Cession d’extraits audiovisuels : France Télévision condamnée

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Cession d’extraits audiovisuels : France Télévision condamnée
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France Télévision devra payer plus de 360 000 euros à la société Ciné-Mag Bodard au titre du dépassement d’une autorisation de diffusion d’extraits audiovisuels (« L’Allée du Roi »).

En 2008, la société Ciné-Mag Bodard a autorisé les sociétés SEP, France Télévisions et France Télévisions Distributions, de manière ponctuelle et encadrée, à reproduire des extraits de l’œuvre « L’Allée du Roi », afin d’illustrer plusieurs émissions du documentaire « Secret d’Histoire ».

Reprochant à la SEP d’avoir rediffusé les 5 et 13 octobre 2020 « Secrets d’Histoire : Louis XIV l’homme et le roi » sur France 3, sans autorisation, ni payer de droits, mais aussi d’avoir repris, dans les mêmes conditions, et pour une durée excédant celle contractuellement prévue, de nombreux autres épisodes dans l’émission « Secrets d’Histoire », tous multidiffusés sans autorisation depuis plusieurs années, enfin, d’avoir édité avec les sociétés du groupe France Télévisions de nombreux DVD des émissions litigieuses en dehors de toute autorisation.

En effet, alors que la fenêtre de multidiffusions (« catch-up ») était limitée à 7 jours, les relevés établissent que les rediffusions se sont poursuivies au-delà de cette fenêtre, peu important que TV5 dispose d’un droit de puisage, en vertu d’un usage qui n’est au demeurant nullement étayé, sur les programmes de France télévision, un tel droit étant inopposable à la demanderesse ou encore qu’en vertu d’un usage pas davantage démontré, et en tout état de cause, contesté, les diffuseurs seraient autorisés à multidiffuser leurs programmes une fois achetés, à des horaires très confidentiels, aux fins de remplissage et de diffusions de quotas d’oeuvres.

Les défenderesses ont donc (entre autres) procédé à 5 rediffusions non autorisées : les 3 rediffusions via TV5 en 2014 et 2015, ainsi que 2 rediffusions par France 2 les 18 et 29 avril 2015.

Aux termes de l’article L.122-4 du code de la propriété intellectuelle « toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause est illicite. Il en est de même pour la traduction, l’adaptation ou la transformation, l’arrangement ou la reproduction par un art ou un procédé quelconque ».

L’article L. 335-3 du même code dispose qu’ « Est également un délit de contrefaçon toute reproduction, représentation ou diffusion, par quelque moyen que ce soit, d’une œuvre de l’esprit en violation des droits de l’auteur, tels qu’ils sont définis et réglementés par la loi ».

Selon les articles L. 122-2, 2° et L.122-3 du même code, la représentation consiste dans la communication de l’œuvre au public par un procédé quelconque, et notamment par télédiffusion, laquelle s’entend de la diffusion par tout procédé de télécommunication de sons, d’images, de documents, de données et de messages de toute nature, cependant que la reproduction consiste dans la fixation matérielle de l’œuvre par tous procédés qui permettent de la communiquer au public d’une manière indirecte ; elle peut s’effectuer notamment par imprimerie, dessin, gravure, photographie, moulage et tout procédé des arts graphiques et plastiques, enregistrement mécanique, cinématographique ou magnétique.

Résumé de l’affaire

La société Ciné-Mag Bodard a acquis les droits d’adaptation télévisuelle et d’exploitation audiovisuelle du roman historique “L’Allée du Roi” de [M] [K] et a produit une mini-série basée sur ce roman en 1995. En 2008, elle a autorisé la société SEP, France Télévisions et France Télévisions Distribution à reproduire des extraits de l’oeuvre pour illustrer l’émission “Secrets d’Histoire”. Cependant, la SEP a été accusée de diffuser et reproduire des extraits de l’oeuvre sans autorisation ni paiement de droits, et d’avoir édité des DVD des émissions litigieuses sans autorisation. La société Ciné-Mag Bodard a donc assigné les sociétés en justice pour contrefaçon. Les sociétés SEP et France Télévisions ont contesté les accusations en invoquant la prescription pour certaines diffusions antérieures à 2015. La décision finale du tribunal reste en attente.

Les points essentiels

Sur la fin de non-recevoir tirée de la prescription

Préalablement, le tribunal relève que les sociétés France Télévisions dont l’incident soulevé avait été joint au fond par le juge de la mise en état, n’ont pas repris dans leurs conclusions au fond la fin de non-recevoir développée dans leurs écritures séparées d’incident devant le juge de la mise en état, en sorte qu’en application de l’article 768 du code de procédure civile selon lequel le tribunal ne statue que sur les prétentions énoncées au dispositif, le tribunal n’est saisi par ces sociétés d’aucune fin de non-recevoir.

Moyens des parties

La SEP soutient que le délai de prescription quinquennal courant à compter de la commission de la contrefaçon ou du jour où le titulaire en a eu connaissance même si la contrefaçon s’inscrit dans la durée, les demandes de la société Ciné-Mag Bodard au titre des diffusions des émissions arguées de contrefaçon et antérieures au 17 décembre 2015 sont prescrites et donc irrecevables. La société Ciné-Mag Bodard soutient, en premier lieu, que les télédiffusions contrefaisantes ne sont pas prescrites quand bien même elles sont antérieures au 17 décembre 2015 dès lors que depuis la loi Pacte de 2019, le point de départ de la prescription en matière de contrefaçon est le dernier fait dont le titulaire du droit a connaissance pour exercer son action civile.

Appréciation du tribunal

Selon l’article 122 du code de procédure civile, constitue une fin de non-recevoir tout moyen qui tend à faire déclarer l’adversaire irrecevable en sa demande sans examen au fond, pour défaut de droit d’agir, tel la prescription. Aux termes de l’article 2224 du code civil, les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d’un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer. En l’espèce, s’agissant des actes allégués de contrefaçon par diffusion et rediffusions des extraits de « L’Allée du roi », le tribunal estime que la société Ciné-Mag Bodard a agi dans les délais prescrits et que les demandes sont recevables.

Sur la contrefaçon

La société Ciné-Mag Bodard soutient que les défenderesses ont commis des actes de contrefaçon en utilisant certains extraits pour une durée supérieure à celle qui a été contractuellement autorisée, en procédant à des diffusions qui ont excédé ce qui avait été contractuellement autorisé, en reproduisant de manière non autorisée des extraits sous forme d’édition de vidéogrammes, non autorisée ou excédant la durée contractuellement autorisée, en exploitant de manière non autorisée des extraits sous des plateformes de visionnage à la demande, payantes ou gratuites. La SEP conteste toute relation contractuelle avec la demanderesse avant le 12 août 2014, date de la première diffusion de « Secret d’Histoire – l’irrésistible ascension de Madame de Maintenon ». Les sociétés France Télévisions font valoir l’absence de rapport d’obligations entre elles et la société Ciné-Mag Bodard.

Appréciation du tribunal

Selon l’article L.122-4 du code de la propriété intellectuelle, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit est illicite. En l’espèce, le tribunal estime que les défenderesses ont commis des actes de contrefaçon en utilisant des extraits de l’oeuvre “L’Allée du Roi” sans autorisation. Il condamne la SEP et les sociétés France Télévisions à payer des dommages et intérêts à la société Ciné-Mag Bodard.

Sur les mesures de réparation

La société Ciné-Mag Bodard demande des dommages et intérêts pour les actes de contrefaçon commis par les défenderesses. Le tribunal évalue le montant des dommages et intérêts à verser à la société Ciné-Mag Bodard en réparation des actes de contrefaçon.

Sur la garantie sollicitée par les sociétés France Télévisions

Les sociétés France Télévisions demandent une garantie contractuelle et d’éviction stipulée à leur profit dans les contrats. La SEP doit garantir les sociétés France Télévisions en leur qualité respective de diffuseur et d’éditeur vidéographique de toute action formée à leur encontre relativement à l’utilisation par voie de diffusion et d’édition en DVD des émissions reproduisant les extraits de l’oeuvre « L’Allée du Roi » produites par la SEP.

