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RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D’APPEL DE PARIS
Pôle 6 – Chambre 7
ARRÊT DU 25 JANVIER 2024
(n° 31 , 10 pages)
Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 20/06313 – N° Portalis 35L7-V-B7E-CCNRG
Décision déférée à la Cour : Jugement du 21 juillet 2020 – Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de BOBIGNY – RG n° 17/00681
APPELANTE
S.A.S. AEROPASS
Inscrite au RCS de PONTOISE sous le n° 432 683 456
[Adresse 2]
[Localité 4]
Représentée par Me Annie GULMEZ, avocat au barreau de MEAUX
INTIMÉ
Monsieur [R] [K]
[Adresse 1]
[Localité 3]
Représenté par Me Eric MOUTET, avocat au barreau de PARIS, toque : E0895
COMPOSITION DE LA COUR :
L’affaire a été débattue le 09 novembre 2023, en audience publique, devant la Cour composée de :
Madame Bérénice HUMBOURG, pésidente de chambre
Madame Guillemette MEUNIER, présidente de chambre
Monsieur Laurent ROULAUD, conseiller
qui en ont délibéré, un rapport a été présenté à l’audience par Madame Guillemette MEUNIER, présidente de chambre, dans les conditions prévues par l’article 804 du code de procédure civile.
Greffier, lors des débats : Mme Alisson POISSON
ARRÊT :
– CONTRADICTOIRE,
– par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.
– signé par Madame Guillemette MEUNIER, présidente de chambre, et par Madame Alisson POISSON, greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
EXPOSÉ DU LITIGE
La société Aéropass exploite une activité de transport de voyageurs. Elle emploie plus de onze salariés et applique la convention collective des transports routiers de voyageurs.
Aux termes de contrats conclus avec Air France et ADP, elle assure le transport par bus des voyageurs sur les pistes de l’aéroport [5] selon deux types de prestations :
– le service CNT : transports des passagers en transit entre les différents terminaux de l’aéroport ;
– le service Pax large : transports des passagers entre les avions et les terminaux lorsque l’avion qui arrive ou qui part de l’aéroport n’est pas positionné au contact d’un aérogare mais en aire de stationnement éloigné.
M. [R] [K] a été embauché par la société Aerial, par contrat à durée indéterminée du 18 octobre 1999 avec une reprise d’ancienneté au 14 avril 1999, en qualité de conducteur de car.
À compter du 03 novembre 2000, son contrat de travail a été transféré à la société Aéropass.
En décembre 2012, M. [K] a été victime d’un accident du travail et a été placé en arrêt jusqu’au 31 mars 2013.
Le 19 janvier 2015, dans le cadre d’un examen occasionnel à la demande du salarié, le médecin du travail a rendu l’avis suivant : ‘Pas de conduite de plus d’une heure pax large ou CNT d’une heure pendant 3 mois’.
Le 04 mars 2015, M. [K] a été victime d’un accident qui l’a contraint à un arrêt jusqu’au 20 mars 2015.
Par courrier du 23 mars 2015, M. [K] a été convoqué à un entretien préalable fixé au 1er avril 2015. Cette convocation était assortie d’une mise à pied à titre conservatoire.
Le 30 mars 2015, dans le cadre d’un nouvel examen occasionnel, le médecin du travail a rendu l’avis suivant : ‘Pas de conduite de CNT pendant 3 mois’.
Par courrier du 20 avril 2015, la société Aéropass a notifié à M. [K] une mise à pied disciplinaire de 3 jours pour avoir refusé de remplacer un collègue de travail absent sur une tournée CNT.
Le 1er juin 2016, dans le cadre d’un nouvel examen occasionnel, le médecin du travail a rendu l’avis suivant : ‘Limiter les périodes à 1 heure de suite pendant 6 mois’.
Par courrier du 23 septembre 2016, la société Aéropass a notifié à M. [K] un rappel à l’ordre pour des retards en date des 31 juillet et 16 septembre 2016.
Par lettre remise en main propre du 06 décembre 2016, M. [K] a été convoqué à un entretien préalable fixé au 19 décembre suivant. Cette convocation était assortie d’une mise à pied à titre conservatoire.
Par lettre recommandée avec avis de réception du 6 janvier 2017, la société Aéropass a notifié à M. [K] son licenciement pour cause réelle et sérieuse.
Par lettre du 02 janvier 2017, M. [K] a contesté la procédure disciplinaire dont il a fait l’objet.
