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C 2
N° RG 21/02918
N° Portalis DBVM-V-B7F-K6EQ
N° Minute :
Copie exécutoire délivrée le :
la SELARL A PRIM
la SELARL CDMF AVOCATS
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D’APPEL DE GRENOBLE
Ch. Sociale -Section B
ARRÊT DU JEUDI 15 JUIN 2023
Appel d’une décision (N° RG F 19/00714)
rendue par le Conseil de Prud’hommes – Formation de départage de GRENOBLE
en date du 07 juin 2021
suivant déclaration d’appel du 30 juin 2021
APPELANTE :
S.A.S. JILL, prise en la personne de son représentant légal en exercice, domicilié audit siège
[Adresse 4]
[Localité 2]
représentée par Me Sandrine MOUSSY de la SELARL A PRIM, avocat au barreau de LYON
INTIMEES :
Madame [D] [I]
née le 04 Septembre 1971 à [Localité 8]
de nationalité Française
[Adresse 5]
[Localité 3]
Madame [P] [B]
née le 31 Mars 1971 à [Localité 7]
de nationalité Française
[Adresse 1]
[Localité 6]
représentées par Me Jean-Luc MEDINA de la SELARL CDMF AVOCATS, avocat au barreau de GRENOBLE
COMPOSITION DE LA COUR :
LORS DU DÉLIBÉRÉ :
M. Frédéric BLANC, Conseiller faisant fonction de Président de section,
Mme Hélène BLONDEAU-PATISSIER, Conseillère,
M. Pascal VERGUCHT, Conseiller,
DÉBATS :
A l’audience publique du 03 mai 2023,
M. Frédéric BLANC, Conseiller faisant fonction de Président chargé du rapport, assisté de Mme Carole COLAS, Greffière, a entendu les parties en leurs conclusions et plaidoiries, les parties ne s’y étant pas opposées conformément aux dispositions de l’article 805 du code de procédure civile.
Puis l’affaire a été mise en délibéré au 15 juin 2023, délibéré au cours duquel il a été rendu compte des débats à la Cour.
L’arrêt a été rendu le 15 juin 2023.
EXPOSE DU LITIGE
Mme [P] [B] a été embauchée par contrat de travail à durée indéterminée en date du’16’octobre 1989 par la société Marese Distribution en qualité de technicienne BE, soumis à la convention collective des maisons à succursales de vente au détail d’habillement.
Le 11 octobre 2006, Mme [P] [B] a été informée du transfert de son contrat de travail au sein de la société Marese.
Au dernier état de la relation contractuelle, elle percevait un salaire moyen brut mensuel de’1 715,09 euros.
Mme [D] [I] a été embauchée par contrat à durée déterminée en date du’22’septembre’2003 par la société Marese en qualité d’assistante de marques en raison d’un accroissement temporaire d’activité.
Le 1er avril 2004, elle a été embauchée par contrat à durée indéterminée en qualité d’assistante produit, soumis à la convention collective des maisons à succursales de vente au détail d’habillement.
Au dernier état de la relation contractuelle, elle exerçait les fonctions d’infographiste modéliste et percevait un salaire mensuel brut moyen de 2 136,60 €.
A compter du 14 septembre 2018, Mme [D] [I] a été placée en arrêt maladie.
Par jugement du 4 juillet 2013, le tribunal de commerce de Grenoble a arrêté le plan de cession des actifs de la société Marese, placée en redressement judiciaire depuis le 3 janvier 2013, au profit de la société Jill SAS.
La société a fait l’objet de plusieurs mesures de réorganisation, dont en 2015 la suppression de neuf postes de travail, en 2017 la suppression de cinq postes de travail avec la fermeture du magasin d’usine de [Localité 6], puis en 2018 la suppression de trois postes de travail.
Une nouvelle mesure de réorganisation a été engagée en 2019 visant la suppression de sept postes, dont un poste d’infographiste modéliste et un poste de technicienne BE.
Par courrier en date du 4 juin 2019, la société Jill a adressé à Mme [P] [B] des propositions de reclassement en vue de la suppression de son poste, auxquelles la salariée n’a pas donné pas suite.
