Avoir l’idée d’une marque ne constitue pas une antériorité

·

·

Avoir l’idée d’une marque ne constitue pas une antériorité
Ce point juridique est utile ?

L’article L.713-1 du Code de la propriété intellectuelle précise que “l’enregistrement de la marque confère à son titulaire un droit de propriété sur cette marque pour les produits ou services qu’il a désignés”.

Ainsi, le droit de marque sur un signe distinctif s’acquiert par le dépôt ; le droit de propriété revient au déposant, qu’il s’agisse d’une personne physique ou morale qui dispose de toute faculté pour utiliser le signe, le défendre ou l’abandonner.

En la cause, les noms de marques, imaginés pour la commercialisation de produits ne constituaient pas des oeuvres de l’esprit éligibles à la protection du droit d’auteur.

En conséquence, il n’y avait pas lieu de “prononcer” l’antériorité et la paternité des droits sur les marques à défaut de fondement juridique, et la demande de transfert de propriété a été rejetée.

La société CESSTI, fondée en mars 2019 et spécialisée dans le commerce de gros d’équipements divers, est détenue à 51% par Monsieur [E] [J] et à 49% par la société Z.D.F, dirigée par Monsieur [O] [J], frère de [E] [J]. En septembre 2022, CESSTI et [E] [J] assignent Z.D.F devant le tribunal pour faire constater un accord sur la cession de titres et de marques, ainsi que pour ordonner la cession forcée de ces éléments au profit de CESSTI, en raison d’un retrait injustifié de Z.D.F de ses engagements.

Les demandeurs soutiennent que [E] [J] a créé les marques SIMPLYTAB et CORETOUCH, déposées par Z.D.F avant la création de CESSTI, et que ces marques devaient être transférées à CESSTI selon un accord entre les deux frères. Ils affirment que Z.D.F a rompu cet accord sans justification, causant un préjudice à CESSTI.

En réponse, Z.D.F conteste les demandes de CESSTI, arguant que les marques ont été créées collectivement et que les dépôts effectués par CESSTI étaient sans consentement. Z.D.F demande également la nullité des marques déposées par CESSTI et réclame des dommages-intérêts pour contrefaçon.

L’affaire a été clôturée le 13 mai 2024 et sera examinée lors d’une audience prévue le 6 juin 2024.

REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

5 septembre 2024
Tribunal judiciaire de Marseille
RG n°
22/09524
TRIBUNAL JUDICIAIRE
DE MARSEILLE

PREMIERE CHAMBRE CIVILE

JUGEMENT N°24/314 DU 05 Septembre 2024

Enrôlement : N° RG 22/09524 – N° Portalis DBW3-W-B7G-2NBC

AFFAIRE : S.A.R.L. CESSTI( Me Catherine marie DARBIER-VOISIN)
C/S.A.S. ZDF (Me Hedy SAOUDI)

DÉBATS : A l’audience Publique du 06 Juin 2024

COMPOSITION DU TRIBUNAL :

Président : SPATERI Thomas, Vice-Président
JOUBERT Stéfanie, Vice-Présidente
BERGER-GENTIL Blandine, Vice-Présidente

Greffier lors des débats : ALLIONE Bernadette

Vu le rapport fait à l’audience

A l’issue de laquelle, les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le : 05 Septembre 2024

Jugement signé par SPATERI Thomas, Vice-Président et par BESANÇON Bénédicte, Greffier, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

NATURE DU JUGEMENT

contradictoire et en premier ressort

NOM DES PARTIES

DEMANDEURS

S.A.R.L. CESSTI, immatriculée au RCS de TARASCON sous le numéro B 848 915 211, dont le siège social est sis [Adresse 2], prise en la personne de son représentant légal en exercice

Monsieur [E] [J]
né le 26 Août 1962 à [Localité 3]
de nationalité Française, demeurant [Adresse 2]

représentés par Me Catherine marie DARBIER-VOISIN, avocat postulant au barreau de MARSEILLE et par Me Julien HERISSON de la SELARL PLMC Avocats, avocat plaidant au barreau d’AVIGNON

CONTRE

DEFENDERESSE

S.A.S. ZDF, immatriculée au RCS de VALENCIENNES sous le numéro B 498 765 346, dont le siège social est sis [Adresse 1], prise en la personne de son représentant légal en exerice

représentée par Me Hedy SAOUDI, avocat postulant au barreau de MARSEILLE et par Me Jessica LESCURE de la SELAS FIDAL, avocat plaidant au barreau de LYON

EXPOSE DU LITIGE :

La société CESSTI immatriculée le 4 mars 2019 est spécialisée dans le secteur d’activité du commerce de gros de fournitures et équipements divers pour le commerce ; elle importe, exporte et commercialise entre autres des appareils d’instruments scientifiques, photographiques, optiques de mesure, cinématographiques, images, ordinateurs, et tablettes électroniques.