Contestant la mesure de licenciement, il a saisi le conseil de prud’hommes de Bobigny par requête du 09 mars 2017.
Par jugement du 18 novembre 2019, le conseil de prud’hommes de Bobigny a dit M. [K] recevable en ses demandes et renvoyé la présente instance devant le bureau de jugement du 26 mai 2020.
Par jugement contradictoire du 21 juillet 2020, le conseil de prud’hommes a :
– dit le licenciement nul ;
– en conséquence, ordonné à la SAS Aéropass de réintégrer M. [K] ;
– condamné la SAS Aéropass à verser à M. [K] :
104.635,50 euros à titre de rappel de salaires pour l’ensemble de la période courant du licenciement jusqu’au prononcé du présent jugement, soit 39,5 mois,
et la somme de 1.200 euros au titre de l’article 700 du Code de procédure civile,
– rappelé que les créances salariales porteront intérêts de droit à compter de la date de saisine devant le Conseil de Prud’hommes, soit le 9 mars 2017, et les créances à caractère indemnitaire porteront intérêts au taux légal à compter du jour du prononcé du présent jugement ;
– débouté M. [K] du surplus des demandes ;
– condamné la SAS Aéropass aux dépens de la présente instance.
Par déclaration notifiée par le RPVA le 02 octobre 2020, la société Aéropass a interjeté appel de cette décision.
Aux termes de ses dernières conclusions transmises par la voie électronique le 03 octobre 2023, la société Aéropass demande à la cour de :
A titre principal,
– annuler le jugement entrepris pour violation du principe du contradictoire ;
– écarter les moyens retenus par le Conseil non soulevés par le demandeur, lequel n’est pas recevable à s’approprier les motifs du jugement dont s’agit et à se prévaloir dans ses conclusions desdits moyens ;
A titre subsidiaire,
– infirmer le jugement en ce qu’il a déclaré M. [K] recevable en sa demande de rappel de salaires qui ne figurait pas dans sa requête initiale ;
– infirmer le jugement en ce qu’il a déclaré recevable la demande de rappel de salaires pour la période du 5 avril 2018 au 21 juillet 2020 qui ne figurait pas dans les écritures ;
– rejeter en l’absence de demande d’infirmation du jugement sur le montant alloué au titre de l’indemnité d’éviction, la demande réajustée à hauteur de 217.218 euros au regard du principe de concentration des prétentions ;
En tout état de cause,
– infirmer le jugement en toutes ses dispositions ;
– juger que le licenciement du salarié repose sur une cause réelle et sérieuse ;
– rejeter en conséquence la demande en nullité du licenciement et la demande de réintégration ;
– débouter M. [K] de l’ensemble de ses demandes pour les motifs sus-exposés ;
A titre infiniment subsidiaire,
si la Cour devait considérer comme recevable et fondée la demande réajustée dans les conclusions n°4 à hauteur de 217.218 euros ;
– débouter M. [K] de ses demandes, faute pour lui de justifier de l’intégralité des salaires et revenus de remplacement perçus à compter du 7 janvier 2017 et jusqu’à sa réintégration ;
– condamner M. [K] à verser à la SASU Aéropass la somme de 3.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
– condamner M. [K] aux entiers dépens, y compris les éventuels frais d’exécution de la décision à intervenir par voie d’huissier de justice.
Aux termes de ses dernières conclusions transmises par la voie électronique le 29 septembre 2023, M, [K] demande à la cour de :
– confirmer le jugement du Conseil de Prud’hommes de Bobigny en date du 21 juillet 2020 en ce qu’il a déclaré recevables ses demandes et notamment celles relatives à la nullité de son contrat de travail, à sa réintégration et les conséquences indemnitaires en résultant ;
A titre principal :
– confirmer le jugement du Conseil de Prud’hommes de Bobigny en date du 21 juillet 2020 en ce qu’il a déclaré nul le licenciement de M. [K], ordonné sa réintégration sein de la société Aéropass et condamner la société à lui payer un rappel de salaire ;
En conséquence :
– prononcer la nullité du licenciement de M. [K] ;
– ordonner la réintégration de M. [K] au sein de la Société Aéropass sous astreinte de 500 euros par jour à compter de la décision à intervenir ;
– condamner la Société Aéropass à payer à M. [K] un rappel de salaire à hauteur de 217.218 euros pour la période allant de son licenciement en date du 6 janvier 2017 au 10 novembre 2023 soit 82 mois (à parfaire au jour du délibéré de la Cour à hauteur de 2.649 euros bruts par mois) ;
A titre subsidiaire :
– dire et juger que le licenciement de M. [K] est dépourvu de cause réelle et sérieuse ;
En conséquence,
– condamner la SAS Aéropass à verser à M. [K] une somme de 63.576 euros à titre d’indemnité de licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
En tout état de cause,
– condamner la Société Aéropass à payer à M. [K] une somme de 3.000 euros au titre de l’article 700 du Code de Procédure Civile pour cause d’appel ;
– dire que s’appliqueront les intérêts au taux légal à compter de la saisine sur l’intégralité des condamnations ;
– prononcer la capitalisation des intérêts au sens de l’article 1154 du Code civil;
– condamner la société Aéropass aux entiers dépens.