Par courrier du 13 juin 2019 la société Jill a convoqué Mme [P] [B] à un entretien préalable à un licenciement économique fixé le 21 juin 2019, auquel la salariée s’est présenté.
Les documents relatifs au contrat de sécurisation professionnelle et un courrier détaillant les motifs économiques et la procédure engagée lui ont été transmis à cette occasion.
Par courrier en date du 21 juin 2019, Mme [P] [B] a refusé les postes de reclassement proposés.
Par courriers en date du 2 juillet 2019, la SAS Jill a notifié à titre conservatoire à Mme'[P]'[B] son licenciement pour motifs économiques, en lui rappelant le terme fixé au’12’juillet’2019 pour accepter le contrat de sécurisation professionnelle.
Par courrier en date du 5 juillet 2019, Mme [P] [B] a accepté d’adhérer au contrat de sécurisation professionnelle. Son contrat de travail a pris fin à l’issue du délai de réflexion, soit le 12 juillet 2019.
Par courriers en date des 4 et 14 juin 2019, la société Jill a adressé à Mme [D] [I] des propositions de reclassement en vue de la suppression de son poste, auxquelles elle n’a pas donné suite.
Par courrier du 28 juin 2019 la société Jill a convoqué Mme [D] [I] à un entretien préalable à son licenciement économique fixé le 9 juillet 2019 auquel elle ne s’est pas présentée.
Les documents relatifs au contrat de sécurisation professionnelle et un courrier détaillant les motifs économiques et la procédure engagée lui ont été transmis le 9 juillet 2019.
Par courrier en date du 19 juillet 2019, la société Jill a notifié à titre conservatoire à Mme'[D]'[I] son licenciement pour motif économique, en lui rappelant le terme fixé au 1er août 2019 pour accepter le contrat de sécurisation professionnelle.
Par courrier en date du 31 juillet 2019, Mme [D] [I] a refusé d’adhérer au contrat de sécurisation professionnelle.
Son contrat de travail a pris fin à l’issue du délai de préavis le’19’septembre 2019.
Par requête déposée le 20 août 2019, Mmes [P] [B] et [D] [I] ont saisi le conseil de prud’hommes de Grenoble afin de contester le caractère réel et sérieux de leur licenciement en invoquant l’absence de motifs économiques et le non-respect de l’obligation de reclassement.
Par jugement de départage en date du 7 juin 2021, le conseil de prud’hommes de Grenoble, en formation incomplète, a’:
Constaté les difficultés économiques de la SAS Jill,
Dit que la SAS Jill n’a pas respecté son obligation de reclassement à l’égard de Mmes [P] [B] et [D] [I]
Constaté que les licenciements de Mmes [P] [B] et [D] [I] sont sans cause réelle et sérieuse,
Condamné la SAS Jill à verser à Mme [P] [B] la somme de 40’000,00 € à titre dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
Condamné la SAS Jill à verser à Mme [D] [I] la somme de 28 836,00 € à titre dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
Condamné la SAS Jill à verser à Mme [P] [B] la somme de 1 500.00 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
Condamné la SAS Jill à verser à Mme [D] [I] la somme de 1 500,00 € au titre de l’article’700 du code de procédure civile,
Ordonné l’exécution provisoire de la présente décision,
Condamné la SAS Jill au paiement des entiers dépens.
La décision a été notifiée par le greffe par lettres recommandées avec accusés de réception signés le 9 juin 2021.
Par déclaration en date du 30 juin 2021, la société Jill a interjeté appel à l’encontre dudit jugement.