Les associés de la Société CESSTI sont Monsieur [E] [J] qui détient 51% du capital social, et la Société Z.D.F qui en détient 49%.

La Société Z.D.F immatriculée depuis le 13 juin 2007 est quant à elle spécialisée dans la gestion de fonds.
Monsieur [O] [J], frère de Monsieur [E] [J], est président de la société Z.D.F.

Suivant exploit en date du 15 septembre 2022, la société CESSTI et Monsieur [E] [J] ont assigné devant le tribunal de céans la société Z.D.F aux fins de :
À TITRE PRINCIPAL :
-CONSTATER l’accord convenu entre la Société Z.D.F. et Monsieur [E] [J] concernant la cession des titres détenus dans la Société CESSTI.
-CONSTATER le retrait soudain et injustifié de la Société Z.D.Fet le non-respect de ses engagements.
-ORDONNER la cession forcée des titres détenus par la Société Z.D.F. dans la Société CESSTI au profit de Monsieur [E] [J] aux conditions définies dans l’acte de cession établi par le cabinet FIDAL.
-ENJOINDRE à la Société Z.D.F de régulariser les actes de cession.
-CONSTATER l’accord convenu entre la Société Z.D.F. et la Société CESSTI concernant la cession des marques déposées par la société Z.D.F.
-CONSTATER le retrait soudain et injustifié de la Société Z.D.F. et le non-respect de ses engagements.
-ORDONNER la cession forcée des marques déposée par la Société Z.D.F. au profit de la Société CESSTI aux conditions définies dans l’acte de cession des marques établi par le cabinet FIDAL et ENJOINDRE la Société Z.D.F. de régulariser les actes de cession.
À TITRE SUBSIDIAIRE :
-CONSTATER que les marques ont été créées et imaginées par la Société CESSTI par l’intermédiaire de Monsieur [E] [J].
-PRONONCER l’antériorité et la paternité des marques au profit de la Société CESSTI.
-CONSTATER le transfert des marques SIMPLYTAB et CORETOUCH au profit de la Société CESSTI.
-ENJOINDRE à la Société Z.D.F. de régulariser les actes de cession.
EN TOUT ETAT DE CAUSE :
-CONDAMNER la société Z.D.F. à verser à la Société CESSTI la somme de 30.000€ à titre de dommages et intérêts pour le préjudice subi.
-CONDAMNER la société Z.D.F. au paiement de la somme de 5.000 € au titre de l’article 700 du Code de Procédure Civile et laisser les dépens à sa charge.
-REJETER toutes demandes et écritures adverses.

Aux termes de leurs dernières conclusions signifiées le 31 janvier 2024, ils maintiennent leurs demandes.

