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ARRET N°
N° RG 22/00258
N°Portalis DBWA-V-B7G-CKNN
Mme [I] [E] épouse [S]
C/
M. [U] [X]
M [W] [N]
M. [Y] [B]
Mme [V] [J]
CAISSE FEDERALE DE CREDIT MUTUEL ANTILLES GUYANE
M. [T] [J]
M.[Z] [F]
COUR D’APPEL DE FORT DE FRANCE
CHAMBRE CIVILE
ARRET DU 30 MAI 2023
Décision déférée à la cour : Jugement du Tribunal Mixte de Commerce de Fort de France, du 04 Septembre 2012, après cassation de l’arrêt rendu le 15 décembre 2015 par la cour d’appel de Fort-de-France, par la Cour de Cassation en date du 13 décembre 2017, et après cassation de l’arrêt rendu le 28 octobre 2019 par la cour d’appel de Basse-Terre, par la Cour de Cassation du 19 janvier 2022 enregistré sous le n° 35 F – D ;
APPELANTE :
Madame [I] [E] épouse [S]
[Adresse 3]
[Localité 10]
Représentée par Me Alexandra CHALVIN, avocat postulant, au barreau de MARTINIQUE
Me Albert LABOUNE, avocat plaidant, au barreau de PARIS
INTIMES :
Monsieur [U] [X]
[Adresse 8]
[Localité 12]
Représenté par Me Gladys RANLIN de la SELARL RANLIN & ASSOCIES, avocat au barreau de MARTINIQUE
Monsieur [W] [N]
[Adresse 7]
[Localité 13]
Représenté par Me Carole FIDANZA, avocat au barreau de MARTINIQUE
Monsieur [Y] [B]
[Adresse 5]
[Localité 9]
Représenté par Me Carole FIDANZA, avocat au barreau de MARTINIQUE
Madame [V] [J]
[Adresse 1]
[Localité 15]
Représentée par Me Alban-Kévin AUTEVILLE de la SELAS ALLIAGE SOCIETE D’AVOCAT, avocat au barreau de MARTINIQUE
CAISSE FEDERALE DE CREDIT MUTUEL ANTILLES GUYANE, prise en la personne de son président
[Adresse 17]
[Localité 14]
Représentée par Me Jean François MARCET, avocat au barreau de MARTINIQUE
Monsieur [Z] [F]
[Adresse 11]
[Localité 14]
Non représenté
Monsieur [M] [D]
C/°TRAPARINTER
[Adresse 16]
[Adresse 16]
[Localité 14]
Non représenté
Monsieur [T] [J]
décédé
COMPOSITION DE LA COUR :
L’affaire a été débattue à l’audience publique du 24 Mars 2023 sur le rapport de Monsieur Thierry PLUMENAIL, devant la cour composée de :
Présidente : Mme Nathalie RAMAGE, Présidente de Chambre
Assesseur : Mme Claire DONNIZAUX, Conseillère
Assesseur : M. Thierry PLUMENAIL, Conseiller
qui en ont délibéré.
Greffière, lors des débats : Mme Béatrice PIERRE-GABRIEL,
Les parties ont été avisées, dans les conditions prévues à l’article 450 du code de procédure civile, de la date du prononcé de l’arrêt fixée au 30 Mai 2023 ;
ARRÊT : Par défaut
Prononcé publiquement par mise à disposition au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l’alinéa 2 de l’article 450 du code de procédure civile.
EXPOSE DU LITIGE
La société Distrigel, créée en 2007, a ouvert le 25 septembre 2007 un compte courant dans les livres de la caisse fédérale de crédit mutuel Antilles-Guyane. La facilité de caisse de 150.000 euros qui lui a été accordée à ce titre a été garantie par le cautionnement solidaire de ses associés, MM. [T] et [O] [J], [N], [B], [F], [X] et [D], à hauteur de 36.000 euros chacun. Seule Mme [E], également associée, ne s’est pas portée caution de cet engagement.
Le 9 mars 2009, la société Distrigel a sollicité auprès du crédit mutuel un prêt professionnel de 850.000 euros, se substituant au financement initialement prévu, et garanti par le cautionnement solidaire de l’ensemble des associés à hauteur de 240.000 euros chacun.
Une procédure de redressement judiciaire a été ouverte à l’encontre de la société Distrigel par jugement du tribunal mixte de commerce de Fort-de-France le 6 octobre 2009. La société a ensuite fait l’objet d’une liquidation judiciaire par jugement du 2 mars 2010.
Après avoir déclaré sa créance au passif, le Crédit Mutuel a assigné les cautions devant le tribunal mixte de commerce de Fort-de-France le 9 septembre 2010 afin d’obtenir le règlement des sommes dues par la société Distrigel.
Par jugement du 4 septembre 2012, le tribunal mixte de commerce de Fort-de-France a :
– déclaré la demande de la caisse fédérale de crédit mutuel Antilles-Guyane recevable,
– condamné [O] [J], [T] [J], [W] [N], [U] [X], [M] [D], [Z] [F] et [Y] [B] à payer à la caisse fédérale de crédit mutuel Antilles-Guyane au titre du compte courant et dans la limite de 150.304,10 euros sous réserve des intérêts conventionnels à compter du 6 octobre 2009, chacun la somme de 36.000 euros au titre de leur engagement de caution,
– condamné [O] [J], [T] [J], [W] [N], [U] [X], [M] [D], [Z] [F], [Y] [B] et Mme [I] [E] à payer à la caisse fédérale de crédit mutuel Antilles-Guyane au titre du prêt personnel et dans la limite de 1.055.937,03 euros sous réserve des intérêts conventionnels à compter du 6 octobre 2009, chacun la somme de 240.000 euros au titre de leur engagement de caution,
– ordonné l’exécution provisoire,
– débouté les parties du surplus de leurs demandes,
– condamné solidairement [O] [J], [T] [J], [W] [N], [U] [X], [M] [D], [Z] [F], [Y] [B] et Mme [I] [E] à payer à la caisse fédérale de crédit mutuel Antilles-Guyane la somme de 2.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’aux dépens.
[O] [J] étant décédé le [Date décès 4] 2014, la signification a été faite à ses héritiers [V] et [T] [J], qui était également partie à titre personnel.
Par arrêt du 15 décembre 2015, la cour d’appel de Fort-de-France a confirmé, en toutes ses dispositions, le jugement entrepris. Y ajoutant, elle a condamné [O] [J], [T] [J], [W] [N], [U] [X], [M] [D], [Z] [F], [Y] [B] et Mme [I] [E] à payer à la caisse fédérale de crédit mutuel Antilles-Guyane la somme de 3.500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’aux dépens.
Par arrêt du 13 décembre 2017, la Cour de cassation a cassé et annulé l’arrêt précité mais seulement en ce que, confirmant le jugement, il a rejeté la demande de Mme [E] tendant à la déchéance des intérêts conventionnels et l’a condamnée à payer à la Caisse Fédérale de Crédit Mutuel Antilles-Guyane, au titre du prêt personnel et dans la limite de 1.055.937,03 euros sous réserve des intérêts conventionnels à compter du 6 octobre 2009 […] la somme de 240.000 euros. L’affaire a été renvoyée devant la cour d’appel de Basse-Terre.
[T] [J] est décédé le [Date décès 6] 2018.
