Your cart is currently empty!
COUR D’APPEL
DE
VERSAILLES
Code nac : 80A
Chambre sociale 4-5
ARRET N°
CONTRADICTOIRE
DU 18 JANVIER 2024
N° RG 22/02166
N° Portalis DBV3-V-B7G-VJWU
AFFAIRE :
[N] [B]
C/
S.A.S. RADIO SYSTEMES INGENIERIE VIDEO TECHNOLOGIES
Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 28 Avril 2022 par le Conseil de Prud’hommes Formation paritaire de BOULOGNE-
BILLANCOURT
N° Section : E
N° RG : 19/01449
Copies exécutoires et certifiées conformes délivrées à :
Me Lénaïck BERTHEVAS
la SELARL CAPSTAN RHONE-ALPES
le :
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
LE DIX HUIT JANVIER DEUX MILLE VINGT QUATRE,
La cour d’appel de Versailles a rendu l’arrêt suivant dans l’affaire entre :
Monsieur [N] [B]
né le 04 Octobre 1965 à [Localité 5]
de nationalité Française
[Adresse 2]
[Localité 4]
Représentant : Me Lénaïck BERTHEVAS, Constitué, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 466 – Représentant : Me Pascale DIEUDONNE, Plaidant, avocat au barreau de NICE, vestiaire : 011
APPELANT
****************
S.A.S. RADIO SYSTEMES INGENIERIE VIDEO TECHNOLOGIES
N° SIRET : 429 213 929
[Adresse 1]
[Localité 3]
Représentant : Me Philippe GAUTIER de la SELARL CAPSTAN RHONE-ALPES, Plaidant/Constitué, avocat au barreau de LYON, vestiaire : 741
INTIMEE
****************
Composition de la cour :
En application des dispositions de l’article 805 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue à l’audience publique du 01 Décembre 2023 les avocats des parties ne s’y étant pas opposés, devant Madame Laure TOUTENU, Conseiller chargé du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Monsieur Thierry CABALE, Président,
Monsieur Stéphane BOUCHARD, Conseiller,
Madame Laure TOUTENU, Conseiller,
Greffier lors des débats : Monsieur Mohamed EL GOUZI,
EXPOSE DU LITIGE
M. [N] [B] a été engagé par la société Radio systèmes ingénierie (RSI) suivant un contrat de travail à durée indéterminée à compter du 3 juin 2002 en qualité de directeur commercial, position 3.3, coefficient 270, avec le statut de cadre.
La relation de travail était régie par la convention collective nationale des bureaux d’études techniques, des cabinets d’ingénieurs-conseils et des sociétés de conseils.
Par lettre du 8 février 2019, l’employeur a notifié une mise à pied à M. [B].
Par lettre du 21 février 2019, le salarié a été convoqué à un entretien préalable à un éventuel licenciement, fixé au 1er mars 2019.
Par lettre du 15 mars 2019, l’employeur a licencié le salarié pour faute grave.
Contestant son licenciement, le 31 octobre 2019 M. [B] a saisi le conseil de prud’hommes de Boulogne-Billancourt afin d’obtenir la condamnation de la société RSI au paiement de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et de diverses sommes au titre de l’exécution et de la rupture du contrat de travail.
Par jugement en date du 28 avril 2022, auquel il est renvoyé pour exposé de la procédure antérieure et des demandes initiales des parties, cette juridiction a :
– dit le licenciement de M. [B] fondé sur une faute grave,
– débouté M. [B] de l’ensemble de ses demandes,
– condamné M. [B] à verser à la société RSI la somme de 1 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
– condamné M. [B] aux dépens.
Le 7 juillet 2022, M. [B] a interjeté appel à l’encontre de ce jugement.