Sur les autres mesures

La SEP et les sociétés France Télévisions sont condamnées aux dépens et à payer des frais à la société Ciné-Mag Bodard. Le tribunal ordonne l’exécution provisoire de la décision.

Les montants alloués dans cette affaire: – La société Ciné-Mag Bodard reçoit la somme de 368.952 euros en réparation des actes de contrefaçon
– La société Ciné-Mag Bodard reçoit la somme de 5.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile

Réglementation applicable

– Article 768 du code de procédure civile
– Article 122 du code de procédure civile
– Article 2224 du code civil
– Article L.122-4 du code de la propriété intellectuelle
– Article L.335-3 du code de la propriété intellectuelle
– Article L.122-2 du code de la propriété intellectuelle
– Article L.122-3 du code de la propriété intellectuelle
– Article L.331-1-3 du code de la propriété intellectuelle
– Article L.331-1-2 du code de la propriété intellectuelle
– Article 1103 du code civil
– Article 696 du code de procédure civile
– Article 699 du code de procédure civile
– Article 700 du code de procédure civile
– Article 514 du code de procédure civile

Avocats

Bravo aux Avocats ayant plaidé ce dossier: – Me Hervé LEHMAN
– Me Christophe DE WATRIGANT
– Me Camille BAUER

Mots clefs associés & définitions

– Motifs de la décision
– Fin de non-recevoir
– Prescription
– Délai de prescription
– Contrefaçon
– Diffusion
– Rediffusion
– Vidéogrammes
– Droit d’auteur
– Code de la propriété intellectuelle
– Contrats
– Réparation du préjudice
– Dommages et intérêts
– Garantie contractuelle
– Dépens
– Exécution provisoire
– Motifs de la décision : Raisons ou arguments sur lesquels une décision judiciaire est fondée
– Fin de non-recevoir : Moyen de défense visant à faire rejeter une demande en justice pour des raisons de forme ou de fond
– Prescription : Délai au-delà duquel une action en justice n’est plus recevable
– Délai de prescription : Période pendant laquelle une action en justice peut être engagée
– Contrefaçon : Utilisation non autorisée d’une œuvre protégée par le droit d’auteur
– Diffusion : Action de rendre accessible ou de diffuser une œuvre
– Rediffusion : Nouvelle diffusion d’une œuvre déjà diffusée précédemment
– Vidéogrammes : Supports physiques contenant des enregistrements vidéo
– Droit d’auteur : Ensemble des droits exclusifs accordés à l’auteur d’une œuvre intellectuelle
– Code de la propriété intellectuelle : Ensemble des lois régissant la propriété intellectuelle en France
– Contrats : Accords entre parties régissant leurs relations juridiques
– Réparation du préjudice : Action visant à compenser un dommage subi par une personne
– Dommages et intérêts : Somme d’argent versée en réparation d’un préjudice
– Garantie contractuelle : Engagement de garantir la bonne exécution d’un contrat
– Dépens : Frais engagés lors d’une procédure judiciaire
– Exécution provisoire : Mise en œuvre d’une décision judiciaire avant même qu’elle ne soit définitive

REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

30 mai 2024
Tribunal judiciaire de Paris
RG n° 20/13087
TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE PARIS [1]

[1] Le :
Expéditions exécutoires délivrées à : Me LEHMAN P286, Me BAUER W10
Copie certifiée conforme délivrée à : Me DE WATRIGNANT C2010

3ème chambre
1ère section

N° RG 20/13087
N° Portalis 352J-W-B7E-CTOWW

N° MINUTE :

Assignation du :
17 décembre 2020

JUGEMENT
rendu le 30 mai 2024
DEMANDERESSE

S.A. CINE- MAG BODARD
[Adresse 1]
[Localité 4]

représentée par Me Hervé LEHMAN de la SCP AVENS, avocat au barreau de PARIS, vestiaire P0286

DÉFENDERESSES

S.A.S. SOCIETE EUROPEENNE DE PRODUCTION
[Adresse 2]
[Localité 4]

représentée par Me Christophe DE WATRIGANT de la SELAS CABINET LABORDE, avocat au barreau de PARIS, vestiaire C2010

S.A. FRANCE TELEVISIONS
[Adresse 3]
[Localité 4]

S.A. FRANCE TELEVISIONS DISTRIBUTION
[Adresse 3]
[Localité 4]

représentées par Me Camille BAUER de l’AARPI BAUER BIGOT & ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS, vestiaire W0010

Décision du 30 mai 2024
3ème chambre 1ère section
N° RG 20/13087
N° Portalis 352J-W-B7E-CTOWW

COMPOSITION DU TRIBUNAL

Madame Anne-Claire LE BRAS, 1ère Vice-Présidente Adjointe
Madame Elodie GUENNEC, Vice-présidente
Monsieur Malik CHAPUIS, Juge,

assistés de Madame Caroline REBOUL, Greffière

DEBATS

A l’audience du 26 février 2024 tenue en audience publique, avis a été donné aux avocats que la décision serait rendue le 16 mai 2024.
Le délibéré a été prorogé au 30 mai 2024.

JUGEMENT

Prononcé publiquement par mise à disposition au greffe
Contradictoire
En premier ressort

EXPOSÉ DES FAITS ET DE LA PROCÉDURE

La société Ciné-Mag Bodard, société de production audiovisuelle, a acquis les droits d’adaptation télévisuelle et d’exploitation audiovisuelle du roman historique « L’Allée du Roi » de [M] [K], qui relate la vie et le parcours de Françoise d’Aubigné, devenue Madame de Maintenon, et son ascension à la cour du roi Louis XIV.

En 1995, la société Ciné-Mag Bodard a produit la mini-série « L’Allée du Roi », réalisée par [Z] [L].

La société France Télévisions édite la chaîne France 2, chaîne généraliste du groupe audiovisuel France Télévisions, sur laquelle a été diffusée de 2007 à 2019 l’émission « Secrets d’histoire », retraçant à chaque fois la vie d’un personnage historique et mettant en lumière des lieux emblématiques du patrimoine. La société France Télévisions Distribution est une filiale qui commercialise en France et dans le monde entier des programmes audiovisuels et qui édite des vidéogrammes principalement destinés au marché francophone, produits par la Société européenne de production (la SEP).
En 2008, la société Ciné-Mag Bodard a autorisé les sociétés SEP, France Télévisions et France Télévisions Distributions, de manière ponctuelle et encadrée, à reproduire des extraits de l’œuvre « L’Allée du Roi », afin d’illustrer plusieurs émissions du documentaire « Secret d’Histoire ».

