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Copies exécutoires REPUBLIQUE FRANCAISE
délivrées aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
COUR D’APPEL DE PARIS
Pôle 5 – Chambre 6
ARRET DU 31 MAI 2023
(n° ,12 pages)
Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 21/11517 – N° Portalis 35L7-V-B7F-CD4Y7
Décision déférée à la Cour : Jugement du 06 Mai 2021 -Tribunal de Commerce de PARIS – RG n° 19/008578
APPELANTS
Monsieur [E] [S]
né [Date naissance 4] 1956 de nationalité française,
[Adresse 10]
[Localité 14]
S.A.R.L. KARVINA
immatriculée au RCS sous le numéro 429 961 196, prise en la personne de son représentant légal, M. [E] [S]. Agissant poursuites et diligences en la personne de son gérant en exercice domicilié en cette qualité audit siège
[Adresse 1]
[Localité 14]
S.A.R.L. MAXMIS
immatriculée au RCS sous le numéro 504 723 297 prise en la personne de son représentant légal, Mme [P] [S]. Agissant poursuites et diligences en la personne de son gérant en exercice domilicié en cette qualité audit siège
[Adresse 1]
[Localité 14]
Représentés par Me Florence GUERRE de la SELARL SELARL PELLERIN – DE MARIA – GUERRE, avocat au barreau de PARIS, toque : L0018
INTIMEES
S.A. BANQUE PALATINE
immatriculée au Registre du Commerce et des Sociétés de Paris sous le numéro 542 104
245, prise en la personne de son représentant légal en exercice domicilié en cette qualité audit siège social
[Adresse 7]
[Localité 11]
S.A. CREDIT DU NORD
immatriculée au RCS Lille sous le numéro 456 504 851, prise en la personne de son repré-
sentant légal en exercice domicilié en cette qualité audit siège social ;
[Adresse 5]
[Localité 8]
S.A. BNP PARIBAS
immatriculée au Registre du Commerce et des Sociétés de Paris sous le numéro 662 042 449, prise en la personne de son représentant légal en exercice domicilié en cette qualité audit siège social ;
[Adresse 2]
[Localité 12]
S.A. CREDIT INDUSTRIEL ET COMMERCIAL CIC
immatriculée au Registre du Commerce et des Sociétés de Paris sous le numéro 542 016 381, prise en la personne de son représentant légal en exercice domicilié en cette qualité audit siège social ;
[Adresse 9]
[Localité 12]
S.A. SOCIETE GENERALE
immatriculée au Registre du Commerce et des Sociétés de Paris sous le numéro 552 120 222, prise en la personne de son représentant légal en exercice domicilié en cette qualité audit siège social ;
[Adresse 6]
[Localité 12]
S.A. BRED BANQUE POPULAIRE
immatriculée au Registre du Commerce et des Socié-tés de Paris sous le numéro 552 091 795, prise en la personne de son représentant légal en exercice domicilié en cette qualité audit siège social ;
[Adresse 3]
[Localité 13]
Représentées par Me Julien MARTINET, avocat au barreau de PARIS, toque : T04
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 03 Avril 2023, en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant MME Pascale SAPPEY-GUESDON, Conseillère, et M.Vincent BRAUD, Président.
Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, entendu en son rapport, composée de :
M.Marc BAILLY, Président de chambre,
M.Vincent BRAUD, Président,chargé du rapport
MME Pascale SAPPEY-GUESDON, Conseillère,
Greffier, lors des débats : Madame Anaïs DECEBAL
ARRET :
– CONTRADICTOIRE
– par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.
– signé par M.Vincent BRAUD, Président et par Anaïs DECEBAL,Greffier, présent lors de la mise à disposition.
*
* *
[E] [S] et [O] [X] sont d’anciens actionnaires et dirigeants du groupe GIMAEX créé en 2003 et qui exerçait une activité de conception et de fabrication de véhicules, d’équipements de véhicules et d’équipements de lutte anti-incendie, au travers de différentes sociétés, au nombre desquelles GIMAEX SAS, Échelles Riffaud SA, GIMAEX GmbH, EGI SA, Comet SA, Groupe One Seven.
[E] [S] était président de la société faîtière par actions simplifiée GIMAEX International, dont il était également actionnaire par le biais de la société patrimoniale Karvina.
[O] [X], actionnaire de la société faîtière par le biais de la société Auxa Patrimoine, a été membre du comité exécutif du groupe entre 2015 et 2018.
