Cession d’actions : 16 novembre 2023 Cour d’appel de Poitiers RG n° 21/02025

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Cession d’actions : 16 novembre 2023 Cour d’appel de Poitiers RG n° 21/02025
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ND/PR

ARRÊT N° 564

N° RG 21/02025

N° Portalis DBV5-V-B7F-GJ4O

S.A.S. B.D.R

C/

[Z]

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D’APPEL DE POITIERS

Chambre Sociale

ARRÊT DU 16 NOVEMBRE 2023

Décision déférée à la Cour : Jugement du 23 juin 2021 rendu par le Conseil de Prud’hommes de SAINTES

APPELANTE :

S.A.S. B.D.R

N° SIRET : 333 185 999

[Adresse 1]

[Localité 3]

Ayant pour avocat Me Alioune THIAM, avocat au barreau de LA ROCHELLE ROCHEFORT

INTIMÉE :

Madame [J] [Z] née [N]

née le 18 avril 1964 à [Localité 5] (17)

[Adresse 2]

[Localité 4]

Ayant pour avocat Me Laure MELLIER de la SCP CALLAUD – MELLIER – KURZAWA, avocat au barreau de SAINTES

COMPOSITION DE LA COUR :

L’affaire a été débattue le 20 septembre 2023, en audience publique, devant la Cour composée de :

Madame Marie-Hélène DIXIMIER, Présidente

Madame Ghislaine BALZANO, Conseillère

Monsieur Nicolas DUCHATEL, Conseiller

qui en ont délibéré

GREFFIER, lors des débats : Madame Patricia RIVIÈRE

ARRÊT :

– CONTRADICTOIRE

– Prononcé publiquement par mise à disposition au greffe de la Cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du Code de procédure civile,

– Signé par Madame Marie-Hélène DIXIMIER, Présidente, et par Madame Patricia RIVIÈRE, Greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

EXPOSÉ DU LITIGE

Suivant protocole de cession d’actions daté du 11 octobre 2019, la société civile AK développement, dont le gérant est M. [U] [R], a procédé à l’acquisition de la SAS BDR, dont la présidente était Mme [J] [Z] née [N].

Mme [Z] exerçait également les fonctions de responsable administrative de la société BDR dans le cadre d’un contrat de travail à durée indéterminée et ce depuis le 1er octobre 1995.

En application du protocole de cession d’actions, qui prévoyait que Mme [Z] s’engageait à démissionner sans indemnité ni préavis de l’ensemble de ses mandats sociaux de même que de son contrat de travail, Mme [Z] démissionnait le 13 décembre 2019 de toutes ses fonctions au sein de la société BDR.

Mme [Z] se voyait remettre en main propre le 13 décembre 2019 une lettre d’embauche dans le cadre d’un contrat de travail à durée indéterminée en qualité de directrice du site de la société BDR à compter du 16 décembre 2019 avec une rémunération nette mensuelle de 3.500 euros.

A l’occasion de la rupture de son contrat de travail par l’effet de sa démission, Mme [Z] percevait notamment une somme à titre d’indemnité compensatrice de congés payés.

Par courrier daté du 11 février 2020, M. [R], en sa qualité de président directeur général de la société BDR, a informé Mme [Z] qu’il avait constaté sur son bulletin de paie du 1er au 13 décembre 2019 la rémunération de 36 jours de congés liés à des congés non pris depuis 3 ans, lui indiquant qu’il avait refusé de les prendre en compte et qu’il lui demandait de les rembourser à hauteur de la somme de 6.188,33 euros, et en lui reprochant de ne pas s’être mise en congés sans solde pendant la fermeture de l’entreprise entre les 20 décembre 2019 et 6 janvier 2020, et en lui réclamant également de rembourser cette période à la société.

Par courrier recommandé daté du 14 février 2020, Mme [Z] a été convoquée à un entretien préalable à un éventuel licenciement et s’est vue notifier une mise à pied à titre conservatoire, avant d’être licenciée pour faute grave par courrier du 4 mars 2020 pour s’être octroyée des sommes indues en raison de son ancienneté dans l’entreprise et pour avoir adopté un comportement inacceptable et déloyal.