Par conclusions signifiées par voie électronique le 13 novembre 2023, M. [B] demande à la cour de :
– ordonner le rejet de deux nouvelles attestations produites par la société Radio systèmes ingénierie vidéo technologies (pièces 46 et 47) de façon plus que tardive alors qu’elles datent des 2 mai 2019 et 7 novembre 2023 et des nouvelles conclusions,
– subsidiairement, ordonner le rabat de l’ordonnance de clôture en l’état de la notification la veille de la clôture en fin d’après-midi de nouvelles attestations datant des 2 mai 2019 et 7 novembres 2023 et de nouvelles conclusions,
– dans tous les cas, infirmer le jugement en ce qu’il a dit que son licenciement est fondé sur une faute grave,
– infirmer le jugement en ce qu’il l’a condamné à verser à la société Radio systèmes ingénierie vidéo technologies la somme de 1 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens,
– l’infirmer en ce qu’il l’a débouté de l’ensemble de ses demandes,
– statuant à nouveau, requalifier sa mise à pied en mise à pied disciplinaire en l’état de sa durée excessive,
– vu la règle non bis in idem, juger que la société Radio systèmes ingénierie vidéo technologies ne pouvait le sanctionner une deuxième fois, pour les mêmes faits, en lui notifiant son licenciement pour faute grave,
– juger en conséquence que son licenciement est sans cause réelle et sérieuse,
– juger que la mise à pied disciplinaire repose sur un motif infondé,
– à titre subsidiaire, juger que son licenciement prononcé plus de deux mois après que la société Radio systèmes ingénierie vidéo technologies ait eu connaissance de sa prise de participation dans le capital de la Sarl safe diffusion, repose sur des faits prescrits,
– juger par conséquent, que son licenciement est sans cause réelle et sérieuse,
– juger à titre très subsidiaire, que le motif invoqué par la société Radio systèmes ingénierie vidéo technologies à l’appui du licenciement est infondé,
– juger par conséquent, que son licenciement est sans cause réelle et sérieuse,
– à titre plus subsidiaire encore, juger que le doute doit lui profiter,
– en tous les cas, vu l’article 19 de la convention collective des bureaux d’études techniques, cabinets d’ingénieurs-conseils et sociétés de conseils,
– condamner la société Radio systèmes ingénierie vidéo technologies à lui régler la somme de 127 309,77 euros correspondant à son indemnité de licenciement,
– condamner la société Radio systèmes ingénierie vidéo technologies à lui régler la somme de 67 399,29 euros correspondant à son indemnité compensatrice de préavis,
– condamner la société Radio systèmes ingénierie vidéo technologies à lui régler la somme de 718,92 euros à titre d’indemnité compensatrice de congés payés afférente au préavis,
– vu l’article L.1235-3 du code du travail, condamner la société Radio systèmes ingénierie vidéo technologies à lui régler la somme de 314 530, 02 euros à titre de dommages et intérêts correspondant à 14 mois de salaires bruts,
– juger que le comportement fautif de la société radio systèmes ingénierie vidéo technologies et les circonstances vexatoires qui ont entouré le licenciement pour faute grave de M. [B] lui ont causé à un préjudice distinct,
– condamner la société radio systèmes ingénierie vidéo technologies à régler à M. [B] la somme de 20 000 euros, à titre de dommages et intérêts en réparation de ce préjudice distinct,
– à titre infiniment subsidiaire, dire que les faits qui lui sont reprochés ne sont pas constitutifs d’une faute grave,
– condamner la société Radio systèmes ingénierie vidéo technologies à lui régler la somme de 127 309,77 euros correspondant à son indemnité de licenciement,
– condamner la société Radio systèmes ingénierie vidéo technologies à lui régler la somme de 67 399,29 euros correspondant à son indemnité compensatrice de préavis,
– condamner la société Radio systèmes ingénierie vidéo technologies à lui régler la somme de 718,92 euros à titre d’indemnité compensatrice de congés payés afférente au préavis,
– en tous les cas, condamner la société Radio systèmes ingénierie vidéo technologies à lui régler la somme de 26 551,20 euros correspondant au salaire dont il a été privé durant la période de mise à pied,
– condamner la société Radio systèmes ingénierie vidéo technologies à lui régler la somme de
14 480 euros, correspondant au solde de la prime sur objectifs du 1er trimestre 2019,
– condamner la société Radio systèmes ingénierie vidéo technologies à lui régler la somme de
7 070,67 euros, correspondant à la prime incentive pour la période du 1/10/2019 au 18/3/2019,
– condamner la société Radio systèmes ingénierie vidéo technologies à lui régler la somme de
2 594,09 euros, correspondant au solde de la prime de 13ème mois,
– condamner la société Radio systèmes ingénierie vidéo technologies à lui remettre, sous astreinte de 200 euros par jour de retard à compter de la décision à intervenir, ses bulletins de salaire pour la période du 18/3/2019 au 18/06/2019 ainsi que son certificat de travail et l’attestation Pôle Emploi rectifiés,
– condamner la société Radio systèmes ingénierie vidéo technologies à lui payer la somme de
8 000 euros au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.
– condamner la société Radio systèmes ingénierie vidéo technologies aux entiers dépens.