La Cour se réfère pour un plus ample exposé des prétentions et moyens des parties à leurs conclusions conformément aux dispositions de l’article 455 du code de procédure civile.
L’instruction a été déclarée close le 04 octobre 2023.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Sur la demande d’annulation du jugement
L’article 16 du code de procédure civile énonce que le juge doit en toutes circonstances faire observer et observer lui-même le principe de la contradiction. Il ne peut retenir, dans sa décision, les moyens, les explications et les documents invoqués ou produits par les parties que si elles ont été à même d’en débattre contradictoirement. Il ne peut fonder sa décision sur les moyens de droit qu’il a relevés d’office sans avoir au préalable invité les parties à présenter leurs observations.
Le non-respect de ce principe entraîne l’annulation de l’entière décision déférée.
En l’espèce, au soutien de sa demande d’annulation du jugement, la société Aéropass relève que le conseil de prud’hommes a soulevé d’office les moyens tenant à l’obligation de sécurité de l’employeur et le droit de retrait du salarié, qui n’avaient pas été invoqués par celui-ci et sans inviter les parties à présenter leurs observations.
La société Aéropass, sans être critiquée, produit les conclusions du salarié déposées devant le conseil de prud’hommes. Il n’en ressort pas que le salarié ait fait état des moyens retenus par les premiers juges.
Dès lors, c’est à raison que la société indique que ces moyens auraient été soulevés d’office par les premiers juges en méconnaissant le principe du contradictoire, alors qu’ils n’étaient pas dans les débats.
Il s’en suit que le jugement doit être annulé pour violation du principe de la contradiction.
La cour doit néanmoins statuer sur le litige.
Sur l’irrecevabilité des demandes nouvelles
L’employeur soulève l’irrecevabilité de la demande de rappel de salaire s’agissant d’une demande nouvelle.
En l’espèce, le salarié a saisi par requête du 9 mars 2017 le conseil de prud’hommes aux fins de solliciter ainsi qu’il ressort des termes du jugement à titre principal la nullité de son licenciement, sa réintégration dans l’entreprise, un rappel de salaire du 6 janvier 2017 au 4 avril 2018, qu’il a réactualisé lors de l’audience et à titre subsidiaire de dire et juger son licenciement sans cause réelle et sérieuse avec les conséquences indemnitaires.
Par jugement en date du 18 novembre 2019, le conseil de prud’hommes a dit M. [K] recevable en ses demandes et a renvoyé l’affaire devant le bureau de jugement. Cette décision n’a pas été frappée d’appel et a dès lors tranché la question de la recevabilité des demandes, en ce compris la nullité du licenciement, la réintégration et le rappel de salaire qui en est l’accessoire. Par ailleurs, l’actualisation de la demande de rappel de salaire liée à la demande de nullité de licenciement à la date de l’audience de jugement du conseil de prud’hommes ne présente pas les caractéristiques d’une demande nouvelle. En effet, la prétention consistant en une demande de rappel de salaire actualisée à la date de l’audience du jugement n’est pas nouvelle, seul le montant de la demande étant modifié.
Le moyen d’irrecevabilité soulevé par la société Aéropass doit être par conséquent rejeté.