Aux termes de ses conclusions notifiées par voie électronique le 26 février 2023, la SAS Jill sollicite de la cour de’:
Vu les articles L 1233-3, L. 12334-4, L. 1233-41 et R. 1233-1 du code du travail
Vu les articles L. 1233-43 et suivants du code du travail
Vu la jurisprudence citée
Vu les pièces produites
Vu le jugement du conseil de prud’hommes de Grenoble du 17 novembre 2020,
A titre principal :
Dire et juger que les licenciements de Mmes [P] [B] et [D] [I] répondent bien à une cause économique réelle et sérieuse
Dire et juger que les recherches de reclassement effectuées par la SAS Jill pour tenter d’éviter les licenciements de Mmes [P] [B] et [D] [I] ont été loyales et complètes
En conséquence
Confirmer le jugement rendu par le conseil de prud’hommes de Grenoble le 7 juin 2021 en ce qu’il a constaté la réalité des difficultés économiques à l’origine des licenciements de Mmes [P] [B] et [D] [I],
Infirmer le jugement rendu par le conseil de prud’hommes de Grenoble le 7 juin 2021 en ce qu’il a :
Dit que la SAS Jill n’a pas respecté son obligation de reclassement à l’égard de Mmes [P] [B] et [D] [I],
Constaté que les licenciements de Mmes [P] [B] et [D] [I] sont sans cause réelle et sérieuse,
Condamné la SAS Jill à verser à Mme [P] [B] la somme de 40 000.00 euros à titre dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
Condamné la SAS Jill à verser à Mme [D] [I] la somme de 28 836.00 euros à titre dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
Condamné la SAS Jill à verser à Mme [P] [B] la somme de 1 500.00 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
Condamné la SAS Jill à verser à Mme [D] [I] la somme de 1 500,00 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
Ordonné l’exécution provisoire de la présente décision,
Condamné la SAS Jill au paiement des entiers dépens,
Et, statuant de nouveau :
Constater que la SAS Jill a respecté son obligation de reclassement à l’égard de Mmes [P] [B] et [D] [I]
Dire et juger que les licenciements de Mmes [P] [B] et [D] [I] reposent sur une cause réelle et sérieuse
Débouter Mmes [P] [B] et [D] [I] de toutes leurs demandes, fins et conclusions à l’encontre de la SAS Jill,
Condamner in solidum Mmes [P] [B] et [D] [I] à verser à la SAS Jill une somme de 2 500 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux entiers dépens
A titre subsidiaire :
Cantonner à 25 639.20 €, représentant 12 mois de salaire, les dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse éventuellement alloués à Mme [D] [I].
Cantonner à 33 444.26 €, représentant 19.5 mois de salaire, les dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse éventuellement alloués à Mme [P] [B].
Aux termes de leurs conclusions notifiées par voie électronique le 27 février 2023, Mmes'[P] [B] et [D] [I] sollicitent de la cour de’:
Vu le code du travail,
Vu la jurisprudence,
Vu les pièces,
Vu les faits,
Vu le jugement de la section commerce du conseil de prud’hommes de Grenoble en date du’7’juin 2021 (RG : F19/00714),
Confirmer le jugement de la section commerce du conseil de prud’hommes de Grenoble en date du 7 juin 2021 (RG : F19/00714) ;
En conséquence,
Dire et juger que les licenciements de Mmes [P] [B] et [D] [I] sont dépourvus de cause réelle et sérieuse ;
En conséquence,
Condamner la SAS Jill au paiement des sommes suivantes :
Pour Mme [P] [B] :
– 40 000 € nets à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse; – 1 500 € nets au titre de l’article 700 du code de procédure civile pour les frais irrépétibles de la procédure de première instance ;
Pour Mme [D] [I] :
– 28 836 € nets à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse;
– 1 500 € nets au titre de l’article 700 du code de procédure civile pour les frais irrépétibles de la procédure de première instance ;
En tout état de cause,
Condamner la SAS Jill au paiement de la somme de 2 000 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile pour les frais irrépétibles de la procédure d’appel pour chacune des salariées’;
Condamner la SAS Jill aux entiers dépens.
Pour un exposé complet des moyens et prétentions des parties, il convient au visa de l’article’455 du code de procédure civile de se reporter aux conclusions des parties susvisées.
La clôture de l’instruction a été prononcée le 2 mars 2023. L’affaire, fixée pour être plaidée à l’audience du 3 mai 2023, a été mise en délibéré au 15 juin 2023.
