Chauffeur de Car : 16 novembre 2023 Cour d’appel de Caen RG n° 22/01246

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Chauffeur de Car : 16 novembre 2023 Cour d’appel de Caen RG n° 22/01246
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AFFAIRE : N° RG 22/01246

N° Portalis DBVC-V-B7G-G7Q4

 Code Aff. :

ARRET N°

C.P

ORIGINE : Décision du Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire d’ALENCON en date du 04 Mai 2022 – RG n° F 19/00068

COUR D’APPEL DE CAEN

1ère chambre sociale

ARRET DU 16 NOVEMBRE 2023

APPELANTE :

S.A.S. VOYAGES AIGLONS

[Adresse 4]

[Localité 2]

Représentée par Me Christine DE PONTFARCY, substitué par Me PAUMIER, avocats au barreau du MANS

INTIME :

Monsieur [U] [R]

[Adresse 1]

[Localité 3]

Représenté par Me Blandine ROGUE, avocat au barreau d’ALENCON

DEBATS : A l’audience publique du 18 septembre 2023, tenue par Mme VINOT, Conseiller, Magistrat chargé d’instruire l’affaire lequel a, les parties ne s’y étant opposées, siégé seul, pour entendre les plaidoiries et en rendre compte à la Cour dans son délibéré

GREFFIER : Mme JACQUETTE-BRACKX

COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DELIBERE :

Mme DELAHAYE, Présidente de Chambre,

Mme PONCET, Conseiller,

Mme VINOT, Conseiller, rédacteur

ARRET prononcé publiquement le 16 novembre 2023 à 14h00 par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile et signé par Mme DELAHAYE, présidente, et Mme GOULARD, greffier

M. [R] a été embauché à compter du 4 décembre 1995 en qualité de chef de garage par la société Voyages Aiglons.

Il est devenu par la suite responsable maintenance.

Il a été licencié le 15 mai 2019 pour faute grave.

Le 16 octobre 2019, il a saisi le conseil de prud’hommes d’Alençon aux fins de contester le licenciement, obtenir paiement de diverses indemnités à ce titre outre de rappels de salaire pour heures supplémentaires et astreintes.

Par jugement du 4 mai 2022, le conseil de prud’hommes d’Alençon a :

– dit que le licenciement est sans cause réelle et sérieuse

– condamné la société Voyages Aiglons à payer à M. [R] les sommes de :

– 40 300 euros à titre d’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse

– 23 7532,81 euros à titre d’indemnité légale de licenciement

– 6 314,88 euros à titre d’indemnité de préavis

– 631,48 euros à titre de congés payés afférents

– 751,80 euros au titre de la mise à pied conservatoire

– 75,18 euros à titre de congés payés afférents

– 1 987,08 euros au titre des heures supplémentaires

– 198,70 euros à titre de congés payés afférents

– 2 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile

– condamné la société Voyages Aiglons à remettre à M. [R] un bulletin de salaire, une attestation pôle emploi, un certificat de travail

– débouté M. [R] de sa demande d’astreinte téléphonique

– débouté la société Voyages Aiglons de ses demandes

– condamné la société Voyages Aiglons aux dépens.

La société Voyages Aiglons a interjeté appel de ce jugement, en celles de ses dispositions ayant dit le licenciement sans cause réelle et sérieuse et l’ayant condamnée au paiement des sommes susvisées et déboutée de ses demandes..

Pour l’exposé des moyens des parties, il est renvoyé aux conclusions du 5 août 2022 pour l’appelante et du 4 novembre 2022 pour l’intimé.

La société Voyages Aiglons demande à la cour de :

– infirmer le jugement en celles de ses dispositions ayant dit le licenciement sans cause réelle et sérieuse et l’ayant condamnée au paiement des sommes susvisées et déboutée de ses demandes

– à titre subsidiaire dire que le licenciement repose sur une cause réelle et sérieuse

– à titre infiniment subsidiaire dire limiter l’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse à 3 mois de salaire

– en tout état de cause condamner M. [R] à lui payer la somme de 3 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

M. [R] demande à la cour de :

– confirmer le jugement sauf en celles de ses dispositions ayant limité à 40 300 euros les dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et l’ayant débouté de sa demande au titre des astreintes téléphoniques

– par conséquent, condamner la société Voyages Aiglons à lui payer les sommes de 54 000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et 2 000 euros pour les astreintes effectuées

– condamner la société Voyages Aiglons à lui payer la somme de 2 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

La procédure a été clôturée par ordonnance du 6 septembre 2023.

SUR CE

1) Sur la mise à pied disciplinaire du 8 avril 2019

M. [R] expose avoir fait l’objet d’une mise à pied disciplinaire de 3 jours le 8 avril 2019, mise à pied injustifiée selon lui en l’absence de preuve d’un grief.

Il déclare ensuite solliciter l’annulation de la mise à pied et le règlement des trois jours retenus les 23, 24 et 25 avril 2019.

Aux termes du dispositif de ses conclusions il demande la confirmation du jugement en ce qu’il a annulé la mise à pied disciplinaire et demande la condamnation au paiement de la somme de 751,80 euros pour les 8 jours de mise à pied du 23 au 30 avril.