Afin d’assurer sa stratégie de croissance et son développement, notamment à l’étranger, le groupe GIMAEX s’est refinancé en 2006 auprès d’un premier tour de table composé des banques BNP Paribas (par ailleurs agent du tour de table), KBC Bank, Le Crédit lyonnais et Fortis Banque France.
Différents concours ont été par la suite consentis en 2011 par un tour de table composé par BNP Paribas en qualité de chef de file, Banque palatine, Crédit industriel et commercial, BRED Banque populaire, Crédit du Nord et Société générale.
Le groupe GIMAEX, rencontrant des difficultés, a sollicité en 2014 le second tour de table bancaire afin d’obtenir notamment le renouvellement des conventions de 2011. Certains membres du tour de table ont refusé de renouveler leur participation.
Le goupe GIMAEX a alors sollicité l’ouverture d’un mandat ad hoc.
Ont suivi différentes procédures de conciliation et de mandat ad hoc qui n’ont abouti à aucune solution.
Le 28 avril 2017, le tour de table, dont BNP Paribas était l’agent, a prononcé l’exigibilité anticipée de plusieurs financements qui, faute d’être régularisés, ont entraîné le 22 mai 2017 l’exigibilité de l’ensemble des concours consentis par le tour de table bancaire.
Le 18 janvier 2018, le tribunal de commerce de Bobigny a prononcé le redressement judiciaire des sociétés GIMAEX International et GIMAEX SAS. La société d’exercice libéral à responsabilité limitée FHB, prise en la personne de maître [T], et la société civile professionnelle [H] [J], prise en la personne de maître [H] [J], ont été désignées en qualité d’administrateurs judiciaires ; la société d’exercice libéral à forme anonyme MJA, prise en la personne de maître [W] [K], et la société d’exercice libéral à responsabilité limitée JSA, pris en la personne de maître [U] [Z], en qualité de mandataires judiciaires.
Le 22 mars 2018, le tour de table bancaire a déclaré ses créances :
‘ au passif de la société GIMAEX International pour 2 631 207,61 euros outre intérêts à échoir à titre privilégié et 30 163 659,80 euros outre intérêts à échoir à titre chirographaire;
‘ au passif de GIMAEX SAS pour 15 929 168,98 euros outre intérêts contractuels à échoir à titre privilégié et 11 281 440,08 euros à titre chirographaire.
Par jugements du 12 avril 2018, les actifs des sociétés du groupe GIMAEX ont été repris par le groupe Desautel en vertu d’un plan de cessions d’actifs.
[E] [S] et [O] [X], ainsi que les sociétés qu’ils contrôlent, ont alors formulé divers reproches aux membres du tour de table, estimant qu’ils auraient créé une société de fait avec eux, qu’ils auraient manqué à leur devoir de conseil vis-à-vis de GIMAEX et qu’ils auraient consenti aux sociétés du groupe GIMAEX des soutiens abusifs de crédit.
Le 28 janvier 2019, [O] [X], [E] [S], la société à responsabilité limitée Karvina, la société civile Auxa Patrimoine, la société à responsabilité limitée Maxmis et la société civile MMV La Louvière ont assigné la société anonyme BNP Paribas, la société anonyme Banque palatine, la société anonyme Crédit industriel et commercial, la société par actions simplifiée Banque européenne Crédit mutuel, la société anonyme BRED Banque populaire, la société anonyme Société générale et la société anonyme Crédit du Nord devant le tribunal de commerce de Paris.
Par jugement contradictoire en date du 6 mai 2021, le tribunal de commerce de Paris a :
‘ [S] hors de cause la société Banque européenne crédit mutuel et débouté [O] [X], [E] [S], la société Karvina, la société Auxa Patrimoine, la société Maxmis et la société MMV La Louvière de leurs demandes ;
‘ Condamné in solidum [O] [X], [E] [S], la société Karvina, la société Auxa Patrimoine, la société Maxmis et la société MMV La Louvière à payer à la Banque européenne Crédit mutuel la somme de 4 000 euros de dommages et intérêts pour procédure abusive ;
‘ Dit irrecevables en leur action [O] [X], [E] [S], la société Karvina, la société Auxa Patrimoine, la société Maxmis et la société MMV La Louvière à l’encontre des sociétés BNP Paribas, Banque palatine, Crédit industriel et commercial, BRED Banque populaire, Société générale et Crédit du Nord ;
‘ Condamné in solidum [O] [X], [E] [S], la société Karvina, la société Auxa Patrimoine, la société Maxmis et la société MMV La Louvière à payer aux sociétés BNP Paribas, Banque palatine, Crédit industriel et commercial, BRED Banque populaire, Société générale et Crédit du Nord la somme de 20 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
‘ Condamné in solidum [O] [X], [E] [S], la société Karvina, la société Auxa Patrimoine, la société Maxmis et la société MMV La Louvière à payer à la société Banque européenne crédit mutuel la somme de 3 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
‘ Débouté les parties de leurs demandes autres, plus amples ou contraires ;
‘ Ordonné l’exécution provisoire du présent jugement, en toutes ses dispositions, sans constitution de garantie.