Reprochant à la SEP d’avoir rediffusé les 5 et 13 octobre 2020 « Secrets d’Histoire : Louis XIV l’homme et le roi » sur France 3, sans autorisation, ni payer de droits, mais aussi d’avoir repris, dans les mêmes conditions, et pour une durée excédant celle contractuellement prévue, de nombreux autres épisodes dans l’émission « Secrets d’Histoire », tous multidiffusés sans autorisation depuis plusieurs années, enfin, d’avoir édité avec les sociétés du groupe France Télévisions de nombreux DVD des émissions litigieuses en dehors de toute autorisation ou au-delà de celle qui avait été consentie, la société Ciné-Mag Bodard les a, par actes d’huissiers de 17 décembre 2020, assignées devant le tribunal judiciaire de Paris aux fins de contrefaçon.
Alléguant que seraient irrecevables, car prescrites, les diffusions et rediffusions des épisodes de l’émission « Secrets d’Histoire » contrefaisant l’oeuvre « L’allée du roi », antérieures au 17 décembre 2015 et les vidéogrammes « sortis » ou « mis sur le marché » avant le 17 décembre 2015, les sociétés SEP et France Télévisions ont formé par conclusions régularisées les 20 et 22 décembre 2022, un incident devant le Juge de la mise en état, qui a été joint au fond le 16 février 2023.
Dans ses conclusions n°3 notifiées par voie électronique le 7 avril 2023, la société Ciné-Mag Bodard demande au tribunal, au visa des articles L.331-1 et suivants, et L.335-3 du code de la propriété intellectuelle de :- Dire et juger que les défenderesses ont diffusé et reproduit sans droit ni titre des extraits de l’œuvre audiovisuelle « L’Allée du Roi »,
– Dire et juger que la SEP a violé les accords qu’elle a conclus avec la société Ciné-Mag Bodard sur la diffusion d’extraits de l’œuvre audiovisuelle « L’Allée du Roi »,
– Interdire aux défenderesses de diffuser ou faire diffuser, sur quelque support que ce soit, des extraits de l’œuvre audiovisuelle « L’Allée du Roi » sans l’autorisation préalable de la société Ciné-Mag Bodard,
– Rejeter l’ensemble des moyens, fins et conclusions des défenderesses,
– Leur faire injonction de lui communiquer, sous astreinte de 500 euros par jour de retard à compter de la signification de la décision à intervenir :
* La liste de tous les documentaires « Secrets d’Histoire », et/ou de tout autre œuvre audiovisuelle produit par la SEP, reprenant des extraits de l’œuvre audiovisuelle « L’Allée du Roi » ;
* Le décompte minuté précis de tous les extraits de l’œuvre audiovisuelle « L’Allée du Roi » repris sans autorisation dans tous les documentaires « Secrets d’Histoire », et/ou de tout autre œuvre audiovisuelle produit par la SEP par la SEP ;
* La date, la chaîne, et l’heure de chaque diffusion de chaque émission reprenant des extraits de l’œuvre audiovisuelle « L’Allée du Roi » depuis 2008 ;
* La liste de tous les supports éditant ou représentant ces émissions et reprenant des extraits de l’œuvre audiovisuelle « L’Allée du Roi », ainsi que toutes les informations relatives à chaque support (nombre édité, prix de vente, chiffre d’affaires etc…),
– Condamner solidairement les défenderesses à lui régler les sommes de :
* 1.056.000 € pour les diffusions télévisées non autorisées des extraits de l’œuvre « L’Allée du Roi » reproduites dans l’émission « Secrets d’Histoire : L’irrésistible ascension de Mme de Maintenon » ;
* 30.000 € pour les diffusions télévisées non autorisées des extraits de l’œuvre « L’Allée du Roi » reproduites dans l’émission « Secrets d’Histoire : Madame de Sévigné, l’esprit du Grand Siècle» ;
* 12.000 € pour les diffusions télévisées non autorisées des extraits de l’œuvre « L’Allée du Roi » reproduites dans l’émission « Secrets d’Histoire : La Grande Mademoiselle» ;
* 12.000 € pour les diffusions télévisées non autorisées des extraits de l’œuvre « L’Allée du Roi » reproduites dans l’émission « Secrets d’Histoire : [Localité 5] et les [Y]» ;
* 471.000 € pour les diffusions télévisées non autorisées des extraits de l’œuvre « L’Allée du Roi » reproduites dans les émissions « Secrets d’Histoire : Louis XIV – L’homme et le Roi » et «Secrets d’Histoire : Louis XIV – le Roi est mort »
* 36.000 € pour les diffusions télévisées non autorisées des extraits de l’œuvre « L’Allée du Roi » reproduites dans l’émission « Secrets d’Histoire : Louis XIV – Les passions du Roi Soleil »;
* 15.000 € pour les diffusions télévisées non autorisées des extraits de l’œuvre « L’Allée du Roi » reproduites dans l’émission « Secrets d’Histoire : Elles ont régné sur [Localité 6]»;
– Condamner solidairement les défenderesses à lui régler la somme de 300.000€ au titre des contrefaçons commises sur les vidéogrammes reproduisant sans autorisation des extraits de l’œuvre « L’Allée du Roi » ;
– Condamner solidairement les défenderesses à lui régler la somme de 10.000€ au titre des contrefaçons commises sur les sites et plateformes de visionnage à la demande, payantes (https://www.youtube.com/watch?v=_hWk7EgysJk) gratuites (https://www.youtube.com/watch?v=LyYYuhQUWsg), reproduisant sans autorisation des extraits de l’œuvre « L’Allée du Roi » ;
– Condamner solidairement les défenderesses à publier le dispositif de la décision à intervenir, et ce sous astreinte de 500 euros par jour de retard, dans trois journaux, revues ou magazines français, ou étrangers, au choix de la société Ciné-Mag Bodard, et aux frais exclusifs de la société défenderesse, sans que chaque publication ne puisse excéder une somme de 6.500 € H.T ou la somme totale de 19.500 € H.T.
– Condamner solidairement les défenderesses aux entiers dépens et à lui payer la somme de 10.000 euros au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile ;
– Dire n’y avoir lieu à écarter l’exécution provisoire de la décision à intervenir.

Dans ses conclusions récapitulatives en défense n°3 notifiées par RPVA le 12 juin 2023, la SEP demande au tribunal, au visa des articles L 122-4, L.331-1 et suivants, et L.335-3 du code de la propriété intellectuelle et 2224 du code civil, de : – Juger irrecevables les demandes introduites par la demanderesse sur assignation du 17 décembre 2020, en matière de contrefaçon, pour cause de prescription, certainement pour toutes les diffusions et rediffusions, vidéogrammes, antérieurs au 17 décembre 2015,
– La débouter de l’intégralité de ses demandes, fins et prétentions, pour celles non prescrites, les jugeant mal fondées,
A titre subsidiaire :
– Juger que toute condamnation éventuelle de la SEP devra être plafonnée à l’offre de réparation formée le 4 novembre 2020, soit dans la limite d’un montant total maximum de 15.500 € toutes causes confondues, et seulement pour les 4 dernières rediffusions identifiées en 2017, 2019 et 2020.
Décision du 30 mai 2024
3ème chambre 1ère section
N° RG 20/13087
N° Portalis 352J-W-B7E-CTOWW

En toutes hypothèses :
– Rejeter la demande de garantie formée à l’encontre de la SEP par les sociétés la société France Télévisions SA et France Télévisions distributions SA, aucun motif de condamnation ne pouvant être retenu à leur encontre,
– Condamner la demanderesse au entiers dépens et à lui verser une somme de 10.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
– Rejeter l’exécution provisoire, celle-ci étant incompatible avec les circonstances de l’espèce.

Dans leurs conclusions au fond en réplique n°2 notifiées par voie électronique le 22 décembre 2022, les sociétés France Télévisions et France Télévisions Distributions (les sociétés France Télévisions) demandent au tribunal, au visa de article 1625 du code civil, de:- Constater que les sociétés France Télévisions et la société Ciné-Mag Bodard ne sont liées par aucun lien d’obligation,
– Constater que les sociétés France Télévisions sont légalement et contractuellement garanties par la SEP, productrice des programmes objets du litige,
– Juger que les sociétés France Télévisions ne peuvent être condamnées au terme de la présente procédure judiciaire et qu’elles doivent être mises hors de cause,
– Juger que les sociétés France Télévisions ne peuvent être condamnées au terme de la présente procédure judiciaire et qu’elles doivent être garanties par la SEP,
– Débouter la demanderesse de l’ensemble de ses demandes à l’égard de ces sociétés,
– Condamner la demanderesse aux entiers dépens et à payer respectivement aux sociétés France Télévisions SA et France Télévisions distributions SA la somme de 6.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

L’instruction a été close le 13 juin 2023.

MOTIFS DE LA DECISION

Sur la fin de non-recevoir tirée de la prescription

Préalablement, le tribunal relève que les sociétés France Télévisions dont l’incident soulevé avait été joint au fond par le juge de la mise en état, n’ont pas repris dans leurs conclusions au fond la fin de non-recevoir développée dans leurs écritures séparées d’incident devant le juge de la mise en état, en sorte qu’en application de l’article 768 du code de procédure civile selon lequel le tribunal ne statue que sur les prétentions énoncées au dispositif, le tribunal n’est saisi par ces sociétés d’aucune fin de non-recevoir.

Moyens des parties

La SEP soutient que le délai de prescription quinquennal courant à compter de la commission de la contrefaçon ou du jour où le titulaire en a eu connaissance même si la contrefaçon s’inscrit dans la durée, les demandes de la société Ciné-Mag Bodard au titre des diffusions des émissions arguées de contrefaçon et antérieures au 17 décembre 2015 sont prescrites et donc irrecevables, le point de départ du délai de prescription étant celui de la date de diffusions c’est-à-dire la date à laquelle la société Cine-Mag Bodard en sa qualité de professionnelle de l’audiovisuel auraît dû connaître les diffusions qu’elle conteste et qui n’ont pu lui échapper s’agissant de diffusions grand public. Elle ajoute que seules demeurent non prescrites 4 rediffusions en ce qu’elles datent de 2017, 2019 ou 2020. Elle fait valoir que le raisonnement est identique pour les mises sur le marché des vidéogrammes avant le 17 décembre 2015.