Ils font valoir que dans le cadre de l’activité de la société CESSTI, les deux frères [J] se sont mis d’accord sur le rôle de chacun : Monsieur [E] [J] devait s’occuper de la gestion et de l’opérationnel, tandis que le financement devait se traduire par un soutien de la Société Z.D.F, dirigée par Monsieur [O] [J] ; que Monsieur [E] [J] s’occupait de la commercialisation, des importations et exportations des produits, du paiement des fournisseurs, de la création des logos, des marques et du management de la Société ; qu’il a imaginé et créé les marques et logos SIMPLYTAB et CORETOUCH déposées par la Société Z.D.F, la Société CESSTI n’existant pas encore au jour de la création des marques, sous les références suivantes:
SIMPLYTAB :
Marque française n°194559206, déposée le 12 juin 2019 ;
Marque européenne n°018134723 déposée le 7 février 2019.
CORETOUCH :
Marque française n°194559205 déposée le 12 juin 2019 ;
Marque européenne n°018134720 déposée me 10 octobre 2019.
Ils précisent que le dépôt des marques a été effectué par le cabinet FIDAL Valenciennes, en la personne de Maître [D] [Z], avocat associé ; qu’elles devaient par la suite être transférées par la Société Z.D.F à la Société CESSTI, ainsi que cela avait été convenu entre les deux frères.
Ils indiquent qu’une nouvelle marque SIMPLYTAB a été déposée le 20 février 2020 pour le compte de la Société CESSTI :
Marque française n°4625985, déposée le 20 février 2020.
Marque européenne n°018198917 déposée le 20 février 2020.
Ils soutiennent que ce dépôt de marque était parfaitement connu de la Société FIDAL et de Maître [Z], ainsi que de la Société Z.D.F. et de Monsieur [O] [J], comme en témoigne un mail adressé par Maître [Z] à Monsieur [E] [J] en date du 18 avril 2020 ; qu’il était conforme aux accords qui avaient été passés entre les deux frères, dans la mesure où les marques détenues par la Société Z.D.F devaient en tout état de cause être rétrocédées à la Société CESSTI ; que dans le même temps, ils s’étaient mis d’accord pour la cession des titres détenues par la Société Z.D.F. dans la Société CESSTI au profit de Monsieur [E] [J] ; que Monsieur [O] [J] et la société Z.D.F. ne devaient donc à terme ne plus avoir aucun lien ni avec les marques, ni avec la Société CESSTI ; que la chose, le prix de cession, et les modalités de vente étaient déterminés ; que c’est dans ces circonstances qu’un acte de cession des marques a été rédigé par le cabinet FIDAL qui l’a transmis aux parties ; que de manière incompréhensible et sans aucune justification, Monsieur [O] [J] et la société Z.D.F. se sont retirés, revenant sur tous les engagements pris ; que la Société CESSTI et son dirigeant Monsieur [E] [J] ont mandaté Maître [M] [W] pour finaliser les actes de cession avec le cabinet FIDALqui a prétendu à tort que le dépôt des marques en 2020 aurait été fait à son insu et à l’insu de la Société Z.D.F ; que toutefois l’objet de la cession comme le prix de l’opération avaient été déterminés avec le cabinet FIDAL ; que le projet stipulait que Monsieur [E] [J] deviendrait associé unique ; qu’il en résulte que les parties n’étaient plus en période de pourparlers ; que l’accord avait été acté par toutes les parties ; qu’en préambule, le contrat de cession de marques précisait que : « Les deux parties, en relation étroite, ont souhaité en 2019, déposé ces marques afin d’exploiter des écrans et tableaux de présentation électroniques et interactifs. Cependant, elles ont déposé ces marques sans s’être organisées pour arrêter les modalités et la répartition de cette exploitation.
Leur stratégie arrêtée, les parties ont souhaité confier à la Société CESSTI l’exploitation de ces écrans, et, par conséquent, la propriété et la gestion de ces marques. Afin de rectifier la situation bancale de la propriété actuelle des marques, elles ont décidé de céder les marques au Cessionnaire » ; qu’en conséquence, il y a lieu d’ordonner la cession forcée des marques déposées par la Société Z.D.F. au profit de la Société CESSTI.
Ils indiquent que si par extraordinaire, le tribunal venait à considérer que les éléments fournis à l’appui de leurs prétentions n’étaient pas suffisants pour démontrer l’accord entre les deux parties, il devra néanmoins accorder l’antériorité et la paternité des marques à la Société CESSTI puisque la création des logos et de la marque a été réalisée par Monsieur [E] [J].
Ils soutiennent que la Société CESSTI a dans tous les cas, subi de lourds préjudices, du fait de la situation de blocage qui l’impacte fortement, les marques faisant partie de son actif économique, ce qui a pour conséquence la perte de clients et de marchés importants.

