Augmentation de capital : décision du 23 juin 2023 Cour d’appel de Rennes RG n° 20/05041
Augmentation de capital : décision du 23 juin 2023 Cour d’appel de Rennes RG n° 20/05041
Ce point juridique est utile ?

2ème Chambre

ARRÊT N° 331

N° RG 20/05041 – N° Portalis DBVL-V-B7E-RAD5

(1)

M. [I] [D]

Mme [N] [J] épouse [D]

M. [T] [D]

C/

S.A.S. EXIAL BRETAGNE

Confirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l’égard de toutes les parties au recours

Copie exécutoire délivrée

le :

à :

-Me Matthieu PERRAUD

-Me Alexandre TESSIER

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D’APPEL DE RENNES

ARRÊT DU 23 JUIN 2023

COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :

Président : Monsieur Joël CHRISTIEN, Président de Chambre,

Assesseur : Monsieur Jean-François POTHIER, Conseiller,

Assesseur : Madame Hélène BARTHE-NARI, Conseillère,

GREFFIER :

Mme Aichat ASSOUMANI, lors des débats et lors du prononcé

DÉBATS :

A l’audience publique du 11 Avril 2023

ARRÊT :

Contradictoire, prononcé publiquement le 23 Juin 2023 par mise à disposition au greffe

****

APPELANTS :

Monsieur [I] [D]

né le 12 Décembre 1948 à [Localité 6]

[Adresse 1]

[Localité 3]

Représenté par Me Matthieu PERRAUD de la SELARL LA FIDUCIAIRE GENERALE, Plaidant/Postulant, avocat au barreau de VANNES

Madame [N] [J] épouse [D]

née le 12 Mai 1948 à [Localité 7] (93)

[Adresse 1]

[Localité 3]

Représentée par Me Matthieu PERRAUD de la SELARL LA FIDUCIAIRE GENERALE, Plaidant/Postulant, avocat au barreau de VANNES

Monsieur [T] [D]

né le 14 Mars 1974 à [Localité 5] (95)

[Adresse 1]

[Localité 3]

Représenté par Me Matthieu PERRAUD de la SELARL LA FIDUCIAIRE GENERALE, Plaidant/Postulant, avocat au barreau de VANNES

INTIMÉE :

S.A.S. EXIAL BRETAGNE

[Adresse 4]

[Localité 2]

Représentée par Me Alexandre TESSIER de la SELARL BAZILLE, TESSIER, PRENEUX, Postulant, avocat au barreau de RENNES

Représentée par Me Bérangère MONTAGNE, Plaidant, avocat au barreau de PARIS

2

EXPOSÉ DU LITIGE :

Associés de la SARL L’Univers de l’automobile (la SARL) et de la SCI DJB (la SCI), propriété de l’immeuble d’exploitation de la société commerciale, M. [I] [D], gérant de la SCI, et Mme [N] [J], son épouse, détenaient, avec leurs fils, [T] [D], gérant de la SARL, et [U] [D], chacun un quart du capital des deux sociétés, jusqu’à une augmentation de capital de la SARL réalisée le 20 juillet 2010 par incorporation du compte courant d’associé de M. [I] [D] et rendant ainsi celui-ci associé majoritaire.

La SARL a cessé son activité le 7 novembre 2012, les associés décidant de sa dissolution et désignant M. [T] [D] en qualité de liquidateur amiable, et la SCI a, par acte authentique du 22 janvier 2013, cédé l’immeuble d’exploitation, libéré par résiliation du bail commercial du 7 novembre 2012, en encaissant, après règlement de la taxe sur la plus-value réalisée, un prix de vente net de 380 877,66 euros que M. [I] [D] décidait d’affecter au règlement du passif social de la SARL.

Contestant cette affectation, M. [U] [D] a saisi le tribunal de grande instance de Vannes qui, par jugement du 18 octobre 2016, a prononcé la dissolution de la SCI et désigné, pour procéder aux opérations de liquidation, un mandataire qui a demandé le remboursement des comptes courants d’associé des époux [D], débiteur à hauteur de 164 794 euros, et de M. [T] [D], débiteur à hauteur de 23 305 euros, ainsi que d’une créance de 266 603 euros sur la SARL.