La société Ciné-Mag Bodard soutient, en premier lieu, que les télédiffusions contrefaisantes ne sont pas prescrites quand bien même elles sont antérieures au 17 décembre 2015 dès lors que depuis la loi Pacte de 2019, le point de départ de la prescription en matière de contrefaçon est le dernier fait dont le titulaire du droit a connaissance pour exercer son action civile; que la société Ciné-Mag Bodard n’avait pas connaissance des actes de contrefaçon commis par les défenderesses et n’a pu constater l’ampleur des contrefaçons commises qu’au début de l’année 2021, à réception des relevés Médiamétrie ; qu’elle n’était pas tenue d’avoir connaissance des diffusions illicites, n’étant pas un « professionnel du secteur audiovisuel » comme France Télévisions ; qu’elle n’a aucune obligation légale de surveillance des oeuvres dont elle a les droits, pas plus que cette surveillance serait d’usage dans la profession; que la connaissance du titulaire de droit ne se présume pas ; qu’elle ne connaissait pas les diffusions/rediffusions illicites des extraits de « l’Allée du Roi » avant octobre 2020 pour une émission et courant 2021 pour les autres. Elle fait valoir, d’autre part, que le point de départ du délai de prescription n’est pas le jour où les vidéogrammes sont sortis ou mis sur le marché mais le jour où le dernier de ces vidéogrammes édités a été vendu ; qu’en l’occurrence, les vidéogrammes sont toujours en vente ; qu’ils ne sont donc pas prescrits, ni ceux parus après décembre 2015.

Appréciation du tribunal

Selon l’article 122 du code de procédure civile, constitue une fin de non-recevoir tout moyen qui tend à faire déclarer l’adversaire irrecevable en sa demande sans examen au fond, pour défaut de droit d’agir, tel la prescription.

Aux termes de l’article 2224 du code civil, les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d’un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer. La prescription des actions civiles en contrefaçon de droit d’auteur est soumise à ces dispositions (1re Civ., 15 novembre 2023, pourvoi n° 22-23.266 ; Civ., 6 avril 2022, pourvoi n° 20-19.034).

En l’espèce, s’agissant des actes allégués de contrefaçon par diffusion et rediffusions des extraits de « L’Allée du Roi » à la télévision, la société Ciné-Mag Bodard relate dans un courrier du 16 octobre 2020 adressé à la SEP qu’elle a pris connaissance le 5 octobre 2020 de la diffusion sur la chaîne France 3 des extraits de cette oeuvre dans l’émission « Secrets d’histoire : Louis XIV l’homme et le roi », alléguant du caractère illicite de cette diffusion en l’absence de toute autorisation de sa part. Rien ne permet d’affirmer que la société Ciné-Mag Bodard était en mesure de connaître les faits de diffusion et rediffusion illicites avant cette date.

En tout état de cause, le fait que dans l’assignation qu’elle a délivrée le 17 décembre 2020 aux défenderesses, la liste des émissions arguées de contrefaçon comporte des diffusions antérieures au 17 décembre 2015, c’est-à-dire plus de cinq ans avant l’assignation, ne démontre pas que la société Ciné-Mag Bodard a eu connaissance de la diffusion le jour où celle-ci a eu lieu, ni même qu’elle aurait dû en avoir connaissance dès le jour de diffusion, n’étant pas tenue, nonobstant sa qualité de professionnelle du secteur audiviosuel, de surveiller la diffusion de toutes les oeuvres dont elle a les droits, quand bien même interviendrait-elle sur un support accessible au public tel que la télévision. Il ne lui appartient pas davantage, comme le soutient pourtant la SEP, de rapporter la preuve de son ignorance, s’agissant de la preuve d’un fait négatif.

Tout au plus, l’assignation marque-t-elle, par la liste qu’elle comporte, la connaissance expresse, au jour de sa délivrance le 17 décembre 2020, par la société demanderesse, des faits allégués de diffusion et rediffusion contrefaisante, sous la réserve de ceux portant sur l’émission diffusée le 5 octobre 2020, peu important que la contrefaçon se soit inscrite dans la durée comme les relevés médiamétrie de diffusion de chaque émission Secrets d’Histoire entre 2013 et 2021 le révèlent.

S’agissant des vidéogrammes, la SEP invoque leur prescription à raison de leur mise sur le marché avant le 17 décembre 2015. Toutefois, la date de mise sur le marché n’est pas pertinente, sauf à démontrer qu’à cette date la société Ciné-Mag Bodard avait eu ou aurait dû avoir connaissance de la vente des coffrets litigieux. Or, les factures produites par la SEP ne sauraient constituer la démonstration que la société Ciné-Mag Bodard savait ou aurait dû savoir que des DVD litigieux étaient vendus sans autorisation ou au-delà du quantum autorisé, ces factures établissant tout au plus qu’elle avait consenti à la SEP le droit d’éditer des DVD pour un nombre limité. En conséquence, en l’absence de preuve rapportée par la SEP que la société Ciné-Mag Bodard connaissait ou aurait dû connaître l’existence de ces coffrets DVD offerts à la vente sur internet hors de toute autorisation, les vidéogrammes « Secrets d’Histoire » édités avant 2015 ne sont pas couverts par la prescription.
Dans ces conditions, il y a lieu d’écarter la fin de non-recevoir tirée de la prescription et de déclarer recevables les demandes de la société Ciné-Mag Bodard pour contrefaçon par diffusion et rediffusion des extraits de « L’Allée du roi » et éditions de vidéogrammes.
Sur la contrefaçon

Moyens des parties

La société Ciné-Mag Bodard soutient que les défenderesses ont commis des actes de contrefaçon en utilisant certains extraits pour une durée supérieure à celle qui a été contractuellement autorisée, en procédant à des diffusions qui ont excédé ce qui avait été contractuellement autorisé, en reproduisant de manière non autorisée des extraits sous forme d’édition de vidéogrammes, non autorisée ou excédant la durée contractuellement autorisée, en exploitant de manière non autorisée des extraits sous des plateformes de visionnage à la demande, payantes ou gratuites. Elle estime que le décompte des actes de contrefaçon commis par les défenderesses n’est pas exact. Elle ajoute que les usages invoqués d’un droit de puisage de TV5 sur les programmes de France Télévisions ou encore d’une multidiffusion sans droit ni titre à des horaires très confidentiels pour caler les programmes et assurer les quotas de diffusion d’oeuvres ne lui sont pas davantage opposables, à les supposer démontrés.

La société SEP conteste toute relation contractuelle avec la demanderesse avant le 12 août 2014, date de la première diffusion de « Secret d’Histoire – l’irrésistible ascension de Madame de Maintenon ». Elle soutient que dans 8 des 151 émissions « Secrets d’Histoire », elle a inséré des extraits de l’oeuvre « L’Allée du Roi » pour des durées allant de 21 secondes (La princesse palatine) à 26 minutes (Mme de Maintenon) et que dans tous les cas, les extraits ont été déclarés, négociés entre les deux parties, facturés par la demanderesse et payés par la SEP. Elle ajoute que pour toutes les émissions dont la durée des extraits excède 1 minute, les droits DVD ont été achetés. Elle conteste avoir édité sans autorisation ni droit de nombreux DVD dont elle estime que seul le nombre des DVD vendus doit être pris en compte. Elle estime que la question de la diffusion contrefaisante se limite exclusivement à 4 rediffusions des émissions « Louis XIV, L’homme et le Roi, Mme de Maintenon », dont elle admet qu’elles ont excédé la durée des droits négociée à l’origine.