Par requête du 3 juillet 2020, Mme [Z] a saisi le conseil de prud’hommes de Saintes qui par jugement du 23 juin 2021, a :

constaté l’absence de faute grave imputable à Mme [Z],

dit que le licenciement de Mme [Z] par la SAS BDR repose sur une cause réelle et sérieuse,

condamné la SAS BDR à rembourser à Mme [Z] la somme de 6.188,33 euros bruts prélevés indûment au titre des 36 jours de congés payés lors du solde de tout compte,

condamné la SAS BDR à verser à Mme [Z] les sommes de 4.700 euros bruts au titre de l’indemnité de préavis, 2.133,33 euros bruts au titre de la mise à pied et 1.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

débouté Mme [Z] de ses autres demandes,

ordonné la rectification des bulletins de salaire et des documents de fin de contrat sous astreinte de 50 euros par jour courant du 11ème jour à compter de la notification de la présente décision pour une durée limitée à 60 jours et dit que le conseil se réserve le droit à liquidation de l’astreinte,

débouté la SAS BDR de l’ensemble de ses demandes,

condamné la SAS BDR aux entiers dépens en ce compris les sommes dues au titre de l’article 10 du décret du 8 mars 2001 ainsi qu’aux éventuels frais d’huissier en cas d’exécution forcée.

Par déclaration électronique en date du 30 juin 2021, la SAS BDR a interjeté appel de cette décision.

Dans ses dernières conclusions, transmises au greffe et notifiées par le réseau privé virtuel des avocats le 30 septembre 2021, auxquelles il convient de se référer pour un plus ample exposé des faits, prétentions et moyens, la SAS BDR demande à la cour de :

infirmer le jugement du conseil de prud’hommes de Saintes en date du 23 juin 2021,

juger que le conseil de prud’hommes de Saintes n’a pas motivé la requalification de la faute grave de Mme [Z] en faute réelle et sérieuse,

juger que la faute commise par Mme [Z] est une faute grave,

juger que le licenciement pour faute grave de Mme [Z] est fondé,

débouter Mme [Z] de ses demandes indemnitaires,

débouter Mme [Z] de l’ensemble de ses demandes, fins, moyens et prétentions,

condamner Mme [Z] à lui verser la somme de 6.188,33 euros encaissée au titre d’indemnités de congés payés indus,

juger que cette somme portera intérêt au taux légal à compter de la date du courrier d’échéancier cosigné le 11 février 2020 par Mme [Z] et M. [R], PDG de la société BDR,

condamner Mme [Z] à verser à la société BDR la somme de 5.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux dépens.

Au soutien de ses demandes, la SAS BDR fait valoir les éléments suivants :

le conseil de prud’hommes n’a pas donné la motivation de la requalification du licenciement pour faute grave de Mme [Z] en licenciement pour cause réelle et sérieuse,

Mme [Z] a reçu une délégation de pouvoir de M. [R] et elle devait à ce titre viser toutes opérations bancaires de rentrée ou de sortie d’argents de la société BDR et s’occuper de son administration,

elle était située au plus haut dans la hiérarchie de l’entreprise et disposait à ce titre des pouvoirs et responsabilités les plus étendus,

la salariée a visé le 20 décembre 2019 un état de virements à son profit d’un montant de 5.792,61euros net,

elle s’est fait payer une indemnité de congés payés auxquelles elle savait ne pas avoir droit, puisqu’elle avait renoncé à ses indemnités depuis la cession de sa société, alors qu’elle savait que la société BDR était en grandes difficultés financières,

la salariée a reconnu sa faute et a proposé un échéancier pour régler la totalité de la somme indument encaissée, et cette reconnaissance ne constitue pas une première sanction,

la faute de Mme [Z] doit être qualifiée de faute grave compte tenu de sa situation hiérarchique et de ses responsabilités au sein de la société BDR.

