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Copies exécutoires RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
délivrées aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D’APPEL DE PARIS
Pôle 5 – Chambre 8
ARRÊT DU 17 OCTOBRE 2023
(n° / 2023 , 5 pages)
Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 22/09250 – N° Portalis 35L7-V-B7G-CFZVL
Décision déférée à la Cour : Jugement du 1er avril 2022 -Tribunal Judiciaire de Paris – RG n° 19/09976
APPELANT
Monsieur [I] [U]
De nationalité française
Demeurant [Adresse 2]
[Localité 4]
Représenté et assisté de Me Anne COLONNA DURAN, avocate au barreau de PARIS, toque : B1100,
INTIMÉ
Monsieur [D] [F]
Né le [Date naissance 1] 1954 à [Localité 6] (92)
De nationalité française
Demeurant [Adresse 3]
[Localité 5]
Représenté et assisté de Me Hugues FRACHON, avocat au barreau de PARIS, toque B1211,
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 19 juin 2023, en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant la cour composée en double-rapporteur de Madame Marie-Christine HEBERT-PAGEOT, présidente de chambre, et de Madame Florence DUBOIS-STEVANT, conseillère,
Ces magistrates ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Madame Marie-Christine HÉBERT-PAGEOT, présidente de chambre,
Madame Florence DUBOIS-STEVANT, conseillère,
Madame Constance LACHEZE, conseillère.
Un rapport a été présenté à l’audience par Madame Florence DUBOIS-STEVANT dans les conditions prévues à l’article 804 du code de procédure civile.
Greffier, lors des débats : Madame Liselotte FENOUIL
ARRÊT :
– Contradictoire
– par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.
– signé par Marie-Christine HÉBERT-PAGEOT, présidente de chambre et par Liselotte FENOUIL, greffière, présente lors de la mise à disposition.
*
* *
FAITS ET PROCÉDURE:
La SARL Architecture et constructions industrielles (” la société ACI “), inscrite au tableau de l’ordre des architectes, a été constituée par acte sous seing privé le 4 mai 2002. Son capital social de 800 parts sociales était réparti entre M. [O] [Y] (392 parts),
M. [U] (392 parts), M. [C] [T] (8 parts) et M. [D] [F] (8 parts). Seul M. [Y] n’était pas architecte.
Le 16 octobre 2007, M. [T] a cédé sept de ses parts à Mme [G] [Y], fille des époux [Y], et une part à M. [U], au prix de 10 euros la part, montant égal à la valeur nominale. A l’issue de ces cessions, MM. [U] et [F], architectes, sont restés majoritaires avec, ensemble, 401 parts, M. [Y] et sa fille détenant 399 parts.
La société ACI a été transformée en SAS et, par acte du 30 avril 2016, M. [F] a cédé ses huit actions à M. [U] au prix de 80 euros, soit 10 euros l’action correspondant à la valeur nominale.
Invoquant l’irrégularité de cette dernière cession d’actions, car consentie à un prix dérisoire, M. [F] a, le 7 août 2019, assigné M. [U] devant le tribunal de grande instance de Paris en annulation de la cession.
Par jugement du 1er avril 2022, le tribunal judiciaire de Paris a :
– constaté la nullité de l’acte du 30 avril 2016 de cession de huit ” parts de la SARL ” Architecture et constructions industrielles, conclu entre M. [F] et M. [U] ;
– condamné M. [U] à restituer à M. [F] les huit ” parts sociales “, objet de la cession annulée ;
– condamné M. [F] à payer à M. [U] la somme de 80 euros ;
– condamné M. [U] à payer à M. [F] la somme de 3.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile et aux dépens.
Par déclaration du 9 mai 2022, M. [U] a fait appel de ce jugement et, par dernières conclusions remises au greffe et notifiées par RPVA le 10 mai 2023, il demande à la cour de réformer le jugement en toutes ses dispositions et, statuant à nouveau, de rejeter la demande de M. [F] tendant à l’annulation de la cession de ses 8 actions intervenue le 30 avril 2016, de le condamner à lui payer la somme de 5.000 euros par application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile et de condamner M. [F] aux dépens de première instance et d’appel.
M. [U] expose que l’action de M. [F] est intervenue alors qu’il était en conflit depuis 2018 avec les époux [Y], dirigeants de la société ACI, jusqu’à ce qu’il en devienne lui-même dirigeant en 2018, et associés de la société SECC, que celle-ci a réclamé à la société ACI diverses sommes au titre de prestations qu’elle aurait réalisées, ce à quoi il s’est opposé, et que Mme [Y] a revendiqué son statut de salariée au sein de la société ACI.