Sur le licenciement
Sur le moyen tiré de la nullité du licenciement discriminatoire en raison de l’état de santé
M. [K] soutient que suite à un accident de travail il a fait l’objet de nombreuses fiches d’aptitude jusqu’en 2016 lui interdisant d’être affecté au poste CNT et que son employeur n’a pas pris en compte les restrictions émises. Dès le 30 mars 2015, le médecin du travail prohibait toute conduite sur la tournée CNT pendant trois mois. La dernière fiche d’aptitude du salarié en date du 1er juin 2016 faisait état de restrictions, à savoir ne pas conduire plus d’une heure pour une durée de 6 mois, restrictions prenant fin non le 30 novembre 2016 mais le 1er décembre 2016. Or, il fait valoir que la société l’a licencié pour ne pas s’être rendu au service de la CNT le lendemain de la fin de sa restriction médicale sans justifier que la mission durerait une heure et en faisant abstraction de son absence de formation.
La société Aéropass réplique que M. [K] a fait acte d’insubordination en refusant de se rendre en formation malgré les injonctions de sa hiérarchie et en refusant sans motif légitime d’effectuer un service CNT d’une durée de 30 minutes compatible avec les restrictions médicales et ce alors qu’il était parfaitement compétent pour effectuer ce service.
En application des dispositions de l’article L. 1132-1 du code du travail, aucun salarié ne peut être licencié en raison de son état de santé.
Aux termes de l’article L. 1134-1 du code du travail, lorsque survient un litige en raison d’une méconnaissance des dispositions du chapitre II, le candidat à un emploi, à un stage ou à une période de formation en entreprise ou le salarié présente des éléments de fait laissant supposer l’existence d’une discrimination directe ou indirecte, telle que définie à l’article 1er de la loi n° 2008-496 du 27 mai 2008 portant diverses dispositions d’adaptation au droit communautaire dans le domaine de la lutte contre les discriminations.
Au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination.
Le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d’instruction qu’il estime utiles.
Aux termes de la lettre de licenciement, qui fixe les termes du litige, l’employeur a licencié M. [K] pour cause réelle et sérieuse, lui reprochant les faits suivants :
– refus de se rendre en formation ;
– refus d’effectuer un service CNT.
Les griefs sont libellés de la façon suivante :
‘Le 2 décembre 2016, Mme [D] [B], agent de maîtrise d’exploitation (AME) vous a missionné pour effectuer un roulage de 30 minutes sur la navette orange de 14 h à 14 h 30. A cette occasion, vous avez cru pouvoir opposer à votre hiérarchie directe, un refus de réalisation de prestation relevant pourtant de vos attributions. Pour tenter de vous justifier, vous avez prétexté de manière infondée que vous étiez soumis à une restriction médicale vous interdisant d’être affecté à la CNT. Vous avez également indiqué que vous n’étiez pas formé à la CNT.
Or d’une part, l’avis médical délivré par le médecin du travail qui stipule ‘limiter les périodes à une heure de suite pendant six mois’ ne fait en aucun cas référence à l’interdiction de travailler à la CNT dont vous vous êtes prévalu. De sorte que le roulage qui vous avez été attribué respectait ledit avis médical, d’autant plus que cette restriction avait pris fin le 30 novembre au soir soit 2 jours avant votre refus. D’autre part, Mme [B] avait avant votre prise de service au CNT programmé une formation avec M. [C] [Z] [V] surnommé Bibi, formateur.
Malgré les diverses sollicitations et alertes de l’AME quant à vos arguments infondés exposés ci-dessus, vous avez tout de même refusé de travailler.
Par ailleurs, le 6 décembre 2016 à 10 h 46, M. [A] [O], régulateur, en présence de Messieurs [T] [S] et [M] [G], vous a demandé par radio de vous présenter au service de formation en ces termes ‘Bibi le formateur voudrait te voir maintenant tu peux monter maintenant s’il te plaît’. Ceux à quoi vous avez répondu ‘ Ouais ok’.
En effet, vous deviez suivre une formation à la CNT qui aurait dû vous êtes délivrée le 2 décembre dernier mais qui n’a pas eu lieu en raison de votre refus évoqué ci-avant. Ce même jour, M. [O] vous a de nouveau contacté afin de s’assurer que vous vous étiez présenté au bureau du formateur en vue de suivre ladite formation. Vous lui avez rétorqué que vous ne vous étiez pas rendu au bureau de Bibi en prétextant ne pas le connaître. Médusé par votre réponse, il a réitéré sa demande à plusieurs reprises et vous avez formulé à chaque fois la même réponse en précisant ‘ c’est nouveau ” ‘Non, non j’ai été voir personne, je ne sais pas qui c’est moi’. Lors de votre échange à 12h09, le régulateur est revenu sur cet incident : ‘ Tout à l’heure je t’ai appelé et je t’ai demandé je t’avais dit Bibi il a besoin de toi tu me dis oui. Ca fait une heure qu’on te laisse et tu n’es pas monté le voir’ et votre réponse a été la suivante :’ A non mais sur l’instant je me suis dit je ne sais pas qui c’est Bibi’.