Dans ses dernières conclusions transmises au greffe et notifiées par le réseau privé virtuel des avocats le 6 mars 2023, auxquelles il convient de se référer pour un plus ample exposé des faits, prétentions et moyens, Mme [Z] demande à la cour de :

débouter la société BDR de toutes ses demandes, fins et prétentions formées à son encontre,

la juger recevable et fondée en son appel incident,

confirmer le jugement dont appel en ce qu’il a constaté l’absence de faute grave imputable à Mme [Z], condamné la SAS BDR à lui rembourser la somme de 6.188,33 euros bruts prélevés indûment au titre de 36 jours de congés payés lors du solde de tout compte, condamné la SAS BDR à lui verser les sommes de 4.700 euros au titre de l’indemnité de préavis, 2.133,33 euros à titre de rappel de salaire pour la mise à pied injustifiée et 1.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile, et en ce qu’il a ordonné la rectification des bulletins de salaire et des documents de fin de contrat sous astreinte, dit que le conseil se réserve le droit à liquidation de l’astreinte, débouté la SAS BDR de l’ensemble de ses demandes et condamné la SAS BDR aux entiers dépens,

infirmer le jugement en ce qu’il a dit que le licenciement repose sur une cause réelle et sérieuse et en ce qu’il l’a débouté de ses autres demandes,

statuant à nouveau, juger que son licenciement est dénué de toute cause réelle et sérieuse,

condamner la société BDR à lui verser les sommes de :

4.700 euros nets à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

686,60 euros bruts au titre du solde restant dû concernant le rappel de salaire pour la mise à pied prononcée de manière injustifiée,

470 euros bruts au titre des congés payés sur préavis,

213,33 euros bruts au titre des congés payés sur le rappel de salaire lié au prononcé de la mise à pied injustifiée,

1.518,23 euros bruts au titre du congé payé sans solde retirés de manière injustifiée,

151,82 euros au titre des congés payés afférents,

5.000 euros nets à titre de dommages et intérêts pour le licenciement intervenu dans des conditions brutales et vexatoires,

3.750 euros nets à titre d’amende en application de l’article L1334-1 du code du travail,

condamner la société BDR à lui remettre les documents de fin de contrat rectifiés (solde de tout compte rectifié, attestation Pôle Emploi rectifiée, bulletin de paie rectifié) sous astreinte de 50 euros par jour de retard à compter du huitième jour suivant la signification de l’arrêt à intervenir,

condamner la société BDR aux entiers dépens et à lui verser la somme de 5.000 euros nets sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile pour les frais irrépétibles exposés en appel.

Au soutien de ses demandes, Mme [Z] fait valoir que le paiement des 36 jours de congés payés acquis au titre du solde de tout compte afférent à son emploi de responsable administrative sur le bulletin de paie du 1er décembre 2019 au 13 décembre 2019 résultait d’un droit acquis en sa qualité de salariée démissionnaire, qu’elle n’avait à aucun moment renoncé au paiement de ses congés payés acquis, et que la Cour de cassation rappelle que lorsqu’un salarié est dans l’impossibilité de prendre ses congés, il ne lui est pas possible d’y renoncer par écrit ou de renoncer à leur paiement alors qu’ils sont acquis.

Elle soutient par ailleurs que l’entreprise n’était pas fermée entre le 20 et le 24 décembre 2019, que l’activité du secteur négoce reprenait à compter du 2 janvier et qu’en sa qualité de directrice, elle n’a pris aucun congés pendant cette période, M. [R] qui était absent sur cette période, lui ayant demandé d’assurer la continuité du fonctionnement de l’entreprise, de sorte qu’il n’y a eu aucun maintien de salaire de manière indue.

Elle affirme qu’elle avait déjà été sanctionnée pour les deux fautes visées dans la lettre de licenciement puisque l’employeur, dans son courrier antérieur du 11 février 2020, vise les même reproches et indique avoir décidé d’effectuer une retenue sur salaire à titre de remboursement pour une somme indue, ce qui constituait déjà une sanction, de sorte qu’il avait épuisé son pouvoir disciplinaire en pratiquant une sanction pécuniaire illégale et contraire à la réglementation en matière de droit du travail.

Mme [Z] soutient qu’elle n’avait pas de délégation particulière sur les comptes bancaires, la gestion de l’élaboration des bulletins de salaires et le règlement des salaires et qu’elle ne s’est donc octroyée aucune somme de manière indue en vertu des pouvoirs qui étaient les siens en sa qualité de directrice.

La salariée indique enfin que sa demande de remboursement de salaire au titre du congés sans solde imposé par l’employeur a bien été soumise à l’appréciation des premiers juges puisqu’elle a toujours contesté la faute qui lui a été reprochée à ce titre.

L’ordonnance de clôture a été prononcée le 7 mars 2023.

A l’issue des débats, l’affaire a été mise en délibéré par mise à disposition au greffe à la date du 16 novembre 2023.

