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ARRET N°
du 23 janvier 2024
N° RG 22/01655
N° Portalis DBVQ-V-B7G-FHHQ
SAS C.I.C.A
(CHAUDRONNERIE INDUSTRIELLE DE CHAMPAGNE ARDENNES)
c/
SELARL [R] [H], ès qualités de mandataire liquidateur de la SARL KELZIND
Formule exécutoire le :
à :
Me Anne-Laure SEURAT
Me Sandy HARANT
COUR D’APPEL DE REIMS
CHAMBRE CIVILE-1° SECTION
ARRET DU 23 JANVIER 2024
APPELANTE :
d’un jugement rendu le 13 septembre 2022 par le tribunal de commerce de REIMS.
La SAS C.I.C.A (Chaudronnerie Industrielle de Champagne-Ardenne), société par actions simplifiée, au capital de 150 000 euros, immatriculée au Registre du commerce et des sociétés de REIMS sous le numéro 428.679.724, agissant poursuites et diligences de son représentant légal, domicilié de droit au siège :
[Adresse 4]
[Adresse 4]
[Localité 3],
Représentée par Me Anne-Laure SEURAT, avocat au barreau de REIMS.
INTIMEE :
La SELARL [R] [H], agissant en sa qualité de mandataire judiciaire à la liquidation judiciaire de la société KELZIND, fonctions auxquelles elle a été désignée selon jugement rendu par le tribunal de commerce de REIMS le 22 juin 2017, prise en la personne de son associée, Maître [R] [H], spécialement désignée en son sein aux fins de conduire ladite mission, ayant bureaux :
[Adresse 1]
[Localité 2],
Représentée par Me Sandy HARANT, avocat au barreau de REIMS,
COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DEBATS ET DU DELIBERE :
Madame Elisabeth MEHL-JUNGBLUTH, présidente de chambre,
Madame Véronique MAUSSIRE, conseillère,
Madame Florence MATHIEU, conseillère,
GREFFIER :
Madame Yelena MOHAMED-DALLAS, greffière lors des débats,
Madame Jocelyne DRAPIER, greffière lors de la mise à disposition.
DEBATS :
A l’audience publique du 5 décembre 2023, où l’affaire a été mise en délibéré au 23 janvier 2024.
ARRET :
Contradictoire, prononcé par mise à disposition au greffe le 23 janvier 2024 et signé par Madame Elisabeth MEHL-JUNGBLUTH, présidente de chambre, et Madame Jocelyne DRAPIER, greffier, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.
* * * * *
Exposé du litige
En 2017, la SARL KELZIND était détenue à 49% par la SAS CHAUDRONNERIE INDUSTRIELLE DE CHAMPAGNE ARDENNES (ci-après désignée CICA).
Le 13 février 2017, la SAS CICA a versé la somme de 100.000 euros à la SARL KELZIND.
Suite à la déclaration de cessation des paiements réalisée le 4 avril 2017 par son dirigeant, le tribunal de commerce de Reims a ouvert une procédure de redressement judiciaire à l’égard de la SARL KELZIND.
Cette procédure a été convertie en liquidation judiciaire, suivant un jugement du tribunal de commerce du 22 juin 2017 et la SELARL [R] [H], prise en la personne de son associée, Maître [R] [H], a été désignée en qualité de liquidateur.
Par courrier du 11 octobre 2019, Maître [H], ès qualités, a demandé à la société CICA de rembourser la somme de 100.000 euros, n’ayant reçu aucune explication sur les raisons des deux virements de 50.000 euros chacun.
Puis par lettre recommandée du 7 août 2020 avec avis de réception du 10 août, le conseil de Maître [H], ès qualités, a mis en demeure la société CICA de rembourser la somme de 100.000 euros, outre les intérêts au taux légal.
Par acte d’huissier en date du 21 septembre 2020, Maître [H], ès qualités, a fait assigner la SAS CICA devant le tribunal de commerce de Reims, aux fins d’obtenir, avec le bénéfice de l’exécution provisoire, la condamnation de cette dernière à lui payer les sommes de :
– 100.000 €, augmentée des intérêts au taux légal à dater du 10 août 2020,
– 10.000 € à titre de dommages et intérêts pour préjudice financier,
– 2.000 € à titre d’indemnité pour frais irrépétibles.