MOTIFS DE L’ARRÊT
1 – Sur la rupture du contrat de travail
1.1 ‘ Sur la contestation du motif économique
L’article L1233-3 du code du travail, dans sa version en vigueur depuis le 1er avril 2018, énonce que’:
Constitue un licenciement pour motif économique le licenciement effectué par un employeur pour un ou plusieurs motifs non inhérents à la personne du salarié résultant d’une suppression ou transformation d’emploi ou d’une modification, refusée par le salarié, d’un élément essentiel du contrat de travail, consécutives notamment :
1° A des difficultés économiques caractérisées soit par l’évolution significative d’au moins un indicateur économique tel qu’une baisse des commandes ou du chiffre d’affaires, des pertes d’exploitation ou une dégradation de la trésorerie ou de l’excédent brut d’exploitation, soit par tout autre élément de nature à justifier de ces difficultés.
Une baisse significative des commandes ou du chiffre d’affaires est constituée dès lors que la durée de cette baisse est, en comparaison avec la même période de l’année précédente, au moins égale à :
a) Un trimestre pour une entreprise de moins de onze salariés ;
b) Deux trimestres consécutifs pour une entreprise d’au moins onze salariés et de moins de cinquante salariés ;
c) Trois trimestres consécutifs pour une entreprise d’au moins cinquante salariés et de moins de trois cents salariés ;
d) Quatre trimestres consécutifs pour une entreprise de trois cents salariés et plus ;
2° A des mutations technologiques ;
3° A une réorganisation de l’entreprise nécessaire à la sauvegarde de sa compétitivité ;
4° A la cessation d’activité de l’entreprise.
La matérialité de la suppression, de la transformation d’emploi ou de la modification d’un élément essentiel du contrat de travail s’apprécie au niveau de l’entreprise.
Les difficultés économiques, les mutations technologiques ou la nécessité de sauvegarder la compétitivité de l’entreprise s’apprécient au niveau de cette entreprise si elle n’appartient pas à un groupe et, dans le cas contraire, au niveau du secteur d’activité commun à cette entreprise et aux entreprises du groupe auquel elle appartient, établies sur le territoire national, sauf fraude.
Pour l’application du présent article, la notion de groupe désigne le groupe formé par une entreprise appelée entreprise dominante et les entreprises qu’elle contrôle dans les conditions définies à l’article L. 233-1, aux I et II de l’article L. 233-3 et à l’article L. 233-16 du code de commerce.
Le secteur d’activité permettant d’apprécier la cause économique du licenciement est caractérisé, notamment, par la nature des produits, biens ou services délivrés, la clientèle ciblée, ainsi que les réseaux et modes de distribution, se rapportant à un même marché.
Les dispositions du présent chapitre sont applicables à toute rupture du contrat de travail résultant de l’une des causes énoncées au présent article, à l’exclusion de la rupture conventionnelle visée aux articles L. 1237-11 et suivants et de la rupture d’un commun accord dans le cadre d’un accord collectif visée aux articles L. 1237-17 et suivants.
Les difficultés économiques doivent s’apprécier à la date de la notification du licenciement.
Le licenciement économique justifié par des difficultés économiques sérieuses repose sur une cause réelle et sérieuse, sauf si ces difficultés économiques sont imputables à la fraude ou à des faits fautifs imputables à l’employeur.
Lorsque l’entreprise appartient à un groupe, les difficultés s’apprécient au niveau du groupe, dans la double limite du secteur d’activité auquel appartient l’entreprise et du territoire national, sauf fraude.
Les difficultés de l’entreprise ne peuvent donc suffire à justifier un licenciement économique si le secteur d’activité du groupe auquel elle appartient n’en connaît pas.
Les difficultés économiques du secteur d’activité doivent être réelles.
L’appartenance à un secteur d’activité résulte d’un faisceau d’indices, comme la nature des produits, la clientèle et le mode de distribution.
La spécialisation d’une entreprise dans le groupe ne suffit pas à exclure son rattachement à un même secteur d’activité, au sein duquel doivent être appréciées les difficultés économiques.
Il incombe à l’employeur de démontrer, dans le périmètre pertinent, la réalité et le sérieux du motif invoqué.
Lorsque la cause de la rupture doit être appréciée au niveau du secteur d’activité du groupe auquel appartient l’entreprise, la preuve de l’existence de ce secteur et de son périmètre pèse sur l’employeur qui doit communiquer les éléments permettant de déterminer sa consistance et sa situation.
A défaut, le juge n’est pas en mesure d’exercer son contrôle et de valider le motif économique.