La cour a sollicité les observations des parties sous la forme d’une note en délibéré sur la question de la recevabilité de la demande de Mme [Z] tendant à obtenir la condamnation de la société BDR à lui payer les sommes de 686,60 euros au titre du solde restant dû concernant le rappel de salaire pour la mise à pied injustifiée et de 213,33 euros bruts au titre des congés payés afférents alors qu’elle a demandé la confirmation du jugement déféré en ce qu’il a condamné la SAS BDR à lui verser la somme de 2.133,33 euros à titre de rappel de salaire pour cette même mise à pied injustifiée.

Dans une note en délibéré datée du 2 octobre 2023, Mme [Z] explique qu’elle a demandé la confirmation du jugement puisqu’elle estime que cette somme est due, que toutefois les chiffres repris par son premier conseil n’étaient pas exacts, et elle fait valoir que ses deux demandes formées au titre de la mise à pied conservatoire ne sont que l’accessoire, la conséquence ou le complément nécessaire des prétentions originaires au sens de l’article 566 du du code de procédure civile et qu’elles ne visent en aucun cas à aggraver le sort de l’appelant sur son seul appel.

La société BDR n’a pas répondu à cette demande de note en délibéré avant la date limite fixée par la cour.

MOTIVATION

1. Sur la rupture du contrat de travail

La faute grave, qui peut seule justifier une mise à pied conservatoire, est celle qui résulte d’un fait ou d’un ensemble de faits personnellement imputables au salarié, qui doivent être d’une importance telle qu’ils rendent impossible le maintien du salarié dans l’entreprise même pendant la durée limitée du préavis.

Le licenciement pour faute grave implique une réaction immédiate de l’employeur, la procédure de licenciement devant être engagée dans des délais restreints et le licenciement devant intervenir rapidement.

La preuve des faits constitutifs de faute grave incombe exclusivement à l’employeur et il appartient au juge du contrat de travail d’apprécier, au vu des éléments de preuve figurant au dossier, si les faits invoqués dans la lettre de licenciement sont établis, imputables au salarié, à raison des fonctions qui lui sont confiées par son contrat de travail, et d’une gravité suffisante pour justifier l’éviction immédiate du salarié de l’entreprise.

Si elle ne retient pas la faute grave, il appartient à la juridiction saisie d’apprécier le caractère réel et sérieux des motifs de licenciement invoqués par l’employeur, conformément aux dispositions de l’article L1232-1 du code du travail.

En l’espèce, il résulte de la lettre de licenciement adressée à Mme [Z] le 4 mars 2020 qu’elle a été licenciée pour fautes graves en ces termes :

« Pour rappel, vous êtes salariée de l’entreprise BDR depuis le 16 décembre 2019 en qualité de Directrice de site. Afin d’assurer vos fonctions, vous avez reçu une délégation générale sur la gestion des comptes bancaires, la validation des bulletins de paie et des règlements des salaires.

L’entreprise a fermé pour congés de fin d’année du 20 décembre 2019 le soir au 6 janvier 2020 le matin.

A votre embauche, il n’a jamais été prévu de reprise d’ancienneté et vous n’aviez pas au moment de la fermeture de l’entreprise acquis de congés payés.

Le 20 janvier à l’occasion d’une vérification des bulletins de salaire de décembre 2019, nous avons constaté sur votre bulletin de salaire que vous vous étiez octroyée 36 jours d’indemnité de congés payés non pris depuis 3 ans, soit la somme de 6188,33 euros. Et vous vous êtes maintenue votre salaire pendant la période de fermeture de l’entreprise du 20 décembre 2019 le soir au 6 janvier 2020 le matin, ce qui représente une somme de 1518,23 euros.

Ces décisions ont été prises sans que j’en donne l’autorisation et ces versements constituent des sommes indues en raison de votre ancienneté dans l’entreprise.

Un tel comportement est inacceptable et déloyal.

Nous avons le regret de vous informer que nous prenons la décision de vous licencier pour les motifs évoqués ci-dessus qui correspondent à une faute grave.

Votre licenciement interviendra sans indemnité ni préavis. »

Il ressort donc de la lettre de licenciement qui fixe les limites du litige que l’employeur reproche à sa salariée son comportement inacceptable et déloyal consistant dans le fait de s’être octroyée 36 jours d’indemnité de congés payés non pris et d’avoir maintenu son salaire pendant la période de fermeture de l’entreprise du 20 décembre 2019 au 6 janvier 2020 le matin.