Par arrêt rendu le 28 octobre 2019, la cour d’appel de Basse-Terre a statué comme suit :
– Déclare irrecevables les demandes de MM. [W] [N], [U] [X], [M] [D], [Y] [B] et de Mme [I] [E] tendant à voir prononcer la nullité de leurs engagements de caution ou à voir reconnaître la responsabilité de la banque, ainsi que les demandes indemnitaires formées à ce titre,
– Déclare irrecevables les demandes de MM. [W] [N], [U] [X] et [Y] [B] tendant à obtenir le bénéfice de la déchéance du droit aux intérêts conventionnels et à voir réformer le montant des condamnations prononcées à leur encontre,
– Infirme le jugement déféré en ce qu’il a rejeté la demande de Mme [I] [E] tendant à la déchéance des intérêts conventionnels et l’a condamnée à payer à la caisse fédérale de Crédit Mutuel Antilles-Guyane, au titre du prêt et dans la limite de la somme de 1.055.937,03 euros, sous réserve des intérêts conventionnels à compter du 6 octobre 2009, la somme de 240.000 euros ;
Statuant à nouveau,
– Dit que la Caisse Fédérale de Crédit Mutuel Antilles-Guyane est déchue du droit aux intérêts échus depuis l’origine du prêt, conformément aux dispositions de l’article L.313-22 du code monétaire et financier,
– Condamne Mme [I] [E], solidairement avec [O] [J], [T] [J], [W] [N], [U] [X], [M] [D], [Z] [F] et [Y] [B], à payer à la Caisse Fédérale de Crédit Mutuel Antilles-Guyane au titre du prêt personnel et dans la limite de la somme de 891.736,96 euros arrêtée au 6 octobre 2009, sous réserve des intérêts au taux légal à compter du 9 septembre 2010, la somme de 240.000 euros au titre de son engagement de caution,
– Dit que chaque partie conservera la charge de ses propres frais et dépens,
– Déboute en conséquence les parties de toutes leurs demandes au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
Par arrêt rendu le 19 janvier 2022, la Cour de cassation a rejeté le pourvoi n° V 20.15-186, a cassé et annulé, en toutes ses dispositions, l’arrêt rendu le 28 octobre 2019, entre les parties, par la cour d’appel de Basse-Terre, a remis l’affaire et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les a renvoyées devant la cour d’appel de Fort-de-France.
Mme [E] a régularisé sa déclaration de saisine le 29 juin 2022.
La Caisse Fédérale de Crédit Mutuel Antilles-Guyane ainsi que Mme [J], MM. [B], [N] et [X] ont régularisé leurs constitutions d’intimés.
M. [F] et M; [D] n’ont pas constitué avocat devant la cour d’appel de renvoi de Fort-de-France. L’assignation devant la cour d’appel de Fort-de-France contenant les conclusions de Mme [E] a fait l’objet d’un dépôt à l’étude d’huissier le 29 août 2022.
M. [D], défaillant suite au renvoi devant la cour d’appel de Fort-de-France, a comparu devant la cour d’appel de Basse-Terre dont l’arrêt a été cassé.
PRETENTIONS ET MOYENS DES PARTIES
Dans ses conclusions d’appel n° 3 en date du 16 mars 2023, Mme [I] [E] épouse [S] demande à la cour d’appel :
– d’infirmer, concernant Mme [E], le jugement déféré dans toutes ses dispositions,
et statuant à nouveau, de :
– constater l’illicéité de l’acte de prêt, le dol de la banque, ses atteintes aux obligations de loyauté, d’information et de mise en garde,
– prononcer la nullité de l’acte de caution signé par Mme [E],
– dire le Crédit Mutuel déchu des intérêts contractuels à l’égard de la caution,
– condamner le Crédit Mutuel à lui payer la somme de 138.643 euros au titre du préjudice matériel subi,
– condamner le Crédit Mutuel à lui payer la somme de 100.000 euros au titre du préjudice moral subi,
– condamner le Crédit Mutuel à lui payer la somme de 100.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
A titre subsidiaire:
– dire le Crédit Mutuel déchu du droit aux intérêts et de le débouter de ses demandes au titre des intérêts,
– dire que la condamnation de chaque caution au paiement de la somme de 240.000 euros au titre du prêt sera dans la limite de la somme de 891.736,96 euros arrêtée au 6 octobre 2009 divisée par 8, soit 111.467,12 euros,
– condamner le Crédit Mutuel aux dépens.
Mme [I] [E] épouse [S] expose que le fait qu’elle soit associée au sein de la société Distrigel ne permet pas de présumer qu’elle soit une caution avertie.
Elle fait valoir que les deux sociétés Devexport et Socofep ont pour activité le commerce international de gros interindustriel, laquelle n’a rien en commun avec les métiers exercés par les sociétés Distrigel et Karugel. Elle explique qu’elle ignorait tout du marché guadeloupéen de produits surgelés et des financements en défiscalisation. Mme [I] [E] épouse [S] indique également que, résidant en métropole et détentrice d’une part dérisoire du capital (8%), elle n’avait pas les moyens ni le pouvoir de connaître l’état de la situation fortement compromise de la société au moment de la signature de l’acte de cautionnement intervenue le 17 février 2009, et ce d’autant que l’information sur les difficultés de la société Distrigel ne lui a été communiquée par M. [G], expert-comptable, que le 24 février 2009 puis lors de la publication du bilan-comptable en mai 2009. Elle ajoute que, en sa qualité de teneur des comptes des sociétés Karugel et Distrigel, la banque savait que le dépôt de bilan était inéluctable. Elle précise qu’aucune des assemblées générales n’a donné d’information sur la situation réelle des entreprises.
Par ailleurs, Mme [E] épouse [S] prétend que son consentement a été vicié, la banque usant de procédés déloyaux à son égard et n’alertant pas la caution sur les risques d’endettement. Elle fait valoir que la banque a sciemment aggravé la situation de la société Distrigel en lui faisant souscrire un contrat de prêt professionnel contraire à son intérêt. Mme [E] épouse [S] indique également que la banque n’a pas respecté la condition de fusion prévue préalablement à l’octroi du prêt à la sociét Distrigel, celle-ci n’ayant jamais été réalisée. Elle ajoute que la banque devait se livrer, en bon professsionnel, à l’analyse des documents comptables de l’entreprise financée. Elle précise que l’octroi des crédits a reposé exclusivement sur les garanties des cautions au mépris de toute finalité économique du projet.
Dans ses conclusions n° 2 en date du 24 février 2023, la Caisse Fédérale de Crédit Mutuel Antilles-Guyane – Caisse de Crédit Mutuel demande à la cour de :
– prononcer la caducité de la déclaration de saisine,
– débouter Mme [I] [E] épouse [S], Mme [V] [J], MM. [U] [X], [Y] [B] et [W] [N] de toutes leurs demandes, fins et prétentions,
– confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions, notamment en ce qu’il :
– condamne à payer à la Caisse Fédérale de Crédit Mutuel Antilles-Guyane – Caisse de Crédit Mutuel au titre du compte et dans la limite de 150.204,10 euros sous réserve des intérêts conventionnels à compter du 6 octobre 2009 et, subsidiairement, dans la limite de 134.933,74 euros sous réserve des intérêts légaux à compter du 14 juin 2010 :
– M. [O] [J] la somme de 36.000 euros,
– M. [T] [J] la somme de 36.000 euros,
– M. [W] [N] la somme de 36.000 euros,
– M. [U] [X] la somme de 36.000 euros,
– M. [M] [D] la somme de 36.000 euros,
– M. [Z] [F] la somme de 36.000 euros,
– M. [Y] [B] la somme de 36.000 euros,
– condamne à payer à la Caisse Fédérale de Crédit Mutuel Antilles-Guyane – Caisse de Crédit Mutuel au titre du prêt et dans la limite de 1.055.937,03 euros sous réserve des intérêts à 7% à compter du 6 octobre 2009 et, subsidiairement, dans la limite de 891.736,96 euros, sous réserve des intérêts légaux à compter du 14 juin 2010 :
– M. [O] [J] la somme de 240.000 euros,
– M. [T] [J] la somme de 240.000 euros,
– M. [W] [N] la somme de 240.000 euros,
– M. [U] [X] la somme de 240.000 euros,
– M. [M] [D] la somme de 240.000 euros,
– M. [Z] [F] la somme de 240.000 euros,
– M. [Y] [B] la somme de 240.000 euros,
– Mme [I] [E] épouse [S] la somme de 240.000 euros,
– condamne MM.[O] [J], [T] [J], [W] [N], [U] [X], [M] [D], [Z] [F], [Y] [B] et Mme [I] [E] épouse [S] à payer, chacun, à la Caisse Fédérale de Crédit Mutuel Antilles-Guyane – Caisse de Crédit Mutuel la somme de 2.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’aux dépens,
– dire que les sommes dues par M. [O] [J], décédé le [Date décès 4] 2014, seront dues par M. [T] [J] et Mme [V] [J],
Y ajoutant :
– en tout état, condamner Mme [I] [E] épouse [S], Mme [V] [J], MM. [U] [X], [Y] [B] et [W] [N] à payer à la Caisse Fédérale de Crédit Mutuel Antilles-Guyane – Caisse de Crédit Mutuel la somme de 10.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’aux dépens.