Le régulateur vous alors affecté sur une prestation Pax large.
Or, vous avez suivi à plusieurs reprises des formations telles que le permis piste, FCO, formations terrain etc dispensées par M. [C] [Z] [V] , prénommé Bibi, unique formateur au sein de la société Aéropass. Ce dernier nous a confirmé lors de ces formations vous vous êtiez déjà adressé à lui en utilisant son surnom. Par conséquent, vous ne pouviez pas prétendre ne pas connaître le formateur. Et si une incompréhension subsistait, vous auriez dû demander toute précision utile au régulateur afin de pouvoir vous rendre en formation et ainsi éviter de rester sans activité pendant plus d’une heure.
Ce type d’attitude est inadmissible et porte préjudice au bon fonctionnement de l’entreprise. En effet, votre refus de travailler et plus précisément d’être affecté à la CNT mobilise inutilement le temps de votre hiérarchique, l’AME, ce dernier devant trouver une solution permettant de respecter les termes du contrat avec notre client. Nous vous rappelons que la CNT est une activité au même titre que le Pax Large faisant partie intégrante de vos missions.
De plus vous avez fait perdre un temps considérable au formateur qui vous a attendu les 2 et 6 décembre 2016.
Le fait de refuser une mission donnée par un supérieur hiérarchique est totalement inacceptable d’un professionnel tel que vous et constitue une insubordination caractérisée.’
Revendiquant que les fautes reprochées trouvent leur origine dans ses problèmes de santé consécutivement à son accident de travail, M. [K] produit :
– ses courriers de contestation en date du 28 février 2017 évoquant ‘le manquement de l’employeur à l’obligation de sécurité’ ; ‘le licenciement injustifié en accident du travail’ et ‘le harcèlement moral et physique’et expliquant les raisons de son refus de conduite faute de formation et en raison des restrictions médicales ;
– les certificats en lien avec son accident de travail ;
– les fiches d’aptitude, notamment celle établie le 1er juin 2016 ‘limitant les périodes à 1 heure de suite pendant 6 mois’ ;
– un courrier qu’il a adressé à l’inspecteur du travail en date du 1er avril 2015 dénonçant les problèmes qu’il rencontre avec la direction depuis son accident de travail survenu en 2015 ;
– des récépissés de déclaration de main-courante en date du 5 décembre 2012 et 25 mars 2015 pour conflits au travail, harcèlement ;
– la convocation par courrier du 23 mars 2015 à un entretien préalable à une éventuelle mesure de licenciement assortie d’une mise à pied à titre conservatoire ;
– un courrier daté du 28 mars 2015 portant contestation de sa mise à pied notifiée le 23 mars 2015 en raison de son refus d’effectuer une tournée CNT ;
– le courrier daté du 20 avril 2015 portant notification d’une mise à pied disciplinaire pour refus d’exécution d’une tâche au prétexte des restrictions médicales ;
– la notification d’un rappel à l’ordre le 23 septembre 2016 en raison de deux retards de trente minutes et une heure ;
– une demande de congé individuel de formation datée du 4 mars 2016 suite à deux refus ;
– la contestation de la sanction de mise à pied conservatoire notifiée le 6 décembre 2016 ;
– un exemple de convocation par écrit à une formation ;
– l’attestation établie par M. [W], délégué syndical, membre du CHSCT, qui relate notamment avoir accompagné M. [K] lors de l’entretien préalable au cours duquel il a été évoqué l’absence de formation de celui-ci à la conduite ‘CNT’ depuis 2015.
Il s’en déduit que le salarié présente des éléments de fait laissant supposer l’existence d’une discrimination en raison de son état de santé.
L’employeur fait valoir pour sa part que le salarié a été licencié pour une cause indépendante de sa maladie, soit pour son comportement fautif et que l’état de santé du salarié est étranger à la procédure disciplinaire mise en oeuvre.