Elle estime que les diffusions qui lui sont reprochées sur la chaîne TV5, appartenant au groupe France Télévision relèvent du droit de puisage de cette chaîne sur les programmes du groupe, selon un usage connu de tous les professionnels du secteur et dont la SEP n’est ni le décisionnaire, ni même n’est informée des diffusions ainsi opérées et pour lesquelles elle ne perçoit aucune rémunération ; que les multidiffusions, à des horaires très confidentiels, sont communes à tous les documentaires et connues de tous les professionnels, parmi lesquels la société Ciné-Mag Bodard, qui ne s’est jamais opposée à la multidiffusion, dès sa première diffusion, de l’émission « Secrets d’Histoire » en 2008.
Les sociétés France Télévisions font valoir l’absence de rapport d’obligations entre elles et la société Ciné-Mag Bodard, les contrats de préachats et d’édition et de cession de droits vidéographiques ne liant que les sociétés France Télévision et la SEP, de sorte qu’aucune faute ne peut être invoquée par la demanderesse à leur égard, ni aucune responsabilité à raison des contenus litigieux.
Appréciation du Tribunal

Aux termes de l’article L.122-4 du code de la propriété intellectuelle « toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause est illicite. Il en est de même pour la traduction, l’adaptation ou la transformation, l’arrangement ou la reproduction par un art ou un procédé quelconque ». L’article L. 335-3 du même code dispose qu’ « Est également un délit de contrefaçon toute reproduction, représentation ou diffusion, par quelque moyen que ce soit, d’une œuvre de l’esprit en violation des droits de l’auteur, tels qu’ils sont définis et réglementés par la loi ».

Selon les articles L. 122-2, 2° et L.122-3 du même code, la représentation consiste dans la communication de l’œuvre au public par un procédé quelconque, et notamment par télédiffusion, laquelle s’entend de la diffusion par tout procédé de télécommunication de sons, d’images, de documents, de données et de messages de toute nature, cependant que la reproduction consiste dans la fixation matérielle de l’œuvre par tous procédés qui permettent de la communiquer au public d’une manière indirecte ; elle peut s’effectuer notamment par imprimerie, dessin, gravure, photographie, moulage et tout procédé des arts graphiques et plastiques, enregistrement mécanique, cinématographique ou magnétique.

En l’espèce, et préalablement, la titularité des droits de la société Ciné-Mag Bodard d’adaptation télévisuelle et d’exploitation audiovisuelle du roman « L’Allée du Roi » n’est pas discutée.
a. – « Secrets d’Histoire – l’irrésistible ascension de Madame de Maintenon »

La société Ciné-Mag Bodard fait grief à la SEP de n’avoir pas respecté le nombre et le territoire de diffusions, qui avaient été convenus, ni l’autorisation relative à la durée des extraits ou encore au nombre de DVD édités.

Elle produit les relevés médiamétrie qui établissent que ce numéro de « Secrets d’Histoire » a été diffusé à maintes reprises, d’une part, sur la chaîne France 2 diffusant les 12, 17, et 23 août 2014 en France et sur le territoire Suisse, les 20 et 25 octobre 2014 au Canada via TV5 monde, les 18 et 29 avril 2015 à la fois en France et sur le territoire Suisse, et le 3 août 2015 en France sur France 2 et au Canada via TV5 monde, alors que la facture n° 58-13/14 d’achat des droits de reproduction de l’oeuvre « L’Allée du Roi » acquittée par la SEP n’autorise qu’une diffusion et une rediffusion ainsi que « 7 jours Catch-up », limitées à la « France uniquement » et à la chaîne France 2, pour une période de 18 mois courant du 1er août 2014 jusqu’au 31 janvier 2016 et une durée de 26 minutes.

Toutefois, il ressort des relevés médiamétrie précités que le numéro a été diffusé en Suisse exclusivement sur la chaîne France 2, de surcroît le même jour et à la même heure, à la seconde près, que les horaires de diffusion en France, ce qui corrobore l’affirmation de la SEP selon laquelle la diffusion litigieuse est une « diffusion souche de France Télévisions » qui relève de débordements transfrontaliers, le signal diffusant légèrement au-delà de la frontière franco-suisse. En outre, si la société Ciné-Mag Bodard invoque une durée d’extrait reproduit de 26 minutes et 11 secondes, elle ne produit pour justificatif qu’un décompte établi par ses soins, auquel la SEP oppose son propre décompte qualifié de « récapitulatif interne » évaluant à 25 minutes et 37 secondes les diffusions réalisées, soit un minutage conforme aux prévisions contractuelles.

En revanche, alors que la fenêtre de multidiffusions (« catch-up ») était limitée à 7 jours, les relevés établissent que les rediffusions se sont poursuivies au-delà de cette fenêtre, peu important que TV5 dispose d’un droit de puisage, en vertu d’un usage qui n’est au demeurant nullement étayé, sur les programmes de France télévision, un tel droit étant inopposable à la demanderesse ou encore qu’en vertu d’un usage pas davantage démontré, et en tout état de cause, contesté, les diffuseurs seraient autorisés à multidiffuser leurs programmes une fois achetés, à des horaires très confidentiels, aux fins de remplissage et de diffusions de quotas d’oeuvres. Les défenderesses ont donc procédé à 5 rediffusions non autorisées : les 3 rediffusions via TV5 en 2014 et 2015, ainsi que 2 rediffusions par France 2 les 18 et 29 avril 2015.

De même, alors que la facture établie le 10 juin 2014 par la demanderesse indique des « Droits DVD » à concurrence de 7.000 exemplaires, la société Ciné-Mag Bodard produit deux constats d’huissier des 8 et 10 novembre 2022 permettant de constater l’offre à la vente sur internet de nombreux coffrets comprenant le numéro litigieux édités entre 2015 et 2020, sans que la SEP, qui se contente d’arguer d’une extension de droits pour l’édition de coffrets DVD intégrant cette émission, ne démontre avoir édité un nombre de DVD conforme à celui autorisé, la facture dont elle se prévaut n’étant pas en débat, comme objecte à juste titre la demanderesse, mais le fait qu’elle ait outrepassé l’autorisation qui lui a été consentie dans ladite facture d’éditer 7.000 exemplaires de DVD.
b. – « Secrets d’Histoire – Madame de Sévigné, l’esprit du Grand Siècle »

La société Ciné-Mag Bodard fait grief à la SEP d’avoir procédé à 10 diffusions/rediffusions non autorisées et d’avoir édité des vidéogrammes comprenant l’émission litigieuse, sans droits ni titres, pour un nombre inconnu.
Elle produit les relevés médiamétrie qui établissent que ce numéro de « Secrets d’Histoire » a été diffusé simultanément en France et en Suisse, sur la chaîne France 2, les 18 et 29 août 2015, 31 juillet et 5 août 2016 ainsi que le 25 juillet 2019, et au Canada, sur TV5, les 9 novembre 2015 et 20 juillet 2020, alors que la facture n° 44-14/15 acquittée par la SEP n’autorise qu’une diffusion et une rediffusion d’un extrait de 57 secondes, outre « catch-up 7 jours  », limitées à la chaîne France 2, pour une période de 24 mois courant du 3 juin 2015 jusqu’au 2 juin 2017.
La société Ciné-Mag Bodard décompte 10 diffusions /rediffusions non autorisées en incluant celles simultanées survenues sur le territoire Suisse via la chaîne France 2, alors qu’elles ne sauraient être comptabilisées pour les raisons exposées plus avant. Seules étaient autorisées la première diffusion du 19 août 2015 et la rediffusion du 29 août 2015. Les 3 rediffusions des 31 juillet 2016, 5 août 2016 et 25 juillet 2019 sur France 2 et celles des 9 novembre 2015 et 20 juillet 2020 sur TV5 ne rentrent pas dans le cadre contractuel, ce que ne conteste pas la SEP qui évoque pour cette émission des « rediffusions accidentelles ».
Alors que le contrat liant les parties ne prévoyait aucun droit pour l’édition de DVD, il ressort des deux constats d’huissier précités que l’émission litigieuse est intégrée dans des DVD commercialisés sur internet dans de nombreux coffrets édités entre 2015 et 2020, de sorte que la SEP a édité sans droits ni titres les vidéogrammes comprenant cette émission.
c.- « Secrets d’Histoire – La Grande Mademoiselle »