Imputant la responsabilité de leurs déboires à la société Exial Bretagne (la société Exial), expert-comptable de la SCI et de la SARL, MM. [I] et [T] [D] ainsi que Mme [N] [J] épouse [D] (les consorts [D]) l’ont, par acte du 12 septembre 2017, fait assigner en paiement de dommages-intérêts devant le tribunal de grande instance (devenu tribunal judiciaire) de Vannes.

Au soutien de leur action, ils ont fait grief à la société d’expertise comptable de ne pas les avoir mis en garde sur le fait que l’augmentation de capital de 2010 ayant rendu M. [I] [D] associé majoritaire avait privé celui-ci de son droit à indemnisation par Pôle Emploi consécutivement à son licenciement par la SARL en 2012, puis de ne pas avoir conseillé une déclaration de cessation des paiements et une liquidation judiciaire de la SARL plutôt qu’une liquidation amiable, et la fixation d’une indemnité d’éviction en faveur de la SARL lors de la résiliation du bail commercial du 7 novembre 2012.

Par jugement du 8 septembre 2020, les premiers juges ont :

débouté les consorts [D] de leurs demandes à l’encontre de la société Exial au titre des préjudices matériel et moral,

condamné in solidum les consorts [D] à payer à la société Exial la somme de 2 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

condamné les consorts [D] à supporter l’intégralité des dépens,

dit n’y avoir lieu à ordonner exécution provisoire de la décision.

Les consorts [D] ont relevé appel de cette décision le 19 octobre 2020, pour demander à la cour de la réformer et de :

dire que la société Exial a engagé sa responsabilité délictuelle en manquant à ses obligations d’information et de conseil,

condamner, en réparation des préjudices matériels, la société Exial au paiement des sommes de 432 311 euros à M. [I] [D], de 23 305,05 euros à Mme [N] [D] et de 23 305.05 euros à M. [T] [D],

condamné la société Exial au paiement d’une somme de 5 000 euros à chacun d’eux, en réparation des troubles et tracas subis,

débouter la société Exial de ses demandes,

condamner la société Exial à verser aux consorts [D] une somme de 7 500 euros en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’aux dépens de première instance et d’appel.

La société Exial conclut quant à elle à la confirmation de la décision attaquée, et sollicite en outre la condamnation in solidum des consorts [D] au paiement d’une indemnité de 4 000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’aux dépens.

Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure ainsi que des prétentions et moyens des parties, la cour se réfère aux énonciations de la décision attaquée ainsi qu’aux dernières conclusions déposées pour les consorts [D] le 8 février 2023 et pour la société Exial le 8 février 2023, l’ordonnance de clôture ayant été rendue le 9 mars 2023.

EXPOSÉ DES MOTIFS :

Par d’exacts motifs que la cour adopte, les premiers juges ont pertinemment débouté les consorts [D] de leurs prétentions, après avoir relevé :

que les attestations de témoin produites par les demandeurs, émanant, pour celle de M. [E] [D], du fils et frère des demandeurs, et rédigée, pour celle de M. [H], en termes généraux sans préciser quelles fautes la société Exial aurait commises, ne suffisent pas à rapporter la preuve de faits de nature à engager la responsabilité du défendeur,

sur les conditions de la résiliation du bail liant la SCI à la SARL, que rien ne démontrait que la société Exial, effectivement chargée, dans le cadre d’une mission limitée à l’établissement des comptes annuels des exercices 2011 et 2012 des deux sociétés, ait reçu mission d’intervenir ou d’apporter son conseil lors de vente du local commercial, alors qu’il n’était pas même établi qu’elle ait eu connaissance, avant son accomplissement, de l’acte de résiliation de bail, effectuée à l’initiative du preneur et sans son concours, et que, quand bien même la résiliation du bail aurait été effectuée à l’initiative du bailleur, la licéité d’une indemnité d’éviction, en principe destinée à compenser une éventuelle perte de valeur du fonds de commerce et des frais de réinstallation, était incertaine, du fait des difficultés économiques et de la cessation d’activité de la SARL,

sur l’absence de déclaration de cessation des paiements et le choix d’une liquidation amiable de la SARL plutôt que d’un liquidation judiciaire que l’expert-comptable affirme avoir proposé, que ce dernier n’avait en tous cas jamais conseillé d’éponger le passif social de la SCI avec le prix de vente de l’immeuble de la SCI, cette opération ayant été réalisée à l’initiative de M. [I] [D] qui l’a dissimulée à son fils [U],