L’employeur expose que M. [K] a été victime d’un accident du travail en décembre 2012 qui entraîna un arrêt jusqu’au 31 mars 2013. Il a été par la suite placé en arrêt maladie du 2 décembre 2013 au 15 mars 2014. Lors de la visite de reprise, le médecin du travail a exclu l’exécution des prestations sur circuit CNT puis a limité à ‘pas plus d’une heure sur le circuit Pax large ou CNT pendant 3 mois’ par avis du 19 janvier 2015.
M. [K] a été victime d’un accident du travail le 4 mars 2015 et reprendra son poste le 20 mars 2015. Par avis du 30 mars 2015, le médecin du travail indiquait ‘pas de conduite de CNT pendant trois mois’.
Il est constant que suivant avis du médecin du travail du 1er juin 2016, M. [K] a été jugé apte à son poste avec les restrictions énoncées de la manière suivante : ‘limitation des périodes de conduite à 1 heure de suite pendant 6 mois’, restrictions s’achevant en conséquence au plus tard le 1er décembre 2016.
Il en ressort qu’il n’existait donc pas d’interdiction de conduire sur le circuit CNT dès lors que le temps de conduite était limité à une heure et que plus aucune restriction en terme de durée de conduite et d’affectation du salarié sur le circuit CNT n’existait à la date du 2 décembre 2016. La tournée assignée à M. [K] était donc compatible avec les préconisations du médecin du travail, rendant sans emport le débat sur la durée prévisible du roulage programmé au dernier moment.
L’employeur justifie également en produisant les plannings d’autres salariés de l’entreprise que ceux-ci pouvaient être appelés au pied levé pour des prestations ‘CNT’.
La société Aéropass produit également l’attestation de M. [V], formateur, lequel confirme que M. [K] le connaissait en qualité de formateur puisqu’il lui avait dispensé des formations et le nommait ‘ Bibi’.
Contrairement à ce que soutient le salarié, le fait qu’une attestation émane d’un salarié sous le lien de subordination de l’employeur ne suffit pas, à lui seul, à lui dénier toute valeur probante. Il n’y a donc pas lieu d’écarter cette attestation.
M. [K] ne conteste pas véritablement avoir été convoqué à une ‘formation ‘ ainsi qu’il est relaté dans la lettre de licenciement mais oppose ne pas avoir été convoqué dans les formes à cette formation. Il soutient qu’il ne connaissait pas le ‘dénommé Bibi’, ce d’autant que ce qui est présenté comme une formation était selon lui un roulage de 30 minutes prévu le 6 décembre et non le 2 décembre.
Or, il n’existait pas selon les avis du médecin du travail de motif médical interdisant la formation, pas plus qu’il n’existait à partir du 2 décembre 2016 de restriction de roulage au delà d’ une heure, seul le médecin du travail étant à même de juger de l’aptitude du salarié.
Les deux griefs visés dans la lettre de licenciement dont les termes ont été rappelés ci-avant sont donc établis.
L’employeur démontre ainsi qu’il a pris sa décision de licenciement sur des éléments objectifs étrangers à toute discrimination.
Enfin, il sera rappelé que pour être justifié, l’exercice du droit de retrait par un salarié est subordonné à deux conditions :
-le salarié doit alerter immédiatement l’employeur de sa situation de travail qui présente un danger grave et imminent pour sa santé ou sa vie ;
– le salarié doit avoir un motif raisonnable de penser que sa situation de travail présente un tel danger.
En l’espèce, M. [K] qui se prévaut de l’exercice d’un droit de retrait est défaillant à rapporter la preuve de la première condition susmentionnée à savoir l’alerte immédiate de l’employeur. En effet, le refus d’exécuter la mission aux motifs de restrictions médicales ne peut s’analyser en l’exercice dans les conditions rappelées du droit de retrait.
La demande de nullité du licenciement ainsi que les demandes s’y rattachant seront en conséquence rejetées.
Sur la demande subsidiaire tendant à voir juger sans cause réelle et sérieuse le licenciement
M. [K] soutient à titre subsidiaire que son licenciement est dépourvu de cause réelle et sérieuse en raison de ce que :
– la mission confiée le 2 décembre 2016 présentait un danger pour sa santé, ce d’autant qu’il n’avait pas été formé avant d’être affecté sur les circuits de roulage ;
– la formation évoquée par l’employeur était en fait un roulage de 30 minutes présentant les mêmes risques pour sa santé ;
– il ne connaissait pas le dénommé ‘Bibi’ et aurait du recevoir, ainsi qu’en atteste le secrétaire du CHSCT, une convocation écrite de se rendre à la formation.