La Caisse Fédérale de Crédit Mutuel Antilles-Guyane – Caisse de Crédit Mutuel prétend que la déclaration de saisine de Mme [I] [E] épuse [S] est caduque, ne justifiant pas avoir signifié ses conclusions de motivation aux intimés défaillants. Elle fait valoir également que les prétentions de Mme [V] [J] et de MM. [Y] [B], [W] [N] et [U] [X] sont irrecevables et infondées. Elle ajoute que Mme [V] [J] ne justifie pas avoir renoncé à la succession, selon les conditions de l’article 804 du code civil.
Par ailleurs, la Caisse Fédérale de Crédit Mutuel Antilles-Guyane – Caisse de Crédit Mutuel expose que, dans le cadre du redressement judiciaire et de la liquidation judiciaire de la SARL Distrigel, elle a déclaré sa créance au titre du prêt à hauteur de 1.095.024,36 euros dont 891.736,96 euros au 06 octobre 2009 et 203.287,40 euros d’intérêts postérieurs sur le fondement de l’article L. 622-28 du code de commerce.
Elle indique également que les cautions étaient toutes averties de la situation des sociétés Distrigel et Karugel en tant qu’associés à l’origine du projet d’exploitation qui a motivé l’octroi des concours bancaires, conseillés en cela par un expert-comptable. Elle explique qu’il n’est nullement établi que l’établissement bancaire ait dissimulé les difficultés économiques de la société emprunteuse aux cautions. La Caisse Fédérale de Crédit Mutuel Antilles-Guyane – Caisse de Crédit Mutuel précise que Me [L], désigné le 05 juin 2009 en qualité de mandataire ad’hoc, avait relevé de sérieuses perspectives de redressement malgré l’absence de défiscalisation. Elle précise que Mme [E], directrice générale de la société Devexport, était une caution avertie et avait une parfaite connaissance de la situation de la société Distrigel.
Dans des conclusions n° 1 sur renvoi après cassation en date du 24 octobre 2022, MM. [Y] [B] et [W] [N] demandent à la cour :
– d’infirmer le jugement rendu par le tribunal mixte de commerce de Fort-de-France le 4 septembre 2012 en ce qu’il a condamné les concluants aux intérêts conventionnels et les a condamnés solidairement aux dits intérêts dans la limite de leur cautionnement, ainsi qu’à la somme de 2.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens,
Statuant à nouveau, de :
– débouter la Caisse Fédérale de Crédit Mutuel Antilles-Guyane faute d’avoir respecté les termes de l’article L.313-22 du code monétaire et financier, de toute demande d’intérêt conventionnel à l’encontre de MM. [Y] [B] et [W] [N],
– condamner la Caisse Fédérale de Crédit Mutuel Antilles-Guyane ès qualités de banquier prêteur ayant manqué à son obligation de mise en garde lors de l’établissement des contrats de cautionnement, à payer tant à M. [B] qu’à M. [N] la somme de 276.000 euros à titre de dommages et intérêts sur le fondement de l’article 1147 ancien du code de procédure civile,
– ordonner la compensation des condamnations à intervenir entre la Caisse Fédérale de Crédit Mutuel Antilles-Guyane d’une part et MM. [Y] [B] et [W] [N] d’autre part,
– condamner la Caisse Fédérale de Crédit Mutuel Antilles-Guyane à leur payer à chacun la somme de 5.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’aux entiers dépens.
MM. [B] et [P] exposent qu’ils sont recevables sur le fondement des article 564,567 et 632 du code de procédure civile, à opposer à la Caisse Fédérale de Crédit Mutuel Antilles-Guyane la déchéance des intérêts conventionnels dès lors qu’elle a pour objet de faire écarter la prétention adverse consistant à demander la confirmation du jugement sur les sommes en principal assorties des intérêts au taux conventionnel. Ils font valoir que toutes les lettres d’information adressées par la banque sont toutes postérieures au 31 mars, alors que l’information doit parvenir avant le 31 mars de chaque année en application de l’article L. 313-22 du code monétaire et financier.
Par ailleurs, MM. [B] et [P] exposent qu’ils n’ont pas été alertés par la banque quant à leurs capacités financières et aux risques d’endettement pouvant naître de l’octroi d’un prêt ou d’un concours financier et qu’ils n’avaient pas la qualité de cautions averties, alors que l’opération financée par la Caisse Fédérale de Crédit Mutuel Antilles-Guyane et dans laquelle étaient engagées deux sociétés juridiquement distinctes était particulièrement complexe. Ils indiquent également que la banque se doit de démontrer qu’elle l’a mis en oeuvre auprès des intimés. MM. [B] et [P] ajoutent que le prêt consenti par la banque était inadapté aux capacités financières de la débitrice principale.
Dans ses conclusions d’intimé n° 1 en date du 27 octobre 2022, M. [U] [X] demande à la cour :
– d’infirmer le jugement entrepris par le tribunal mixte de commerce de Fort-de-France en date du 04 septembre 2012,
– d’infirmer le jugement déféré en ce qu’il condamne M. [X] à payer à la Caisse Fédérale de Crédit Mutuel Antilles-Guyane au titre du compte courant et dans la limite de 150.304,10 euros sous réserve des intérêts conventionnels à compter du 6 octobre 2009, chacun la somme de 36.000 euros au titre de leur engagement de caution,
– d’infirmer le jugement déféré en ce qu’il condamne M. [U] [X] à payer à la Caisse Fédérale de Crédit Mutuel Antilles-Guyane au titre du prêt personnel et dans la limite de 1.055.937,03 euros sous réserve des intérêts conventionnels à compter du 6 octobre 2009, chacun la somme de 240.000 euros au titre de leur engagement de caution,
Et statuant de nouveau, de :
– débouter la Caisse Fédérale de Crédit Mutuel Antilles-Guyane de l’ensemble de ses demandes, fins et conclusions,
– juger que la Caisse Fédérale de Crédit Mutuel Antilles-Guyane a octroyé des concours non conformes aux intérêts de la débitrice principale,
– juger qu’au surplus la Caisse Fédérale de Crédit Mutuel Antilles-Guyane a failli dans son obligation de bonne foi dans les relations contractuelles,
– juger nuls et de nul effet les engagements de cautionnement recueillis au préjudice de M. [X] pour couvrir les concours dispensé dans ces conditions,
– juger disproportionnés les engagements de cautionnement recueillis au préjudice de M. [U] [X],
– juger qu’il convient de l’en décharger purement et simplement ;
Subsidiairement :
– constater que le Crédit Mutuel n’a pas mis en oeuvre son obligation d’information aux cautions et, en conséquence, infirmer le jugement déféré en ce qu’il le condamne au paiement des intérêts sur les deux engagements de caution,
– juger que le Crédit Mutuel est déchu du droit aux intérêts et le débouter de l’ensemble des demandes qui y sont attachées ;
En tout état de cause :
– condamner le Crédit Mutuel à lui verser la somme de 5.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’aux entiers dépens.
M.[U] [X] expose que la banque, qui était informée des difficultés financières de la société Karugel et de la société Distrigel, n’avait pour objectif que de rétablir ses garanties en sollicitant l’engagement des associés des deux sociétés susvisés en qualité de caution. Il fait valoir également que la banque a dispensé ces crédits sans rapport réel avec les besoins d’une entreprise, non parce qu’elle croyait le projet viable, mais parce qu’elle savait pouvoir recueillir des garanties fussent-elles disproportionnées.