Il convient de relever que le fait que Mme [Z] disposait bien de 36 jours de congés payés non pris sur son ‘compteur temps’ à la date de sa démission de son poste de responsable administrative n’a pas été discuté, et le bulletin de paie de la période du 1er au 13 décembre 2019 laisse bien apparaître l’existence de ces 36 jours de congés payés acquis.

L’employeur soutient que Mme [Z] s’est octroyée indûment cette indemnité de congés payés dans la mesure où le protocole de cession d’actions prévoyait en son article 15-2 : ‘Au jour de la cession, Mme [J] [Z] s’engage à démissionner, sans indemnité ni préavis, de l’ensemble des mandats sociaux qu’elle exerce dans les sociétés BEFIE (Présidente), BDR (Président), SCI DE LA GRANDE METAIRIE (Gérante), de même que de son contrat de travail de responsable administratif de la société BDR ‘.

Il résulte de l’article L3141-28 du code du travail que, lorsque le contrat de travail est rompu avant que le salarié ait pu bénéficier de la totalité du congé auquel il avait droit, il reçoit, pour la fraction de congé dont il n’a pas bénéficié, une indemnité compensatrice de congé déterminée d’après les articles L3141-24 à L3141-27, que cette rupture résulte du fait du salarié ou du fait de l’employeur, l’indemnité compensatrice de congés payés ayant un caractère de salaire.

Par ailleurs, s’il est constant que le salarié ne peut pas renoncer par avance au bénéfice d’un droit qu’il tient de dispositions d’ordre public avant que ce droit ne soit né (Cass. soc., 5 mai 2021, pourvoi n°20-14.390), il le peut néanmoins une fois ce droit né et actuel, mais une telle renonciation, qui ne se présume pas, ne peut qu’être expresse et sans équivoque.

Or, en l’espèce, la cour retient que le protocole de cession d’action ne peut valoir renonciation expresse et non équivoque de la part de la salariée au paiement de l’indemnité de congés payés. En effet, les parties ont choisi d’exclure expressément le règlement d’un préavis, qui pouvait également faire l’objet d’une indemnité compensatrice, sans faire mention des congés payés. En outre, il résulte de la formulation de l’article 15-2 susvisé, qui mentionne dans un premier temps l’engagement pris par Mme [Z] de démissionner de ses mandats sociaux ‘sans indemnité ni préavis’, que les parties entendaient seulement écarter l’hypothèse du versement d’éventuels dommages et intérêts résultant de la cessation des mandats occupés par Mme [Z] et de sa démission de son poste de responsable administrative, outre l’exclusion de toute période de préavis, du fait de la lettre d’embauche qui a immédiatement suivi la démission.

Par ailleurs, aucune reconnaissance d’une quelconque faute de la part de Mme [Z] relativement au versement de cette indemnité de congés payés ne saurait résulter du contenu du courrier du 11 février 2020, rédigé par le seul employeur, et dont la salariée n’a signé que la remise en main propre.

En l’absence d’une renonciation expresse et non équivoque au paiement des congés payés acquis par Mme [Z], l’employeur était donc redevable du paiement d’une indemnité de congés payés au titre des 36 jours, et ce nonobstant l’existence d’éventuelles difficultés financières au demeurant non établies par les pièces produites aux débats.

Il ne saurait donc être reproché à Mme [Z] d’avoir perçu cette indemnité, et le fait que la salariée ait pu, comme l’établissent les pièces produites par l’employeur (attestation de Mme [Y], comptable de la société BDR, et du bordereau de confirmation d’exécution des virements), valider le virement opérant paiement de l’indemnité de congés payés litigieuse le 20 décembre 2019 ne présente pas non plus de caractère fautif, alors qu’il ressort des termes de la lettre de licenciement que l’employeur avait délégué à Mme [Z] la gestion des comptes bancaires, la validation des bulletins de paie et les règlements des salaires.

Dès lors, les faits constitutifs du premier grief visé dans la lettre de licenciement ne présentent aucun caractère fautif.

L’employeur reproche par ailleurs à la salariée d’avoir maintenu son salaire pendant la période de fermeture de l’entreprise du 20 décembre 2019 au 6 janvier 2020. Il s’appuie pour établir la réalité de ce grief sur une note de service informant les salariés de la fermeture du secteur usinage sur cette période.