En l’espèce, il ressort des lettres de licenciement que la société Jill a informé Mme [I] et Mme [B] d’une dégradation des résultats économiques et de la situation de la société et du groupe (société Aubert et société Jill) depuis l’année 2017, qui a perduré en 2019.
D’une première part, la société Jill précise, dans ses conclusions (page 18 de ses écritures)’:
«’Il ressort des éléments ci-dessus qu’en tout état de cause, si la SAS Jill appartient à un secteur d’activité commun avec les autres sociétés citées, cela ne peut être qu’avec la SA Aubert, thèse retenue par le conseil de prud’hommes de Grenoble et que, dans le cadre de la présente affaire, la SAS Jill n’entend plus discuter.’».
Ainsi, la société Jill ne le contestant plus devant la présente cour, il convient de considérer que, comme les salariées l’allèguent, les sociétés Jill et Aubert appartiennent au même secteur d’acteur d’activité du groupe, d’autant que la nature des produits distribués par les deux entreprises est en grande partie identique, à savoir les articles destinés aux parents de jeunes enfants, la clientèle est la même, soit les jeunes parents, et le mode de distribution est également identique, c’est-à-dire le commerce de détail.
Dès lors, l’élément causal des licenciements pour motifs économiques des salariées doit s’apprécier à cet échelon (Jill ‘ Aubert).
D’une deuxième part, il ressort des dispositions de l’article L.’1233-3 du code du travail que les difficultés économiques, les mutations technologiques ou la nécessité de sauvegarder la compétitivité de l’entreprise s’apprécient au niveau de cette entreprise si elle n’appartient pas à un groupe et, dans le cas contraire, au niveau du secteur d’activité commun à cette entreprise et aux entreprises du groupe auquel elle appartient, établies sur le territoire national, sauf fraude.
Ainsi, contrairement à ce qu’affirment les salariées dans leurs écritures, il n’y a pas lieu de tenir compte de la société Baby 2000, étant donné qu’il s’agit d’une société de droit suisse et qu’aucun élément n’indique qu’elle est établie sur le territoire national.
D’une troisième part, la réalité des difficultés économiques sérieuses du secteur d’activité du groupe (Jill et Aubert) est suffisamment démontrée dans la mesure où, de 2014 à 2018, le chiffre d’affaires cumulé des deux sociétés et pris séparément a diminué de manière significative (178’millions d’euros en 2014, 176 millions d’euros en 2015, 172 millions d’euros en 2016, 162 millions d’euros en 2017 et 149 millions d’euros en 2018) et il est exact que les perspectives de l’année 2019 n’étaient manifestement pas bonnes, puisqu’in fine, le chiffre d’affaires cumulé au cours de l’année du licenciement s’est élevé à 151 millions.
Les résultats d’exploitation sont par ailleurs tous largement négatifs jusqu’en 2018, Aubert retrouvant un résultat d’exploitation positif en 2019 et 2020, mais avec un résultat net s’établissant en 2019 à 316’364’euros, de nouveau négatif en 2020.
En outre, contrairement à ce que soutiennent les salariées, les capitaux propres de la société Aubert n’ont pas augmenté de 2014 à 2017 mais ont légèrement diminué.
Certes, il y a eu une augmentation des capitaux propres de la société Jill entre les années 2014 et 2015, soit quatre années avant les licenciements litigieux. Toutefois, cela s’explique par une augmentation de capital par la société Celia au bénéfice de la société Jill à hauteur de’2,5’millions d’euros.
Or, cet élément est loin de remettre en cause les difficultés économiques mais tend au contraire à les confirmer de plus fort, d’autant que l’actionnaire a été contraint d’injecter des capitaux dans la filiale.
D’une quatrième part, aucune faute ne peut être déduite des variations d’achat de marchandises au fil des exercices par la société Jill, dès lors qu’il y a une hausse dans un premier temps, puis une baisse, les intimées indiquant que la société Jill a procédé à un changement de politique tarifaire en 2015 avec manifestement un repositionnement de gamme se traduisant par une augmentation des prix de 20 à 30 %’; ce qui est de nature à avoir des conséquences sur les achats de marchandises, qui ne sont pas exprimés en volumes mais en valeur dans les comptes de résultats et les bilans produits.