Par conclusions signifiées par voie électronique le 3 janvier 2023, la société Radio systèmes ingénierie vidéo technologies demande à la cour de confirmer en toutes ses dispositions le jugement rendu, de débouter M. [B] de l’ensemble de ses demandes, de le condamner à lui verser la somme de 5 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux dépens.
Par conclusions notifiées et remises au greffe par le RPVA le 13 novembre 2023, la société Radio systèmes ingénierie vidéo technologies demande à la cour de confirmer en toutes ses dispositions le jugement rendu, de débouter M. [B] de l’ensemble de ses demandes, de le condamner à lui verser la somme de 5 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux dépens.
Par conclusions notifiées et remises au greffe par le RPVA le 14 novembre 2023 à 8h52, la société Radio systèmes ingénierie vidéo technologies demande à la cour de :
– constater qu’il n’y pas lieu de rejeter les pièces 46 et 47 communiquées par elle,
– confirmer en toutes ses dispositions le jugement rendu,
– statuant à nouveau, débouter M. [B] de l’ensemble de ses demandes,
– condamner M. [B] aux entiers dépens,
– condamner M. [B] à lui verser la somme de 5 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.
En application de l’article 455 du code de procédure civile, il est renvoyé aux conclusions des parties pour un plus ample exposé de leurs prétentions et moyens.
L’ordonnance de clôture de la procédure est intervenue le 14 novembre 2023 et a été notifiée aux parties le même jour à 13h20.
MOTIVATION
Sur la demande de rejet de pièces et de conclusions
Le salarié sollicite le rejet des pièces de l’employeur numérotées 46 et 47 ainsi que des nouvelles conclusions de l’employeur, celles-ci ayant été communiquées tardivement selon lui, l’employeur faisant preuve d’une attitude particulièrement déloyale. Subsidiairement, il sollicite le rabat de l’ordonnance de clôture.
L’employeur s’oppose à la demande, faisant valoir que le salarié a lui-même communiqué tardivement des conclusions ainsi qu’une attestation dont il était en possession depuis plusieurs mois, et qu’il a semblé pertinent de répondre à ce stade de la procédure par les deux témoignages produits dans le temps restreint qui lui restait.
Aux termes de l’article 16 du code de procédure civile, le juge doit, en toutes circonstances, faire observer et observer lui-même le principe de la contradiction.
Il ne peut retenir, dans sa décision, les moyens, les explications et les documents invoqués ou produits par les parties que si celles-ci ont été à même d’en débattre contradictoirement.
Il ne peut fonder sa décision sur les moyens de droit qu’il a relevés d’office sans avoir au préalable invité les parties à présenter leurs observations.
En l’espèce, l’employeur a communiqué par voie électronique le 13 novembre 2023, veille de la date fixée pour la clôture de l’instruction, de nouvelles pièces numérotées 46 et 47 ainsi que des conclusions en réplique.
Il y a lieu de considérer que l’employeur a fait preuve de déloyauté en communiquant dans les
24 heures ayant précédé la clôture deux pièces datées des 2 mai 2019 et 7 novembre 2023 ainsi que de nouvelles conclusions, au mépris du respect du principe du contradictoire, le salarié appelant n’ayant pas la faculté d’en prendre connaissance et d’en discuter avant la clôture de l’instruction.
Par conséquent, il convient de rejeter les pièces produites par la société Radio Systèmes Ingénierie Vidéo Technologies numérotées 46 et 47 et les conclusions récapitulatives de celle-ci postérieures aux conclusions du 3 janvier 2023.
Sur la qualification de la mise à pied
Le salarié soutient que la mise à pied qu’il a subie doit être qualifiée de disciplinaire. Il fait valoir que 14 jours se sont écoulés entre la mise à pied et la convocation à entretien préalable puis
22 jours avant la notification du licenciement, qu’outre son caractère infondé et vexatoire, sa durée excessive justifie sa requalification en mise à pied disciplinaire.
L’employeur fait valoir que le délai entre la mise à pied et l’engagement de la procédure de licenciement est justifié par la nécessité de procéder à des investigations, que la mise à pied ne saurait être requalifiée en mise à pied disciplinaire mais qu’elle est conservatoire.
La mise à pied conservatoire doit en principe être immédiatement suivie du lancement de la procédure de licenciement, sauf si un temps d’attente est indispensable au vu des circonstances.