M. [U] [X] expose que, au moment de son engagement de caution, il ne disposait pas de patrimoine personnel et déclarait des revenus d’un montant de 26.325 euros. Il prétend que l’acte de cautionnement, qui est un engagement personnel, a été analysé, non à l’aune de la situation personnelle de celui qui l’a souscrit, mais sur la foi d’une analyse globale, et ce faisant d’une présomption globale de proportion des engaements.
Dans ses conclusions n° 3 en date du 1er mars 2023, Mme [V] [J] demande à la cour d’appel d’infirmer en toutes ses dispositions le jugement rendu le 04 septembre 2012 par le tribunal mixte de commerce de Fort-de-France pour ce qui concerne Mme [V] [J] et statuant à nouveau,de :
– dire la Caisse Fédérale de Crédit Mutuel Antilles-Guyane irrecevable en ses demandes dirigées contre Mme [V] [J], laquelle n’a ni la qualité de caution personnelle de la société Distrigel, ni celle d’héritière de monsieur [O] [J],
– condamner la Caisse Fédérale de Crédit Mutuel Antilles-Guyane à payer à Mme [V] [J] la somme de 7.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
– condamner la Caisse Fédérale de Crédit Mutuel Antilles-Guyane aux entiers dépens.
Mme [V] [J] expose que la cassation replaçant les parties dans l’état où elles se trouvaient avant le jugement cassé, la cour d’appel de renvoi est appelée à rejuger en fait et en droit l’intégralité de l’affaire qui lui est soumise, ce qui implique d’examiner l’ensemble des moyens développés par les parties. Mme [V] [J] fait valoir que la succession de M. [O] [J], décédé le [Date décès 2] 2014 est demeurée vacante puisque, à sa connaissance aucun héritier n’a réclamé la succession du défunt. Elle indique également que, faute pour l’intimée d’avoir opté dans les quatre mois suivant l’ouverture de la succession, la Caisse Fédérale de Crédit Mutuel Antilles-Guyane aurait pu faire application des dispositions de l’article 771 du code civil pour la contraindre à opter. Mme [V] [J] ajoute que, n’ayant pas la qualité d’héritière d’ [O] [J], elle ne saurait valablement être mise en cause dans le cadre de la présente instance par la Caisse Fédérale de Crédit Mutuel Antilles-Guyane puisqu’elle est totalement tierce au litige.
En application de l’article 455 du code de procédure civile, il convient de se reporter aux dernières conclusions de chacune des parties pour un exposé détaillé de leurs prétentions et moyens.
L’affaire a été plaidée le 24 mars 2023. La décision a été mise en délibéré au 30 mai 2023.
MOTIFS DE L’ARRET
Sur la portée de la saisine de la cour d’appel.
Selon l’article 623 du code de procédure civile, la cassation peut être totale ou partielle. Elle est partielle lorsqu’elle n’atteint que certains chefs dissociables des autres. L’article 624 précise que la portée de la cassation est déterminée par le dispositif de l’arrêt qui le prononce. Elle s’étend également à l’ensemble des dispositions du jugement cassé ayant un lien d’indivisibilité ou de dépendance nécessaire.
Selon l’article 625 alinéa 1er du code de procédure civile, sur les points qu’elle atteint, la cassation replace les parties dans l’état dans lequel elles se trouvaient avant le jugement cassé.
Le dispositif de l’arrêt de cassation du 19 janvier 2022 est un arrêt de cassation totale précisant que l’affaire et les parties ont été remises dans l’état où elles se trouvaient avant cet arrêt, soit à la date du prononcé de l’arrêt de la Cour de cassation du 13 décembre 2017.
Le dispositif de l’arrêt de cassation du 13 décembre 2017 est un arrêt de cassation partielle précisant son objet limité aux chefs de l’arrêt du 15 décembre 2015 ayant rejeté la demande de Mme [E] tendant à la déchéance des intérêts conventionnels et l’a condamnée à payer à la Caisse Fédérale de Crédit Mutuel Antilles-Guyane, au titre du prêt personnel et dans la limite de 1.055.937,03 euros sous réserve des intérêts conventionnels à compter du 6 octobre 2009 […] la somme de 240.000 euros.
Toutefois, dans l’exposé des motifs de l’arrêt du 19 janvier 2022, la Cour de cassation a rappelé que la cassation qui atteint un chef de dispositif n’en laisse rien subsister, quel que soit le moyen qui a déterminé la cassation. La Cour de cassation a également précisé que par l’effet de l’annulation intervenue du chef du dispositif concernant la condamnation de Mme [E] et MM. [N]
et [B] à payer à la banque au titre du prêt et dans la limite de
1 055 937,03 euros, la somme de 240 000 euros au titre de leurs engagements de caution, la cause et les parties avaient été remises, dudit chef tout entier, dans le même état où elles se trouvaient avant l’arrêt précédemment déféré et que le débat incluait en particulier les moyens relatifs à la validité de leurs engagements.
Dès lors, la cour d’appel de renvoi doit statuer sur le chef du jugement rendu le 04 septembre 2012 par le tribunal de grande instance de Fort-de-France en ce qu’il a condamné [O] [J], [T] [J], [W] [N], [U] [X], [M] [D], [Z] [F], [Y] [B] et Mme [I] [E] à payer à la caisse fédérale de crédit mutuel Antilles-Guyane au titre du prêt personnel et dans la limite de 1.055.937,03 euros sous réserve des intérêts conventionnels à compter du 6 octobre 2009, chacun la somme de 240.000 euros au titre de leur engagement de caution.
Le jugement rendu le 04 septembre 2012 par le tribunal de grande instance de Fort-de-France est donc devenu définitif en ce qu’il a :
– déclaré la demande de la caisse fédérale de crédit mutuel Antilles-Guyane recevable,
– condamné [O] [J], [T] [J], [W] [N], [U] [X], [M] [D], [Z] [F] et [Y] [B] à payer à la caisse fédérale de crédit mutuel Antilles-Guyane au titre du compte courant et dans la limite de 150.304,10 euros sous réserve des intérêts conventionnels à compter du 6 octobre 2009, chacun la somme de 36.000 euros au titre de leur engagement de caution,
– ordonné l’exécution provisoire,
– débouté les parties du surplus de leurs demandes,
– condamné solidairement [O] [J], [T] [J], [W] [N], [U] [X], [M] [D], [Z] [F], [Y] [B] et Mme [I] [E] à payer à la caisse fédérale de crédit mutuel Antilles-Guyane la somme de 2.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’aux dépens.
Dans ces conditions, il n’y a pas lieu pour la cour d’appel de renvoi de statuer sur les demandes des parties visant à voir confirmer ou infirmer ces chefs de jugement.
Sur la caducité de la déclaration de saisine.
La cour constate que la Caisse Fédérale de Crédit Mutuel Antilles Guyane ne soutient plus ce chef de demande.
Sur la recevabilité des prétentions des intimés.
La banque prétend qu’il appartenait aux intimés d’effectuer la saisine de la cour d’appel, de sorte qu’ils ne peuvent former une saisine incidente devant la cour d’appel de renvoi.
Il est de jurisprudence constante que la cassation d’une décision “dans toutes ses dispositions” investit la juridiction de renvoi de la connaissance de l’entier litige dans tous ses éléments de fait et de droit et que l’appel incident est recevable en tout état de cause, sauf irrecevabilité de l’appel principal (arrêt Cour de cassation, 2ème Civ., 14 décembre 2006, pourvoi n° 06-11.777).
Il est également constant qu’en cas de solidarité à l’égard de plusieurs parties, l’appel formé par l’une conserve le droit d’appel des autres, sauf à ces dernières à se joindre à l’instance et que, en cas de renvoi après cassation, l’instance se poursuit devant la juridiction de renvoi (arrêt Cour de cassation, 2ème Civ., 20 janvier 2005, pourvoi n° 03-13.607).