Pour l’essentiel, le tribunal a écarté l’existence d’une société créée de fait entre les demandeurs et le tour de table bancaire, et a retenu la fin de non-recevoir tirée du défaut de qualité, seul le mandataire judiciaire ou le liquidateur judiciaire pouvant agir au nom et dans l’intérêt collectif des créanciers.
****
Par déclaration du 21 juin 2021, [E] [S], la société Karvina et la société Maxmis ont interjeté appel du jugement contre les sociétés BNP Paribas, Banque palatine, Crédit industriel et commercial, BRED Banque populaire, Société générale et Crédit du Nord.
Aux termes de leurs dernières conclusions déposées le 19 octobre 2022, [E] [S], la société à responsabilité limitée Karvina et la société à responsabilité limitée Maxmis demandent à la cour de :
– REFORMER partiellement le jugement du Tribunal de commerce de Paris en date du 6 mai 2021, c’est-à-dire en ce qu’il a :
– Dit irrecevables en leur action M. [O] [X], M. [E] [S], la SARL KARVINA, la SC AUXA PATRIMOINE, la SARL MAXIMIS et la SC MV LA LOUVIERE à l’encontre de SA BNP PARIBAS, SA BANQUE PALATINE, SA CREDIT INDUSTRIEL ET COMMERCIAL, SA BRED BANQUE POPULAIRE, SA SOCIETE GENERALE et SA CREDIT DU NORD ;
– Condamné in solidum M. [O] [X], M. [E] [S], la SARL KARVINA, la SC AUXA PATRIMOINE, la SARL MAXIMIS et la SC MV LA LOUVIERE aux dépens de l’instance, dont ceux à recouvrer par le greffe liquidés à la somme de 306,82 € dont
50,92 € de TVA ;
– Condamné in solidum M. [O] [X], M. [E] [S], la SARL KARVINA, la SC AUXA PATRIMOINE, la SARL MAXIMIS et la SC MV LA LOUVIERE à payer à SA BNP PARIBAS, SA BANQUE PALATINE, SA CREDIT INDUSTRIEL ET COMMERCIAL, SA BRED BANQUE POPULAIRE, SA SOCIETE GENERALE et SA CREDIT DU NORD la somme de 20.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
STATUANT A NOUVEAU
– JUGER M. [E] [S], la société KARVINA et la société MAXMIS recevables et bien fondés en leurs demandes ;
– JUGER qu’il existe entre les sociétés BNP PARIBAS, BANQUE PALATINE, CREDIT INDUSTRIEL ET COMMERCIAL, BRED BANQUE POPULAIRE, SOCIETE GENERALE, et CREDIT DU NORD et les actionnaires du groupe GIMAEX, une société créée de fait ;
– ORDONNER la nomination de tel expert qu’il plaira au Tribunal avec pour mission d’établir le compte exact des sommes dues par les sociétés BNP PARIBAS, BANQUE PALATINE, CREDIT INDUSTRIEL ET COMMERCIAL, BRED BANQUE POPULAIRE, SOCIETE GENERALE, et CREDIT DU NORD au titre de la restitution des sommes indûment versées par les actionnaires du groupe GIMAEX.
– CONDAMNER solidairement les sociétés BNP PARIBAS, BANQUE PALATINE, CREDIT INDUSTRIEL ET COMMERCIAL, BRED BANQUE POPULAIRE, SOCIETE GENERALE, et CREDIT DU NORD à réparer le préjudice de perte des chances subi par les demandeurs de vendre des actions dont la valeur était estimée, pour la société Karvina, entre 23 338 494,66 € et 34 570 580,20 €.
– ORDONNER la nomination de tel expert qu’il plaira au Tribunal avec pour mission d’établir le compte exact des sommes dues par les sociétés BNP PARIBAS, BANQUE PALATINE, CREDIT INDUSTRIEL ET COMMERCIAL, BRED BANQUE POPULAIRE, SOCIETE GENERALE, et CREDIT DU NORD au titre du préjudice résultant de la perte de chance de percevoir les dividendes, au regard du chiffre d’affaires réalisé par le groupe GIMAEX et des résultats qui ont été positifs durant de très nombreuses années
A titre subsidiaire (manquement des banques à leur obligation de conseil) :
– CONDAMNER les sociétés BNP PARIBAS, BANQUE PALATINE, CREDIT INDUSTRIEL ET COMMERCIAL, BRED BANQUE POPULAIRE, SOCIETE GENERALE, et CREDIT DU NORD à la réparation des préjudices personnels, directs et distincts de M. [S], KARVINA SARL tirés des manquements contractuels dont le montant exact sera déterminé par tel expert qu’il plaira à la Cour de nommer.