En l’espèce, la mise à pied, qualifiée de conservatoire, a été suivie treize jours après son prononcé de l’envoi d’une lettre de convocation à l’entretien préalable à un licenciement et ce délai de treize jours est, dans l’intérêt même du salarié, un délai indispensable, compte tenu de la nécessité, pour l’employeur, de mener à bien les investigations sur les faits reprochés portant sur une prise de participation dans un distributeur et des actes ayant mis le salarié dans une situation de conflit d’intérêts et de se déterminer sur la nécessité d’engager une procédure de licenciement pour faute grave, il y a donc lieu de retenir que cette mise à pied de treize jours avait un caractère conservatoire.
Par conséquent, le jugement entrepris sera confirmé en ce qu’il a rejeté la demande de M. [B] de requalification de la mise à pied conservatoire en mise à pied disciplinaire.
Sur le bien-fondé du licenciement et ses conséquences
La lettre de licenciement qui fixe les limites du litige, est libellée comme suit :
« […] De par votre fonction de Directeur Commercial Security EMEA au sein de notre société, vous êtes en charge de la commercialisation de nos produits sur l ‘ensemble du territoire français et à l’étranger auprès de distributeurs et de diriger l’équipe commerciale dédiée.
Il a été porté à notre attention que vous étiez concerné par un conflit d’intérêt au sein de notre organisation.
L ‘équipe Integrity and Compliance (Conformité et intégrité) du groupe Resideo a ainsi été sollicitée au mois de février, et une enquête, interne a été diligentée, confirmant que vous détenez, depuis mai 2018, 30% des parts de la société Safe Diffusion, l’un de nos distributeurs, et que vos intérêts en qualité d’actionnaire de cette société ont été mêlés à votre activité salariée de Directeur Commercial.
Nous avons d’abord à constater que vous n ‘avez pas pris soin de nous informer de votre prise d’intérêt au sein de la société Safe Diffùsion.
Nous avons ensuite eu à déplorer que ce conflit d’intérêt est fortement préjudiciable à notre entreprise, son bon fonctionnement et son image.
Il suffit de relever les éléments suivants, qui ne sont que des exemples parmi d’autres des conséquences qui en résultent :
– Nous avons eu à constater un nombre important d’échanges email d’appels téléphoniques et de SMS avec Monsieur [I] [U], dirigeant de Safe Diffusion. Ce volume inhabituel nous questionne sur votre engagement au titre de votre fonction de Directeur Commercial et la gestion de votre temps de travail.
La teneur des échanges email témoigne d’un rôle manifeste de votre part dans le suivi et le conseil des activités quotidiennes de Safe Diffusion. Nous pouvons notamment faire référence å des tableaux de suivi que vous avez mis en place, à des rapports détaillés de protection qui vous sont adressés mensuellement, mais qui ne sont pas fournis par nos deux autres distributeurs français.
– Pire encore, nous apprenons qu’un document officiel de notre société a été fourni à Safe Diffusion le 15 octobre 2018, dans le but d’attester notamment de l’indépendance de Safe diffusion dans le cadre d’un litige l’opposant à un autre de nos distributeurs. Lors de notre entretien préalable, vous nous avez précisé que ce document avait été rédigé par l’avocat de Safe Diffusion puis retranscrit sur papier en-tête RSI Vidéo Technologies et signé par vos soins en tant que Directeur Commercial de notre société. Vous n’avez alors ni informé, ni demandé la validation d’aucun intervenant légitime au sein de RSI Video Technologies ni du groupe Resideo pour produire ce document destiné à être utilisé dans la procédure opposant ces distributeurs.
Vous mêlez vos intérêts personnels, ceux de la société Safe Diffusion, à votre activité de Directeur Commercial sans que cela ne semble vous poser des difficultés.
– Nous sommes également totalement déconcertés par la découverte d’échanges emails entre Monsieur [I] [U] et vous-même concernant l’introduction d’un de nos concurrents, AJAX dans le portefeuille de Safe Diffusion. Société pour laquelle vous avez directement, participé au démarchage, à, l’établissement et au renvoi de questionnaire d ‘information, et à la définition des conditions commerciales. Vous aviez pourtant alerté nos équipes du danger manifeste que représente ce concurrent lors de la réunion commerciale (Sales kick-Off) du 20 décembre 2018.
– Nous avons aussi constaté votre demande de transfert du client CAPS Secure du distributeur ITESA vers Safe diffusion sans proposer à ce client, comme nos pratiques l’imposent, l’un de nos autres distributeurs.