Ensuite, aucune fraude ou faute n’est établie s’agissant du prix de rachat des stocks par la SAS’Jill de la société Marese à la barre du tribunal de commerce le 4 juillet 2013 dès lors qu’il résulte du bilan économique et social que le commissaire-priseur a évalué les stocks à 2 millions d’euros et que l’offre de la société Jill à hauteur de 608 000 euros a été validée par le tribunal de commerce.
C’est donc à tort que les salariées soutiennent qu’il y a eu une plus-value de 5,1 millions d’euros dans les deux premiers exercices non valorisés dans les comptes de la société Jill.
Par ailleurs, les appelantes ne démontrent aucunement que la signature d’une convention entre la société Sicatec et la société Jill le 8 juillet 2013 pour la recherche de fabricants à l’international, les achats et l’organisation des transports, y compris le dédouanement, moyennant une commission pour la société Sicatec de 11 % s’est faite dans des conditions anormales et au détriment des intérêts de la société Jill.
En outre, si les intimées se prévalent du fait que la société Jill a absorbé un montant de stock invendu de la société Aubert à hauteur de 420 000 euros de juillet 2013 à juillet 2015 et que la société Celia facture un certain nombre de prestations à la société Jill, elles ne développent aucun moyen en défense utile, alors qu’elles ont la charge de la preuve de la faute à l’origine des difficultés économiques qu’elles allèguent, aux éléments précis avancés par la société Jill tenant au fait que les flux financiers de la société Jill vers d’autres sociétés du groupe sont largement inférieurs à ceux inverses (2,3 millions d’euros en 5 ans contre 12,1 millions d’euros) et que le montant facturé au titre des conventions de prestations de services au bénéfice des autres sociétés du groupe est largement inférieur à celui qui était prélevé par la société Holding SAS Marese Developpement à la société Marese avant le rachat de cette dernière à la barre du tribunal de commerce par la société Jill.
Les salariées développent ensuite des moyens hypothétiques et inopérants tenant au fait que plusieurs prestations administratives ont été facturées par la société Aubert à la société Jill entre’juillet 2013 et juillet 2015 pour un montant de 233’000’euros, que la société Naos facture à la société Jill la somme de 120’000’euros pour des prestations informatiques et que la société’GST Investissements a mis en place une convention pour un montant annuel de’180’000’euros pour la société Jill et que des frais financiers sont versés chaque année par la société Jill vers la société Célia.
Ainsi, les salariées ne font pas la démonstration que ces opérations financières étaient inhabituelles et anormales et faites au préjudice de la société Jill et ne développent aucun moyen en défense quant au fait qu’il ressort des éléments versés par la société que les flux financiers de la SAS Jill vers d’autres sociétés du groupe se totalisent à la somme de 2,3’millions d’euros sur cinq ans, alors que les flux financiers du groupe, via la SAS Celia, au bénéfice de la SAS’Jill, sont de plus de 12 millions d’euros sur cinq ans.
Finalement, s’agissant des mouvements de personnel de direction présentés comme suspects par les salariées, ces dernières n’opposent là encore aucun moyen utile en défense à ceux développés par la société Jill, pièces à l’appui, selon lesquels, M. [C], représentant la société Proactive, est à l’initiative de la cessation de la mission de prestations de service au profit de la société Jill selon courrier du 5 août 2014 et M. [N], directeur réseau, a fait l’objet d’un licenciement pour faute grave selon courrier du 21 juillet 2015.
Dès lors, il résulte des énonciations précédentes que l’élément causal des licenciements pour motifs économiques est établi et qu’aucune faute de la société quant à ses difficultés financières n’est démontrée.
1.2 ‘ Sur l’obligation de reclassement
L’article L 1233-4 du code du travail, dans sa version en vigueur depuis le 22 décembre 2017, énonce que le licenciement pour motif économique d’un salarié ne peut intervenir que lorsque tous les efforts de formation et d’adaptation ont été réalisés et que le reclassement de l’intéressé ne peut être opéré sur les emplois disponibles, situés sur le territoire national dans l’entreprise ou les autres entreprises du groupe dont l’entreprise fait partie et dont l’organisation, les activités ou le lieu d’exploitation assurent la permutation de tout ou partie du personnel.