La société Ciné-Mag Bodard fait grief à la SEP d’avoir procédé à 4 diffusions/rediffusions non autorisées et d’avoir édité des vidéogrammes comprenant l’émission litigieuse, sans droits ni titres, pour un nombre inconnu.
Elle produit les relevés médiamétrie qui établissent que ce numéro de « Secrets d’Histoire » a été diffusé simultanément en France et en Suisse, sur la chaîne France 2, les 19 et 25 juillet 2016, et 8 mai 2017, alors que la facture n° 25-15/16 acquittée par la SEP n’autorise qu’une diffusion et une rediffusion d’un extrait de 57 secondes, outre « catch-up 7 jours  », limitées à la chaîne France 2, à compter du 13 octobre 2016 jusqu’au 12 octobre 2018.
Toutefois, les rediffusions sur le territoire Suisse étant écartées pour les raisons sus exposées, seule la rediffusion le 8 mai 2017 n’apparaît pas autorisée.
S’agissant des DVD, il ressort des constats d’huissier précités que la SEP a édité, sans droits ni titres, le DVD « Secrets d’histoire – Chapitre VIII », celui de « l’intégrale des 10 ans de l’émission » et « le coffret prestige » qui reprennent sans autorisation l’émission litigieuse.
d. – « Secrets d’Histoire – La Palatine, une commère à la Cour de Louix XIV »

La société Ciné-Mag Bodard fait grief à la SEP d’avoir excédé la durée de diffusion autorisée et d’avoir édité des vidéogrammes comprenant l’émission litigieuse, sans droits ni titres, et pour un nombre inconnu. Force est de constater que la SEP ne justifie pas non plus pour cette émission de droits pour les DVD, en sorte que la SEP a édité sans droit ni titres, entre 2013 et 2020, de nombreux vidéogrammes comprenant cette émission, ainsi qu’il résulte des constats d’huissier précités produits aux débats, sans toutefois qu’il soit possible d’établir avec exactitude le nombre de DVD ainsi édités. En revanche, s’agissant de la durée contractuellement prévue de 21 secondes, la société Ciné-Mag Bodard ne démontre pas en quoi cette durée aurait été dépassée pour atteindre 25 secondes.
e. – « Secrets d’Histoire – [Localité 5] et les [Y] »

La société Ciné-Mag Bodard fait grief à la SEP d’avoir procédé à 4 diffusions/rediffusions non autorisées et d’avoir édité des vidéogrammes comprenant l’émission litigieuse, sans droits ni titres, pour un nombre inconnu. Elle produit les relevés médiamétrie qui établissent que ce numéro de « Secrets d’Histoire » a été diffusé simultanément en France et en Suisse, sur la chaîne France 2, les 10 et 18 février 2015, alors que le bon de commande du 11 septembre 2012, complété par la facture n°65-11/12, porte sur la diffusion et une rediffusion d’un extrait d’une durée de 35 secondes, outre « catch-up TV sur 7 jours  », limitées à la chaîne France 2, à compter du 11 septembre 2012 pour 18 mois, soit jusqu’au 10 mars 2014. La SEP n’a donc pas respecté les droits de diffusion acquis limités à une fenêtre expirant le 10 mars 2014 en diffusant sur France 2 les 10 et 18 février 2015 ledit numéro. En outre, il n’est pas contesté que la SEP n’avait pas non plus acquis de droits d’édition de DVD, en sorte que les 6 vidéogrammes intégrant cette émission édités entre 2013 et 2020 l’ont été sans droits ni titres, pour un nombre qui demeure toutefois inconnu.
f. – « Secrets d’Histoire – Louis XIV – L’Homme et le Roi » et « Louis XIV – Le Roi est mort »

La société Ciné-Mag Bodard fait grief à la SEP d’avoir procédé à 17 diffusions/rediffusions non autorisées, utilisé 4 minutes hors droits et d’avoir édité des vidéogrammes comprenant l’émission litigieuse, pour un nombre excédant celui autorisé. Elle produit les relevés médiamétrie qui établissent que ce numéro de « Secrets d’Histoire » a été diffusé simultanément en France et en Suisse, sur la chaîne France 2, les 1er et 10 septembre 2015, 29 août, 6 et 7 septembre 2016, 14 novembre 2017, 5 et 13 octobre 2020, alors que la facture n°48-14/15 prévoit une diffusion et une rediffusion d’un extrait d’une durée de 9 minutes, et une multidiffusion (catch-up) sur 7 jours, limitées à la chaîne France 2, à compter du 20 juillet 2015 pour 24 mois, soit jusqu’au 19 juillet 2021, outre 7.000 DVD en France.
Les diffusions simultanées en Suisse devant être écartées, les relevés Médiamétrie établissent que 6 rediffusions ont été réalisées sans autorisation en France, pour une durée d’extraits excédant 4 minutes, sans que la SEP ne contredise utilement ce chiffre. Enfin, il ressort des deux constats d’huissier précités que sont commercialisés sur internet de nombreux coffrets comprenant le numéro litigieux, édités entre 2015 et 2020, la SEP ne contestant pas utilement le grief qui lui est fait d’avoir édité un nombre de DVD supérieur à celui autorisé.
g. – « Secrets d’Histoire – Les passions du Roi Soleil »

La société Ciné-Mag Bodard fait grief à la SEP d’avoir procédé à 3 diffusions/rediffusions non autorisées et d’avoir édité des vidéogrammes comprenant l’émission litigieuse, pour un nombre excédant celui autorisé. La facture n°41-11/12 prévoit une diffusion d’un extrait limité à 3 minutes et 57 secondes et une rediffusion outre « catch-up 7 jours  », limitées à la chaîne France 2 en France et dans les pays francophones, à compter du 3 juillet 2012 pour 18 mois, soit jusqu’au 4 janvier 2014 et la facture n°15-12/13 prévoit 7.000 DVD pendant 5 ans à compter du 29 novembre 2012 jusqu’au 29 novembre 2017.
Il ressort des relevés médiamétrie que ce numéro de « Secrets d’Histoire » a été diffusé uniquement sur la chaîne France 2 le 17 septembre 2013durant la période couverte par le contrat, les relevés ne couvrant pas l’année 2012 durant laquelle deux diffusions ont eu lieu conformément au contrat. En outre, ces relevés ne mentionnent aucune diffusion sur TV5 Monde le 14 juillet 2012 et le 23 février 2013 comme allégué. Aucune rediffusion illicite ne peut donc être reprochée à la SEP.
En revanche, il ressort des deux constats d’huissier des 8 et 10 novembre 2022 produits par la demanderesse que sont offerts à la vente sur internet de nombreux coffrets comprenant le numéro litigieux, édités entre le 29 novembre 2017, date d’expiration des droits de la SEP, et 2020, sans que cette dernière n’offre de justifier, de surcroît, en quoi leur nombre resterait inférieur au nombre de DVD autorisés.
h. – « Secrets d’Histoire – Elles ont régné sur [Localité 6] »

La société Ciné-Mag Bodard fait grief à la SEP d’avoir procédé à 1 diffusion/rediffusion non autorisée, d’avoir excédé la durée des extraits autorisée dans la limite de 3 minutes et 49 secondes et d’avoir édité des vidéogrammes comprenant l’émission litigieuse, sans droits ni titres.
Cependant, la société Ciné-Mag Bodard ne fournit aucun contrat ou facture établissant l’autorisation de reproduction d’extrait de l’oeuvre « L’Allée du Roi » pour illustrer l’émission « Elles ont régné sur [Localité 6] » consentie à la SEP, cependant que cette dernière conteste tant la durée d’extraits autorisée, soit 7 minutes au lieu de 3 minutes 49 comme allégué, que le nombre de diffusions/rediffusions hors contrat, faisant valoir que l’émission a été diffusée régulièrement le 21 août 2008 et ne l’a plus été ensuite, contrairement aux allégations de la demanderesse qui invoque une diffusion le 25 août 2012. Dans ces conditions, la société Ciné-Mag Bodard échoue à démontrer une diffusion et une durée d’extrait non autorisées. Elle n’établit pas davantage, en l’absence de tout document contractuel, qu’aucune édition DVD n’était prévue et que la SEP aurait donc édité sans droit ni titres l’émission litigieuse.
i. – sur les diffusions sur des plaformes de visionnage à la demande