A titre infiniment subsidiaire (soutien abusif et immixtion des banques)
– CONDAMNER les sociétés BNP PARIBAS, BANQUE PALATINE, CREDIT INDUSTRIEL ET COMMERCIAL, BRED BANQUE POPULAIRE, SOCIETE GENERALE, et CREDIT DU NORD à réparer le préjudice de perte des chances subi par les demandeurs de vendre des actions dont la valeur était estimée, pour la société Karvina, entre 23 338 494,66 € et 34 570 580,20 €.
– CONDAMNER la BANQUE PALATINE à la réparation des préjudices personnels, directs et distincts de la société MAXMIS soit la somme de 1 149 000 € (à parfaire).
En tout état de cause,
-CONDAMNER solidairement les sociétés BNP PARIBAS, BANQUE PALATINE, CREDIT INDUSTRIEL ET COMMERCIAL, BRED BANQUE POPULAIRE, SOCIETE GENERALE, et CREDIT DU NORD à verser à Monsieur [E] [S] la somme de 50.000 euros, au titre de son préjudice moral ;
-CONDAMNER solidairement les sociétés BNP PARIBAS, BANQUE PALATINE, CREDIT INDUSTRIEL ET COMMERCIAL, BRED BANQUE POPULAIRE, SOCIETE GENERALE, et CREDIT DU NORD à verser à M. [E] [S], la société KARVINA et la société MAXMIS la somme de 15.000 euros chacun, en application des dispositions de l’article 700 du Code de procédure civile ;
-CONDAMNER les sociétés BNP PARIBAS, BANQUE PALATINE, CREDIT INDUSTRIEL ET COMMERCIAL, BRED BANQUE POPULAIRE, SOCIETE GENERALE, et CREDIT DU NORD aux entiers dépens.
Aux termes de leurs dernières conclusions déposées le 9 décembre 2022, BNP Paribas, Banque palatine, Crédit industriel et commercial, BRED Banque populaire, Société générale et Crédit du Nord demandent à la cour de :
CONFIRMER le jugement dont appel en toutes ses dispositions.
JUGER IRRECEVABLES et MAL FONDES les appelants en leurs moyens, fins et prétention et les en débouter,
CONDAMNER in solidum M. [E] [S], les sociétés KARVINA et MAXMIS à payer aux concluantes une somme de 30.000 € chacun au titre de l’article 700 du Code de procédure civile, ainsi qu’aux entiers dépens.
Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure, des moyens et des prétentions des parties, il est expressément renvoyé au jugement déféré et aux dernières conclusions écrites déposées en application de l’article 455 du code de procédure civile.
L’ordonnance de clôture a été rendue le 3 janvier 2023 et l’audience fixée au 13 février 2023.
CELA EXPOSÉ,
Sur la recevabilité des demandes :
Sur le défaut de qualité pour agir :
Aux termes de l’article 31 du code de procédure civile, l’action est ouverte à tous ceux qui ont un intérêt légitime au succès ou au rejet d’une prétention, sous réserve des cas dans lesquels la loi attribue le droit d’agir aux seules personnes qu’elle qualifie pour élever ou combattre une prétention, ou pour défendre un intérêt déterminé.
Aux termes de l’article 32 du même code, est irrecevable toute prétention émise par ou contre une personne dépourvue du droit d’agir.
Les intimées contestent la recevabilité des appelants en leurs demandes comme se heurtant au monopole des poursuites réservant au liquidateur la qualité pour agir dans l’intérêt collectif des créanciers.
Aux termes de l’article L. 622-20, alinéa premier, du code de commerce, le mandataire judiciaire désigné par le tribunal a seul qualité pour agir au nom et dans l’intérêt collectif des créanciers.
En vertu de l’article L. 641-4 du même code, le liquidateur peut introduire ou poursuivre les actions qui relèvent de la compétence du mandataire judiciaire. Le liquidateur exerce les missions dévolues à l’administrateur et au mandataire judiciaire par les articles L. 622-6, L. 622-20, L. 622-22, L. 622-23, L. 625-3, L. 625-4 et L. 625-8.