Au termes de ses dernières conclusions signifiées le 12 février 2024, la société Z.D.F demande au tribunal de :
-Débouter la société CESSTI et Monsieur [E] [J] de l’ensemble de leurs demandes, fins et prétentions,
Sur la prétendue cession des titres,
– Juger irrecevable la demande formulée par la société CESSTI et Monsieur [E] [J] visant à voir « constater l’accord convenu entre la société Z.D.F et Monsieur [E] [J] concernant la cession des titres détenus dans la société CESSTI » et «constater le retrait soudain et injustifié de la Société Z.D.F et le non-respect de ses engagements », comme ne constituant pas une prétention,
– Débouter la société CESSTI et Monsieur [E] [J] de leur demande visant à ordonner la cession forcée des titres détenus par la société Z.D.F dans la société CESSTI au profit de Monsieur [E] [J] aux conditions prétendument définies dans le projet d’acte de cession établi par FIDAL, comme mal fondée,
Sur la prétendue cession des Marques,
– Juger irrecevable la demande formulée par la société CESSTI et Monsieur [E] [J] visant à voir « constater que les Marques ont été créées et imaginées par la société CESSTI par l’intermédiaire de Monsieur [E] [J] » et « constater le transfert des Marques au profit de la société CESSTI », comme ne constituant pas une prétention,
– Débouter la société CESSTI et Monsieur [E] [J] de leur demande visant à ordonner la cession forcée des Marques détenues par la société Z.D.F au profit de la société CESSTI aux conditions prétendument définies dans le projet d’acte de cession établi par FIDAL, comme mal fondée,
Pour le surplus,
– Juger que les noms de Marques ne constituent pas des œuvres de l’esprit éligibles à la protection du droit d’auteur,
– Rejeter les demandes de Monsieur [E] [J] et de la société CESSTI visant à leur reconnaitre la titularité de droits d’auteur, à constater une antériorité et la paternité des droits sur les Marques et à ordonner un transfert de propriété des Marques à leur profit, comme mal fondées,
– Juger que la société CESSTI ne démontre pas la nature ni la quantum du préjudice allégué, non plus que le lien de causalité avec la faute invoquée,
– Rejeter les demandes de Monsieur [E] [J] et de la société CESSTI visant à obtenir une quelconque condamnation de la société Z.D.F,
– Juger que l’exécution provisoire de droit est incompatible avec la nature de l’affaire,
– Ecarter l’exécution provisoire de droit,
A titre reconventionnel,
– Prononcer la nullité des marques française n°4 625 985 et de l’Union européenne n°018 198 917 déposées par la société CESSTI, comme portant atteinte aux droits antérieurs de la société Z.D.F :

– Juger les agissements de la société CESSTI visant à exploiter des marques

quasi identiques aux Marques détenues par la société Z.D.F comme constitutifs d’actes de contrefaçon,
– Condamner solidairement la société CESSTI et son dirigeant, Monsieur [E] [J], à payer à la société Z.D.F la somme forfaitaire de 100 000 euros correspondant au paiement des redevances qui auraient dû être payées outre le préjudice moral,
En tout état de cause,
– Condamner solidairement la société CESSTI et Monsieur [E] [J] à payer, chacun à la société Z.D.F, la somme de 15.000 euros sur le fondement de l’article 700 du Code de procédure civile,
– Condamner solidairement la société CESSTI et M. [E] [J] à payer les entiers dépens.

Elle fait valoir que les frères [J] ont décidé d’exploiter ensemble la société CESSTI ; que c’est ainsi qu’ils ont d’abord imaginés, lors de réunions collectives, les noms de marques des futurs produits et services proposés par la société CESSTI «SIMPLYTAB» et «CORETOUCH» ; que la société CESSTI n’étant pas encore immatriculée, c’est la société Z.D.F. qui a procédé au dépôt des marques suivantes :

Elle indique que la société CESSTI s’est ensuite développée grâce aux relations de la société Z.D.F. et de son dirigeant notamment pour obtenir le financement nécessaire pour l’exploitation de son activité ; que c’est la société Z.D.F qui lui a apporté son principal client ([I] [T], actionnaire du VAFC) ; que l’exploitation des Marques devant être faite par la société CESSTI, il a alors été évoqué une cession des Marques à son profit ; que si un projet de contrat de cession des Marques au profit de CESSTI a effectivement été rédigé à la seule demande de son dirigeant, [E] [J], le Conseil des parties (FIDAL) a rappelé très précisément qu’il était impératif d’obtenir l’accord de la société Z.D.F pour la signature ; que le projet n’a jamais été signé par les parties, ni même fait l’objet de discussions ; que le 20 février 2020, aux termes de diverses manœuvres, par lesquelles [E] [J] a tenté de profiter de la relation de confiance qui existait entre lui et son frère, mais aussi entre lui et le cabinet FIDAL, deux dépôts de marques ont été effectués au nom de la société CESSTI, sans le consentement de la société Z.D.F et, en violation des droits sur les Marques française n°4 625 985 pour désigner des produits et services en classes 9 et 38, et européenne n°018 198 917 pour désigner des produits et services en classes 9 et 38:

Elle indique que par mail en date du 18 avril 2020, le cabinet FIDAL, Conseil des deux parties, a alors rappelé à [E] [J], que la société Z.D.F était « la seule à disposer du droit d’utiliser les termes SYMPLYTAB et CORETOUCH à titre de marque » ; qu’il a par suite indiqué à [E] [J] qu’il était désormais « bloqué sur le travail sur le contrat » « sans un accord écrit de Z.D.F » ; qu’en décembre 2020, un projet de vente des parts détenues par la société Z.D.F dans la société CESSTI au profit de [E] [J], associé, a été évoqué ; que toutefois Monsieur [O] [J] a perdu toute confiance en son frère et a renoncé à tout projet de céder les Marques ou les parts sociales détenues par la société Z.D.F dans la société CESSTI ; que les demandeurs ne démontrent aucun échange de consentement sur une chose et sur un prix définitif, ni même un contenu licite et certain ; qu’ils sont à cet égard incapables de verser aux débats un quelconque projet de contrat de cession de titres ; que les échanges concernant le prétendu contrat ont eu lieu uniquement entre leur Conseil et [E] [J] ; que les mails envoyés par [E] [J] à [O] [J], dirigeant de la société Z.D.F, ne prouvent en rien un quelconque consentement de la société Z.D.F; que ces mails ont toujours été «unilatéraux», sans aucune réponse apportée par la société Z.D.F; que les échanges ne comportent aucun numéro ou nombre des parts, ni le prix définitif qui ne peut être connu qu’après un audit des comptes de la société cible; qu’un SMS précise d’ailleurs que les conditions de l’éventuelle cession restaient à valider par FIDAL ; que la réalisation d’un projet de contrat de cession des titres, si tant est qu’il existe, ne permet pas d’établir la volonté définitive de la société Z.D.F.
Elle précise que les emails entre [E] [J] et FIDAL prouvent que [E] [J] a, à plusieurs reprises, tenté de faire croire à FIDAL qu’il avait obtenu le consentement du dirigeant de la société Z.D.F s’agissant de la cession gratuite des titres; que le projet de contrat proposé par FIDAL, s’il existe, n’est justement qu’un projet, uniquement soumis à [E] [J], pendant une période «précontractuelle», au cours de laquelle, les parties avaient le droit de se désengager ou de modifier les termes de leur engagement jusqu’au moment de la signature ; que le dirigeant de la société Z.D.F a d’ailleurs mis un terme à toute prétendue discussion précontractuelle dès qu’il a appris l’existence de nouveaux dépôts de marques identiques aux Marques préalablement déposées ; qu’aucun écrit signé n’a permis de formaliser une prétendue cession des parts sociales ; que dès lors, le prétendu contrat de cession des titres détenus par la société Z.D.F dans la société CESSTI n’était qu’un projet pour lequel l’accord de volontés et la négociation de bonne foi ne sont pas démontrées ; que l’exigence d’un écrit n’a pas non plus été respectée.
Elle indique que les demandes tendant à faire valoir l’antériorité et la paternité des marques au profit de la société CESSTI sont mal fondées ; qu’il n’est pas possible de prétendre à une quelconque protection au titre du droit d’auteur ; que les noms des Marques ne peuvent être considérées comme des œuvres créatives :
– SIMPLYTAB désigne un écran multifonctions de communication («TAB») permettant de simplifier la vie de l’utilisateur («SIMPLY»),
– CORETOUCH désigne également un écran multifonctions de communication composé des termes « CORE » très fréquent en informatique et « TOUCH » qui indique un usage tactile, là encore très fréquent dans le domaine ; qu’il n’y a ni créations ni œuvres de l’esprit éligibles à la protection du droit d’auteur à la lecture de la composition desdits noms ; que si par extraordinaire, le droit d’auteur devait être reconnu, le titulaire des droits ne saurait être la société CESSTI ; que les noms des Marques sont issus de séances collectives de brainstorming ; qu’en tout état de cause, la société CESSTI ne démontre aucun préjudice tel qu’allégué ; qu’en conséquence, le Tribunal rejetera les demandes de Monsieur [E] [J] et de la société CESSTI visant à obtenir une quelconque condamnation de la société Z.D.F.