La société Ciné-Mag Bodard fait grief à la SEP d’avoir diffusé les émissions litigieuses sur diverses plateformes de vidéos, telles que secretsdhistoire.tv ou youtube.
La SEP réplique n’avoir jamais diffusé l’émission « Secrets d’Histoire – Mme de Maintenon » sur la plateforme sdh.tv pour la seule raison que celle-ci ne pourrait exister sans le long extrait de l’Allée du Roi qui y est inséré, alors qu’elle a fait remonter toutes les autres émissions Secrets d’Histoire présentes sur sa plateforme lorsqu’elles comportaient des extraits de l’oeuvre afin de les supprimer, dans la mesure où ces extraits sont courts et n’excèdent pas 5 minutes. Elle expose qu’aucun des extraits de « L’Allée du Roi » ne s’y trouve, ni sur youtube, plateforme sur lesquelles toutes les émissions présentes ont également été remontées.
La SEP ne produit cependant aucune pièce justificative pour la plateforme sdh.tv. En revanche, le constat d’huissier du 25 octobre 2022 produit par la demanderesse contredit l’affirmation selon laquelle la plateforme youtube ne comporterait aucune émission intégrant les extraits de l’oeuvre « L’Allée du Roi » : on y trouve accessibles gratuitement les émissions « Elles ont régné sur [Localité 6] », « La marquise de Sévigné », « Louis XIV – les passions du Roi Soleil », « Les [Y] Princes de [Localité 5] » qui intègrent des extraits de l’oeuvre « L’Allée du Roi ».
Il résulte de l’ensemble de ces éléments, d’une part, qu’en diffusant les émissions « Secrets d’Histoire – Mme de Maintenon, Mme de Sévigné, la Grande Mademoiselle, La Palatine, Louis XIV. L’Homme et le Roi, Louis XIV. Le Roi est mort, Louis XIV. Les passions du Roi Soleil » qui reproduisent des extraits de l’oeuvre « L’Allée du Roi », au-delà de ce qui avait été autorisé, d’autre part, en reproduisant les extraits de cette oeuvre sous la forme d’édition de vidéogrammes, soit de manière non autorisée, soit au-delà de la durée et du nombre d’exemplaires autorisés et enfin, en diffusant ces mêmes extraits au sein des émissions précitées sur des plateformes de visionnages à la demande, sans autorisation, la société SEP et les sociétés France Télévisions ont commis des actes de contrefaçon au préjudice de la société Ciné-Mag Bodard, titulaire des droits d’exploitation de l’oeuvre « L’Allée du Roi ». La société Ciné-Mag Bodard oppose en effet à juste titre que les accords dont se prévalent les défenderesses conclus entre la SEP et les sociétés France Télévisions, lui sont inopposables : il importe peu qu’une exploitation plus large que celle convenue avec le détenteur des droits ait été prévue entre les défenderesses.
Sur les mesures de réparation

Moyens des parties

La société Ciné-Mag Bodard fait valoir au titre de son préjudice que la minute de diffusion non autorisée doit être indemnisée à concurrence de la somme de 3.000 euros HT, exposant qu’il s’agit d’un tarif identique à celui pratiqué par Arte, qu’en 2015, elle avait demandé à la SEP 2.000 euros par minute pour utiliser les extraits de « L’Allée du Roi », et qu’il s’agit d’indemniser des actes de contrefaçon commis en toute connaissance de cause par des professionnels avertis. Elle demande par ailleurs réparation du préjudice que lui a causé l’édition en DVD de 5 émissions sans aucune autorisation et l’édition DVD de 4 émissions au-delà de l’autorisation consentie. Elle observe que le chiffre d’affaires de la SEP lié aux DVD contrefaisants n’est étayé par aucune pièce. Elle indique que le nombre de vidéogrammes édités hors contrat étant inconnu, elle n’a d’autre choix que de former une demande de dédommagement global à concurrence de 300.000 euros, sauf à parfaire. Elle demande enfin 10.000 euros en réparation de son préjudice causé par la diffusion des émissions « Secrets d’Histoire » litigieuses sur les plateformes de visionnage à la demande.
La SEP réplique en substance que le prix de 3.000 euros la minute non autorisée est sans rapport avec la pratique contractuelle et les usages de la profession ; que les prix négociés avec la demanderesse pour la reprise des extraits de l’oeuvre « L’Allée du Roi » sont compris entre 923 euros et 3.857 euros, le prix étant négocié de gré à gré et variant en fonction de la durée sélectionnée, pour s’élever en première diffusion entre 1.000 et 2.000 euros maximum et en rediffusion, à un tiers de ce prix habituel. Quant aux DVD, elle rapporte une recette brute de 146.000 euros que lui a procuré l’édition en DVD des 134 émissions Secrets d’Histoire sur les 5 dernières années et un chiffre d’affaires de 502 euros pour 46 minutes d’images achetées à la société Ciné-Mag Bodard, soit 0,34 % de la durée totale des émissions, 39 de ces 46 minutes concernant des émissions pour lesquelles des droits d’édition en DVD ont été acquis pour 7.000 exemplaires. Subsidiairement, elle demande que sa condamnation soit plafonnée à 15.500 euros correspondant à son offre de dédommagement au titre des 4 rediffusions qu’elle a identifiées en 2017, 2019 et 2020.
Appréciation du tribunal

Selon l’article L.331-1-3 du code de la propriété intellectuelle, « Pour fixer les dommages et intérêts, la juridiction prend en considération distinctement :1° Les conséquences économiques négatives de l’atteinte aux droits, dont le manque à gagner et la perte subis par la partie lésée ;
2° Le préjudice moral causé à cette dernière ;
3° Et les bénéfices réalisés par l’auteur de l’atteinte aux droits, y compris les économies d’investissements intellectuels, matériels et promotionnels que celui-ci a retirées de l’atteinte aux droits.
Toutefois, la juridiction peut, à titre d’alternative et sur demande de la partie lésée, allouer à titre de dommages et intérêts une somme forfaitaire. Cette somme est supérieure au montant des redevances ou droits qui auraient été dus si l’auteur de l’atteinte avait demandé l’autorisation d’utiliser le droit auquel il a porté atteinte. Cette somme n’est pas exclusive de l’indemnisation du préjudice moral causé à la partie lésée ».

En outre, l’article L.331-1-2 du code de la propriété intellectuelle prévoit : « Si la demande lui est faite, la juridiction saisie au fond ou en référé d’une procédure civile prévue aux livres Ier, II et III de la première partie peut ordonner, au besoin sous astreinte, afin de déterminer l’origine et les réseaux de distribution des marchandises et services qui portent prétendument atteinte aux droits du demandeur, la production de tous documents ou informations détenus par le défendeur ou par toute personne qui a été trouvée en possession de telles marchandises ou fournissant de tels services ou a été signalée comme intervenant dans la production, la fabrication ou la distribution de ces marchandises ou la fourniture de ces services.La production de documents ou d’informations peut être ordonnée s’il n’existe pas d’empêchement légitime.»