Il résulte de ces articles que le liquidateur a seul qualité pour agir au nom et dans l’intérêt collectif des créanciers, ces derniers ne pouvant agir individuellement en réparation de la fraction qui leur est personnelle du préjudice collectif subi par l’ensemble des créanciers.
À titre principal, les appelants invoquent l’existence d’une société créée de fait entre le tour de table bancaire et les actionnaires de la société GIMAEX International. Sur ce fondement, ils poursuivent :
‘ la restitution par les sociétés BNP Paribas, Banque palatine, Crédit industriel et commercial, BRED Banque populaire, Société générale et Crédit du Nord des sommes versées par les actionnaires de la société GIMAEX International par suite de l’exigibilité anticipée, prononcée le 22 mai 2017, des concours consentis au titre de la convention de prêt et de découverts conclue le 9 février 2011, au motif que ces concours doivent être requalifiés en apports en numéraire, lesquels ne sont pas restituables à tout moment;
‘ l’indemnisation de la perte de chance de vendre leurs actions de la société GIMAEX International, et de percevoir les dividendes.
À titre subsidiaire, les appelants reprochent aux banques intimées un manquement à leur obligation de conseil à l’égard de la société GIMAEX International à l’occasion du financement accordé à celle-ci. Sur un fondement délictuel, ils poursuivent :
‘ l’indemnisation de la perte de chance de ne pas souscrire d’engagements à titre personnel avec le tour de table bancaire via les pactes d’associés, et de s’orienter vers d’autres solutions de financement.
À titre infiniment subsidiaire, les appelants reprochent aux banques intimées un soutien abusif et une immixtion dans la gestion de la société GIMAEX International. Sur ce fondement, ils recherchent la responsabilité des banques et demandent :
‘ l’indemnisation de la perte de chance de vendre leurs actions de la société GIMAEX International ;
‘ la réparation du préjudice subi par la société Maxmis qui s’est vue contrainte de vendre à vil prix un actif immobilier.
En tout état de cause, [E] [S] demande l’indemnisation de son préjudice moral.
Il convient de distinguer entre les chefs de préjudice qui ne constituent qu’une fraction du préjudice collectif subi par l’ensemble des créanciers, et les chefs de préjudice dont la réparation est étrangère à la reconstitution du gage commun.
En demandant la restitution par les banques des sommes qu’elles auraient reçues par suite de l’exigibilité anticipée des concours consentis à la société GIMAEC International au titre de la convention de prêt et de découverts conclue le 9 février 2011, au motif que lesdits concours constitueraient des apports, les actionnaires de la société GIMAEC International entendent voir réparer le préjudice qui résulte de la diminution de l’actif du débiteur. Une telle action tend à la reconstitution du gage commun.
La perte de chance de percevoir les dividendes par les actionnaires de la société GIMAEC International ne s’analyse pas davantage en un préjudice personnel distinct du préjudice collectif subi par l’ensemble des créanciers de la liquidation judiciaire.
En revanche, la perte de chance de vendre ses actions est un préjudice personnel de la société Karvina découlant du pacte d’associés de GIMAEX International signé le 22 décembre 2010 et liant [E] [S] tant à titre personnel qu’en qualité de président et d’actionnaire majoritaire de la société Karvina.
Pareillement, la perte de chance de ne pas souscrire d’engagements à titre personnel via les pactes d’associés est un préjudice subi par les seuls signataires de ces pactes.
À l’inverse, la perte de chance de s’orienter vers d’autres solutions de financement est un préjudice propre aux sociétés du groupe GIMAEX à qui ledit financement a été octroyé par le tour de table. Sa réparation tend à la reconstitution du gage commun de leurs créanciers.
Le préjudice moral de [E] [S] lui est exclusivement personnel, de même que la perte financière subie par la société Maxmis en vendant son immeuble.
En définitive, les appelants sont irrecevables en leurs demandes de restitution des sommes versées aux intimées en remboursement des concours par elles consentis, et d’indemnisation de la perte de chance de percevoir les dividendes ou de s’orienter vers d’autres solutions de financement. Le jugement querellé sera confirmé en conséquence.
Les appelants ont toutefois qualité pour agir en réparation de :
‘ la perte de chance de vendre leurs actions ;
‘ la perte de chance de ne pas souscrire les engagements nés des pactes d’associés ;
‘ le préjudice moral de [E] [S] ;
‘ le préjudice de la société Maxmis.
Sur la prescription :
Les intimées opposent la prescription aux demandes fondées tant sur l’obligation d’information et de conseil des banques, que sur leur soutien abusif.