Il résulte de ces éléments que les prétentions de Mme [V] [J], de monsieur [U] [X], de monsieur [Y] [B] et de monsieur [W] [N] sont recevables.
Sur la nullité de l’engagement de caution pour dol.
Aux termes de l’article 1116 ancien du code civil, le dol est une cause de nullité de la convention lorsque les manoeuvres pratiquées par l’une des parties sont telles qu’il est évident que, sans ces manoeuvres, l’autre partie n’aurait pas contracté. Il ne se présume pas et doit être prouvé.
Il est constant que l’existence d’un dol peut être retenue dès lors que, par réticence, une banque a manqué à ses obligations de contracter de bonne foi en s’abstenant d’informer la caution de la situation du débiteur irrémédiablement compromise et de l’absence de viablité du projet économique envisagé.
Il appartient à la caution de démontrer l’intention malhonnête de la banque qui aurait sciemment omis de lui délivrer une telle information dans le but unique de la tromper. Il ne peut en effet être reproché à l’établissement bancaire de ne pas avoir attiré l’attention de la caution sur des éléments financiers intéressant la situation du débiteur dont elle aurait dû avoir connaissance en sa qualité d’associé.
Mme [E] épouse [S] prétend que son consentement a été vicié, la banque usant de procédés déloyaux à son égard et ne l’informant pas de la situation irrémédiablement compromise de la société Distrigel.
La cour relève que le prêt souscrit par la société Distrigel s’inscrivait dans une opération financière complexe puisque l’objet du financement consistait en ‘un prêt substitutif au financement initial prévu sur la structure KARUGEL, reprise de l’encours existant suite à la fusion des deux entités KARUGEL et DISTRIGEL’. Or, il n’est versé aux débats aucun courrier ou note explicative sur le processus qui a conduit le prêteur à octroyer dans des délais rapprochés un crédit-relais à la société Karugel puis un prêt substitutif à la société Distrigel, alors qu’il n’est pas contesté que ces deux sociétés étaient confrontées à des difficultés financières. La cour observe également que les associés de la société Distrigel, qui avaient précédemment créé la société Karugel, ont accepté de se porter caution de la société emprunteuse, alors même que la fusion de ces deux sociétés n’était pas encore réalisée. Les parties restent taisantes sur ce point.
Pour autant, la cour relève que Mme [E], en sa qualité d’associée des sociétés Karugel et Distrigel mais aussi en sa qualité de confondatrice et associée du groupe Devexport (qui deviendra le partenaire commercial de la société Distrigel), était en mesure de prendre connaissance des éléments financiers intéressant ces deux sociétés interdépendantes l’une de l’autre, la société Karugel ayant pour objet social la découpe et le conditionnement de produits frais et surgelés, alors que la société Distrigel avait pour objet social la vente de tous produits frais et surgelés destinés à l’alimentation humaine.
En l’espèce, il ressort d’une note adressée le 17 septembre 2007 par M. [U] [X], gérant de la société Karugel, au directeur des services fiscaux de la Guadeloupe que la viabilité du projet développé par la société Karugel reposait sur l’agrément délivré par l’administration fiscale, condition suspensive à l’obtention d’un prêt auprès du Crédit Mutuel par la SNC AMARYLLIS 2007 M, qui avait fait l’acquisition d’une unité de découpe et de conditionnement de produits surgelés auprès de la société FORCLIM et destinée à être louée à la société Karugel.
Force est de constater que l’annulation du prêt consenti à la SNC AMARYLLIS 2007 M par la banque suite au refus de l’agrément par l’administration fiscale en juillet 2008 a impacté la situation financière des sociétés Karugel et Distrigel.
Il résulte également des pièces de la procédure que, dès le début de son activité et de manière permanente à compter du mois de décembre 2007, la société Distrigel a été confrontée à des difficultés financières: le 12 janvier 2008, une assemblée extraordinaire a été convoquée en urgence par M. [U] [X] et Mme [H] [A] aux fins d’évoquer ces difficultés et d’adopter des résolutions dont la renégociation des commissions sur les achats avec la société Devexport; le 25 juillet 2008, une assemblée générale mixte a été convoquée aux fins notamment que soit augmenté le capital social de 260.000 euros par création de 650 parts chacune, la résolution adoptée en ce sens n’étant toutefois pas suivie d’effets puisqu’aucune assemblée générale extraordinaire n’a été convoquée pour entériner l’augmentation de capital.
Ainsi et contrairement à ce que soutient Mme [E], les associés étaient en mesure de prendre connaissance des difficultés financières de la société Distrigel.
Mme [E] prétend également qu’elle n’a été informée des difficultés financières que le 24 février 2009, soit sept jours après la signature de l’engagement de caution, suite au courrier que lui a adressé M. [G], expert-comptable.
Toutefois, la cour relève que, dès le 05 janvier 2009, dans un courrier adressé à la SARL DISTRIGEL, M. [K] [G] a alerté sa cliente dans les mêmes termes que ceux employés dans le courrier adressé le 24 février 2009 à Mme [E].
La cour en déduit d’une part que les informations essentielles contenues dans ce courrier du 05 janvier 2009 et qui auraient dû être diffusées à l’ensemble des associés n’ont pas été communiquées à Mme [E] avant la signature de son engagement de caution et que, d’autre part, la banque n’est pas l’auteur de cette réticence dolosive.
Il ne peut non plus être reproché à la banque par Mme [E] de ne pas avoir analysé les documents comptables de l’entreprise avant l’octroi du prêt litigieux, alors que M. [K] [G] souligne dans ses différents courriers le manque de coopération de la société Distrigel aux fins de lui communiquer les éléments comptables et financiers de l’entreprise, de sorte que le bilan de l’exercice comptable arrêté au 31 août 2008 n’a été publié par l’expert-comptable qu’au mois de mai 2009.
Enfin, Mme [E] ne peut pas non plus soutenir que la situation économique de la société Distrigel était irrémédiablement compromise lors de l’octroi du prêt litigieux dès lors que Me [L], conciliateur judiciaire, a relevé en juillet 2009 de sérieuses perspectives de redressement.
Dans ces conditions, Mme [E] ne démontre pas que la banque ait usé de procédés déloyaux à son égard ou ait dissimulé à la caution les difficultés financières rencontrées par la société emprunteuse.
Sur la qualité de caution avertie.
Il est de jurisprudence constante que la banque est tenue à un devoir de mise en garde à l’égard d’une caution non avertie lorsque, au jour de son engagement, celui-ci n’est pas adapté aux capacités financières de la caution ou il existe un risque de l’endettement né de l’octroi du prêt garanti, lequel résulte de l’inadaptation du prêt aux capacités financières de l’emprunteur.
Mme [E], M. [B] et M. [N] prétendent qu’ils n’étaient pas des cautions averties lors de l’engagement de caution.
Comme l’a relevé à juste titre le premier juge, la décision de la poursuite du projet économique souhaité leur revenait au premier chefs en tant qu’associés et ce d’autant qu’ils étaient des chefs d’entreprise aguerris à la vie des affaires.
Par ailleurs, il résulte des pièces de la procédure qu’ils ont été informés des difficultés financières de la société Distrigel dès le début d’exploitation et en particulier d’un manque de trésorerie important qui empêchait d’honorer les effets et échéances fournisseurs. Dans ce contexte, ils étaient en mesure d’étudier les solutions préconisées par l’expert-comptable en janvier et avril 2009, puis par Me [L],conciliateur judiciaire, en juillet 2009, à savoir une augmentation de capital et une injection d’argent frais aux fins d’alimenter les comptes courants d’associés.