Par jugement en date du 13 septembre 2022, le tribunal de commerce de Reims a, avec le bénéfice de l’exécution provisoire, condamné la SAS CICA à payer à Maître [H], ès qualités, la somme de 100.000 euros avec intérêts au taux légal à compter du 10 août 2020 et de 1.500 euros à titre d’indemnité pour frais irrépétibles. Il a rejeté la demande en paiement à titre de dommages et intérêts.
Par un acte en date du 14 septembre 2022, la SAS CICA a interjeté appel de ce jugement.
Saisi à la requête de la SAS CICA, le premier président de cette cour a débouté cette dernière de sa demande d’arrêt de l’exécution provisoire attachée à la décision querellée et l’a condamnée à payer à Maître [H], ès qualités la somme de 1.000 euros à titre d’indemnité pour frais irrépétibles ainsi qu’aux dépens.
Aux termes de ses dernières écritures notifiées électroniquement le 20 septembre 2023, la SAS CICA conclut à l’infirmation du jugement déféré et demande à la cour de condamner Maître [H], ès qualités, à lui payer la somme de 3.000 euros à titre d’indemnité pour frais irrépétibles.
Elle explique que le 15 décembre 2015, elle a émis une offre de prix à l’attention de la SARL KELZIND pour la réalisation d’un ensemble de prototypes pour les vendanges de septembre 2016 pour un montant de 400.000 euros HT, offre qui a été acceptée et signée par Monsieur [V], représentant de la SARL KELZIND ; qu’une somme de 200.000 euros HT lui a été versée le 16 décembre 2015, puis une somme de 100.000 euros HT le 4 octobre 2016.
Elle expose qu’avisée d’une dénonciation de la convention d’industrialisation signée entre la SARL KELZIND et la société BUCHER VASLIN remettant en cause le projet global de brevet autour des prototypes réalisés, elle a accepté une augmentation de capital de SARL KELZIND à hauteur de 200.000 euros financée par un emprunt auprès de la BPI.
Elle affirme qu’un bon de commande a été signé entre elle et la SARL KELZIND, qu’une facture a été établie le 31 janvier 2017 et que deux virements de 50 .000 euros ont été effectués à son profit par la SARL KELZIND le 13 février 2017.
Elle soutient que les virements sont justifiés par la signature du bon de commande et que les mouvements financiers ont été validés par la société FCN, expert-comptable de la société CICA et la société GRANT THORNTON, commissaire aux comptes.
Elle fait valoir que la période suspecte commence à courir au jour de l’état de cessation des paiements jusqu’à l’ouverture de la procédure collective et qu’en l’espèce la date de cessation des paiements a été fixée au 4 mars 2017, soit postérieurement aux virements critiqués.
Elle précise qu’il n’est pas justifié de ce que les paiements auraient été réalisés dans le cadre de la délégation de pouvoir accordée par Monsieur [V] à Monsieur [C] le 10 décembre 2015 et insiste sur le fait qu’aucune révocation n’a jamais été notifiée à Monsieur [C].
Aux termes de ses dernières écritures notifiées électroniquement le 17 août 2023, Maître [H], ès qualités, conclut à l’infirmation partielle du jugement entrepris et demande à la cour d’ordonner la capitalisation des intérêts sur la somme de 100.000 euros (cette demande ayant été omise par les premiers juges) et de condamner la SAS CICA à lui payer la somme de 10.000 euros en réparation du préjudice financier subi. Elle sollicite en outre la somme de 3.000 euros au titre des frais irrépétibles exposés à hauteur d’appel.
Elle soutient que les deux virements n’ont aucune cause juridique.
Elle estime que les factures versées aux débats l’ont été pour les besoins de la cause, notamment celle du 16 décembre 2015 produite pour la première fois à hauteur d’appel et insiste sur le fait que la facture du 31 janvier 2017 évoque un prix total convenu de 200.000 euros alors que le devis initial portait sur un montant total de 400.000 euros.
Elle fait valoir qu’il n’est pas justifié de la réalisation des prestations invoquées par la SAS CICA.
Elle précise qu’il n’existe aucune convention de trésorerie réglementée entre les sociétés CICA et KELZIND.
Elle soutient que le rapport du commissaire aux comptes de la société CICA ne permet pas de justifier de la cause des factures enregistrées et indique que ce dernier ne peut qu’émettre un avis sur la sincérité de la comptabilité qui lui est présentée et qui a été enregistrée par l’expert-comptable.