M. [U] soutient qu’il n’a rien imposé mais que M. [F] a décidé de céder ses actions à raison de son état de santé physique problématique, combiné à sa volonté de cesser d’exercer à terme la profession d’architecte, et ainsi de prendre sa retraite, qu’il était cependant en pleine possession de ses facultés mentales et qu’il n’avait d’autre choix que de lui céder ses huit actions compte tenu de la loi n° 77-2 du 3 janvier 1977 sur l’architecture réglementant la profession et des statuts de la société ACI imposant l’agrément d’un autre associé, lui-même étant le seul architecte parmi les associés. Il ajoute que lui-même n’avait pas intérêt à cette cession, alors qu’il détenait déjà la majorité du capital social, et qu’il n’est pas intervenu dans la détermination du prix de cession, défini par M. [F] avec l’assistance de l’expert-comptable de la société ACI, également rédacteur de l’acte.
Il soutient qu’un prix de cession inférieur à la valeur des titres n’est pas un motif suffisant de nullité de la cession et que le caractère réel et sérieux du prix librement convenu entre les parties ne se confond pas avec la valeur du bien vendu. Il fait ainsi valoir qu’au regard du caractère fermé de la société ACI résultant de la clause d’agrément des statuts, de la faible liquidité de ses actions compte tenu de la nécessaire qualité d’architecte d’un autre associé, de la cession plus que minoritaire proposée, sans intérêt pour un tiers, de la position d’homme clé qu’il occupe lui-même au sein de la société, spécialisée dans la construction de stations-service d’autoroute, et de l’intuitu personae attachée à une société d’architecture, de la dépendance de la société ACI à la société SECC alors que la mésentente persistante entre leurs dirigeants a conduit à la cessation de leur collaboration, et de la faible trésorerie, M. [F] ne démontre pas que le prix de 10 euros par action n’était pas réel et sérieux.
Il fait observer que la fourchette de valorisation s’établit entre 66 et 80 euros par titre, que le prix de 10 euros par titre était donc loin d’être dérisoire, que ce prix est celui de la cession, de 2007, des 8 parts sociales alors détenues par M. [T], que l’évaluation à laquelle M. [F] a fait procéder ne saurait être retenue car elle ne tient pas compte des particularités de la situation devant conduire à une décote maximale, que les titres ont rapporté en 2013, 2014 et 2015 une moyenne de 82 euros par an et par titre mais qu’aucun dividende n’a été versé depuis 2016.
Par dernières conclusions déposées au greffe et notifiées par RPVA le 12 mai 2023,
M. [F] demande à la cour de confirmer le jugement en toutes ses dispositions, de débouter M. [U] de ses demandes, de le condamner à lui payer la somme de 5.000 euros au titre des frais irrépétibles d’appel et de condamner M. [U] aux dépens et aux frais d’exécution de sa décision.
Il soutient que le prix de 80 euros est dérisoire au regard de la valorisation de l’entreprise au jour de la cession impliquant une valeur des huit actions comprise entre 2.243 euros et 5.320 euros, aux dividendes moyens de 505 euros par an versés sur les huit derniers exercices précédant la cession et à l’avantage conféré au cessionnaire qui obtient ainsi la moitié des actions plus une dans le capital de la société.
Il affirme que la cession lui a été imposée à la fin de son activité dans la société ACI, qu’il n’a pas pu faire valoir une estimation du prix des actions, que la société pouvait fonctionner avec deux architectes détenant ensemble la majorité des actions, qu’il était bien inscrit à l’ordre des architectes, qu’il n’était pas justifié de retenir la valeur nominale, et qu’il n’a tiré aucun avantage de cette cession, contrairement à M. [U], qui est devenu majoritaire et a obtenu le vote d’une hausse substantielle de sa rémunération.
Il conteste les facteurs de décote invoqués par M. [U], ce dernier n’étant pas irremplaçable, le lien avec la société SECC ne constituant pas une menace pour la société ACI, la prétendue absence de dividendes n’étant pas avérée, la clause d’agrément étant sans effet sur le prix dès lors qu’en cas de refus d’agrément la société doit racheter les actions, la décote de minorité étant non pertinente alors qu’au contraire une surcote devrait s’appliquer puisque la cession donnait la majorité à M. [U].
L’instruction a été clôturée le 16 mai 2023.