Force est de constater que, principaux acteurs de ce projet économique, Mme [E], M. [B] et M. [N] ont fait le choix de cautionner la société emprunteuse, alors qu’ils étaient en mesure d’accéder à des informations dont la banque n’avait pas connaissance et d’appréhender les difficultés économiques de l’entreprise :
– en janvier 2009, M. [K] [G] a indiqué à la SARL Distrigel que la société Sikafruits, dirigée par M. [B] et [N], détenait à son égard une créance d’un montant de 400.000 euros environ,
– en décembre 2008, la société West Point, spécialisée dans l’import export de produits frais et surgelés dans toute la région Caraïbes et dont deux associés de la société Distrigel, M. [O] [J] et M. [T] [J] étaient respectivement le membre fondateur et le gérant, détenait une créance de 302.526,55 euros à l’encontre de la société Distrigel, avant de la céder courant janvier 2009 à la Caisse Fédérale de Crédit Mutuel Antilles Guyane,
– il ressort également du compte courant de la société Distrigel que, le 07 novembre 2007, un virement de 125.440 euros a été opéré au profit de la société Devexport, dont Mme [E] était co-fondatrice et associée.
La cour en déduit que Mme [E], M. [B] et M. [N] étaient des cautions averties au moment de leur engagement de caution.
Sur le caractère disproportionné des engagements de caution.
Aux termes de l’article L. 341-4 du code de la consommation, « un créancier professionnel ne peut se prévaloir d’un contrat de cautionnement conclu par une personne physique dont l’engagement était, lors de sa conclusion, manifestement disproportionné à ses biens et revenus, à moins que le patrimoine de cette caution, au moment où celle-ci est appelée, ne lui permette de faire face à son obligation. »
M. [U] [X] expose que, au moment de son engagement de caution, il ne disposait pas de patrimoine personnel et déclarait des revenus d’un montant de 26.325 euros.
Il est de jurisprudence constante que la disproportion manifeste s’apprécie au regard des biens et revenus déclarés par la caution, dont le créancier, en l’absence d’anomalies apparentes, n’a pas à vérifier l’exactitude et l’exhaustivité et que l’appréciation du caractère disproportionné de l’engagement de caution relève du pouvoir souverain des juges du fond qui doivent s’en tenir aux seuls biens et revenus de la caution, ceux-ci s’entendant de l’actif patrimonial, les biens, quoique grevés de sûretés, lui appartenant devant être pris en compte, leur valeur étant appréciée en déduisant le montant de la dette, dont le paiement est garanti par ladite sûreté, évalué au jour de l’engagement de la caution; en contrepoint, les juges du fond doivent prendre en considération l’endettement global de la caution, y compris celui résultant d’engagements de caution précédemment souscrits.
La charge de la preuve de l’existence d’une disproportion de son engagement repose sur la caution qui doit établir qu’à l’époque de la souscription du prêt litigieux, son engagement était manifestement disproportionné à ses biens et revenus.
La cour relève que, à l’époque de la souscription du prêt litigieux, M. [U] [X] n’a déclaré que ses revenus en qualité de gérant de la société Distrigel, alors qu’il exerçait les fonctions de gérant de la SARL Karugel et des fonctions de responsable au sein de la société West Point. Or, tant en première instance qu’en cause d’appel, l’intimé ne produit aucun élément se rapportant à la rémunération perçue au titre de ses activités au sein de ses deux sociétés.
Dans ces conditions, M. [U] [X] ne rapporte pas la preuve que son engagement en qualité de caution lors de l’octroi du prêt litigieux d’un montant de 850.000 euros était manifestement disproportionné à ses biens et revenus.
Comme l’a relevé à juste titre le premier juge, M. [D], M. [B], M. [N], M. [O] [J], M. [T] [J] et Mme [E] détenaient au moment de leur engagement de caution, soit un patrimoine immobilier, soit des revenus bien supérieurs aux montants garantis, outre un très fort ‘intuitu personae’ existant entre les associés selon les termes employés par le gérant de la société Karugel de nature à combler les disparités relevées s’agissant de la situation de M. [U] [X] et M. [F].
Dès lors, aucune des cautions ne rapporte la preuve que son engagement était manifestement disproportionné à ses biens et revenus. Le jugement de première instance sera confirmé sur ce point.
Sur l’adaptation du prêt à la situation de la société Distrigel.
Il est constant que la caution peut invoquer une faute contractuelle commise par la banque à l’égard du débiteur principal pour obtenir le rejet de la demande en paiement dirigée contre elle.
Mme [E] épouse [S] fait valoir que la banque a sciemment aggravé la situation de la société Distrigel en lui faisant souscrire un contrat de prêt professionnel contraire à son intérêt.
MM. [B] et [P] prétendent que le prêt consenti par la banque était inadapté aux capacités financières de la débitrice principale.
M. [U] [X] soutient que la banque a dispensé ces crédits sans rapport réel avec les besoins d’une entreprise, non parce qu’elle croyait le projet viable, mais parce qu’elle savait pouvoir recueillir des garanties fussent-elles disproportionnées.
Comme l’a relevé à juste titre le premier juge, le prêt litigieux a eu pour objet d’assurer le financement du matériel d’exploitation qui ne pouvait pas être payé dans le cadre d’un financement par défiscalisation.
La cour relève également que la société Forclim, qui a livré et installé l’unité de découpe et de conditionnement de produits surgelés, n’a pas fait de distinction entre la société Distrigel et la société Karugel puisque la facture du 20 août 2008 correspondant aux ‘TRAVAUX KARUGEL JARRY’ d’un montant de 1.515.556,75 euros TTC a été établie au nom de la SARL Distrigel.
La cour en déduit que l’opération de défiscalisation ayant échoué et le prêt afférent n’ayant pas été accordé à la SNC Amaryllis 2007 M, la SARL Distrigel était tenue à terme de régler cette facture au prestataire de services.
La cour rappelle également que, à la fin de l’année 2008, les sociétés West Point et Sikafruits détenaient deux créances importantes à l’égard de la société Distrigel, ce que ne pouvaient ignorer les associés de la société débitrice au regard de l’implication de certains d’entre eux dans les relations commerciales entre ces trois sociétés.
Enfin, il résulte des pièces de la procédure que le crédit-relais d’un montant de 751.000 euros n’a jamais été mis en place au profit de la SARL Karugel, ce que ne pouvaient ignorer les associés de la SARL Distrigel qui étaient en mesure de consulter les comptes bancaires de chaque société. Sur ce point, la cour constate que tant le prêteur que les cautions restent taisants, la banque ne donnant aucune explication sur l’octroi d’un prêt qui n’a pas été mis en oeuvre au profit de la SARL Karugel et sur les conditions dans lesquelles l’attestation de mainlevée a été délivrée le 19 juin 2009 aux cautions. Dans le cadre de la présente instance, il n’y a pas lieu pour la cour de se prononcer sur une éventuelle faute commise par la banque à l’égard de la société Karugel et des associés qui s’étaient portés caution, aucune prétention n’étant d’ailleurs formulée en ce sens.
Dans ces conditions, le prêt litigieux d’un montant de 850.000 euros n’a pas eu pour objet de créer une dette supplémentaire mais d’assurer un transfert de dette au profit de la société Karugel, celle-ci bénéficiant d’un virement de 845.000 euros effectué le 24 avril 2009 par la société Distrigel. La cour relève que cette opération bancaire n’a pas permis de redresser de manière pérenne la situation financière de la société Karugel, dont le compte courant présentait un solde débiteur de 74.244 euros au 24 décembre 2009.
Par ailleurs, il n’est pas démontré que, malgré l’octroi de ce prêt substitutif, la société Distrigel connaissait une situation irrémédiablement compromise: en effet, dans son compte-rendu du 15 juillet 2009, Me [C] [L] a souligné que, malgré les difficultés financières rencontrées par la société (le compte courant
présentant un solde débiteur de 154.619 euros au 15 juillet 2009), il existait de sérieuses perspectives de redressement à condition que les associés consentent à verser un apport supplémentaire: cette analyse est corroborée par celle de M. [G], expert-comptable, qui avait préconisé, dans sa note du 05 janvier 2009, un abandon de créance avec clause de retour à meilleure fortune et une augmentation de capital par versement en numéraire avec incorporation des sommes apportées en compte courant d’associés. La cour constate que cet apport supplémentaire n’a pas été réalisé, malgré son caractère urgent souligné par M. [G]. Mme [E], M. [X], M. [B] et M. [N] restent taisants sur ce point.