– Votre obligation de loyauté et de confidentialité est également remise en cause, de par les informations strictement confidentielles que vous avez envoyées à Monsieur [I] [U]. Par exemple, le business plan complet de notre société envoyé le 1er octobre, sans occulter aucun élément.
– Nous avons aussi relevé que votre déplacement du 11 mai 2018, concorde avec la date de signature de l’assemblée générale à laquelle vous avez pris vos actions chez Safe Diffusion. Aucun autre rendez-vous professionnel ne semble concorder avec ce déplacement, qui a été financé par notre société (avion et location de véhicule).
Compte tenu de 1’ensemble de ces éléments, la poursuite de votre contrat de travail est rendue impossible, nous n ‘avons d’autre choix que de mettre un terme immédiat à notre collaboration.
[…].»
Sur la prescription
Le salarié soutient que l’employeur était informé depuis, au minimum, juin 2018 de sa prise de participation dans le capital de la société Safe Diffusion, que la procédure de licenciement a été engagée plus de deux mois après.
L’employeur fait valoir qu’il n’a eu connaissance du fait fautif commis par le salarié que le 1er février 2019, le salarié s’abstenant de démontrer qu’il a informé le directeur général de cette entrée au capital de la société Safe Diffusion au préalable.
En application des dispositions de l’article L. 1332-4 du code du travail, l’engagement des poursuites disciplinaires doit intervenir dans un délai de deux mois à compter du jour où l’employeur a eu connaissance des faits.
En l’espèce, l’employeur verse aux débats un message du 1er février 2019 du réseau LinkedIn de M. [R], président directeur général d’Itesa, distributeur de la société, faisant part d’informations confidentielles et un message courriel du même jour de M. [R] à l’attention de M. [K], nouveau directeur général de la société, lui communiquant les statuts et les rapports d’assemblée générale de la société Safe Diffusion, confirmant qu’il a été informé de la prise de participation de M. [B] dans la société Safe Diffusion et a initié des investigations afin d’avoir une connaissance précise de ce fait fautif dans toute son étendue.
Le salarié produit plusieurs pièces à l’appui de l’affirmation selon laquelle l’employeur avait connaissance de sa prise de participation dans la société Safe Diffusion depuis juin 2018 : notamment une seule attestation de M. [F] du 19 juin 2023, vague et imprécise, un courriel du 5 février 2019 indiquant de façon générale et imprécise que les statistiques n’ont pas été envoyées depuis juin 2018, ou un courriel envoyé le 30 mai 2018 relatif à une garantie Coface pour Safe Distribution, l’ensemble de ces éléments ne démontrant pas que l’employeur a eu connaissance de la prise de participation du salarié au sein de la société Safe Diffusion à une date antérieure au 1er février 2019.
Il s’en déduit que la convocation à entretien préalable à éventuel licenciement ayant eu lieu le
21 février 2019, l’engagement de la procédure de licenciement est intervenue dans le délai de deux mois à compter du jour où l’employeur a eu connaissance des faits.
Sur le fond
Le salarié conteste tout conflit d’intérêt préjudiciable à l’entreprise, faisant valoir qu’il a fait preuve d’implication et obtenu des résultats très méritoires, ne favorisant jamais le distributeur Safe Distribution, qui a dépassé les objectifs ambitieux qui lui avaient été fixés. Il soutient, qu’en réalité, la société Honeywell était insatisfaite des résultats des deux autres distributeurs et a souhaité se séparer des salariés les plus anciens et dont les responsabilités étaient les plus importantes en raison du coût de leur masse salariale.
L’employeur reproche au salarié de ne pas l’avoir informé de sa prise de participation au sein du capital de la société Safe Diffusion, faisant preuve de déloyauté, d’avoir agi en situation de conflit d’intérêt, privilégiant ses propres intérêts, d’avoir fait prendre en charge des frais de déplacement lors de l’acquisition de ses parts, la faute grave étant caractérisée. L’employeur fait valoir que les événements décrits par le salarié sont postérieurs à son licenciement et que la majorité des départs de la société résultent de démissions.
Aux termes de l’article L. 1232-1 du code du travail,’ tout licenciement pour motif personnel est motivé dans les conditions définies par le présent chapitre. Il est justifié par une cause réelle et sérieuse’ ; le troisième alinéa de l’article L. 1235-1 du même code dispose qu’il appartient au juge d’apprécier le caractère réel et sérieux des motifs invoqués par l’employeur en formant sa conviction au vu des éléments fournis par les parties et que si un doute persiste, il profite au salarié.