Elle ajoute que les virements dénoncés sont intervenus à une période où la situation économique de la société KELZIND était déjà fortement compromise et avait pour but d’échapper aux poursuites des créanciers de la société KELZIND et donc de bénéficier d’un paiement préférentiel.
L’ordonnance de clôture a été rendue le 3 octobre 2023.
MOTIFS DE LA DECISION :
*Sur la demande en paiement de Maître [H], ès qualités, de la somme de 100.000 euros :
Aux termes de l’article 1353 du code civil, celui qui réclame l’exécution d’une obligation doit la prouver.
Réciproquement, celui qui se prétend libéré doit justifier le paiement ou le fait qui a produit l’extinction de l’obligation.
Il est constant que, le 13 février 2017, deux virements d’un montant de 50.000 euros chacun ont été opérés du compte de la société KELZIND au profit de la SAS CICA.
Maître [H], ès qualités, justifie que, par courrier du 11 octobre 2019, elle a réclamé à la SAS CICA le remboursement de la somme de 100.000 euros et a joint à sa demande le procès-verbal de l’assemblée générale extraordinaire de la Sarl KELZIND du 21 novembre 2016, aux termes duquel il a été décidé qu’à la suite de l’augmentation de capital réalisé le même jour par incorporation du compte courant d’associé de la SAS CICA de 199.995 euros, la Sarl KELZIND ne restait plus devoir aucune somme à la société CICA.
Si la SAS CICA produit une facture datée du 31 janvier 2017 adressée à la Sarl KELZIND pour un montant de 120.000 euros TTC portant sur «l’étude et la conception d’un ensemble de prototype Stanka pour un prix total de 200.000 euros HT, avec un avancement de 100.000 euros HT et un solde de la commande de 100.000 euros HT» pour justifier les deux virements bancaires réalisés, ce document n’est pas suffisant pour démontrer la réalité de la prestation.
La cour, comme le tribunal, estime qu’aucun élément probant ne démontre l’effectivité de la prestation invoquée par la SAS CICA.
En effet :
– en premier lieu, le devis initial du 15 décembre 2015 prévoyant la conception du prototype Stanka portait sur la somme totale de 400.000 euros HT alors que la facture critiquée mentionne un montant global de 200.000 euros HT, ce qui illustre une contradiction entre les pièces produites par la SAS CICA,
– en deuxième lieu, devant la cour, la SAS CICA a communiqué une nouvelle facture datée du 16 décembre 2015 pour expliquer les deux virements du 13 février 2017. Cette facture indique « Réalisation d’un ensemble de prototypes « Stanka » pour les vendanges de septembre 2016 – prix total 400.000 euros HT, acompte 50% à la commande 200.000 euros HT, soit 240.000 euros à payer par virement ». La SAS CICA a versé des relevés de compte qui font apparaître le 15 mars 2016 un virement de 40.000 euros émanant de la sarl KELZIND avec l’intitulé « tva sur facture 20151205 » et le 23 décembre 2015 une somme de 200.000 euros avec l’intitulé « vir.trésorerie reçu1 KELZIND ». Or, il y a lieu de rappeler que parallèlement la société CICA participait aux augmentations de capitaux de la Sarl KELZIND et que dans le procès-verbal d’assemblée générale de la Sarl KELZIND précité du 21 novembre 2016, il a été constaté que la Sarl KELZIND n’était plus débitrice d’aucune dette à l’égard de la SAS CICA,
– en troisième lieu, le devis du 15 décembre 2015 détaillait la liste des prestations à réaliser par la société CICA en ces termes :
« – Plan de ensembles tôlerie et tuyauteries
– Matière, accessoires et sous traitance
– Fabrication atelier
– Essais », or la SAS CICA ne démontre pas avoir réalisé lesdites prestations, les quelques photographies fournies représentant du matériel étant insuffisantes pour justifier de l’adéquation entre ces pièces et les factures au contenu sommaire susvisé. A aucun moment, les documents avec l’intitulé confidentiel (pièce 26 de l’appelante) ne mentionnent la fabrication des prototypes,
– enfin, les rapports du commissaire aux comptes de la SAS CICA relatifs aux exercices clos les 31 décembre 2016 et 31 décembre 2017, ne peuvent pas attester de la réalisation des prestations invoquées, car le rôle du commissaire aux comptes se limite à émettre un avis sur la sincérité de la comptabilité qui lui a été présentée et qui a été enregistrée par l’expert-comptable.