SUR CE,
La société ACI étant une société d’architecture, elle est soumise à l’article 13 de la loi du 3 janvier 1997 sur l’architecture qui dispose que plus de la moitié du capital social et des droits de vote doivent être détenus par un ou plusieurs architectes et qu’un des associés au moins doit être un architecte personne physique détenant 5 % minimum du capital social et des droits de vote.
Les statuts comprennent en outre une clause de préemption et une clause d’agrément en cas de cession d’actions à un tiers.
Avant la cession litigieuse du 30 avril 2016, son capital social était ainsi détenu par deux architectes, M. [U] (393 titres) et M. [F] (8 titres), et par M. [Y] (392 titres) et sa fille (7 titres) qui ne sont pas architectes.
Dès lors que plus de la moitié du capital social doit être détenu par un ou plusieurs architectes, M. [F] devait céder la totalité de ses actions à un ou plusieurs architectes et ce, sous la contrainte des clauses de préemption et d’agrément.
Comme le précise le cabinet [X] et associés dans son rapport d’évaluation produit par M. [F], la notion de valeur de l’entreprise est distincte de la notion de prix payé, le prix payé étant le résultat d’une négociation. Cet expert-comptable indique également qu’” il peut exister des écarts notables entre la valeur d’une entreprise et le prix auquel elle est cédée “. Ainsi l’écart constaté entre la valeur de l’entreprise revendiquée par M. [F] sur la base de l’évaluation faite par le cabinet [X] et associés – soit une valeur basse estimée de 224.338 euros et une valeur haute de 532.023 euros, alors que la conclusion de cette évaluation situe la valeur d’entreprise dans un intervalle compris entre 333.800 euros et 408.000 euros, dont il se déduit une valeur par action comprise entre 417,25 euros et
510 euros – et le prix unitaire des actions cédées (10 euros) n’est pas de nature à caractériser la vileté du prix de cession.
Les actions de M. [F] ont été cédées à M. [U] à leur valeur nominale de
10 euros par titre. La vileté du prix de cession ne saurait toutefois se déduire de sa fixation à la valeur nominale sauf à démontrer l’absence de caractère sérieux du prix.
Or la cour relève que les parts sociales cédées en 2007 par M. [T] aux consorts [Y] l’ont été à ce même prix correspondant à leur valeur nominale.
Si les dividendes distribués antérieurement à la cession sont susceptibles de constituer un indice de vileté du prix de cession, tel n’est pas le cas en l’espèce compte tenu de leur modicité, leur montant, certes supérieur au prix de cession, ayant été compris entre un minimum de 51 euros par action en 2011 et un maximum de 137 euros par titre en 2008, les autres exercices ayant conduit à des dividendes compris entre 58 et 72,5 euros par titre, étant en outre précisé qu’aucun dividende n’a été distribué en 2012 ni postérieurement à la cession.
Surtout, les contraintes réglementaires pesant sur les sociétés d’architecture ci-avant rappelées, la nécessité de céder les actions de M. [F] à un architecte combinée aux clauses de préemption et d’agrément, la spécificité de la société Architecture et constructions industrielles, tenant à sa spécialisation dans l’aménagement de stations-services sur des autoroutes, à sa dépendance à un bureau d’étude, la société SECC, dont M. [Y] est le principal associé et dirigeant, qu’elle facture en lieu et place des donneurs d’ordre, et à la forte implication de M. [U] dans son activité, sont autant de facteurs de réduction du prix que M. [F] pouvait espérer tirer de la cession d’un nombre très limité d’actions dont le caractère illiquide est avéré. Il n’est ainsi fait état d’aucune manifestation d’intérêt pour le rachat des titres de M. [F].
Il résulte de l’ensemble de ces constats que le prix de cession des actions de M. [F] fixé à leur valeur nominale n’a pas revêtu un caractère dérisoire entraînant la nullité de la cession. Le jugement sera donc infirmé en toutes ses dispositions et M. [F] débouté de toutes ses demandes.
Partie perdante, M. [F] sera condamné aux dépens de première instance et d’appel et à payer à M. [U] une somme de 5.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile au titre des frais irrépétibles exposés en première instance et en cause d’appel.
PAR CES MOTIFS,
La Cour statuant contradictoirement,
Infirme le jugement déféré en toutes ses dispositions ;
Statuant à nouveau et y ajoutant,
Déboute M. [D] [F] de toutes ses demandes ;
Condamne M. [D] [F] à payer à M. [I] [U] la somme de 5.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
Condamne M. [D] [F] aux dépens de première instance et d’appel.
La greffière,
Liselotte FENOUIL
La présidente,
Marie-Christine HÉBERT-PAGEOT