Il résulte des dispositions de l’article L. 1234-1 du code du travail que la faute grave est celle qui rend impossible le maintien du salarié dans l’entreprise et implique son éviction immédiate.
La preuve de la faute grave incombe à l’employeur.
En l’espèce, la lettre de licenciement reproche en substance au salarié :
de ne pas avoir informé son employeur de sa prise d’intérêts au sein de la société Safe Diffusion,
d’avoir agi à plusieurs reprises en situation de conflit d’intérêts,
d’avoir fait prendre en charge des frais de déplacement par l’employeur relatifs à cette prise de participation.
S’agissant du grief 1), l’employeur produit le procès-verbal de l’assemblée générale de Safe Diffusion du 11 mai 2018 mentionnant notamment que M. [B] détient après cession de parts sociales et augmentation de capital 240 parts sur un total de 800 parts de la société Safe Diffusion à M. [B], soit 30% des parts de la société Safe Diffusion qui est l’un des distributeurs de la société. Il a été démontré ci-avant que l’employeur n’a pas été informé par le salarié de cette prise de participation mais par le dirigeant d’un distributeur concurrent le 1er février 2019, le salarié produisant une seule attestation de M. [F] du 19 juin 2023, vague et imprécise, et d’autres courriels imprécis ne permettant pas d’établir cette information de la part du salarié et à une date antérieure. Ce grief est donc établi.
S’agissant du grief 2), l’employeur verse aux débats une feuille de présence à la formation ‘code of business conduct’ du 9 mai 2016 signée par le salarié, le code de conduite professionnel de la société Honeywell mentionnant en page 9 que ‘les conflits d’intérêts apparaissent lorsque vos intérêts personnels ou ceux des membres de votre famille ou de vos amis entrent ou semblent entrer en conflit avec votre capacité à prendre des décisions objectives et judicieuses au nom de Honeywell’, une analyse des appels téléphoniques et Sms envoyés par le salarié à M. [U], dirigeant de la société Safe Diffusion, et à M. [R], président de la société Itesa, autre distributeur, montrant que M. [B] a eu des contacts nombreux et quasi-quotidiens avec M. [U] dirigeant de Safe Diffusion entre le 10 décembre 2018 et le 31 janvier 2019 et qu’il n’a communiqué qu’une fois avec M. [R] dirigeant d’un autre distributeur le 9 janvier 2019. L’analyse de plusieurs courriels montre, notamment, que le salarié s’est fait configurer une adresse courriel professionnelle chez Safe Diffusion et qu’il a reçu du dirigeant un curriculum vitae, confirmant qu’il participait à des tâches de gestion du distributeur Safe Diffusion en matière commerciale et de recrutement. Il s’en déduit que le salarié a agi en situation de conflit d’intérêts. Ce grief est avéré.
Par conséquent, l’employeur rapporte la preuve que le salarié ne l’a pas informé d’une prise de participation à hauteur de 30% chez l’un de ses distributeurs la société Safe Diffusion, qu’il a également participé à des tâches de gestion pour ce distributeur, agissant en situation de conflit d’intérêts, ce qui caractérise un manquement du salarié rendant impossible la poursuite du contrat de travail et impliquant son éviction immédiate, la faute grave étant caractérisée sans qu’il soit nécessaire d’examiner le grief 3).
Le jugement entrepris doit être confirmé en ce qu’il a dit que le licenciement de M. [B] était fondé sur une faute grave et l’a débouté de l’ensemble des demandes à ce titre, sauf à préciser qu’il s’agissait de l’indemnité de licenciement, de l’indemnité compensatrice de préavis et des congés payés afférents, des dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, du salaire pendant la période de mise à pied conservatoire, la retenue de salaire pendant cette période étant justifiée.
Sur les dommages et intérêts pour rupture brutale et vexatoire
Le salarié sollicite des dommages et intérêts à hauteur de 20 000 euros en réparation du préjudice distinct résultant des circonstances vexatoires qui ont entouré le licenciement, demande sur laquelle le conseil de prud’hommes a omis de statuer.
L’employeur conclut au débouté de la demande. Il soutient que le salarié ne justifie pas du moindre préjudice distinct de la perte de son emploi.
Le salarié licencié dans des conditions brutales et vexatoires peut prétendre à des dommages et intérêts en réparation du préjudice distinct de celui résultant de la perte de son emploi.
