Authenticité d’une œuvre : à qui bénéficie le doute ?
Authenticité d’une œuvre : à qui bénéficie le doute ?
Ce point juridique est utile ?

En présence de rapports d’expertises contradictoires, le doute sur l’authenticité d’une œuvre d’art semble bien bénéficier au vendeur. Par ailleurs, les éléments d’un rapport d’expertise annulé peuvent être retenus à titre de renseignements s’ils sont corroborés par d’autres éléments du dossier. En raison du doute quant à l’authenticité de l’oeuvre au regard de sa datation et de son origine caractérisé, la nullité de la vente pour erreur peut être prononcée.

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RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D’APPEL DE PARIS

Pôle 4 – Chambre 13

ARRÊT DU 31 MARS 2021

Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 18/19956 – N° Portalis 35L7-V-B7C-B6JM3

Décision déférée à la Cour : Jugement du 05 Avril 2018 – Tribunal de Grande Instance de Paris – RG n° 16/05814

APPELANT

Monsieur C Z

Né le […] à […]

[…]

[…]

Représenté et assisté par Me Marion BARBIER de l’AARPI BIRD & BIRD AARPI, avocat au barreau de PARIS, toque : R255

INTIMÉS

Monsieur H A-J

Né le […] à Nîmes

[…]

P Q-R-S

[…]

Représenté par Me Frédérique ETEVENARD, avocat au barreau de PARIS, toque : K0065

Ayant pour avocat plaidant Me Jean-Jacques NEUER de la SELEURL Cabinet NEUER, avocat au barreau de PARIS, toque : C0362, substitué à l’audience par Me MERLANDT Aimée, avocat au barreau de PARIS, toque : C0362

Madame E Y

[…]

[…]

Représentée par Me Jeanne BAECHLIN de la SCP Jeanne BAECHLIN, avocat au barreau de PARIS, toque : L0034

Ayant pour avocat plaidant Me Jean-Pierre FABRE de l’ASSOCIATION Association FABRE GUEUGNOT et associés, avocat au barreau de PARIS, toque : R044, substitué à l’audience par Me LEMAS Guillaume, avocat au barreau de PARIS, toque : R044

SAS BOISGIRARD ANTONINI, prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés ès qualités audit siège

[…]

[…]

Représentée par Me Marcel PORCHER de la SELAS PORCHER & ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS, toque : G0450, substitué à l’audience par POIVRE Charlotte, avocat au barreau de PARIS, toque : G0450,

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 20 Janvier 2021, en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant Mme Marie-Françoise D’ARDAILHON MIRAMON, Présidente, chargée du rapport et Mme Estelle MOREAU, Conseillère.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, entendu en son rapport, composée de :

Mme Nicole COCHET, Première présidente

Mme Marie-Françoise D’ARDAILHON MIRAMON, Présidente

Mme Estelle MOREAU, Conseillère

Greffier, lors des débats : Mme Ekaterina RAZMAKHNINA

ARRÊT :

— Contradictoire

— par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

— signé par Nicole COCHET, Première présidente et par Séphora LOUIS-FERDINAND, greffière présente lors de la mise à disposition.

* * * * *

Le 7 juin 2006, M. H A-J, collectionneur réputé d’objets archéologiques et d’art islamique, s’est porté acquéreur lors d’une vente organisée par la société de ventes volontaires Boisgirard-Antonini, assistée par Mme E Y en qualité d’expert, d’une oeuvre décrite au catalogue de vente ‘Arts d’Orient ‘ Archéologie ‘ Islam’ en ces termes :

‘Tête féminine. Superbe tête de jeune femme, aux fins sourcils, légèrement arqués, paupières ourlées, iris ponctué, nez droit et lèvres sinueuses. La coiffure, élaborée, est composée de mèches en volute… Patine verte Asie centrale – vers le 3e siècle. 42 cm. Provenance’: collection de Monsieur H (années 60).’

Elle lui a été adjugée au prix de 370 000 € augmenté des frais d’adjudication d’un montant de 59 755 euros.

Alléguant s’être heurté à des doutes et réticences lorsqu’il a voulu revendre l’objet en 2013, M. A-J a fait procéder à une analyse scientifique de l’oeuvre par le laboratoire de métallographie MSMAP, d’où il est ressorti que les caractéristiques du bronze n’étaient pas en accord avec son origine et ancienneté supposées.

Il a obtenu de la société de vente l’identité du vendeur, M. C Z, marchand d’art, mais s’est heurté à un refus d’annulation amiable de la vente.

M. X a été désigné en qualité d’expert par ordonnance de référé du 12 décembre 2014.

Aux termes de son rapport adressé aux parties le 28 novembre 2015, l’expert a conclu que la pièce ne peut être conforme à ce qui est décrit au catalogue quant à la date de fabrication soit vers le 3e siècle.

C’est dans ces conditions que M. A-J a fait citer en justice la société Boisgirard, Mme Y et M. Z par actes du 25 mars 2016.

Par jugement du 5 avril 2018, le tribunal de grande instance de Paris a’:

— rejeté la fin de non recevoir tirée du défaut de qualité à agir de M. A-J soulevée par M. Z, la société Boisgirard-Antonini et Mme E Y,

— prononcé la nullité de l’expertise judiciaire,

— prononcé la nullité de la vente survenue le 7 juin 2006,

— condamné M. C Z à restituer à M. H A-J le prix de la vente soit la somme de 370 000 euros, avec intérêts au taux légal à compter du jugement,

— condamné la société Boisgirard-Antonini à restituer à M. H A-J les frais de la vente soit la somme de 59 755 euros avec intérêts au taux légal à compter du jugement,

— dit que les intérêts dus se capitaliseront conformément aux dispositions de l’article 1343-2 du code civil,

— dit que M. H A-J doit restituer l’oeuvre à M. C Z, aux frais de celui-ci,

— débouté M. H A-J de sa demande d’astreinte, en paiement de dommages intérêts contre M. C Z et Mme E Y et en publication du jugement,

— déclaré prescrite l’action en responsabilité dirigée contre la société Boisgirard-Antonini,

— débouté M. C Z et Mme E Y de leur demande respective en dommages intérêts pour procédure abusive,

— condamné in solidum M. C Z, Mme E Y et la société Boisgirard-Antonini à payer à M. H A-J la somme de 6 000 euros au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,

— condamné in solidum M. C Z, Mme E Y et la société Boisgirard-Antonini aux dépens, en ce compris les frais d’expertise judiciaire.

Par déclaration du 9 août 2018, M. C Z a interjeté appel de cette décision.