L’ordonnance de clôture a été rendue le 13 mai 2024 et l’affaire a été renvoyée à l’audience du 6 juin 2024.

MOTIFS :

Sur les demandes principales :

– Les fins de non recevoir soulevées par la société Z.D.F :

Les demandes visant à « dire » ou « dire et juger », tout comme les demandes aux fins de «donner acte» ou «constater», ne sont pas des prétentions au sens des articles 4, 5, 31, et 768 du code de procédure civile, mais des moyens et arguments au soutien des véritables prétentions, de sorte que le tribunal n’est pas nécessairement tenu d’y répondre. Toutefois, constituent des prétentions sur lesquelles il doit être statué, les demandes figurant au dispositif des conclusions et formulées sous la forme de « dire et juger », dès lors qu’elles visent à obtenir une décision sur un point précis en litige.

En l’espèce, les demandes visant à “Constater l’accord convenu entre la société Z.D.F et Monsieur [E] [J] concernant la cession des titres détenus dans la société CESSTI”, “Constater le retrait soudain et injustifié de la Société Z.D.F et le non-respect de ses engagements”, “Constater l’accord intervenu entre la société CESSTI et la société Z.D.F concernant la cession des marques déposées par la société Z.D.F”, ou encore “Constater que les marques ont été créées et imaginées par la société CESSTI par l’intermédiaire de Monsieur [E] [J]” et “Constater le transfert des marques SIMPLYTAB et CORETOUCH au profit de la société CESSTI” ne constituent pas des prétentions, de sorte que le Tribunal, sans avoir à les déclarer irrecevables, n’en est pas saisi.

– La demande de cession forcée des titres :

La cession de parts sociales consiste pour l’associé cédant à transmettre à l’acquéreur cessionnaire les droits qu’il détient dans le capital social de l’entreprise ; l’acte de cession doit être rédigé par écrit et mentionner le nombre et la désignation des parts sociales cédées ainsi que le prix de vente et les modalités de paiement.

En l’espèce, si des échanges ont bien eu lieu entre les parties s’agissant de la cession des titres détenus par la société Z.D.F dans la société CESSTI, force est de constater qu’aucun acte écrit n’a permis de faire aboutir les négociations et d’entériner un quelconque accord de volonté entre les deux frères [J].

En conséquence, cette demande sera rejetée.

– La demande de cession forcée des marques :

L’article L.714-1 du Code de la propriété intellectuelle dispose que :
“Les droits attachés à une marque sont transmissibles en totalité ou en partie, indépendamment de la personne qui les exploite ou les fait exploiter. La cession de ces droits, même partielle, ne peut comporter de limitation territoriale. (…)
La cession et la constitution de droits réels, dont le nantissement, sur les droits attachés à la marque sont constatés par écrit, à peine de nullité.”

En l’espèce, si les demandeurs communiquent un projet de contrat de cession des Marques N°194559206 déposée le 12 juin 2019 et N°018134723 déposée le 07 février 2019 par la société Z.D.F, il ne s’agissait que d’un projet qui n’a jamais abouti à une signature des parties et à un engagement ferme.

Aucun écrit signé n’ayant formalisé la cession des Marques, pourtant obligatoire à peine de nullité ; que dans ces conditions, il n’appartient pas au Tribunal de prononcer la cession forcée des marques susvisées.

En conséquence, cette demande sera rejetée.

– L’antériorité et la paternité des Marques au profit de la société CESSTI et la demande de transfert de propriété des marques :

La société CESSTI demande au tribunal de prononcer l’antériorité et la paternité des marques suivantes à son profit :
Or, l’article L.713-1 du CPI précise que “l’enregistrement de la marque confère à son titulaire un droit de propriété sur cette marque pour les produits ou services qu’il a désignés”.

Ainsi, le droit de marque sur un signe distinctif s’acquiert par le dépôt ; le droit de propriété revient au déposant, qu’il s’agisse d’une personne physique ou morale qui dispose de toute faculté pour utiliser le signe, le défendre ou l’abandonner.

Les noms de marques, imaginés par les frères [J] pour la commercialisation de leurs produits ne constituent pas des oeuvres de l’esprit éligibles à la protection du droit d’auteur.

En conséquence, il n’y a pas lieu de “prononcer” l’antériorité et la paternité des droits sur les marques susvisés à défaut de fondement juridique, et la demande de transfert de propriété sera rejetée.