En l’espèce, aucune circonstance brutale ou vexatoire dans le licenciement du salarié n’est caractérisée, le fait que la mise à pied ait été notifiée dans un bureau vitré, que le salarié ait été escorté vers la sortie sans pouvoir s’adresser à ses collègues ou que son ordinateur lui ait été retiré à cette occasion ne caractérisant pas de telles circonstances.
Il est avéré que l’employeur a remis les documents de fin de contrat au salarié avec environ trois semaines de retard. Cependant, le salarié ne caractérise pas de préjudice résultant de ce retard. Il y a lieu de débouter M. [B] de sa demande de dommages et intérêts à ce titre.
Sur le solde de la prime sur objectifs du 1er trimestre 2019
Le salarié sollicite le paiement d’une prime de 14 480 euros au titre du solde de la prime sur objectifs du 1er trimestre 2019. Il indique que cette somme a été validée par l’employeur et doit lui être réglée en totalité sans application d’un prorata temporis, s’agissant du fruit d’un travail accompli avant la mise à pied et correspondant pour l’essentiel à des ventes récurrentes.
L’employeur indique que le salarié a reçu une somme de 28 982 euros lors de son solde de tout compte et qu’il a été rempli de ses droits.
L’avenant du 1er janvier 2007 au contrat de travail du salarié prévoit qu’il perçoit un salaire fixe de 84 500 euros, outre une rémunération variable de 8 000 euros bruts pour 100% de l’objectif fixé et une prime de 0,3699% du montant hors taxes du chiffre d’affaires facturé ‘si les objectifs moyens de chiffre d’affaires sont réalisés au-delà de 4 300 000 euros.’
Le contrat de travail du salarié prévoit que le ‘solde de la rémunération trimestrielle qui est calculé en fin de trimestre est versé à la fin du premier mois du trimestre suivant’.
La responsable des ressources humaines a, ainsi, communiqué au salarié par courriel du 4 avril 2019 un calcul pour le premier trimestre 2019 comme suit : 14 482 +2 089 + 12 411, soit un total de 28 982 euros, un prorata temporis de 6/13 semaines ayant été appliqué sur la somme de 26 891 euros (26 891X6/13)= 12 411 euros.
L’employeur produit le bulletin de salaire d’avril 2019, outre le reçu pour solde de tout compte non signé par le salarié le 8 avril 2019 mentionnant le paiement d’une somme de 28 982 euros au titre du bonus du premier trimestre 2019.
Ce montant de 28 982 euros est composé pour partie du bonus du premier trimestre 2019, lequel s’est vu appliquer un prorata temporis de 6/13 semaines, qui était justifié en raison de la période de mise à pied conservatoire, qui fait cesser pendant sa durée l’obligation de payer la prime.
Par conséquent, le salarié a été rempli de ses droits et le jugement entrepris doit être confirmé en ce qu’il a débouté M. [B] de sa demande à ce titre.
Sur la prime incentive pour la période du 1/10/2018 au 18/3/2019
Le salarié sollicite une somme de 7 070, 67 euros au titre d’une prime incentive pour la période du 1er octobre 2018 au 18 mars 2019. Il fait valoir qu’une prime mensuelle de 1 267 euros lui était versée chaque mois, prime spécifique fixe, et que sans aucune raison l’employeur a cessé de lui verser cette prime depuis octobre 2018, faisant croire qu’elle aurait été intégrée au bonus mensuel.
L’employeur soutient que la prime incentive a été intégrée au bonus versé mensuellement et que le salarié, qui en est conscient, n’a jamais formulé de réclamation à ce titre.
Il ressort des bulletins de paie du salarié qu’une prime spécifique dénommée incentive d’un montant de 1 267 euros mensuel a été versée au salarié jusqu’en septembre 2018 et qu’elle n’a plus été versée à compter d’octobre 2018, l’employeur ne démontrant pas qu’elle a été intégrée au bonus versé mensuellement comme il l’affirme, à défaut d’éléments produits en ce sens, le montant au titre du bonus ayant au contraire diminué de façon significative.
Par conséquent, il y a lieu d’infirmer le jugement entrepris en ce qu’il a débouté M. [B] de sa demande à ce titre et de condamner la société Radio Systèmes Ingénierie Vidéo Technologies à payer à M. [B] la somme de 5384,75 euros au titre de la prime incentive du 1er octobre 2018 au 8 février 2019, date de la mise à pied conservatoire, cette prime n’étant pas due pendant la période postérieure.
En application des articles 1231-6 et 1231-7 du code civil, cette créance salariale produit intérêts au taux légal à compter du jour de la présentation à l’employeur de la lettre de convocation devant le bureau de conciliation et d’orientation du conseil de prud’hommes.