Dans ses dernières écritures notifiées et déposées le 8 juillet 2019, M. Z demande à la cour de :

— confirmer le jugement en ce qu’il a’:

• prononcé l’annulation de l’expertise judiciaire,

• débouté M. A-J de sa demande d’astreinte et en paiement de dommages et intérêts contre M. Z,

— infirmer le jugement en ce qu’il a :

• prononcé la nullité de la vente survenue le 7 juin 2006,

• condamné M. Z à restituer à M. A-J le prix de vente, soit la somme de 370 000 euros, avec intérêts au taux égal à compter du jugement et dit que les intérêts dus se capitaliseront,

• dit que M. A-J doit restituer l’oeuvre à M. Z, aux frais de ce dernier,

• débouté M. Z de sa demande en dommages et intérêts pour procédure abusive,

• condamné in solidum M. Z avec les autres co-défendeurs à payer à M. A-J la somme de 6 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

statuant de nouveau,

à titre principal,

— recevoir M. Z en son appel et le déclarer bien fondé,

— juger que l’action engagée par M. A-J le 16 juin 2014 en annulation de la vente conclue le 7 juin 2006 est prescrite,

à titre subsidiaire,

— juger que l’expertise judiciaire ordonnée par l’ordonnance du 24 septembre 2014 ayant été annulée par les juges du fond, il n’existe en l’état aucune preuve du doute relatif à l’authenticité de l’oeuvre litigieuse, ni a fortiori du défaut d’authenticité,

— par conséquent, rejeter la demande de M. A-J en annulation de la vente conclue le 7 juin 2006,

à titre infiniment subsidiaire,

— juger que l’expert sollicité par la maison de vente Boisgirard, Mme E Y doit le relever et garantir de toute condamnation qui serait prononcée à son encontre,

en tout état de cause,

— rejeter l’appel incident formé par M. A-J en ce qu’il est manifestement infondé,

— débouter purement et simplement M. A-J de l’ensemble de ses demandes,

— rejeter la demande formée par la société Boisgirard-Antonini tendant à l’ouverture d’une nouvelle mesure d’instruction et à la nomination d’un expert pour se prononcer sur l’authenticité de l’oeuvre litigieuse,

— condamner M. A-J in solidum avec tout autre succombant à lui payer la somme de 25 000 euros au titre des frais irrépétibles,

— condamner M. A-J à lui régler la somme de 15 000 euros en raison du caractère abusif de son action en nullité de la vente.

Dans ses dernières conclusions notifiées et déposées le 14 décembre 2020, M. A-J demande à la cour de’:

— confirmer le jugement en toutes ses dispositions sauf en ce qu’il a prononcé la nullité de l’expertise judiciaire et rejeté ses demandes indemnitaires formées contre Mme Y,

statuant de nouveau :

— juger que l’expertise judiciaire déposée le 28 novembre 2015 par M. X a respecté le principe du contradictoire,

— infirmer le jugement en ce qu’il a annulé l’expertise judiciaire,

— juger que Mme E Y a commis une faute en faisant preuve de négligence dans sa description de l’oeuvre litigieuse dans le catalogue de la vente du 7 juin 2006,

— condamner Mme E Y à lui verser la somme de 20 000 euros au titre de la réparation de son préjudice,

en toute hypothèse,

— débouter M. Z, la société Boisgirard et Mme Y de l’ensemble de leurs demandes, fins et conclusions,

— condamner solidairement M. Z, la société Boisgirard-Antonini et Mme Y à lui payer la somme de 35 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux entiers dépens en ce compris les frais d’expertise, dont distraction au profit de Me Etevenard en application de l’article 699 du code de procédure civile.

Dans ses dernières conclusions notifiées et déposées le 10 décembre 2020, Mme Y demande à la cour’de :

— déclarer M. Z et la société Boisgirard-Antonini irrecevables en leurs demandes nouvelles en cause d’appel,

— confirmer le jugement entrepris en ce qu’il a annulé le rapport de l’expert X et en ce qu’il a débouté M. A-J de ses demandes à son encontre,

— infirmer le jugement entrepris en qu’il l’a condamnée à paiement sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile et en ce qu’il l’a déboutée de ses légitimes demandes reconventionnelles,

et, en tout état de cause,

— écarter le rapport de l’expert X comme nul,

— dire et juger qu’il n’est pas rapporté la triple preuve cumulative d’une faute commise par elle en lien causal direct avec un préjudice indemnisable,

— débouter M. A-J ou tout autre partie de l’ensemble de leurs demandes et prétentions,

— condamner M. A-J à lui payer la somme de 30 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,

— condamner M. A-J à lui payer la somme de 30 000 euros pour procédure abusive,

— condamner M. Z à lui payer la somme de 5 000 € sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,

— condamner M. A-J aux entiers dépens.

Dans ses dernières conclusions notifiées et déposées le 15 décembre 2020, la société Boisgirard-Antonini demande à la cour de’:

— confirmer le jugement en ce qu’il a prononcé la nullité du rapport d’expertise et déclaré prescrite l’action en responsabilité dirigée à son encontre,

— infirmer le jugement en ce qu’il a prononcé la nullité de la vente survenue le 7 juin 2006 et l’a condamnée à restituer à M. A-J les frais de la vente soit la somme de 59 775 euros avec intérêt au taux légal à compter du jugement,

statuant de nouveau,

In limine litis,

— prononcer la nullité du rapport d’expertise,

à titre principal,

— dire que la preuve de l’absence d’authenticité de l’oeuvre n’est pas rapportée,

— débouter M. A-J de ses prétentions,

— si par extraordinaire la cour s’estimait insuffisamment informée, ordonner l’ouverture d’une mesure d’instruction et la nomination d’un expert spécialiste de l’art partho-sassanide pour se prononcer sur l’authenticité de l’oeuvre litigieuse,

à titre subsidiaire,

— dire qu’elle ne peut être condamnée à la restitution du prix de vente,

— limiter sa condamnation à la somme de 41 275 euros correspondant aux frais effectivement perçus,

— dire que l’action en responsabilité dirigée contre elle est prescrite,

— dire que sa responsabilité n’est pas engagée,

à titre infiniment subsidiaire,

— si elle était condamnée à restituer à M. A-J la somme de 59 775 euros, condamner Mme Y à lui restituer la somme de 18 500 euros,

— rejeter la demande de publication de la décision,

en tout état de cause,

— condamner M. A-J ou tout succombant à lui verser la somme de 7 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

— condamner M. A-J ou tout succombant aux dépens de la présente instance dont distraction au profit de Me Porcher qui affirme en avoir fait la plus grande avance dans les termes de l’article 699 du code de procédure civile.

La clôture de l’instruction a été prononcée le 5 janvier 2021.