Toutefois, il ressort d’une autre note de service datée du 15 novembre 2019 produite par la salariée que l’activité d’un autre secteur de l’entreprise, le secteur négoce, n’a été fermée que du 24 décembre 2019 à midi au 31 décembre 2019 inclus, et aucun élément ne permet d’établir que les services administratifs de l’entreprise ont fait l’objet d’une fermeture sur cette période.

Au demeurant, l’employeur, qui est tenu de contrôler le temps de travail de ses salariés, n’a pas démontré ni même allégué qu’il avait demandé à sa salariée de ne pas travailler sur cette période.

Dès lors, l’employeur ne démontre pas l’existence du second grief visé dans la lettre de licenciement.

Le licenciement fondé sur une faute grave est par conséquent abusif.

En l’absence de fait fautif, il ne peut pas être davantage fondé sur une cause réelle et sérieuse.

En conséquence, le jugement déféré sera confirmé en ce qu’il a constaté l’absence de faute grave mais infirmé en ce qu’il a retenu qu’il reposait sur une cause réelle et sérieuse.

2. Sur les conséquences indemnitaires du licenciement abusif

La salariée est fondée à obtenir paiement d’une indemnité compensatrice de préavis, d’une indemnité compensatrice de congés payés afférente et d’une indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Il convient de confirmer le jugement déféré en ce qu’il a condamné la société BDR à payer à Mme [Z] la somme de 4.700 euros au titre de l’indemnité de préavis et, y ajoutant, à lui verser la somme de 470 euros au titre des congés payés afférents.

Au regard de l’ancienneté et de l’âge de la salariée, et en l’absence de tout justificatif relatif à sa situation postérieurement à la rupture, il y a lieu de lui allouer une somme de 4.000 euros brut à titre d’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, dans les conditions de l’article L1235-3 du code du travail qui fixe des montants minimaux et maximaux d’indemnisation en fonction de l’ancienneté du salarié exprimés en mois de salaire brut.

Il est également établi par les pièces produites que l’employeur a effectué une reprise abusive au titre de l’indemnité de congés payés sur les salaires de la salariée des mois de janvier, février et mars 2020 à hauteur d’un montant total de 6.188,33 euros bruts qu’il doit être condamné à rembourser à Mme [Z] et la décision doit être confirmée sur ce point. La société BDR doit par conséquent être déboutée de sa demande de remboursement.

Au bénéfice des observations susvisées, l’employeur doit être enfin condamné à rembourser à Mme [Z] la déduction abusive opérée sur son bulletin de paie du mois de janvier 2020 à hauteur de la somme de 1.518,23 euros bruts au titre de la période du 24 décembre 2019 au 3 janvier 2020, outre la somme de 151,82 euros au titre des congés payés afférents.

3. Sur la période de mise à pied conservatoire

En application des dispositions de l’article L1332-3 du code du travail, en l’absence de faute grave, la mise à pied à titre conservatoire n’était pas justifiée et le jugement déféré doit être confirmé en ce qu’il a alloué à Mme [Z] la somme de 2.133,33 euros.

Il y a lieu de faire droit à la demande nouvelle en paiement de la somme de 213,33 euros au titre des congés payés afférents, qui constitue le complément de la demande de rappel de salaire formée en première instance.

S’agissant de la demande de Mme [Z] tendant à obtenir la condamnation de la société BDR à lui verser la somme de 686,60 euros au titre du solde restant dû sur le rappel de salaire pour la mise à pied injustifiée, la cour constate que Mme [Z], en sollicitant la confirmation du jugement déféré en ce qu’il a condamné la SAS BDR à lui verser la somme de 2.133,33 euros à titre de rappel de salaire pour cette mise à pied, n’a pas interjeté appel incident de ce chef de jugement.

Mme [Z] ne peut se prévoir des dispositions de l’article 566 du code de procédure civile en soutenant qu’il s’agirait d’une demande nouvelle recevable en ce qu’elle ne serait que l’accessoire, la conséquence ou le complément nécessaire des prétentions originaires, alors qu’il s’agit en réalité d’une demande de même nature que celle formulée en première instance, consistant à obtenir un rappel de salaire au titre de la mise à pied abusive.