Sur le solde de la prime de treizième mois
Le salarié sollicite la somme de 2 594,09 euros au titre de la prime de 13ème mois. Il fait valoir qu’un prorata de prime aurait dû lui être versé alors qu’aucune faute grave ne peut lui être reprochée et que la durée de la mise à pied et du préavis doit être prise en compte.
L’employeur indique qu’en présence d’une faute grave, la mise à pied n’est pas rémunérée et le préavis n’est pas dû. Il note que cette demande fait double emploi avec celle déjà formulée à titre de rappel de salaire durant la mise à pied conservatoire et l’indemnité compensatrice de préavis, basée sur le salaire moyen comprenant déjà le 13ème mois et non le salaire réel.
En l’espèce, le contrat de travail du salarié prévoit que son salaire est versé en treize mensualités.
L’analyse du bulletin de paie de mars 2019 confirme que le salarié a été réglé d’une somme de 531,15 euros correspondant au montant dû au titre du treizième mois à la date de mise à pied conservatoire du 8 février 2019, aucun salaire n’étant dû pour la période postérieure. Le salarié a été ainsi rempli de ses droits.
Par conséquent, le jugement attaqué doit être confirmé en ce qu’il a débouté M. [B] de sa demande de prime de treizième mois.
Sur la remise des documents de fin de contrat
Il y a lieu d’ordonner la remise par la société Radio Systèmes Ingénierie Vidéo Technologies à M. [B] du bulletin de salaire et de l’attestation Pôle emploi conformes à la présente décision, sans qu’une astreinte soit nécessaire, le conseil de prud’hommes n’ayant pas statué sur la demande de remise de documents de fin de contrat sous astreinte.
Sur les autres demandes
Le jugement entrepris sera infirmé en ce qu’il a statué sur les dépens et les frais irrépétibles.
La société Radio Systèmes Ingénierie Vidéo Technologies succombant partiellement à la présente instance, en supportera les dépens de première instance et d’appel. Elle devra également régler une somme de 2 000 euros à M. [B] en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile. Il n’y a pas lieu de faire application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile au profit de la société Radio Systèmes Ingénierie Vidéo Technologies.
PAR CES MOTIFS
La cour statuant par arrêt contradictoire,
Confirme le jugement,
– sauf à préciser qu’il a débouté M. [N] [B] de ses demandes au titre de l’indemnité de licenciement, de l’indemnité compensatrice de préavis et des congés payés afférents, des dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, du salaire pendant la période de mise à pied conservatoire,
-et sauf en ce qu’il a :
– débouté M. [N] [B] de sa demande au titre de la prime incentive,
– condamné M. [N] [B] à verser à la société Radio Systèmes Ingénierie Vidéo Technologies la somme de 1 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
– condamné la société Radio Systèmes Ingénierie Vidéo Technologies aux dépens.
Statuant à nouveau sur les chefs infirmés et y ajoutant :
Ordonne le rejet des pièces numérotées 46 et 47 de la société Radio Systèmes Ingénierie Vidéo Technologies ainsi que des conclusions de celle-ci postérieures aux conclusions notifiées et remises au greffe par le RPVA le 3 janvier 2023,
Condamne la société Radio Systèmes Ingénierie Vidéo Technologies à payer à M. [N] [B] la somme de 5384,75 euros au titre de la prime incentive du 1er octobre 2018 au 8 février 2019, avec intérêts au taux légal à compter du jour de la présentation à l’employeur de la lettre de convocation devant le bureau de conciliation et d’orientation du conseil de prud’hommes,
Déboute M. [N] [B] de sa demande de dommages et intérêts pour circonstances brutales et vexatoires,
Ordonne la remise par la société Radio Systèmes Ingénierie Vidéo Technologies à M. [N] [B] du bulletin de salaire et de l’attestation Pôle emploi conformes à la présente décision,
Déboute M. [N] [B] de sa demande d’astreinte,
Condamne la société Radio Systèmes Ingénierie Vidéo Technologies aux dépens de première instance et d’appel,
Condamne la société Radio Systèmes Ingénierie Vidéo Technologies à payer à M. [N] [B] une somme de 2 000 euros en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,
Dit n’y avoir lieu de faire application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile au profit de la société Radio Systèmes Ingénierie Vidéo Technologies,
Prononcé publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.
Signé par Monsieur Thierry CABALE, Président et par Monsieur LAKHTIB, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Le greffier, Le président,