et, sur l’absence d’indemnisation de M. [I] [D] par Pôle Emploi après son licenciement, que, si la société Exial avait bien été chargée de préparer l’augmentation de capital de 2010 par incorporation du compte courant d’associé de M. [D] à hauteur de 25 000 euros, et si elle était bien intervenue dans la procédure de licenciement de celui-ci en 2012, l’opération de 2010 s’était imposée du fait de la situation financière de la SARL, alors qu’aucune information ne lui avait été communiquée sur l’éventualité d’un licenciement, deux ans plus tard, de l’associé devenu majoritaire, de sorte qu’il n’existait pas de lien causal certain entre l’augmentation de la participation de M. [I] [D] dans la SARL en 2010 et le refus de prise en charge qui lui a été opposé par Pôle Emploi après son licenciement de 2012 en raison de l’absence de lien de subordination entre l’associé et sa société, et qu’une modification de la répartition du capital social au moment du licenciement n’aurait pas davantage conduit Pôle Emploi à considérer que l’associé d’une petite société familiale, resté majoritaire durant deux ans, pouvait se trouver, au moment de son licenciement, dans une situation de subordination suffisante pour lui ouvrir les droits à indemnisation d’un salarié licencié.

En effet, s’agissant du prétendu défaut de conseil relativement à l’indemnité d’éviction, les consorts [D] n’établissent nullement que la société Exial se serait vu confier, au delà de sa mission de présentation des comptes annuels de la SCI et de la SARL, une mission étendue à l’accompagnement juridique et social des deux sociétés.

À cet égard, ils affirment qu’en reconnaissant avoir conseillé la déclaration de cessation de paiements de la SARL et avoir été chargée de préparer l’augmentation de capital de 2010 et le licenciement de M. [I] [D] de 2012, la société Exial aurait nécessairement reconnu s’être vu confier une mission étendue.

Cependant, il appartenait à l’expert-comptable décelant, même dans l’exercice de sa mission limité à la présentation des comptes sociaux, un état de cessation des paiements, de préconiser la régularisation d’une déclaration de cessation des paiements, et des demandes de conseil sur des opérations ponctuelles n’impliquaient pas nécessairement qu’une mission générale, étendue de façon permanente à l’accompagnement juridique et social des sociétés, lui ait été confiée.

Or, il est de principe que le devoir de conseil de l’expert-comptable est limité à la mission qui lui est confiée, et, alors que les consorts [D] ne produisent aucune lettre de mission étendue à l’accompagnement juridique et social général de la SCI et de la SARL, ni aucune facturation de prestations de cette nature, la société Exial produit quant à elle une note d’honoraires de l’exercice 2012, ne se référant qu’à une simple mission de présentation des comptes et de révision des écritures comptables, ainsi qu’un ‘renouvellement de lettre de mission’ de l’exercice 2013 limitant explicitement la mission de l’expert-comptable à la présentation des comptes annuels.

De surcroît, il est d’autant moins établi que le conseil de la société Exial ait été sollicité lors de la résiliation du bail commercial et la vente du local commercial qu’aucun des actes y afférents ne se réfère à une quelconque intervention de l’expert-comptable, et que la SCI et la SARL étaient entourés d’un avocat et de deux notaires pour réaliser les opérations de dissolution de la SARL et de vente du bien immobilier de la SCI.

D’ailleurs, les notaires ont effectivement attirer l’attention de la SCI venderesse sur le fait que le preneur à bail commercial pouvait être à même de négocier financièrement son départ et demander une indemnité d’éviction, ce dont son gérant, M. [I] [D], a déclaré être parfaitement informé et en faire son affaire personnelle.

Il s’en évince que les consorts [D] détenaient déjà l’information qu’ils reprochent à la société Exial de ne pas avoir délivrée, et qu’ils en avaient parfaitement appréhendé la portée puisqu’entre le compromis de vente du 19 novembre 2012 et la signature de l’acte authentique du 23 janvier 2013, ils ont établi, le 7 novembre 2012, un acte de résiliation du bail stipulant expressément que la résiliation intervenait à l’initiative du preneur et qu”elle avait lieu ‘sans indemnité de part et d’autre’, de sorte qu’à supposer même que l’expert-comptable ait manqué à son devoir de conseil, ils ne sauraient se prévaloir de l’existence d’un quelconque préjudice en lien causal avec la faute alléguée.