SUR CE,

L’ appel ne porte pas sur le chef de la décision aux termes duquel le tribunal a jugé que le fait que M. A-J ait utilisé dans un courrier un papier à en tête d’une fondation dont il est à l’initiative ne permet pas d’établir un transfert de propriété et rejeté la fin de non recevoir tirée du défaut de qualité à agir.

Sur la fin de non recevoir tirée de la prescription de l’action en nullité de la vente

M. Z soutient que :

— la vente a eu lieu le 7 juin 2006, soit avant l’entrée en vigueur de la loi n°2008-561 du 17 juin 2008 portant réforme de la prescription en matière civile,

— avant son entrée en vigueur, l’action en nullité pour vice du consentement se prescrivait déjà à compter du jour de la découverte de l’erreur, en vertu de l’article 1304 ancien du code civil,

— l’acquéreur étant spécialiste de l’art d’Orient, le point de départ du délai de prescription ne saurait dépendre de sa seule volonté de faire effectuer, plus de 8 ans après la vente, une étude sur l’authenticité de l’oeuvre acquise,

— le délai courait donc à compter du jour de la vente et l’action était prescrite dès le 7 juin 2011.

M. A-J fait valoir que le point de départ de la prescription se situe au jour où l’erreur, sur laquelle la demande en nullité est fondée, a été découverte,’soit au plus tôt le 6 décembre 2013, date de remise du rapport MSMAP.

Sont applicables au litige les dispositions de l’article 1304 ancien du code civil selon lesquelles: ‘ Dans tous les cas où l’action en nullité ou en rescision d’une convention n’est pas limitée à un moindre temps par une loi particulière, cette action dure cinq ans.

Ce temps ne court dans le cas de violence que du jour où elle a cessé ; dans le cas d’erreur ou de dol, du jour où ils ont été découverts.’

La qualité de collectionneur de M. A-J n’est pas de nature à prouver que celui-ci aurait pu se persuader de l’erreur sur les qualités substantielles de l’oeuvre acquise en vente aux enchères

publiques après avis d’un expert en la matière dès le jour de cette vente.

M. Z I à démontrer que l’acquéreur aurait eu connaissance avant le dépôt, en décembre 2013, du rapport du laboratoire scientifique qu’il a saisi de l’erreur dont il se prévaut.

En conséquence, le point de départ de l’action en nullité de la vente n’a pu courir qu’à compter de cette date et M. Z doit être débouté de sa fin de non recevoir tirée de la prescription de l’action.

Sur la nullité du rapport d’expertise

Le tribunal a estimé que l’expert n’avait pas respecté le principe du contradictoire aux motifs que :

— il n’a pas été répondu en temps utile au dire du 4 mars 2015 de M. Z sollicitant préalablement des informations sur le laboratoire qui serait choisi pour l’analyse de l’échantillon, afin d’en vérifier la fiabilité et la réputation,

— les parties n’ont été ni conviées ni informées de la date et du lieu de prélèvement auquel elles n’ont pas assisté,

— le laboratoire Re.s Artes que l’expert s’est adjoint comme sapiteur a lui-même sous-traité l’analyse de l’échantillon prélevé à un laboratoire allemand, les conditions d’envoi, réception et traitement de l’échantillon n’ont pas été communiquées, l’identité des personnes ayant procédé à l’analyse ou en ayant assumé la responsabilité et la supervision n’est pas communiquée, aucun compte-rendu des opérations effectuées par ce laboratoire, de ses observations et conclusions attestées par le Pr Pernicka n’a été versé aux débats et il n’existe aucun écrit du Pr Pernicka relativement au prélèvement discuté,

— il n’est pas fourni d’explications sur cette absence de traçabilité du prélèvement et de

documentation et certification sur les opérations sous-traitées.

M. A-J soutient que le principe du contradictoire a été respecté au motif que:

— l’expert judiciaire a répondu en temps utile au dire du 4 mars 2015, dans sa note de synthèse faisant suite à la réunion du 2 mars 2015, où il mentionne que l’analyse Plomb 210 sera pratiquée par le laboratoire Re.s Artes à Bordeaux, et a communiqué aux parties une liste bibliographique du Pr Pernicka,

— la nature du test au Plomb 210 utilisé, qui de façon simple et difficilement contestable, permet de déterminer si un métal date de plus ou de moins de130 ans, était parfaitement adaptée au cas d’espèce compte tenu de l’âge annoncé de la pièce, environ 1700 ans,

— il est usuel que les parties n’assistent pas à toutes les opérations d’une expertise judiciaire et le fait que les parties n’aient été ni conviées ni informées de la date et du lieu du prélèvement, auquel elles n’ont pas assisté, ne constitue pas une violation du principe du contradictoire, dans la mesure où les parties ont été réunies, avec leurs conseils, pour en apprécier les résultats et les discuter longuement, de manière contradictoire au cours d’une seconde réunion d’expertise le 18 mai 2015, puis par le biais de réponses à des dires,

— le fait que les conditions de l’analyse effectuée en Allemagne de l’échantillon prélevé en France et les conclusions du professeur Pernicka ne soient pas connues ne l’est pas plus, puisque le rapport du laboratoire Re.s Artes a fait siennes les conclusions du laboratoire allemand qu’il a reprises dans son rapport,

— la communication des conditions d’envoi, de réception et traitement de l’échantillon constituent des exigences qui vont très au-delà des informations que doit raisonnablement délivrer un expert.

M. Z demande la confirmation de l’annulation du rapport d’expertise, aux motifs que:

— l’expert n’a jamais répondu à son dire du 4 mars 2015,

— l’expert n’a pas informé les parties de la date et du lieu du prélèvement, ce qui les a empêchées de discuter du choix du laboratoire et du test employé,

— le laboratoire bordelais choisi par l’expert a lui-même sous-traité l’analyse de l’échantillon à un laboratoire allemand sans aucune information préalable et sans que les conclusions du laboratoire ne soient annexées au rapport d’expertise.

Mme Y demande la confirmation de l’annulation du rapport d’expertise, dans la mesure où le principe du contradictoire n’a, à de nombreuses reprises, pas été respecté.

La société Boisgirard-Antonini demande la confirmation de l’annulation du rapport d’expertise dans la mesure où l’expert n’a pas mené personnellement l’expertise et n’a pas permis aux parties de débattre contradictoirement avant le dépôt de son rapport.