– Sur la demande en dommages et intérêts :

La société CESSTI soutient que la situation de blocage que lui fait subir la société Z.D.F l’impacterait fortement, et que l’impossibilité d’utiliser les marques aurait pour conséquence la perte de clients et de marchés importants.

Toutefois, à défaut de faute prouvée à l’encontre de la société Z.D.F, titulaire du droit de propriété des marques semi figuratives déposées en 2019, la société CESSTI ne peut se prévaloir d’un quelconque préjudice ; en conséquence, sa demande sera rejetée.

Sur les demandes reconventionnelles :

En application de l’article L.714-4 h) du CPI, “ne peut être adopté comme marque un signe portant atteinte à des droits antérieurs et notamment (…) à une marque antérieure enregistrée (…)”
L’article L.711-2 du même code dispose que “Ne peuvent être valablement enregistrés et, s’ils sont enregistrés, sont susceptibles d’être déclaré nuls (…)
11° Une marque dont le dépôt a été effectué de mauvaise foi par le demandeur.”

En l’espèce, la société CESSTI a déposé les marques semi figuratives française n°4 625 985 et de l’Union européenne n°018 198 917 :

Or, cette marque semi figurative porte le même nom SIMPLYTAB que les marques semi figuratives française N°4559206 déposée le 12 juin 2029 et N°18134723 déposée le 10 octobre 2019 et désigne les mêmes produits et services en classes 9 et 38.
La différence de logo n’empêche pas une réelle similitude du signe correspondant à des activités identiques.
Il est constant et nullement contestable que la société CESSTI dont la société Z.D.F est associée connaissait l’antériorité des marques déposées par la société Z.D.F, de sorte que les dépôts effectués en 2020 l’ont été de mauvaise foi, afin de contourner le refus de la société Z.D.F de céder ses marques, créant ainsi une réelle confusion notamment dans l’esprit de la clientèle et des fournisseurs du secteur économique concerné.

En conséquence, il y a lieu de prononcer la nullité des marques semi figuratives française n°4 625 985 et de l’Union européenne n°018 198 917.

Ce procédé déloyal est constitutif d’un préjudice moral qu’il y a lieu d’indemniser ; en revanche, à défaut de demande motivée s’agissant d’une indemnisation en paiement de redevances réclamées, celle-ci sera écartée.
Par une appréciation souveraine des élements de la cause, la société CESSTI et Monsieur [E] [J] seront condamnés in solidum à payer à la société Z.D.F la somme de 5000€ à titre de dommages et intérêts en réparation de son préjudice moral.

Sur les demandes accessoires :

La société CESSTI et Monsieur [E] [J], qui succombent, seront condamnés in solidum aux entiers dépens.

Il n’est pas inéquitable de les condamner in solidum à payer à la société Z.D.F la somme de 3 500€ sur le fondement de l’article 700 du Code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS :

LE TRIBUNAL, statuant après débats publics par mise à disposition au greffe, par jugement contradictoire rendu en premier ressort,

DEBOUTE la société CESSTI et Monsieur [E] [J] de l’ensemble de ses demandes ;

PRONONCE la nullité des marques semi figuratives française N°4559206 déposée le 12 juin 2029 et N°18134723 déposée le 10 octobre 2019 enregistrées pour les produits et services en classes 9 et 38 :

CONDAMNE in solidum la société CESSTI et Monsieur [E] [J] à payer à la société Z.D.F la somme de 5 000€ à titre de dommages et intérêts en réparation de son préjudice moral ;

CONDAMNE in solidum la société CESSTI et Monsieur [E] [J] à payer à la société Z.D.F la somme de 3 500€ sur le fondement de l’article 700 du Code de procédure civile ;

CONDAMNE in solidum la société CESSTI et Monsieur [E] [J] aux dépens.

AINSI JUGE PAR MISE A DISPOSITION AU GREFFE DE LA PREMIERE CHAMBRE CIVILE DU TRIBUNAL JUDICIAIRE DE MARSEILLE LE 05 Septembre 2024

LE GREFFIER LE PRESIDENT


0 0 votes
Évaluation de l'article
S’abonner
Notification pour
guest
0 Commentaires
Le plus ancien
Le plus récent Le plus populaire
Commentaires en ligne
Afficher tous les commentaires
Chat Icon
0
Nous aimerions avoir votre avis, veuillez laisser un commentaire.x