisse ayant cependant procédé à une enquête dans le cadre de laquelle l’employeur a été contacté et au cours de laquelle il était loisible à l’employeur de produire les éléments qui lui apparaissait nécessaires, ce dernier ne saurait se prévaloir d’un manquement à ce sujet.
En effet l’enquête met en évidence une audition de l’employeur et d’une amie du salarié et il ne saurait être soutenu un manque tenant à l’absence d’autopsie qui constitue de jurisprudence constante une simple faculté pour la caisse.
Par ailleurs et contrairement aux allégations de l’employeur, l’avis du médecin conseil a bien été émis le 5 aout 2019 ainsi qu’il résulte de la mention figurant sur la fiche d’échange historisé produite aux débats et il ne saurait être tiré la conséquence de ce que cette pièce n’a pas été mise à dispositions de l’employeur compte tenu des énonciations de l’enquête administratives qui sont visées par l’employeur dès lors que cette en quête ne constitue qu’une des pièces figurant au dossier mais ne constitue pas le dossier. Au demeurant et contrairement aux allégations de l’employeur, cette avis ne figure pas parmi les pièces du dossier devant être constitué par la caisse dans les conditions de l’article R. 441-13 du code de sécurité sociale dans sa rédaction applicable à l’espèce. Enfin, la caisse justifie de l’envoi de l’avis invitant l’employeur à consulter le dossier en date du 29 aout 2019 et de se réception par ce dernier du 2 septembre 2019, sans qu’il ne soit ni justifié ni même allégué de sa consultation effective au cours du délai précédent la prise de décision de la caisse.
2/ Sur le caractère professionnel de l’accident du travail :
Il résulte des dispositions de l’article L. 411-1 du code de la sécurité sociale que constitue un accident du travail un événement ou une série d’événements survenus à des dates certaines par le fait ou à l’occasion du travail, dont il est résulté une lésion corporelle, quelle que soit la date d’apparition de celle-ci (Soc., 2 avril 2003, no 00-21.768, Bull. no132). Les juges du fond apprécient souverainement si un accident est survenu par le fait ou à l’occasion du travail (Soc., 20 décembre 2001, Bulletin civil 2001, V, n° 397).
Le salarié, respectivement la caisse en contentieux d’inopposabilité, doit ainsi « établir autrement que par ses propres affirmations les circonstances exactes de l’accident et son caractère professionnel » (Soc., 26 mai 1994, Bull. n° 181), il importe qu’elles soient corroborées par d’autres éléments (Soc., 11 mars 1999, no 97-17.149, civ.2e 28 mai 2014, no 13-16.968).
En revanche, dès lors qu’il est établi la survenance d’un évènement dont il est résulté une lésion aux temps et lieu de travail, celui-ci est présumé imputable au travail, sauf pour celui entend la contester de rapporter la preuve qu’il provient d’une cause totalement étrangère au travail.
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L’employeur expose qu’il n’y a pas de prise en charge au titre des accidents du travail des lésions qui ont une origine étrangère au travail. Tel est le cas notamment lorsqu’il n’y a aucun traumatisme lié au travail à l’origine de cette lésion qui résulte, en réalité, d’un état pathologique préexistant. Ainsi, lorsque la lésion apparait à la suite d’une période de repos sans efforts physiques ni accumulation de fatigue liés au travail, cette lésion n’a pas d’origine traumatique et a une cause totalement étrangère à l’activité professionnelle du salarié. En l’espèce, le décès est intervenu le matin après la prise de poste et après que le salarié ait bénéficié d’une période de repos. Il est, en outre, intervenu alors que Monsieur [L] était simplement assis dans son véhicule et ne fournissait aucun effort particulier. Il a effectué une déclaration reprenant les informations du SMUR et l’existence d’un PV de la gendarmerie relatant l’existence d’une mort naturelle aucune enquête sérieuse, ni autopsie ne sera effectuée. Il considère que l’absence d’autopsie l’a privée de la capacité d’établir que le décès pouvait avoir une cause autre que le travail, de la faculté de connaître l’origine du décès de son salarié, et que cette incertitude et ce doute doivent être retenus au détriment de la caisse. La société [5] n’a, ainsi, pas été en mesure de rechercher si la lésion dont le salarié avait été victime avait une cause extérieure au travail
La caisse rappelle que le décès est survenu aux temps et lieu de travail alors même que le salarié était sous l’autorité hiérarchique de l’employeur. La présomption jour quel que soit la lésion. L’employeur ne produit pas d’élément renversant la présomption.
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Au cas présent, il résulte tant de la déclaration d’accident du travail que de l’enquête que le salarié qui avait commencé son travail à 6 h a été retrouvé mort aux commandes de son camion à 7h alors qu’après avoir procédé à un chargement sur une carrière, et être passé sur la bascule pour peser ce chargement, il s’était garé quelques mètres plus loin. Il résulte de de ces mêmes éléments que le décès procède d’un infarctus massif foudroyant.
Il en résulte que le décès survenu aux temps et lieu de travail est réputé imputable au travail sauf la faculté pour l’employeur de rapporter la preuve d’une preuve totalement étrangère au travail. A cet effet, la circonstance selon laquelle la mort ait été qualifiée de mort naturelle et n’ait pas entrainé d’enquête pénale, signifie qu’il n’a pas été considéré de cause criminelle pouvant expliquer le décès mais ne saurait établir que cet infarctus procède d’une cause totalement étrangère au travail. Il ne saurait par ailleurs être soutenu l’existence d’une cause totalement étrangère au travail tenant à une prise de poste récente après un repos et à une absence d’effort particulier alors que précisément le décès est survenu pendant l’exécution du travail qui comporte en lui-même des conditions de travail causes de fatigue, raison pour laquelle la réglementation applicable en matière de coordination des transports impose des règles de temps maximum de conduite continue et journalière.
Dans ces conditions et sans que l’absence d’autopsie ne soit de nature à justifier d’une remise en cause du caractère professionnel de l’accident, il convient de confirmer le jugement entrepris.
3/ Sur les mesures accessoires
L’employeur qui succombe sera condamné aux dépens sans qu’il ne soit nécessaire de faire application de l’article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
La Cour, chambre sociale, statuant contradictoirement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, après débats en audience publique et après en avoir délibéré,
Confirme le jugement du 28 février 2023 du pôle social du tribunal judiciaire de Charleville Mézières ;
Condamne la société [5] aux dépens dont les chefs sont nés postérieurement au 1er janvier 2019.
Ainsi prononcé par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.
Et signé par monsieur Guerric HENON, président de chambre et par madame Laurène RIVORY, greffier.
LE GREFFIER LE PRÉSIDENT DE CHAMBRE
Minute en sept pages