A la suite de la première réunion d’expertise qui s’est tenue le 2 mars 2015 et au cours de laquelle l’expert judiciaire a évoqué la possibilité de faire réaliser une nouvelle analyse par un laboratoire afin d’analyser la présence de plomb 210, M. Z a adressé un dire daté du 4 mars suivant pour indiquer qu’il faisait toutes réserves sur le caractère probant du test envisagé et souhaitait obtenir le nom du laboratoire choisi afin d’en vérifier l’ancienneté, les compétences et la réputation et afin d’interroger le laboratoire de l’université d’Oxford, de renommée internationale, auteur d’un précédent avis, raison pour laquelle il demandait qu’il soit également sursis à la réalisation de cette analyse.

M. A-J a par dire du 5 mars suivant rappelé que l’ensemble des parties, à l’exception de M. Z, s’était accordé à dire que l’analyse proposée était fiable, nécessaire et devait être diligentée dans les meilleurs délais.

Dans sa note de synthèse envoyée le 28 avril 2015 , M. X, même s’il n’a pas fait mention du dire de M. Z, a répondu que les prélèvements seraient faits par le laboratoire Re.s Artes à Bordeaux. S’adressant à un sapiteur comme la loi et le juge le lui permettaient sans avoir à recueillir l’avis des parties sur le choix dudit technicien, l’expert n’était pas tenu de faire droit à la demande de sursis à statuer présentée ni d’avertir les parties de la date et du lieu du prélèvement et il sera relevé qu’aucune des parties n’avait émis le souhait d’être présente lors du prélèvement de l’échantillon.

L’expert n’est pas plus tenu de communiquer avec les parties sur ses conditions d’envoi, de réception et de traitement des échantillons, M. Z ajoutant des exigences qui ne relèvent pas du respect du contradictoire.

Par ailleurs, le laboratoire Re.s Artes a exposé dans son rapport d’analyse la description du prélèvement et sa localisation et indiqué que l’étude avait été effectuée en collaboration avec un laboratoire allemand dont il n’était pas tenu de reprendre dans son rapport les conclusions puisque lui seul avait été désigné en qualité de sapiteur et assurait la responsabilité du bon déroulement de l’analyse confiée et du commentaire de ses résultats.

Une seconde réunion datée du 18 mai 2015 s’est tenue après dépôt des résultats du laboratoire Re.s Artes et a permis de les discuter et dans sa seconde note de synthèse, l’expert a précisé que l’analyse avait été effectuée par un laboratoire allemand dont il a argumenté la compétence puis répondant au dire de M. Z y faisant suite, il a encore précisé les références des deux laboratoires français qui utilisaient la méthode du plomb 210 lesquels travaillaient pour les musées français et les sociétés de ventes volontaires les plus connues et envoyaient toutes deux leurs prélèvements au professeur Pernicka dont la bibliographie était précisée.

Enfin, il a encore donné un délai aux parties pour lui adresser des dires auxquels il a répondu abondamment jusqu’en novembre 2015.

Il ressort de l’ensemble de ces éléments que l’expert judiciaire qui a effectué personnellement et de manière approfondie et motivée une analyse iconographique et stylistique de la tête litigieuse et soumis au débat les résultats de l’analyse scientifique confiée à un sapiteur en répondant aux dires qui lui ont été adressés de mai à novembre 2015 a respecté le principe du contradictoire et l’exception de nullité du rapport d’expertise doit être rejetée en infirmation du jugement.

Sur l’erreur

Le tribunal a considéré que les éléments d’un rapport d’expertise annulé pouvaient être retenus à titre de renseignements s’ils sont corroborés par d’autres éléments du dossier et qu’en raison du doute quant à l’authenticité de l’oeuvre au regard de sa datation et de son origine caractérisé au vu du rapport du laboratoire Re.s Artes et du rapport MSMAP, la nullité de la vente pour erreur devait être prononcée.

M. Z fait valoir que :

— un rapport annulé doit être considéré comme non avenu,

— si un rapport annulé peut être retenu à titre de renseignement lorsqu’il est corroboré par d’autres éléments de preuve, les premiers juges ne pouvaient se fonder sur la seule étude, établie par le laboratoire MSMAP en 2013 à la demande de M. A-J de manière non contradictoire et qui formule de simples suppositions, tout en écartant les conclusions contraires du rapport du professeur Northover et les conclusions de l’expert Mme Y,

— cette étude a été critiquée par l’expert judiciaire qui a considéré qu’aucune des constatations faites par le laboratoire MSMAP ne peut remettre en doute la provenance de l’objet, celles faites sur l’ancienneté pouvant être aussi vues comme le résultat de restaurations ou d’embellissements postérieurs sur une pièce authentique,

— ni un doute sur l’authenticité de l’oeuvre ni a fortiori la fausseté de sa datation ne sont démontrés,

— M. A-J est un acquéreur avisé puisqu’il est un collectionneur réputé d’objets d’art d’Islam, dont les oeuvres font souvent l’objet d’expositions et de ventes au sein de différentes maisons de vente.

M. A-J soutient que :

— la confirmation de l’annulation du rapport n’a aucune conséquence quant au bien-fondé de ses doutes sur l’authenticité du bronze, qui sont fondés sur de nombreux éléments de fait, que l’expertise judiciaire n’a fait que confirmer :

• l’ avis informel émis par les maisons de ventes volontaires Bergé et Christie’s,

• le rapport MSMAP qui conclut sans ambiguïté au défaut d’authenticité du bronze après en avoir fait une analyse chimique,

• le caractère ancien de l’analyse effectuée par le professeur Northover,

• l’absence d’étude préalable sérieuse de Mme Y en vue de la vente,

• l’absence, depuis 2013 et surtout lors de l’expertise judiciaire, d’une contradiction scientifique

pertinente du fait qu’alors qu’elle était supposément en possession de la famille Z depuis plus de quarante ans, cette oeuvre n’est jamais apparue, nulle part, avant la vente de 2006,

— le rapport du professeur Northover dont les autres parties se prévalent est aussi une étude effectuée de façon non contradictoire et sa lettre de 2015 est dénuée de pertinence,

— si certains éléments de l’analyse réalisée par le laboratoire MSMAP nécessitaient – de la part d’experts honnêtes – quelques réserves, la conclusion du rapport est univoque et n’est assortie d’aucune restriction : les caractéristiques du bronze sont incompatibles avec son ancienneté prétendue,

— le bronze litigieux n’a aucune provenance établie, il aurait été acheté en Iran par le père du vendeur, M. Houshang Z, dans les années 1960 et ne ferait donc pas partie de la collection réputée du grand-père,

— M. Z, la société Boisgirard et Mme Y s’enferment dans une position exclusivement critique et non étayée par des éléments scientifiques,

— le fait qu’il soit un collectionneur passionné ne saurait en aucun cas lui conférer la qualité de sachant.