Au surplus, s’ils soutiennent aujourd’hui que ‘l’orthodoxie juridique’ impliquait de prévoir au bénéfice de la SARL une indemnité d’éviction compensant la résiliation du bail commercial à l’initiative du bailleur et la disparition subséquente de son fonds de commerce, ils n’établissent nullement que les conditions d’application d’une telle indemnité étaient acquises, alors que, du fait que, par sa nature, l’activité pouvait être facilement déplacée, et que la SARL preneuse était en grande difficulté financière depuis de nombreuses années, voire en cessation des paiements, et n’avait plus qu’une activité commerciale très faible, de sorte que la valorisation du fonds de commerce était très incertaine.

S’agissant l’absence d’indemnisation de M. [I] [D] par Pôle Emploi après son licenciement, la société Exial fait à juste titre observer que, pour maintenir l’activité de la SARL, M. [D] avait fait le choix d’incorporer son compte courant au capital social, ce dernier devenant alors associé majoritaire, que cette opération avait permis de rassurer la banquier qui a accordé un nouveau concours, à défaut de quoi l’existence de l’entreprise était en péril.

L’intimée en déduit ainsi à juste titre que, comme les premiers juges l’avaient démontré, le refus d’indemnisation de Pôle emploi n’avait aucun lien de causalité avec la mission confiées à la société Exial, une nouvelle modification postérieure de la répartition des parts sociales de la SARL dans le seul but de faire apparaître M. [I] [D] au moment de la cessation d’activité de l’entreprise et de son licenciement comme associé minoritaire ayant nécessairement été considérée par l’organisme social comme un montage fictif destiné à masquer l’absence de liens de subordination et à ouvrir droit à indemnisation.

S’agissant de l’absence de dépôt de bilan, la société Exial soutient avoir informé les consorts [D] de l’état de cessation des paiements de la SARL et leur avoir conseillé de former une demande d’ouverture de redressement judiciaire, ce à quoi les demandeurs se seraient opposés aux motifs qu’ils souhaitaient maintenir leur réputation, M. [I] [D] n’ayant jamais fait faillite au cours de sa vie professionnelle et M. [T] [D] ayant pour projet de continuer à exercer dans le secteur de la réparation automobile en se réinstallant ou en s’associant avec d’autres garagistes, que les fonds issus de la vente des stocks auraient été appréhendés par les créanciers et que la SCI s’était portée caution de l’emprunt de la SARL.

Ces explications sont corroborées par le projet de courrier daté du 27 avril 2013 dans lequel M. [I] [D] exposait qu’il ne souhaitait pas ‘que l’entreprise de ses enfants fasse un dépôt de bilan’, ainsi que par le fait que les consorts [D] ont mandaté un avocat spécialisé en droit des affaires afin de procéder aux démarches relatives à la dissolution de la SARL et à sa liquidation amiable.

La volonté des consorts [D], dûment informés, de ne pas déclarer l’état de cessation de paiement de la SARL est donc patente, de sorte que ce choix ne saurait être reproché à la société Exial, dont rien ne démontre qu’elle ait par ailleurs pu conseiller, ni même être simplement tenue informée de l’intention de M. [I] [D] d’éponger, à l’insu de son fils [U] [D], les dettes de la SARL avec le prix de vente du bien immobilier de la SCI.

Il convient donc de rejeter l’action en responsabilité exercée contre la société d’expertise comptable et de confirmer le jugement attaqué en tous points.

Il serait enfin inéquitable de laisser à la charge de la société Exial l’intégralité des frais exposés par elle à l’occasion de l’instance d’appel et non compris dans les dépens, en sorte qu’il lui sera alloué une somme de 2 500 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS, LA COUR :

Confirme le jugement rendu le 8 septembre 2020 par le tribunal judiciaire de Vannes en toutes ses dispositions ;

Condamne in solidum M. [I] [D], Mme [N] [J] épouse [D] et M. [T] [D] à payer à la société Exial Bretagne une somme de 2 500 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile ;

Condamne in solidum M. [I] [D], Mme [N] [J] épouse [D] et M. [T] [D] aux dépens d’appel ;

Accorde le bénéfice des dispositions de l’article 699 du code de procédure civile.

LE GREFFIER LE PRÉSIDENT

 


0 0 votes
Évaluation de l'article
S’abonner
Notification pour
guest
0 Commentaires
Le plus ancien
Le plus récent Le plus populaire
Commentaires en ligne
Afficher tous les commentaires
Chat Icon
0
Nous aimerions avoir votre avis, veuillez laisser un commentaire.x