En définitive, aucune faute de la banque n’est démontrée, le crédit accordé étant destiné à financer une opération dont les associés de la société Distrigel étaient en mesure d’apprécier la viabilité.
Sur l’obligation de mise en garde.
L’article 1147 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l’ordonnance n°2006-131 du 10 février 2016, prévoit : « Le débiteur est condamné, s’il y a lieu, au paiement de dommages et intérêts, soit à raison de l’inexécution de l’obligation, soit à raison du retard dans l’exécution, toutes les fois qu’il ne justifie pas que l’inexécution provient d’une cause étrangère qui ne peut lui être imputée, encore qu’il n’y ait aucune mauvaise foi de sa part. »
MM. [B] et [N] font valoir que la banque se doit de démontrer qu’elle a mis en oeuvre son devoir de mise en garde auprès des intimés.
Il résulte de l’article 1147 du code civil que s’il n’existe pas de disproportion manifeste entre les capacités financières de la caution et un risque d’endettement né de l’octroi du crédit, le banquier est dispensé de son devoir de mise en garde.
Au cas présent, la cour a constaté que l’engagement de caution de MM. [B] et [N] n’était pas manifestement disproportionné et donc que le prêt cautionné était adapté aux capacités financières des intimés.
La cour a relevé également que MM. [B] et [N] étaient des cautions averties et que l’opération financière n’était pas vouée à l’échec dès son lancement malgré les difficultés économiques de la société Distrigel.
La cour en déduit que la banque n’était pas tenue à un devoir de mise en garde à l’égard de MM. [B] et [P] lors de la souscription de leur engagement de caution.
En définitive, la banque est fondée à solliciter la mise en oeuvre des cautionnements. Le jugement de première instance sera confirmé sur ce point.
Sur les demandes formées par le Crédit Mutuel à l’encontre de Mme [V] [J].
L’intimée soutient que, n’ayant pas la qualité d’héritière de M. [O] [J], elle ne saurait valablement être mise en cause dans le cadre de la présente instance par la Caisse Fédérale de Crédit Mutuel Antilles-Guyane puisqu’elle est totalement tierce au litige.
La banque fait valoir que, en concluant le 16 janvier 2015 devant la cour d’appel de Fort-de-France et en formant un pourvoi principal en cassation de l’arrêt rendu le 15 décembre 2015 par la cour d’appel de Fort-de-France en sa qualité d’héritière de M. [O] [J], Mme [V] [J] aurait démontré sa volonté d’accepter cette succession. A cet égard, l’article 782 du Code civil dispose que l’acceptation pure et simple est tacite quand le successible saisi fait un acte qui suppose nécessairement son intention d’accepter et qu’il n’aurait droit de faire qu’en qualité d’héritier acceptant, une telle option étant en principe irrévocable en vertu de l’article 786 alinéa 1er du même code. Cependant, la simple défense à une action en justice exercée par un créancier n’a par elle-même qu’un caractère accessoire et n’implique pas l’intention d’accepter la succession.
Dans ces conditions et en application de l’article 780 du code civil, la cour relève que, M. [O] [J] étant décédé le [Date décès 4] 2014, Mme [V] [J] dispose à ce jour de la faculté de renoncer à sa succession.
Il ne peut pas non plus être reproché à la banque de ne pas avoir fait application des dispositions de l’article 771 du civil, l’usage de la sommation constituant seulement une faculté à l’initiative d’un créancier de la succession.
Aux termes des dispositions de l’article 804 du code civil, la renonciation à une succession ne se présume pas. Pour être opposable aux tiers, la renonciation opérée par l’héritier universel ou à titre universel doit être adressée ou déposée au tribunal dans le ressort duquel la succession s’est ouverte ou faite devant notaire.
L’article 1339 du code de procédure civile prévoit que le greffe inscrit la déclaration dans un registre tenu à cet effet et en adresse ou délivre récépissé au déclarant ou au notaire.
En l’espèce, Mme [V] [J], qui ne produit pas de procès-verbal de renonciation à succession, ne justifie pas avoir renoncé à la succession de son père [O] [J], de sorte qu’une condamnation peut être prononcée à son encontre en sa qualité d’héritière de son père.
Aux termes de l’article 2294 du Code Civil, les engagements des cautions passent à leurs héritiers si l’engagement était tel que la caution y sera obligée.
En application des dispositions précitées, les héritiers de la caution sont tenus des dettes du bénéficiaire du cautionnement nées au jour du décès de leur auteur, peu important qu’elles ne soient devenues exigibles que postérieurement au décès, et ne sont pas tenus des dettes nées postérieurement à cette date.
La dette de remboursement d’un prêt prend naissance à la date de souscription de l’engagement.
En l’espèce, l’engagement de caution manuscrit de M. [O] [J] est ainsi libellé :
‘En me portant caution de la SARL DISTRIGEL dans la limite de la somme de 240.000 euros (Deux cent quarante mille euros) couvrant le paiement du principal, des intérêts et, le cas échéant, des pénalités ou intérêts de retard et pour la durée de 9 ans 144 mois, je m’engage à rembourser au prêteur les sommes dues sur mes revenus et mes biens si la SARL DISTRIGEL n’y satisfait pas lui-même elle-même. En renonçant au bénéfice de discussion défini à l’article 2298 du code civil et en m’obligeant solidairement avec la SARL DISTRIGEL, je m’engage à rembourser le créancier sans pouvoir exiger qu’il poursuive préalablement la SARL DISTRIGEL.’
La dette de la caution, qui s’est engagée à rembourser le prêt si le débiteur principal ne satisfaisait pas à cette obligation, est née à la date de souscription du prêt le 09 mars 2009, de sorte que la dette de Mme [V] [J] a pris naissance du vivant de M. [O] [J], la banque ayant par ailleurs adressé le 14 juin 2010 à la caution une mise en demeure de rembourser la somme de 276.000 euros.
En conséquence, les demandes formées par la Caisse Fédérale de Crédit Mutuel Antilles Guyane à l’encontre de Mme [V] [J] seront déclarées recevables.
Sur la déchéance du droit aux intérêts conventionnels.
Après avoir rappelé les termes de l’article L.341-6 du code de la consommation, Mme [E] indique dans ses conclusions que le Crédit Mutuel ne démontre pas qu’il aurait délivré chaque année, de 2009 à ce jour, une information comportant les éléments prévus à l’article L.313-22 du code monétaire et financier, de sorte qu’il devrait être déchu du droit aux intérêts.
L’article L.341-6 du code de la consommation, dans sa version applicable en l’espèce, dispose que le créancier professionnel est tenu de faire connaître à la caution personne physique, au plus tard avant le 31 mars de chaque année, le montant du principal et des intérêts, commissions, frais et accessoires restant à courir au 31 décembre de l’année précédente au titre de l’obligation garantie, ainsi que le terme de cet engagement. Si l’engagement est à durée indéterminée, il rappelle la faculté de révocation à tout moment et les conditions dans lesquelles celle-ci est exercée.
A défaut, la caution ne saurait être tenue au paiement des pénalités ou intérêts de retard échus depuis la précédente information jusqu’à la date de communication de la nouvelle information.
L’article L.313-22 du code monétaire et financier, dans sa version issue de l’ordonnance n°2005-429 du 6 mai 2005, applicable en l’espèce, prévoit quant à lui que les établissements de crédit ayant accordé un concours financier à une entreprise sous la condition du cautionnement par une personne physique ou une personne morale sont tenus, au plus tard avant le 31 mars de chaque année, de faire connaître à la caution le montant du principal et des intérêts, commissions, frais et accessoires restant à courir au 31 décembre de l’année précédente au titre de l’obligation bénéficiant de la caution ainsi que le terme de cet engagement. Si l’engagement est à durée indéterminée, ils rappellent la faculté de révocation à tout moment et les conditions dans lesquelles celle-ci est exercée.