Mme Y répond que :

— l’expert n’est pas un spécialiste de l’art sassanide et a fait preuve de partialité,

— ses conclusions sont entachées d’erreurs grossières et de contradictions flagrantes démontrant un parti-pris évident et une méconnaissance patente de la période à laquelle l’oeuvre querellée est attribuée,

— les constatations de l’expert qui mettent en doute l’authenticité de l’oeuvre, notamment le recours à l’analyse au plomb sont contestables,

— le caractère relativement récent de la technique du plomb 210 appliquée au marché de l’art, ne permet pas d’avoir l’assurance pleine et entière de la fiabilité et de l’exactitude du procédé, la technique développée par le professeur Pernicka n’est corroborée par aucune étude scientifique autre que celles émanant de son propre laboratoire,

— il ne s’agit pas d’une méthode de datation et l’hypothèse selon laquelle la présence de plomb 210 pourrait être due à un environnement qui a affecté l’objet corrodé ne peut être exclue,

— elle même est internationalement reconnue comme la spécialiste du monde partho-sassanide, ce que l’expert a sans conteste reconnu pour avoir affirmé ne pas être lui-même un spécialiste de ces époque et région,

— elle n’a jamais conclu avec certitude à une aire de production et une datation précises,

— l’expert, non sans se contredire, relève de nombreuses similitudes avec des oeuvres attribuées à la zone géographique et la période supposées,

— une analyse stylistique de l’oeuvre ne permet pas de susciter un doute quant à son authenticité.

La société Boisgirard-Antonini ajoute que :

— le choix de la méthode d’analyse au plomb par l’expert judiciaire n’était absolument pas pertinent et doit être écarté quand la pièce a fait l’objet de nombreuses restaurations l’exposant à des contaminations, comme en l’espèce,

— en l’absence de preuve du défaut d’authenticité, la validité de la vente doit être retenue.

Elle fait valoir au soutien de l’authenticité que :

— le laboratoire du professeur Northover à Oxford atteste de l’authenticité de l’oeuvre,

— l’analyse stylistique de ‘ LA’ spécialiste internationale de l’art partho-sassanide, Mme

Y, conclut à l’authenticité de l’oeuvre,

— l’oeuvre provient de la collection Z, l’une des plus importantes de l’art iranien et du monde sassanide.

Il appartient à l’acquéreur qui sollicite l’annulation de la vente de prouver que l’authenticité de l’oeuvre présente des doutes réels et sérieux.

La pièce litigieuse ne provient pas de la collection réputée de bronzes d’Orient, d’Iran et du monde sassanide du grand-père de M. Z mais a été acquise par son père, également marchand d’art, en Iran, dans les années 60 sans que sa provenance archéologique soit avérée.

Elle a fait l’objet de trois restaurations dont deux en Iran par des non spécialistes et la dernière à Londres.

Dans le cadre de cette dernière restauration a été sollicité l’avis du professeur Northover du laboratoire de métallurgie et archéologie de l’université d’Oxford qui le 9 décembre 1991 a indiqué que le bronze ne révélait aucune trace d’un composant moderne, sa composition non homogène prouvait une production artisanale et le type de corrosion en surface relevé était un phénomène naturel, estimant que la pièce semblait compatible avec une production antique.

Mme Y s’est fondée sur cet avis et sur sa propre expérience pour donner, en 2006, la datation contestée.

M. A-J ne produit pas les avis de la société de vente Bergé et de la société Christie’s Londres dont il se prévaut mais a sollicité l’avis du laboratoire métallographique MSMAP de Bordeaux qui a retenu l’absence d’éléments traces significatifs de l’industrie moderne mais a indiqué que :

‘La présence de chlore dans les produits de corrosion du métal (‘) ainsi qu’une couche couvrante de chlorure de cuivre (‘) sont probablement le résultat d’une attaque artificielle de la surface à l’aide d’un produit chloré.

La couche externe est composée de sulfates de cuivre purs qui n’est pas le résultat d’un produit de corrosion. Il s’agit certainement d’un ajout volontaire dans le but d’accentuer la patine artificielle de l’objet.

Ponctuellement, la présence d’une couche de peinture, provient probablement d’une retouche de la patine ou bien du socle peint en vert de la sculpture.

Ces différentes caractéristiques ne sont pas en accord avec l’origine et l’ancienneté supposées de l’objet.’

M. X, expert judiciaire, a cependant estimé, dès le début de son expertise, qu’ ‘aucune des constatations faites par ce laboratoire ne peut remettre en doute la provenance de l’objet, celles faites sur l’ancienneté pouvant être aussi vues comme le résultat de restaurations ou d’embellissements postérieurs sur une pièce authentique’ (page 3 de sa note de synthèse à la suite de la réunion du 2 mars 2015).

Il a relevé que les résultats des deux analyses étaient assez proches mais que leur interprétation était totalement différente et a décidé de faire effectuer une nouvelle analyse par le laboratoire Re.s Artes de Bordeaux afin de déterminer la présence de plomb 210 au motif que le plomb a une phase de dégradation qui passe par un isotope radioactif, le ‘plomb 210″ lequel présent dans le bronze, disparaît après 130 ans environ.

Ce sapiteur a conclu que :

‘- le métal analysé est un bronze contenant peu de plomb; aucun élément associé à une métallurgie moderne n’a été détecté,

– l’alliage contient du plomb 210 en faible quantité; cela indique que le métal constitutif de l’objet a été fabriqué après le XIXème siècle.’

Il a également précisé (en page 3) que ne s’agissant pas d’une méthode de datation, cette remarque reste indicative.

Au vu de ces conclusions et de son analyse stylistique de l’oeuvre, l’expert a formulé la conclusion générale suivante :

‘1) Aucune provenance archéologique n’est avérée.

2) La ‘ patine’ visible n’est pas le résultat d’une dégradation progressive naturelle du métal mais est en grande partie artificielle.

3) Un des deux laboratoires de métallographie (le MSMAP) a conclu que la corrosion est suspecte et incohérente avec la période antique supposée.

4) Les résultats obtenus pour le plomb 210 par le laboratoire Re.s Arte ‘ tout à fait utilisables dans ce cas de figure ‘ sont formels sur l’inauthenticité et place la fabrication entre 1885 et nos jours.

5) La pièce disputée ne s’inscrit pas réellement dans un des groupes artistiques de l’époque présumée.On notera ainsi qu’aucune des pièces présentées en exemple ne sont aussi isolées iconographiquement et stylistiquement que celle disputée.

6) D’un point de vue stylistique le traitement de la chevelure et la forme du cou sont incohérents avec la période et les cultures supposées.