De sorte qu’en présence du seul appel de l’employeur et en application des dispositions de l’article 562 du code de procédure civile, Mme [Z] ne peut pas solliciter sa condamnation à lui payer une somme supérieure à celle qui lui a été octroyée en première instance. Sa demande de ce chef doit être déclarée irrecevable.

Il sera relevé à titre superfétatoire que le conseil de prud’hommes a entièrement fait droit à la demande de la salariée telle qu’elle était formulée devant lui sur ce chef de demande. Dès lors, Mme [Z] n’avait pas d’intérêt à interjeter appel de ce chef du jugement en application des dispositions de l’article 546 du code de procédure civile, dont il résulte que seule une partie dont les prétentions n’ont pas été entièrement accueillies en première instance a intérêt à interjeter appel, nonobstant l’erreur de calcul alléguée commise par le premier conseil.

4. Sur les autres demandes

Mme [Z] a fait l’objet d’une mise à pied conservatoire suivie d’un licenciement pour faute grave abusifs dans des conditions brutales et vexatoires, alors qu’elle était l’ancienne présidente et responsable administrative de l’entreprise, salariée en son sein depuis 1995, ce qui justifie l’octroi d’une somme de 500 euros à titre de dommages et intérêts.

Il n’appartient pas à la chambre sociale de la cour d’appel de prononcer l’amende pénale prévue à l’article L1334-1 du code du travail, et encore moins au profit de l’une des parties à la cause et le jugement déféré sera confirmé en ce qu’il a rejeté la demande de ce chef de Mme [Z].

Il y a lieu d’ordonner à la société BDR de délivrer à Mme [Z] les documents de fin de contrat rectifiés (solde de tout compte, attestation Pôle Emploi, bulletin de paie) sans qu’il soit nécessaire à ce stade d’assortir cette condamnation d’une astreinte, de sorte que le jugement déféré sera infirmé sur ce point.

En qualité de partie succombante pour l’essentiel, la société BDR est condamnée aux entiers dépens, tant de première instance que d’appel.

Par suite, la société BDR est condamnée à payer à Mme [Z] la somme de 2.500 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La Cour statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort,

Déclare Mme [J] [Z] née [N] irrecevable en sa demande tendant à obtenir la condamnation de la société BDR à lui payer la somme de 686,60 euros bruts au titre du solde de rappel de salaire sur la mise à pied conservatoire à défaut d’appel incident de ce chef,

Confirme le jugement entrepris sauf en ce qu’il a :

dit que le licenciement de Mme [Z] par la SAS BDR repose sur une cause réelle et sérieuse,

débouté Mme [Z] de ses demandes d’indemnité de licenciement sans cause réelle et sérieuse, de dommages et intérêts complémentaires et de rappel de salaire au titre du congé sans solde imposé,

ordonné la rectification des bulletins de salaire et des documents de fin de contrat sous astreinte de 50 euros par jour courant du 11ème jour à compter de la notification de la présente décision pour une durée limitée à 60 jours et dit que le conseil se réserve le droit à liquidation de l’astreinte,

Infirme la décision déférée de ces chefs,

Statuant à nouveau des chefs infirmés et y ajoutant :

Dit que le licenciement de Mme [Z] est sans cause réelle et sérieuse,

Ordonne à la société BDR de délivrer à Mme [Z] les documents de fin de contrat rectifiés (solde de tout compte, attestation Pôle Emploi, bulletin de paie),

Déboute Mme [Z] de sa demande d’astreinte,

Déboute la société BDR de toutes ses demandes,

Condamne la société BDR à verser à Mme [J] [Z] née [N] les sommes suivantes :

4.000 euros brut à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

470 euros brut au titre des congés payés sur préavis,

1.518,23 euros brut à titre de rappel de salaire pour la période du 24 décembre 2019 au 3 janvier 2020 et 151,82 euros au titre des congés payés afférents,

213,33 euros brut au titre des congés payés afférents à la période de mise à pied à titre conservatoire,

500 euros à titre de dommages et intérêts pour le licenciement intervenu dans des conditions brutales et vexatoires.

Condamne la société BDR à verser à Mme [J] [Z] née [N] la somme de 2.500 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile au titre des frais irrépétibles de l’appel ainsi qu’aux entiers dépens d’appel.

LE GREFFIER, LA PRÉSIDENTE,

 


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