De plus, il y a lieu de relever que les deux virements litigieux ont été réalisés par Monsieur [C], dirigeant de la SAS CICA, qui disposait d’une délégation de pouvoir donnée le 20 décembre 2016 par Monsieur [V], gérant de la Sarl KELZIND. Il ressort de courriels échangés entre Messieurs [V] et [C] qu’ils étaient conscients des difficultés rencontrées par l’ensemble du groupe ALISKOR auquel appartenaient les deux sociétés CICA et KELZIND, Monsieur [C] écrivant le 3 février 2017 :
« (‘) Concernant les remontées sur CICA (80.000 euros de VERIZY), je rappelle que c’est une sécurité pour éviter les règlements et saisies intempestives sur les comptes comme c’est le cas depuis le début de l’année si cela pose un problème merci de me le faire savoir. Il faudra faire sûrement de même avec KELZIND mais je ne fais rien pour l’instant (‘) Il faut maintenant arbitrer d’urgence la situation concernant le règlement des fournisseurs et les budgets alloués à chaque structure car il y aura forcément des dépenses imprévues à ce jour (…) ».
Par ailleurs, il convient de souligner que ces virements critiqués sont intervenus dans une période très proche de la date de cessation des paiements de la Sarl KELZIND, en date du 4 mars 2017.
Ainsi, ces éléments démontrent que les dirigeants des deux sociétés et du groupe dans son ensemble ont adopté une stratégie consistant à opérer des mouvements bancaires afin d’éviter l’intervention des créanciers, maintenir artificiellement un équilibre financier qu’ils savaient compromis, alors même qu’il n’est justifié d’aucune convention de trésorerie entre les sociétés dont s’agit.
Dans ces conditions, constatant que la SAS CICA ne prouve pas que les deux virements du 13 février 2017 ont une cause, il convient par conséquent, de confirmer le jugement déféré en ce qu’il a condamné la SAS CICA à payer à Maître [H] ès qualités la somme de 100.000 euros avec intérêts au taux légal à compter du 10 août 2020, date de la mise en demeure.
En vertu de l’article 1343-2 du code civil, cette disposition étant d’ordre public, il convient d’ordonner la capitalisation des intérêts et d’ajouter cette condamnation omise par les premiers juges.
*Sur la demande en paiement au titre du préjudice financier :
Maître [H], ès qualités, ne caractérise pas un préjudice financier distinct de la demande de remboursement des deux virements critiqués du 13 février 2017, celle-ci ayant au demeurant obtenu les intérêts au taux légal à compter de la mise en demeure et la capitalisation des intérêts.
Par conséquent, il convient de confirmer le jugement déféré en ce qu’il l’a déboutée de sa demande de ce chef.
*Sur les autres demandes :
Conformément à l’article 696 du code de procédure civile, la SAS CICA succombant, elle sera tenue aux dépens d’appel.
La nature de l’affaire et les circonstances de l’espèce commandent de condamner la SAS CHAUDRONNERIE INDUSTRIELLE DE CHAMPAGNE ARDENNES à payer à la SELARL [R] [H], en qualité de liquidateur de la SARL KELZIND, la somme de 1.500 euros à titre d’indemnité pour frais irrépétibles, et de la débouter de sa demande en paiement sur ce même fondement.
PAR CES MOTIFS :
La cour statuant publiquement et contradictoirement,
Confirme le jugement rendu le 13 septembre 2022 par le tribunal judiciaire de Reims, en toutes ses dispositions.
Y ajoutant,
Ordonne la capitalisation des intérêts par application de l’article 1343-2 du code civil,
Condamne la SAS CHAUDRONNERIE INDUSTRIELLE DE CHAMPAGNE ARDENNES à payer à la SELARL [R] [H], en qualité de liquidateur de la SARL KELZIND, la somme de 1.500 euros à titre d’indemnité pour frais irrépétibles.
La déboute de sa demande en paiement sur ce même fondement.
Condamne la SAS CHAUDRONNERIE INDUSTRIELLE DE CHAMPAGNE ARDENNES aux dépens d’appel.
Le greffier, La présidente de chambre,