7) Il n’existe strictement aucune pièce proche ni de cette taille ni d’une taille plus réduite; ni dans ce matériau ni dans tout autre matériau (métal, céramique, stuc, pierre).

Ainsi on peut voir une pièce unique tant par la forme (tête indépendante) que par son style qui se rattache finalement à tellement de périodes et de lieux divers qu’elle ne se rattache définitivement à rien d’absolument identifiable.

Stylistiquement, rien ne permet d’avoir un jugement formel positif sur l’authenticité. Ce melting-pot de cultures et de style est finalement trop suspect.

Le principe de l’expertise en histoire de l’art et archéologie, c’est de trouver des concordances avec plusieurs objets ou représentations. Un « unicum » n’est jamais totalement hors de son temps et se réfère toujours à quelques points reconnaissables. Finalement, comme aucun point ne concorde et qu’aucune réalité stylistique et iconographie n’est évidente ‘ ce serait donc une pièce authentique pour M. Z et Mme Y.C’est une sorte de raisonnement par le vide, non fondé scientifiquement.

On peut donc aisément penser que l’artiste – faussaire qui a produit cette pièce disputée, s’est basé sur quelques points stylistiques avérés permettant de s’identifier inconsciemment aux productions sogdiano-sassanides – et de donner une certaine « crédibilité archéologique » à sa pièce.

La fausse et épaisse patine croûteuse que l’on trouve quelque fois sur les bronzes de fouille a participé à l’idée que la pièce pouvait être ancienne.

Pour ces raisons, la pièce ne peut donc pas être conforme à ce qui est décrit au catalogue quant à la date de fabrication soit ‘vers le IIIème siècle.’

Ces conclusions sont critiquées tant sur l’analyse au plomb 210 que sur l’analyse stylistique.

— sur les analyses techniques

L’expert a noté que, du fait des trois restaurations intervenues, ‘l’ information sur la patine est difficilement interprétable et ouverte à polémiques car faussée par la potentielle vie moderne de l’objet’ et s’agissant du matériau, que les trois analyses montrent que la composition du bronze n’est pas industrielle mais que ‘les fondeurs du fin fond de l’Orient recyclent souvent des métaux anciens de toutes périodes confondues’ de sorte que l’étude du matériau ‘ ne donne pas d’indication nécessairement négative mais n’assure pas non plus l’ancienneté.’

Ces conclusions ne sont pas spécialement contestées.

La cour retient avec l’expert que les deux analyses métallographiques effectuées selon les mêmes méthodes en 1991 et 2013 sont parvenues à des conclusions opposées sur le caractère antique ou pas de la tête litigieuse.

Elle relève également que les conclusions du laboratoire MSMAP défavorables au caractère antique sont formulées sous forme de suppositions puisqu’il emploie le verbe ‘sembler’ et à deux reprises l’adverbe ‘probablement’. Celles-ci ne sont pas suffisantes pour permettre de retenir un doute sur l’authenticité de l’oeuvre.

S’agissant de l’analyse plomb 210, M. X explique que cette méthode mise en pratique depuis 35 ans se développe depuis 7 ans en matière d’archéologie, qu’elle nécessite une chimie lourde et que seuls quelques laboratoires sont accrédités par l’Etat, ce qui la rend fiable.

Cependant, Mme Y relève avec pertinence que cette méthode n’est utilisée que par un seul laboratoire en Allemagne (dirigé par le professeur Pernicka), que les deux seuls laboratoires français (dont Re.s Artes) faisant appel à cette technique sous-traitent leurs travaux à ce même laboratoire allemand et que son efficacité n’est corroborée par aucune étude scientifique autre que celles émanant du laboratoire allemand lui-même.

M. K L M à Stuttgart puis Berlin et commissaires d’exposition est particulièrement critique. Ainsi écrit-il :

‘ Tous mes confrères et collectionneurs dont je sais qu’ils ont passé une commande à Ernst Pernicka ont eu comme réponse « récent ». Pour sa méthode, il mentionne l’année 1996 durant laquelle il aurait développé son test nommé Pb-210 et auquel il se réfère dans ses expertises. Cependant, il convient également n’avoir réalisé une série d’expériences qu’à partir de 2008. De cette expérience menée sur 26 objets en bronze du Nigeria, seuls trois objets seraient anciens. Ancien signifie ici plus vieux que 120 ans environ. Ces trois objets proviennent justement du musée dont il a été le directeur. D’après mes connaissances actuelles et celles de plusieurs de mes confrères, aucun autre objet sorti de ce laboratoire n’a été déclaré comme ancien.

La méthode Pb-210 est utilisée pour la recherche de sédiment. Après recherches sur internet et divers entretiens, son application pour l’analyse de bronzes n’est même pas vérifiée scientifiquement. La seule publication à laquelle se réfèrent les laboratoires d’analyses métallurgiques est celle de 2008 publiée dans l’ouvrage Original-Copy-Fake, dans laquelle Pernicka se réfère à lui-même avec « cf. Pernicka 2008 ». Cette série n’a rien de scientifique et n’a jamais été vérifiée. Depuis le début de mes recherches aux alentours de 1999, il existe de nombreux physiciens et laboratoires d’analyses métallurgiques qui sont d’avis que l’utilisation de la méthode Pb-210 pour tester les bronzes est une absurdité. Il existe également des décisions de justice dans lesquelles Ernst Pernicka joue un rôle malheureux.

Dans ces présents documents, il lui a été interdit par le tribunal d’utiliser l’aluminium ainsi que d’autres éléments comme critère pour définir un objet de « récent ». Eléments avec lesquels il essaie portant d’étayer sa thèse et qu’il persiste à utiliser.

Les 23 objets « récents » de sa « série de tests » proviennent tous d’une seule et même riche personne. Avant de subir l’analyse métallurgique, ils avaient également tous été testés par thermoluminescence à différents moments, parfois en parallèle dans différents laboratoires.

Tous avaient obtenu un âge qui correspondait à l’analyse stylistique.”

Si le laboratoire Re.s Artes mentionne intervenir auprès des musées français et des sociétés de ventes volontaires les plus importantes du marché, il ne précise par que son intervention ait été sollicitée pour une analyse au plomb 210 dans le cadre d’un bronze antique.

Mme Y soutient sans être contestée que la méthode dite de « plomb 210 » est une méthode de recherche des couches sédimentaires basée sur la mesure de la chaîne de désintégration des particules d’uranium présentes naturellement dans l’air (radioactivité naturelle).

Elle rappelle que l’oeuvre a été découverte en Iran dans les années 50 à l’occasion de fouilles archéologiques et qu’elle aurait été conservée sur place jusqu’en 1979 et estime qu’elle a pu être contaminée lors de son entreposage, et ce, d’autant plus que l’Iran est l’un des pays où la radioactivité naturelle est la plus importante, affirmation non contestée par aucune des parties.