Force est de relever que le conseil de prud’hommes ne s’est pas prononcé sur la demande d’annulation de la mise à pied et a octroyé la somme de 751,80 euros en exposant que c’était au titre de la mise à pied conservatoire.

La lettre de notification de sanction du 8 avril indiquait que les 3 jours de mise à pied disciplinaire auraient lieu les 23, 24 et 25 avril.

La lettre de convocation à entretien préalable du 25 avril contenait quant à elle la notification d’une mise à pied conservatoire à compter du 26 tandis que le bulletin de salaire mentionne pour avril une retenue de 751,80 euros pour absence non rémunérée du 23 au 30 avril, la retenue incluant donc les 3 jours de mise à pied disciplinaire.

Force est de relever qu’aucune explication et encore moins justification n’est apportée par l’employeur relativement aux griefs invoqués à l’appui de la mise à pied du 8 avril qui présente dès lors un caractère injustifié ce qui justifie son annulation et le paiement des 3 jours retenus.

2) Sur les heures supplémentaires

M. [R] soutient avoir effectué 84,15 heures supplémentaires de février à juillet 2018, ayant été amené à dépanner pour des missions de conduite de car scolaire.

Il présente une attestation de Mme [P] employée de comptabilité qui atteste qu’il n’hésitait pas à effectuer des heures supplémentaires pour dépanner ses collègues, des feuilles de service avec horaires de conduite pour un certain nombre de journées entre février et mai 2018 et un tableau indiquant pour les journées en questions le nombre d’heures supplémentaires effectuées, outre un tableau expliquant le mode de calcul de sa réclamation.

Ces éléments sont suffisamment précis pour permettre à ,l’employeur de répondre.

Ce dernier soutient que les premiers juges n’ont pas tenu compte de ses pièces alors qu’il communiquait les feuilles d’heures remplies par le salarié, soutenant encore que le salarié a été rempli de ses droits en matière d’heures supplémentaires puisque lui ont été réglées 17,25 heures en mai 2019 (et non en mars) suivant le bulletin de salaire produit.

Mais il convient de relever que les feuilles d’heures versées aux débats par l’employeur concernent une période autre que celle visée par la réclamation (puisqu’elles concernent la période de juillet 2018 à mars 2019) et qu’elles mentionnent des heures supplémentaires de sorte que rien n’établit que le paiement d’heures supplémentaires en mai 2019 correspondait aux heures supplémentaires réalisées en 2018 alors même que précisément des heures supplémentaires en 2019 apparaissent sur les feuilles d’heures.

En cet état, le jugement sera confirmé en ce qu’il a fait droit à la demande.

3) Sur les astreintes

M. [R] sollicite une indemnité de 2000 euros considérant qu’il était d’astreinte très souvent ce qui justifiait plus que les quelques indemnités reçues.

Il s’explique dans le détail sur les circonstances et la fréquence des astreintes prétendues et force est de relever que l’employeur n’élève pas la moindre observation ni surtout une quelconque contestation sur cette demande à laquelle il sera donc fait droit.

4) Sur le licenciement

La lettre de licenciement expose que des écrits reçus et des investigations menées ont permis de caractériser des faits correspondant en tous points à la qualification de harcèlement moral, qu’ainsi il est apparu que M. [L] faisait régulièrement l’objet d’insultes, moqueries parfois matinées de racisme et de pressions insupportables de la part de M. [R], que ce dernier n’avait pas hésité à user de propos désagréables, dévalorisants et démoralisants voire parfois de gestes menaçants à l’égard de M. [X] et que l’on en vient même à se demander si ces éléments ne s’inscrivent pas dans une intention de nuire à l’égard de l’entreprise lorsqu’on s’aperçoit le 18 avril 2019 que le véhicule Fast 314 allait partir en service scolaire avec un ethylotest antidémarrage périmé confirmant une fois de plus l’exécrable suivi des contrôles réglementaires liés à la sécurité des véhicules et des passagers.

S’agissant des faits de harcèlement moral, la société Voyages Aiglons se fonde sur les auditions de M. [L], M. [X] et M. [D] réalisées lors d’une enquête interne dont la validité est contestée mais en toute hypothèse elle produit également trois attestations établies par ces derniers.

M. [R] produit de son côté une attestation de M. [O] [L], mécanicien, en date du 10 juin 2020 qui expose que M. [R] avait un fort caractère et lui a apporté beaucoup professionnellement, qu’au terme de son contrat à durée déterminée il a eu un entretien avec sa direction pour un contrat à durée indéterminée et que son responsable lui a fait comprendre que pour son passage en contrat à durée indéterminée il fallait dans un premier temps faire un écrit dénonçant le comportement de M. [R], qu’il s’est donc rendu compte qu’il avait été manipulé et que l’ambiance et les méthodes de travail se sont plutôt dégradées après le départ de M. [R].

Cette attestation fragilise en conséquence particulièrement le témoignage antérieur de M. [L] qui ne saurait dès lors être considéré comme ayant force probante.