La contrefaçon étant démontrée, il y a donc lieu de faire droit aux mesures d’interdiction selon les modalités exposées au dispositif de la présente décision, sans qu’il apparaisse toutefois nécessaire de faire droit à la demande de la société Ciné-Mag Bodard de voir prononcer une astreinte.
S’agissant de la réparation du préjudice, la société Ciné-Mag Bodard ne produit aucun élément justifiant du prix de 3.000 euros la minute qu’elle retient et que conteste la SEP sur la base du prix négocié avec la demanderesse pour chacune des émissions en litige, pour un montant moyen de 1.864 euros, qui sera donc retenu en l’arrondissant à 1860 euros, en l’absence de démonstration par la SEP de l’usage selon lequel le prix est réduit au tiers pour une rediffusion.
Sur cette base, les rediffusions non autorisées des émissions Secrets d’histoire sont à l’origine d’un manque à gagner pour la société Ciné-Mag Bodard qui sera indemnisé à concurrence de la somme de 241.800 euros (1860 € x 26 minutes x 5 émissions) pour « L’irrésistible ascension de Mme de Maintenon », 8.835 euros (1767 € (1860 x 57 secondes/60 secondes) x 5 émissions) pour « Mme de Sévigné, l’esprit du Grand Siècle », 1.767 euros (1.767 € (1860 x 57 secondes/60 secondes) x 1 émission) pour « La Grande Mademoiselle », 2.170 euros (1.085 € (1860 x 35 secondes/60 secondes) x 2 émissions) pour « [Localité 5] et les [Y] » et 107.880 euros (1860 € x 4 minutes + (1860 x 9 minutes x 6 émissions = 100.440) pour « Louis XIV – L’Homme et le Roi – Le Roi est mort », pour un total de 362.452 euros.
Les pièces versées aux débats par la société Ciné-Mag Bodard ne permettent pas d’évaluer la quantité de DVD édités, sans droits ni titres, ou au-delà de l’autorisation consentie. La société Ciné-Mag Bodard n’offre pas non plus d’expliquer les éléments sur lesquels elle fonde l’ évaluation de son dommage à 300.000 euros. La SEP invoque de son côté des recettes correspondant à 134 émissions Secrets d’Histoire en ce compris les émissions litigieuses, pour un montant de 146.303 euros, au titre des années 2017 à 2022, selon un décompte explicité dans les écritures que les documents produits ne permettent pas au tribunal de vérifier.
Dans ces conditions, le Tribunal allouera à la société Ciné-Mag Bodard la somme de 5.000 euros en réparation du manque à gagner lié à l’édition de DVD sans droits ni titres.
Quant aux diffusions sans autorisation sur les plateformes de vidéos à la demande, la société Ciné-Mag Bodard ne justifie pas de son préjudice que lui a causé la diffusion, à titre gratuit, sur la chaîne Youtube de 4 épisodes de l’émission « Secrets d’Histoire » comprenant les extraits de l’oeuvre « L’Allée du Roi », pour une durée indéterminée. Il ressort cependant des bordereaux d’exploitation cumulés produits par la SEP des royalties d’un montant respectivement de 627,24 euros et de 847,20 euros au titre des 2ème semestre 2021 et 1er semestre 2022. En l’état de ces éléments, il sera alloué à la société Ciné-Mag Bodard la somme de 1.500 euros.
La SEP sera déboutée de sa demande subsidiaire de voir plafonner le montant de l’indemnité mise à sa charge, motif pris que seules 4 rediffusions des émissions Louis XIV – L’Homme et le Roi, Louis XIV – Le Roi est mort, et Mme de Sévigné pouvaient lui être reprochées, ce que le tribunal n’a pas retenu au regard des pièces versées aux débats.
Au regard de l’ensemble de ces considérations, il convient de condamner la SEP et les sociétés France Télévisions in solidum à payer à la société Ciné-Mag Bodard la somme de 368.952 (362.452 + 1.500 + 5.000) euros en réparation des actes de contrefaçon.

Enfin, la demande de la société Ciné-Mag Bodard aux fins de publication de la présente décision sera rejetée, le dommage apparaissant comme étant suffisamment réparé par l’octroi de dommages-intérêts et les diffusions en cause étant anciennes. De même, il n’apparaît pas nécessaire de faire droit à la demande d’information et communication dans la mesure où les demandes de dommages-intérêts figurant au dispositif des écritures de la société Ciné-Mag Bodard ne sont pas formulées à titre provisionnel.
Sur la garantie sollicitée par les sociétés France Télévisions

Moyens des parties

Les sociétés France Télévisions se prévalent d’une garantie contractuelle et d’éviction stipulée à leur profit dans chacun de ces deux contrats
La SEP réplique que rien ne justifie de faire droit à la demande de garantie des sociétés France Télévisions dès lors qu’elles ne sauraient être condamnées conjointement ou solidairement.
Appréciation du tribunal

Aux termes de l’article 1103 du code civil, les contrats légalement formés tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faits.
En l’espèce, l’article 12.3 du contrat de préachat du 3 mars 2014 conclu entre la société France Télévision et la SEP stipule que « [La SEP] garantit France télévisions contre tout recours ou action que pourraient former à un titre quelconque, à l’occasion de l’exercice des droits consentis à France Télévisions par la présente convention, les auteurs ou leurs ayant-droit, éditeurs, réalisateurs, artistes, ou exécutants et d’une manière générale toute personne ayant participé directement ou indirectement à la production ou à la réalisation des oeuvres.[La SEP] garantit également FRANCE TELEVISIONS contre tout recours ou action que pourraient former les personnes physiques ou morales n’ayant pas participé à la production ou à la réalisation, qui estimeraient avoir des droits quelconques à faire valoir sur tout ou partie de l’Œuvre ou sur son utilisation par FRANCE TELEVISIONS ».
En outre, l’article 11.1 du contrat d’édition et de cession du 19 septembre 2012 conclu entre la société France Télévisions Distribution et la SEP prévoit que « La SEP garantit FTD contre toute revendication de tiers, notamment ayants-droit, auteurs, éditeurs, comédiens, musiciens, réalisateurs du programme, producteurs de phonogrammes, personnes ayant participé de façon directe ou indirecte à l’enregistrement, à l’élaboration ou au montage du programme. Par ailleurs, la SEP garantit FTD contre tout recours ou action de toute personne (physique, morale, voire même société d’auteurs) susceptible de faire valoir des droits relativement à la production et/ou à l’utilisation des oeuvres artistiques figurant sur les éléments remis par la SEP. La SEP remboursera à FTD tous les frais qu’elle aura à exposer pour sa défense dans le cadre de toute réclamation, y compris judiciaire, émanant de tiers qui allègueraient un droit quelconque sur le programme objet des présentes ».
Il résulte de ces clauses que la SEP doit garantir les sociétés France Télévisions en leur qualité respective de diffuseur et d’éditeur vidéographique de toute action formée à leur encontre relativement à l’utilisation par voie de diffusion et d’édition en DVD des émissions reproduisant les extraits de l’oeuvre « L’Allée du Roi » produites par la SEP.
Ainsi, la SEP sera condamnée à garantir les sociétés France Télévisions de toutes condamnations prononcées à leur encontre.
Sur les autres mesures

Partie perdante au sens de l’article 696 du code de procédure civile, la SEP et les sociétés France Télévisions seront condamnées in solidum aux dépens qui pourront être recouvrés conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile, ainsi qu’à payer à la société Cine-Mag Bodard la somme de 5.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile, étant précisé que la SEP devra garantir les sociétés France Télévisions des frais de l’instance.
Aucune circonstance ne justifie d’écarter l’exécution provisoire de droit dont est assortie la présente décision conformément aux dispositions de l’article 514 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

LE TRIBUNAL,

REJETTE la fin de non-recevoir soulevée par la société Société européenne de production ;

DÉCLARE recevable l’action en contrefaçon de droits d’auteur engagée par la société Ciné-Mag Bodard ;

FAIT INTERDICTION aux sociétés Société Européenne de Production et France Télévisions et France Télévisions Distribution de diffuser ou de faire diffuser, sur quelque support que ce soit, des extraits de l’oeuvre audiovisuelle « L’Allée du Roi », sans l’autorisation préalable de la société Ciné-Mag Bodard ;

DIT n’y avoir lieu d’assortir d’une astreinte ;

CONDAMNE in solidum les sociétés Société européenne de production et France Télévisions et France Télévisions Distribution à payer à la société Ciné-Mag Bodard la somme de 368.952 euros en réparation des actes de contrefaçon ;

CONDAMNE la société Société européenne de production à garantir la société France Télévisions et la société France Télévisions Distribution de l’ensemble des condamnations mises à leur charge, en ce compris celle au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

DÉBOUTE la société Ciné-Mag Bodard de sa demande de publication du dispositif du jugement;

REJETTE les autres demandes,

CONDAMNE in solidum les sociétés Société européenne de production et France Télévisions et France Télévisions Distribution aux entiers dépens de l’instance qui pourront être recouvrés conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile ;

CONDAMNE in solidum les sociétés Société européenne de production et France Télévisions et France Télévisions Distribution à payer à la société Ciné-Mag Bodard la somme de 5.000 euros sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile ;

DIT qu’il n’y a pas lieu d’écarter l’exécution provisoire.

Fait et jugé à Paris le 30 mai 2024

La Greffière La Présidente
Caroline REBOUL Anne-Claire LE BRAS


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