Le défaut d’accomplissement de cette formalité emporte, dans les rapports entre la caution et l’établissement tenu à cette formalité, déchéance des intérêts échus depuis la précédente information et jusqu’à la date de communication de la nouvelle information. Les paiements effectués par le débiteur principal sont réputés, dans les rapports entre la caution et l’établissement, affectés prioritairement au règlement du principal de la dette.
Il est constant que l’établissement de crédit doit être en mesure de rapporter la preuve de l’envoi de la lettre d’information avant le 31 mars de chaque année, même si elle n’est pas tenue de démontrer que la caution l’aurait effectivement reçue.
Par ailleurs, l’obligation d’information perdure au-delà de l’assignation en justice, y compris lorsque le débiteur principal fait l’objet d’une procédure collective, jusqu’à l’extinction de la dette garantie par le cautionnement.
Enfin, l’information doit être conforme aux prévisions des textes sus-visés.
En l’espèce, il convient à titre liminaire de préciser que, contrairement à ce que soutient la caution, l’établissement bancaire n’était pas tenu de lui adresser de lettre d’information avant le 31 mars 2010, puisque le prêt cautionné n’avait été souscrit que le 9 mars 2009.
Dans le cadre de la présente instance, la Caisse Fédérale de Crédit Mutuel Antilles-Guyane ne produit que les lettres d’informations qu’elle a adressées aux cautions avant le 31 mars 2010, au visa de l’article L.313-22 du code monétaire et financier, mais ne justifie pas de l’envoi effectif, pour les années postérieures, des lettres d’information aux cautions.
La Caisse Fédérale de Crédit Mutuel Antilles-Guyane n’est donc pas en mesure de démontrer qu’elle aurait bien respecté son obligation d’information au cours de la période comprise entre 2011 et 2022.
Dès lors, il convient de dire que la Caisse Fédérale de Crédit Mutuel Antilles-Guyane sera déchue du droit aux intérêts échus depuis l’origine du prêt, conformément aux dispositions de l’article L.313-22 du code monétaire et financier.
Par ailleurs, Mme [E] sollicite la réduction de la clause pénale intégrée dans le montant des sommes réclamées par la banque.
En l’espèce, la lecture des lettres d’information permet de constater que la Caisse Fédérale de Crédit Mutuel Antilles-Guyane n’a jamais informé Mme [E], ainsi que les autres cautions, de l’exigibilité d’une somme de 42.463,66 euros correspondant à l’indemnité conventionnelle de résiliation anticipée de 5% prévue aux conditions générales du contrat de prêt du 9 mars 2009, alors que cette somme était exigible depuis le 6 octobre 2009.
Toutefois, la cour rappelle qu’elle est tenue par les demandes contenues dans le dispositif de ses conclusions, qui ne reprennent pas la demande de réduction de la clause pénale, Mme [E] sollicitant à titre subsidiaire la condamnation de chaque caution dans la limite de la somme de 871.736,96 euros arrêtée au 06 octobre 2009.
En revanche, même si en application des dispositions de l’article L.341-6 du code de la consommation Mme [E], ainsi que les autres cautions, ne peuvent être tenues au paiement des pénalités ou intérêts de retard échus, cette dispense ne vaut que jusqu’à une mise en demeure conforme aux dispositions de l’article 1139, dans sa version antérieure au 1er octobre 2016. A compter de cette mise en demeure, l’article 1153 du code civil dans sa version en vigueur à la date de l’assignation justifie qu’elles soient condamnées au paiement des intérêts au taux légal sur la somme restant due.
Devant la cour d’appel de renvoi, la banque produit la mise en demeure qui a été adressée le 14 juin 2010 à chacune des cautions préalablement à l’assignation en paiement délivrée le 9 septembre 2010. Les intérêts au taux légal courront donc à compter du 14 juin 2010.
En conséquence, il convient d’infirmer le jugement déféré et, statuant à nouveau, au regard du tableau d’amortissement, des mises en demeures et du décompte de créance versés aux débats et après mise en oeuvre de la déchéance du droit aux intérêts, de dire que la condamnation solidaire des cautions sera prononcée dans la limite de la somme de 891.736,96 euros arrêtée au 6 octobre 2009, sous réserve des intérêts au taux légal à compter du 14 juin 2010.
En revanche, l’engagement de caution de Mme [E] étant un engagement solidaire dans la limite de la somme de 240.000 euros, il n’y a pas lieu de limiter le montant de sa condamnation à 111.467,12 euros ainsi qu’elle le demande.
En conséquence, Mme [I] [E] épouse [S], Mme [V] [J], M. [W] [N], M. [U] [X], M. [M] [D], M. [Z] [F] et M. [Y] [B] seront condamnés à payer à la Caisse Fédérale de Crédit Mutuel Antilles-Guyane – Caisse de Crédit Mutuel au titre du prêt et dans la limite de 891.736,96 euros arrêtée au 6 octobre 2009, sous réserve des intérêts au taux légal à compter du 14 juin 2010, chacun la somme de 240.000 euros au titre de leur engagement de caution.
Sur les autres demandes.
Mme [E], M. [N] et M. [B] ne justifiant pas d’une quelconque faute commise par la banque à leur encontre, leurs demandes respectives en dommages et intérêts seront rejetées.
Sur les demandes accessoires.
Aucune considération d’équité ne commande de faire application de l’article 700 du code de procédure civile au profit de quiconque.
Sucombant principalement à l’instance, Mme [I] [E] épouse [S], Mme [V] [J], M. [W] [N], M. [U] [X], M. [M] [D], M. [Z] [F] et M. [Y] [B] seront condamnés aux dépens.
PAR CES MOTIFS,
La cour,
Statuant par défaut, sur renvoi après cassation partielle et en dernier ressort, par mise à disposition au greffe,
Vu l’arrêt rendu le 13 décembre 2017 par la Cour de cassation,
Vu l’arrêt rendu le le 19 janvier 2022 par la Cour de cassation,
Statuant à nouveau dans la limite de sa saisine sur renvoi après cassation partielle,
INFIRME le jugement rendu le 04 septembre 2012 par le tribunal de grande instance de Fort-de-France en ce qu’il a condamné [O] [J], [T] [J], [W] [N], [U] [X], [M] [D], [Z] [F], [Y] [B] et Mme [I] [E] à payer à la caisse fédérale de crédit mutuel Antilles-Guyane au titre du prêt personnel et dans la limite de 1.055.937,03 euros sous réserve des intérêts conventionnels à compter du 6 octobre 2009, chacun la somme de 240.000 euros au titre de leur engagement de caution ;
Statuant à nouveau,
CONDAMNE Mme [I] [E] épouse [S], Mme [V] [J], M. [W] [N], M. [U] [X], M. [M] [D], M. [Z] [F] et M. [Y] [B] à payer à la Caisse Fédérale de Crédit Mutuel Antilles-Guyane – Caisse de Crédit Mutuel au titre du prêt et dans la limite de 891.736,96 euros arrêtée au 6 octobre 2009, sous réserve des intérêts au taux légal à compter du 14 juin 2010, chacun la somme de 240.000 euros au titre de leur engagement de caution ;
Y ajoutant,
DÉBOUTE les parties de leurs plus amples demandes ;
CONDAMNE Mme [I] [E] épouse [S], Mme [V] [J], M. [W] [N], M. [U] [X], M. [M] [D], M. [Z] [F] et M. [Y] [B] aux dépens de la présente instance.
Signé par Mme Nathalie RAMAGE, Présidente de Chambre et Mme Béatrice PIERRE-GABRIEL, Greffière, lors du prononcé à laquelle la minute a été remise.
LA GREFFIERE, LA PRESIDENTE,