M. [X], mécanicien, a attesté en ces termes : ‘la moindre petite erreur entraîne une pression forte de la part de [U]. Il ne valorise pas notre travail, remarque à mon encontre : ‘quand ton père il ne sait pas, tu lui diras qu’il ferme sa gueule’, phrase utilisée régulièrement : ‘je vais t’en mettre une pour que çà rentre’ suivi d’un geste menaçant de claques qui passe près du visage, propos tenus à l’égard de M. [L] : ‘je vais te la faire bouffer la facture”vu le nombre de filtres que je vais retrouver, je vais te les fourrer dans le cu’.

M. [D], mécanicien, atteste quant à lui : ‘[O] a posé son vendredi car il sait que cette semaine [U] revient vendredi, il a mal au ventre en venant au travail. Quand je suis présent [U] tempère ses propos car il sait que je ne l’accepte pas. Propos tenus par [U] [R] ‘moi je n’en ai plus rien à foutre’, ‘tu boufferas ta merde et celle du voisin’, propos tenus en ma présence à l’encontre de M. [L]’.

De son côté, M. [R] produit le témoignage de M. [C], conducteur de car, qui atteste avoir assisté à une altercation entre M. [R] et M. [L] concernant un ordre de travail non exécuté de la part de ce dernier mais qu’il les voyait souvent prendre le café ensemble en rigolant, ajoutant qu’il pense que tout ceci est dû à une histoire personnelle avec son collègue [V].

Il produit en outre 21 témoignages, essentiellement de conducteurs qui ne sont donc pas en contact régulier avec lui, affirmant n’avoir jamais entendu de propos racistes de sa part et vantant ses qualités professionnelles et sa disponibilité.

L’employeur exposant avoir eu la révélation des faits par un écrit de M. [L] du 17 avril 2019, les faits de ‘harcèlement moral’ allégués n’étaient pas prescrits.

Pour autant, il ne résulte pas des deux seuls témoignages précités qu’ils soient caractérisés et puissent recevoir cette qualification.

Les propos rapportés par les témoins dénotent une façon non professionnelle de s’adresser à ses collègues, méprisante et anormalement vulgaire sans pour autant caractériser un harcèlement moral ni du racisme et, pour injustifiée que soit cette façon de parler, elle ne suffit pas, en l’absence d’autres faits davantage précis caractérisant les ‘pressions’ prétendues, en l’absence de remarques ou sanctions antérieurs relatifs au comportement à l’égard des collègues et en l’état d’une ancienneté de 23 ans, à justifier un licenciement, étant encore observé, s’agissant de l’alcootest périmé, que M. [R] reconnaît une erreur et que l’employeur indique dans ses conclusions que ce n’est pas tant le fait qui est reproché que l’intention de nuire, intention que rien n’établit.

Le jugement sera donc confirmé en ce qu’il a dit le licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Ceci ouvre droit au paiement du rappel de salaire pendant la mise à pied conservatoire, des indemnités de préavis et de licenciement réclamées dont le montant n’est pas contesté à titre subsidiaire, le dispositif du jugement devant toutefois être infirmé en ce qu’il porte condamnation au paiement d’une somme en chiffres de 23 7532,81 euros alors qu’ il porte condamnation à la somme en lettres de 23 752,81 euros.

En application des dispositions de l’article L.1235-3 du code du travail et en considération de l’âge du salarié (né en 1972), du salaire perçu (3 157,44 euros) et de la situation postérieure au licenciement (perception de l’ARE jusqu’à novembre 2019, conclusion d’un contrat à durée indéterminée le 24 février 2020 pour un salaire moindre), les dommages et intérêts ont été exactement évalués par les premiers juges, sans qu’il y ait lieu de prendre en compte la prétendue vexation subie ( la société aurait donné le nom de M. [R] aux gendarmes qui enquêtaient sur des faits de vandalisme) qui n’est en rien établie.

PAR CES MOTIFS

LA COUR,

Confirme le jugement entrepris sauf en celles de ses dispositions ayant fixé en chiffres l’indemnité de licenciement à 23 7532,81 euros, indiqué que la somme de 751,80 euros correspondait à la mise à pied conservatoire, débouté M. [R] de sa demande au titre des astreintes et condamné la société Voyages Aiglons au paiement de la somme de 2 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

Et statuant à nouveau sur les chefs infirmés et y ajoutant,

Condamne la société Voyages Aiglons à payer à M. [R] les sommes de :

– 23 752,81 euros à titre d’indemnité de licenciement

– 751,80 euros à titre de rappel de salaire pour les mises à pied disciplinaire et conservatoire

– 2 000 euros au titre des astreintes

– 2 800 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile pour les frais exposés en première instance et en cause d’appel

Ordonne le remboursement par la société Voyages Aiglons à Pôle emploi des indemnités de chômage versées à M. [R] dans la limite de 3 mois d’indemnités.

Condamne la société Voyages Aiglons aux dépens de l’instance d’appel.

LE GREFFIER LE PRESIDENT

E. GOULARD L. DELAHAYE

 


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