M. Z, dans un dire à l’expert du 7 septembre 2015, indique que l’uranium naturel contenu dans la croute terrestre et les sols, en se désintégrant, produit en permanence, par l’intermédiaire du radon, du plomb 210 qui, contenu dans les précipitations, retombe de façon incessante à la surface de la terre et produit une étude sur les effets du polonium qui mentionne que le plomb 210 est présent partout et en quantité très importante.

Deux conservateurs ont écrit, au sujet d’une oeuvre conservée au Metropolitan Museum de New York ayant fait l’objet d’une analyse au plomb par le laboratoire du professeur Pernicka en 2004, que les conclusions de cette analyse n’étaient pas concluantes dans la mesure où la présence de plomb 210 ” pourrait provenir de l’environnement via la corrosion’.

La société Boisgirard-Antonini soutient également sans contradiction qu’une patine à l’ancienne utilise du plomb, ce qui est de nature à fausser les résultats de l’analyse.

L’expert a relevé lui-même qu’il était “effectivement convaincu que lorsqu’il y a des produits de corrosion anciens et naturels qui se forment, ceux-ci peuvent capturer des éléments extérieurs” et sa réponse selon laquelle dans le cas de la tête litigieuse ‘il n’y a presque plus de produit de corrosion ( enlevé par les restaurations), le laboratoire Re.s Artes a gratté la paroi préalablement au prélèvement afin d’enlever tout produit de corrosion et en tout état de cause, le plomb 210 a une durée de vie dans les sédiments tout aussi limitée’ n’est pas suffisante à écarter toute présence liée à l’environnement alors que les restaurations n’ont pas pour effet d’enlever la corrosion qui est une attaque profonde et non épidermique de la surface mais seulement de la traiter.

Le professeur Northover, du département métallurgie et archéologie de l’université d’Oxford,

interrogé par M. Z, a répondu le 3 septembre 2015 :

‘Il est précisé que l’échantillon a été obtenu par grattage au niveau de la boucle d’oreille gauche, sur le visage intérieur. Cette méthode d’échantillonnage est incorrecte et peut facilement conduire à un résultat erroné. La zone d’échantillon pourrait bien avoir été contaminée par le plomb à partir d’une restauration et par la manipulation dans un atelier où ces métaux sont présents.

En outre, plus particulièrement dans une zone d’essence au plomb, le Plomb 210 est présent dans l’atmosphère et peut être absorbé sur la surface et être absorbé dans les produits de corrosion sur cette surface.

Compte tenu de la manière dont l’échantillon a été prélevé sur la tête, c’est la surface qui a été testée et non le métal de la tête. En conséquence, les résultats de l’échantillon prélevé par le Re.s Artes ne peuvent être utilisés pour statuer sur l’authenticité de l’oeuvre.’

Les explications données en réponse par le laboratoire Re.s Artes le 21 septembre suivant sont peu éclairantes celui-ci précisant : ‘ nous effectuons l’élimination de la surface par un forage préliminaire et nous éliminons la matière ainsi récoltée’ et ‘le terme grattage correspond à l’action d’élimination de la surface de la zone d’échantillon avant analyse’ alors que dans son rapport, il a écrit ‘ le prélèvement de métal a été effectué par grattage de la surface de l’objet et par micro-prélèvement’ ce qui exclut toute idée de ‘carottage de matière directement dans la masse constitutive de l’objet’ mentionné par l’expert dans son rapport.

Il se déduit de l’ensemble de ces éléments que les conclusions de l’analyse effectuée selon une méthode dont la pertinence des résultats, notamment en ce qui concerne les bronzes anciens, n’est pas scientifiquement reconnue, ne sont pas suffisants à démontrer que le bronze en litige ne peut être déclaré, sans ambiguïté ni interprétation aucune, ancien ainsi que l’affirme l’expert judiciaire dans son rapport ni même à susciter un doute réel sur son authenticité.

— sur l’analyse stylistique

M. X a considéré que la pièce litigieuse représentait une femme de haut rang, que ” les représentations de femmes nobles sont fort rares tant dans le monde sassanide que dans le monde gréco-bactrien ” et qu’elle constituait un exemplaire unique.

Toutefois, Mme Y, dont la compétence particulière s’agissant de l’époque sassanide est admise par toutes les parties, répond que les statues en bronze de cette époque connues sont moins d’une dizaine, tout comme les sculptures de souverains.

Elle précise que compte tenu de la rareté des oeuvres en ronde-bosse et de l’unicité de chacune, la comparaison stylistique ne peut se faire que sur des portraits exécutés sur d’autres formes et supports tels que vaisselle (rhytons, vases, aiguières, plats), monnaies, intailles ou reliefs, procédé que l’expert judiciaire a lui-même employé.

Il a expliqué que :

‘ Pour simplifier la production sassanide, il existe deux grands styles.

Un, plutôt frustre voire rustique, est souvent périphérique (provincial) par rapport aux grands centres d’échanges et de pouvoir.

L’autre évolué, recherche les nombreux et fins détails tant sur l’anatomie que la parure. Cette production narrative met en valeur des personnages royaux ou divins. C’est souvent un art palatial.

La pièce disputée est rattachable ‘ dans l’idée ‘ à cette seconde production car la qualité de la finition, la richesse des détails, le nombre de bijoux en font une femme de haut rang.

Pourtant rien n’évoque avec certitude une aire de production précise ni même encore la datation du IIIème siècle après J-C. Même si l’influence de l’art sassanide parait être la plus présente sur cette pièce, on notera toutefois d’importantes incohérences au niveau de la coiffure, de la forme du visage et de la longueur du cou ‘ points qui ne semblent pas réellement se rattacher à quelques traditions artistiques antiques connues en Asie Centrale.”

S’agissant du style, M. X a indiqué que ‘la frontalité de la représentation très soulignée pour cette pièce en relief n’est pas sans rappeler la statuaire du Palmyre en Syrie (du IIe siècle) et de Hatra sur le fleuve Tigre en Iraq (du II ème siècle)” alors qu’ ‘ en Iran sassanide et dans le monde gréco-bactrien, l’Hellénisation pousse les artistes à rechercher une certaine idée du mouvement.’

Outre que la première réflexion de l’expert va dans le sens de l’expertise donnée par Mme Y en 2006, elle est illustrée par 4 exemples alors que seul un exemple vient étayer la seconde, que cette dernière conteste.