Aux termes de l’article 2224 du code civil, les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d’un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer. Il s’ensuit que la prescription d’une action en responsabilité court à compter de la réalisation du dommage ou de la date à laquelle il est révélé à la victime si celle-ci établit qu’elle n’en avait pas eu précédemment connaissance.
Le dommage consistant en la perte de la chance de ne pas contracter se manifeste dès la conclusion du contrat, à moins que l’emprunteur ne démontre qu’il pouvait, à cette date, légitimement ignorer ce dommage.
La perte de chance de ne pas souscrire les engagements stipulés par le pacte d’associés du 22 décembre 2010, en particulier l’engagement de conservation des actions, s’est ainsi manifesté dès cette date. Au regard de la nature du dommage invoqué, les appelants ne sont pas fondés à prétendre qu’il n’aurait été consolidé qu’à la date de liquidation des sociétés, le 12 avril 2018, pour reporter à cette date le point de départ de la prescription. L’action tendant à la réparation de ce chef de préjudice est prescrite pour avoir été introduite le 28 janvier 2019, au-delà du délai de cinq ans.
Par ailleurs, [E] [S] fait état d’un préjudice moral éprouvé depuis 2010 jusqu’à la liquidation judiciaire de la société GIMAEX International, survenue moins d’un an avant l’introduction de l’instance. Son action n’est pas prescrite de ce chef.
Enfin, le dommage dont se plaint la société Maxmis s’est manifesté lors de la vente de sa propriété de [Localité 15] le 2 octobre 2018 (pièce no 16 des appelants). L’appelante n’est pas prescrite en sa demande d’indemnisation.
En définitive, le jugement entrepris sera réformé pour partie, et les appelants seront déclarés recevables en leur demande infiniment subsidiaire de réparation du préjudice de la société Maxmis, ainsi qu’en leur demande de réparation du préjudice moral de [E] [S].
Sur les demandes d’expertise :
Les appelants étant irrecevables à demander la restitution des sommes versées aux intimées en remboursement des concours par elles consentis, comme à demander l’indemnisation de la perte de chance de percevoir les dividendes, il n’y a pas lieu de commettre un expert pour établir le compte des sommes réclamées à ce titre.
Sur la demande de la société Maxmis :
Aux termes de l’article L. 650-1, alinéa premier, du code de commerce, lorsqu’une procédure de sauvegarde, de redressement judiciaire ou de liquidation judiciaire est ouverte, les créanciers ne peuvent être tenus pour responsables des préjudices subis du fait des concours consentis, sauf les cas de fraude, d’immixtion caractérisée dans la gestion du débiteur ou si les garanties prises en contrepartie de ces concours sont disproportionnées à ceux-ci.
Faisant grief aux banques d’avoir accordé à la société GIMAEX International un soutien abusif et de s’être immiscées dans sa gestion, la société Maxmis les tient pour responsables des préjudices du fait des concours consentis. À ce titre, elle demande réparation du préjudice subi lors de la vente à vil prix d’une propriété sise à [Localité 15].
Les intimées contestent notamment l’imputabilité du préjudice allégué aux fautes qui leur sont reprochées.
Pour être réparable, le préjudice doit être personnel et direct (2e Civ., 24 oct. 2019, no 18-15.827).
La société Maxmis expose que :
‘ Elle est une filiale de la société à responsabilité limitée Karvina.
‘ La Banque palatine a souhaité succéder à BNP Paribas pour gérer les avoirs des époux [S] en gestion privée et notamment pour leur société Maxmis en accordant un prêt remboursable in fine et revolving et dont les seules garanties prises par les époux [S] étaient de rembourser le prêt dans l’hypothèse où le bien serait vendu, et si les actions GIMAEX étaient vendues.
‘ Dès la mise en place du mandat ad hoc exigé par le pool bancaire, dont la Banque palatine, cette dernière est devenue méfiante et a changé de comportement vis-à-vis de Karvina et de Maxmis. La Banque palatine a alors exigé la mise en place d’une hypothèque et formulé des menaces si le prêt n’était pas remboursé à l’échéance.
‘ En raison de la liquidation de GIMAEX International, résultant directement de la gestion induite par l’autoritarisme des banques, la Banque palatine a appelé les garanties hypothécaires puis a prononcé l’exigibilité anticipée des concours, ce qui a entraîné la vente d’un bien immobilier à vil prix pour rembourser le prêt.