Il a été retenu précédemment que les griefs évoqués dans la lettre de licenciement sont établis.
L’employeur justifie également que M. [K] avait déjà été formé au préalable pour être affecté au circuit CNT. Toutefois, il ressort des écritures et des pièces produites que le salarié n’avait plus été formé depuis 2012 sur ce circuit, ce d’autant qu’il avait été absent durant de longues périodes consécutivement aux accidents du travail. Le salarié avait toutefois été convoqué le 15 mars 2016 à une formation dès lors qu’une convocation lui avait été remise en main propre contre signature, session de formation intitulée selon les pièces produites ‘ Citaro/Cnt’ mais ne s’y était pas rendu. Une autre convocation lui avait été remise pour une formation le 24 mars 2016.
Il est constant que M. [K] avait déjà fait l’objet en mars 2015 d’une sanction disciplinaire, soit une mise à pied qu’il avait contestée, pour un refus d’affectation sur le circuit CNT dans des conditions similaires, entre deux avis du médecin du travail. Le 30 mars 2015, le médecin du travail rendait en effet un avis excluant la conduite CNT pendant 3 mois.
Aussi, dans ce contexte postérieur à un accident du travail ayant donné lieu à de nombreuses restrictions médicales dont la dernière s’achevant le 1er décembre 2016, l’absence de formation dispensée au préalable à l’affectation en dernière minute de M. [K] sur le circuit CNT sur lequel il n’avait pas conduit depuis plus d’un an ainsi que les conditions de convocation à une formation programmée en urgence rend la mesure de licenciement, quand bien même il aurait déjà été sanctionné pour des faits similaires, disproportionnée.
Par conséquent, son licenciement sera jugé dépourvu de cause réelle et sérieuse et la décision des premiers juges sera infirmée.
Aux termes de l’article L. 1235-3 du code du travail dans sa version applicable au litige, si le licenciement d’un salarié survient pour une cause qui n’est pas réelle et sérieuse, le juge peut proposer la réintégration du salarié dans l’entreprise, avec maintien de ses avantages acquis. Si l’une ou l’autre des parties refuse cette réintégration, le juge octroie au salarié une indemnité à la charge de l’employeur, dont le montant ne peut être inférieur aux salaires des six derniers mois.
Compte tenu de l’effectif de l’entreprise, des circonstances de la rupture, du montant de la rémunération versée au salarié (2.649 euros bruts), de son âge (48 ans), de son ancienneté (18 ans), de sa capacité à trouver un nouvel emploi eu égard à sa formation et à son expérience professionnelle et en l’absence de justificatif de sa situation postérieurement au licenciement, il sera alloué à M. [K] une somme de 45.000 euros en réparation de son entier préjudice.
Cette somme portera intérêt au légal s’agissant d’une créance indemnitaire à compter de la date de la décision qui la prononce.
La capitalisation des intérêts sera ordonnée.
La société Aéropass devra rembourser à Pôle emploi les indemnités éventuellement versées à M. [K] dans la limite de six mois.
Sur les autres demandes
Partie succombante, la société Aéropass sera condamnée aux dépens d’appel et à verser à M. [K] la somme de 2.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile à hauteur d’appel. Les dispositions du jugement sur les dépens et frais irrépétibles seront confirmées.
PAR CES MOTIFS
La Cour, statuant publiquement, par arrêt contradictoire et en dernier ressort,
ANNULE le jugement rendu par le conseil de Bobigny en date du 21 juillet 2020 pour violation du principe du contradictoire ;
STATUANT sur effet dévolutif de l’appel ;
DÉCLARE recevables les demandes de M. [R] [K] ;
DIT le licenciement de M. [R] [K] dépourvu de cause réelle et sérieuse ;
CONDAMNE la S.A.S Aéropass à verser à M. [R] [K] les sommes suivantes :
* 45.000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
* 2.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
RAPPELLE que les créances indemnitaires produisent intérêt au taux légal à compter de la décision qui les prononce ;
ORDONNE la capitalisation des intérêts ;
ORDONNE à la SAS Aéropass de rembourser à Pôle Emploi les indemnités de chômage éventuellement versées au salarié dans la limite de six mois d’indemnité ;
CONDAMNE la S.A.S Aéropass aux dépens de première instance et d’appel ;
DÉBOUTE les parties de toute autre demande.
La greffière, La présidente.