S’agissant de la forme du visage, l’expert judiciaire a indiqué que ‘la forme générale du visage est presque triangulaire avec un menton assez fin et dégagé du cou. Ce type de menton ne se retrouve nulle part ailleurs. Le front de la pièce disputée est très large et haut, détail peu fréquent dans la statuaire du Moyen-Orient. “

Toutefois, au cours de l’expertise, Mme Y a adressé 4 représentations de visage triangulaire et deux représentations de front large dont le rhyton à tête féminine en argent se trouvant au musée de Cleveland dont M. X a reconnu que ‘la mâchoire était le seul exemple proche dans l’idée de l’exemplaire disputé’ tout en relevant des différences.

S’agissant du cou, l’expert judiciaire a écrit que ” les cous de toutes les représentations antiques de ces terres géographiques présumées sont en général plus courts et plus trapus.”

Mme Y a produit cinq représentations de nature à démontrer que ‘les cous de toutes les représentations antiques du monde partho-sassanide ne sont pas courts et trapus’ et l’expert a reconnu que l’une d’elles ‘peut-être d’origine sassanido-kushan et très tardive avait effectivement un cou assez haut mais néanmoins large.’

S’agissant de la chevelure, M. X a indiqué que “dans l’antiquité, les coiffures tant féminines que masculines peuvent être de formes très variées et répondre probablement à des critères de mode (variables selon la période, le niveau social concerné et l’ethnie). Le fait que celle-ci semble unique en son genre n’est donc pas un argument nécessairement négatif ” mais il a retenu que ‘ le positionnement très régulier des mèches, avec une organisation symétrique rigide et une taille régulière de chaque mèche n’a pas d’équivalent’ et que ‘ si la forme globale de la coiffure avec un chignon globulaire sommital se retrouve sur certaines figurations tant masculines que féminines, le chignon semble fait de mèches ondulantes dressées et pas [ comme] dans notre cas, de longs cheveux lisses rassemblés.’

Mme Y a produit à l’inverse trois représentations de positionnement régulier des mèches, symétriques et de taille régulière de cette période, dont le rhyton à tête féminine en argent du musée de Cleveland, et trois exemples où le chignon prend d’autres formes que celle de cheveux lisses et rassemblés.

S’agissant des yeux tels qu’il les a décrits, l’expert judiciaire a admis des ressemblances notables entre les références produites par Mme Y dont le rhyton à tête féminine en argent du musée de Cleveland déjà cité et la tête litigieuse mais estimé que “ces ressemblances ne permettent pas totalement d’intégrer l’exemplaire disputé dans le corpus des objets antiques incontestablement localisables et datables”, ce qui n’apparaît pas suffisant pour exclure tout rattachant stylistique de l’oeuvre à l’Asie centrale.

S’agissant, enfin des bijoux, l’expert judiciaire a modifié ses conclusions après réception de l’analyse stylistique de Mme Y adressée par dire pour reconnaître que les boucles d’oreille en forme de gouttes surmontées par une boule n’étaient pas un détail incohérent avec la période supposée et que le décor des plaques du collier à composition quadriforme se retrouvait depuis la Syrie jusqu’en Asie centrale depuis les Parthes jusqu’en Afghanistan.

Il avait même indiqué en réponse à un dire de Mme Y qu’il reconnaissait ‘que certaines rares pièces concernant les bandeaux frontaux et les boucles d’oreille en forme de goutte sont utilisables comme argument pour une datation du IVe et Ve siècle. Le rhyton de Cleveland qui est une des pièces les plus proches de la pièce disputée met en valeur par certains traits équivalents ‘ une légère influence stylistique Kushan” mais n’a pas mentionné cette conclusion dans son rapport définitif.

Alors que le fait que la pièce litigieuse apparaisse unique en son genre n’est pas étonnant compte tenu du nombre extrêmement restreint ( moins d’une dizaine) des statues en bronze de l’époque sassanide répertoriés, Mme Y a fait la démonstration que l’oeuvre en litige n’était pas totalement hors de son temps mais se rapprochait d’oeuvres connues par certains points et avait même des similitudes multiples particulièrement avec une oeuvre le rhyton à tête féminine en argent du musée de Cleveland. Dès lors, aucune incohérence stylistique n’est établie.

En conséquence, à défaut d’analyse technique probante et d’incohérence stylistique démontrée, les informations données par Mme Y lors de la vente de 2006 concernant une provenance d’Asie centrale et une datation ‘vers le 3e siècle’ ne peuvent être remises en cause et M. A-J échouant à rapporter la preuve de l’existence de doutes réels et sérieux sur son authenticité doit être débouté de sa demande en nullité de la vente pour erreur sur les qualités substantielle de l’oeuvre acquise.

Le jugement sera infirmé sur ce point et sur tous les autres points qui étaient la conséquence de la nullité de la vente infirmée.

Sur le caractère abusif de l’action de M. A-J

Le caractère abusif de l’action de M. A-J qui avait eu gain de cause en première instance n’est aucunement démontré et les demandes de dommages et intérêts à ce titre de M. Z et de Mme Y seront rejetées.

Sur les dépens et les frais irrépétibles

Les dépens de première instance et d’appel doivent incomber à M. A-J, partie perdante.

Il sera également condamné à payer à la somme de 15 000 euros à M. Z, celle de 15 000 euros à Mme Y et celle de 7 000 euros à la société Boisgirard-Antonini sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

En revanche, Mme Y sera déboutée de sa demande au même titre dirigée à l’encontre de M. Z.

PAR CES MOTIFS

La cour,

Dans les limites de l’appel,

Rejette la fin de non recevoir tirée de la prescription de l’action en nullité de la vente,

Infirme le jugement en toutes ses dispositions,

Rejette l’exception de nullité du rapport d’expertise,

Déboute M. H A-J de sa demande de nullité de la vente intervenue le 7 juin 2006,

Le déboute de l’ensemble de ses autres demandes,

Déboute M. C Z et Mme E Y de leurs demandes de dommages et intérêts pour procédure abusive,

Condamne M. H A-J aux dépens de première instance et d’appel, en ce compris les frais d’expertise,

Dit que les avocats en la cause en ayant fait la demande, pourront, chacun en ce qui le concerne, recouvrer sur la partie condamnée ceux des dépens dont ils auraient fait l’avance sans avoir reçu provision en application de l’article 699 du code de procédure civile,

Condamne M. H A-J à payer la somme de 15 000 euros à M. C Z, celle de 15 000 euros à Mme E Y et celle de 7 000 euros à la sarl Boisgirard-Antonini sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,

Déboute Mme E Y de sa demande au même titre à l’encontre de M. C Z.

LA GREFFIÈRE LA PRÉSIDENTE


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