La société Maxmis soutient ainsi qu’elle a subi un préjudice du fait des fautes commises par le tour de table bancaire, bien qu’elle ne soit pas actionnaire du groupe GIMAEC et n’ait déclaré aucun passif dans la procédure collective. Au regard des circonstances l’ayant conduite à céder son bien, elle ne caractérise toutefois pas de lien de causalité direct entre les concours consentis par les banques à la société GIMAEC International et la perte que la société Maxmis aurait subie lors de la vente de son immeuble. En l’absence de responsabilité démontrée des intimées dans le dommage allégué, la société Maxmis sera déboutée de sa demande.
Sur la demande de [E] [S] :
En tout état de cause, [E] [S] demande réparation du préjudice moral subi depuis 2010, consistant dans l’anxiété provoquée par les dysfonctionnements résultants de la structuration du financement autour du pool bancaire, et par l’ouverture de la faillite de son entreprise.
Aux termes de l’article 954, alinéa 3, du code de procédure civile, la cour ne statue que sur les prétentions énoncées au dispositif et n’examine les moyens au soutien de ces prétentions que s’ils sont invoqués dans la discussion.
En l’occurrence, l’appelant n’invoque dans sa discussion au soutien de sa prétention que le moyen pris du manquement des banques à leur obligation de conseil, de nature à engager à son égard leur responsabilité délictuelle.
La banque dispensatrice de crédit, qui n’a pas à s’immiscer dans les affaires de son client pour apprécier l’opportunité des opérations auxquelles il procède, n’est tenue, en cette seule qualité, non d’une obligation de conseil envers les emprunteurs, sauf si elle en a pris l’engagement, mais seulement d’une obligation d’information sur les caractéristiques du prêt qu’elle leur propose de souscrire afin de leur permettre de s’engager en toute connaissance de cause et, sous certaines conditions, d’une obligation de mise en garde (Com., 18 mai 2016, no 14-15.988).
Sauf disposition légale ou contractuelle contraire, la banque n’est pas tenue à une obligation de conseil à l’égard de son client et n’est susceptible d’engager sa responsabilité que dans le cas où elle lui a fourni un conseil inadapté à sa situation dont elle a connaissance (Com., 13 janv. 2015, no 13-25.856).
Ainsi, si le banquier prestataire de services d’investissement n’est pas, en cette seule qualité, tenu d’une obligation de conseil à l’égard de son client, il est tenu, lorsque, à la demande de celui-ci ou spontanément, il lui recommande un service ou un produit et lui prodigue ainsi un conseil, de le faire avec pertinence, prudence et loyauté, en s’enquérant de ses connaissances, de son expérience en matière d’investissement, ainsi que de sa situation financière et de ses objectifs, afin que l’instrument financier conseillé soit adapté (Com., 20 juin 2018, no 17-11.473).
[E] [S], qui par ailleurs ne reproche pas aux intimées un défaut d’information ni de mise en garde, fait valoir que les banques membres du tour de table ont manqué à l’obligation de conseil qui leur incombe à l’égard du groupe GIMAEX et sont à ce titre responsables des pertes subies du fait de l’inadéquation des solutions de financement proposées au projet et aux objectifs.
Il n’est pas établi en l’espèce que les banques intimées se soient engagées à conseiller la société GIMAEX International dans le choix de ses financements, alors que le groupe GIMAEX était conseillé et assisté, lors de son augmentation de capital et de la constitution du second tour de table bancaire, par un cabinet d’avocats (pièces nos 5 et 6 des intimées).
Les critiques de [E] [S] portent sur l’inadéquation au cycle de production des sociétés du groupe GIMAEX, du financement consenti par les intimées : tour de table bancaire au lieu de lignes bilatérales de financement, sous-évaluation de l’encours maximal, émission de cautions de restitution d’acomptes pour des contrats non financés, refus de financer un contrat alors que des pénalités de retard étaient pendantes, exigence de la contre-garantie de la COFACE, suppression des crédits de campagne. [E] [S] dénonce ainsi le comportement du tour de table, dont il a été contraint de subir les agissements du fait des engagements pris dans le pacte d’associés. En reprochant aux banques d’avoir imposé au groupe GIMAEX des conditions de financement de nature à entraver le développement de l’entreprise, l’appelant ne dénonce pas la fourniture de conseils inadaptés que la société GIMAEX International aurait été libre de suivre, mais l’imposition de conditions de financement auxquelles ladite société n’était pas en mesure de se soustraire. Dans ces circonstances, aucun défaut de conseil, ni conseil fautif n’étant caractérisé, [E] [S] sera débouté de sa demande.
Sur les dépens et les frais irrépétibles :
Aux termes de l’article 696, alinéa premier, du code de procédure civile, la partie perdante est condamnée aux dépens, à moins que le juge, par décision motivée, n’en mette la totalité ou une fraction à la charge d’une autre partie. Les appelants en supporteront donc la charge.
En application de l’article 700 du code de procédure civile, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou qui perd son procès à payer :
1o À l’autre partie la somme qu’il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens ;
2o Et, le cas échéant, à l’avocat du bénéficiaire de l’aide juridictionnelle partielle ou totale une somme au titre des honoraires et frais, non compris dans les dépens, que le bénéficiaire de l’aide aurait exposés s’il n’avait pas eu cette aide. Dans ce cas, il est procédé comme il est dit aux alinéas 3 et 4 de l’article 37 de la loi no 91-647 du 10 juillet 1991 .
Dans tous les cas, le juge tient compte de l’équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d’office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu’il n’y a pas lieu à ces condamnations.
Les parties peuvent produire les justificatifs des sommes qu’elles demandent.
La somme allouée au titre du secundo ne peut être inférieure à la part contributive de l’État majorée de 50 %.
Sur ce fondement, [E] [S], la société Karvina et la société Maxmis seront condamnés in solidum à payer aux intimées la somme de 15 000 euros au titre des frais irrépétibles.
LA COUR,
PAR CES MOTIFS,
INFIRME PARTIELLEMENT le jugement en ce qu’il dit irrecevables en leur action [E] [S] et la société Maximis à l’encontre des sociétés BNP Paribas, Banque palatine, Crédit industriel et commercial, BRED Banque populaire, Société générale et Crédit du Nord ;
Statuant à nouveau dans cette limite,
DÉCLARE [E] [S] recevable en sa demande de condamner solidairement les sociétés BNP Paribas, Banque palatine, Crédit industriel et commercial, BRED Banque populaire, Société générale, et Crédit du Nord à verser à [E] [S] la somme de 50 000 euros, au titre de son préjudice moral ;
DÉCLARE la société Maxmis recevable en sa demande de condamner la Banque palatine à la réparation des préjudices personnels, directs et distincts de la société Maxmis soit la somme de 1 149 000 euros (à parfaire) ;
CONFIRME le jugement en ce qu’il dit [E] [S], la société Karvina et la société Maxmis irrecevables en leurs demandes de :
‘ Condamner solidairement les sociétés BNP Paribas, Banque palatine, Crédit industriel et commercial, BRED Banque populaire, Société générale, et Crédit du Nord à réparer le préjudice de perte des chances subi par les demandeurs de vendre des actions dont la valeur était estimée, pour la société Karvina, entre 23 338 494,66 euros et 34 570 580,20 euros ;
‘ À titre subsidiaire (manquement des banques à leur obligation de conseil) : condamner les sociétés BNP Paribas, Banque palatine, Crédit industriel et commercial, BRED Banque populaire, Société générale, et Crédit du Nord à la réparation des préjudices personnels, directs et distincts de [E] [S], la société Karvina tirés des manquements contractuels dont le montant exact sera déterminé par tel expert qu’il plaira à la cour de nommer ;
‘ À titre infiniment subsidiaire (soutien abusif et immixtion des banques) : condamner les sociétés BNP Paribas, Banque palatine, Crédit industriel et commercial, BRED Banque populaire, Société générale, et Crédit du Nord à réparer le préjudice de perte des chances subi par les demandeurs de vendre des actions dont la valeur était estimée, pour la société Karvina, entre 23 338 494,66 euros et 34 570 580,20 euros ;
DIT n’y avoir lieu à expertise ;
DÉBOUTE [E] [S] de sa demande de condamner solidairement les sociétés BNP Paribas, Banque palatine, Crédit industriel et commercial, BRED Banque populaire, Société générale, et Crédit du Nord à verser à [E] [S] la somme de 50 000 euros, au titre de son préjudice moral ;
DÉBOUTE la société Maxmis de sa demande de condamner la Banque palatine à la réparation des préjudices personnels, directs et distincts de la société Maxmis soit la somme de 1 149 000 euros (à parfaire) ;
CONFIRME toutes les autres dispositions non contraires ;
Y ajoutant,
CONDAMNE in solidum [E] [S], la société Karvina et la société Maxmis à payer aux sociétés BNP Paribas, Banque palatine, Crédit industriel et commercial, BRED Banque populaire, Société générale et Crédit du Nord, ensemble, la somme de 15 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;
CONDAMNE in solidum [E] [S], la société Karvina et la société Maxmis aux dépens;
REJETTE toute autre demande plus ample ou contraire.
LE PRÉSIDENT LE GREFFIER