Pour l’application du présent article, la notion de groupe désigne le groupe formé par une entreprise appelée entreprise dominante et les entreprises qu’elle contrôle dans les conditions définies à l’article L. 233-1, aux I et II de l’article L. 233-3 et à l’article L. 233-16 du code de commerce.
Le reclassement du salarié s’effectue sur un emploi relevant de la même catégorie que celui qu’il occupe ou sur un emploi équivalent assorti d’une rémunération équivalente. A défaut, et sous réserve de l’accord exprès du salarié, le reclassement s’effectue sur un emploi d’une catégorie inférieure.
L’employeur adresse de manière personnalisée les offres de reclassement à chaque salarié ou diffuse par tout moyen une liste des postes disponibles à l’ensemble des salariés, dans des conditions précisées par décret.
Les offres de reclassement proposées au salarié sont écrites et précises.
L’article D 1233-2-1 du code du travail détaille le contenu de l’offre de reclassement.
Si la preuve de l’exécution de l’obligation de reclassement incombe à l’employeur, il appartient au juge, en cas de contestation sur l’existence ou le périmètre du groupe de reclassement, de former sa conviction au vu de l’ensemble des éléments qui lui sont soumis par les parties.
En l’espèce, d’une première part, la société Jill produit une série de courriers, datés du’15’mai’2019, à destination des sociétés Aubert France, Naos, Norddistrib et Suddistrib, appartenant au groupe auquel appartient la société Jill, tendant à identifier des possibilités de reclassement d’une technicienne BE et d’une infographiste modéliste.
Contrairement à ce qu’allèguent les salariées, il importe peu que l’employeur n’apporte pas la preuve de la date de l’envoi desdits courriers, dès lors qu’il produit les réponses desdites sociétés.
Ainsi, trois des sociétés précitées ont indiqué avoir des postes disponibles, ceux-ci ayant été proposés à Mme [I] par courriers des 4 et 14 juin 2019 et à Mme [B] par courrier du’4’juin 2019.
D’une deuxième part, la société Jill démontre avoir consulté la société Sicatec. Elle produit un échange de courriels en date du 16 mai 2019 portant transmission du même questionnaire de recherche de reclassement ainsi que la réponse négative adressée en retour par le président de la société Sicatec le jour-même.
La société Jill verse également un premier document qui liste les entrées et sorties du personnel de la société Sicatec, qui manque de valeur probante en ce qu’il n’est pas daté. En tout état de cause, elle verse un second document intitulé «’Registre du personnel’» de la société Sicatec, daté du 30 septembre 2022, pour la période de janvier 2016 à décembre 2020, qui établit, comme l’affirme la société Jill, qu’aucun recrutement n’a eu lieu au sein de la société depuis’2016.
Ainsi, la société Jill démontre suffisamment, contrairement à ce qu’allèguent les salariées, avoir élargi ses demandes de reclassement auprès de la société Sicatec, de sorte qu’il importe peu que la société considère que la permutabilité du personnel entre la société Jill et la société Sicatec ne serait pas possible.
D’une troisième part, alors que les salariées allèguent que la société Jill aurait dû solliciter des possibilités de reclassement au sein de la société GST Investissements (dite GSTI), la société Jill produit l’avis Sirene et les statuts de la société GSTI.
Il ressort de l’article 2 des statuts de la société GSTI que celle-ci «’a pour objet’:
– L’assistance et le conseil d’entreprises, le management et la gestion administrative de sociétés ou groupe de sociétés, dans tous les domaines d’activités’;
– La prise de participations dans les fonds de commerce et sociétés commerciales’; l’acquisition et la gestion d’immeubles, l’acquisition, la propriété, l’administration de titre, parts, brevets, marques, actions de toutes sociétés françaises ou étrangères qui seront acquis par la société ou lui seraient apportés au cours de la vie sociale.
Le tout directement ou indirectement, soit seule, soit avec des tiers, par voie de création de sociétés nouvelles, d’apporte de commandite, de souscription, d’achat de titres ou droits sociaux, de fusion, d’alliance, de société en participation ou de prise ou de dation en location ou en gérance de tous biens ou droits, ou autrement’;
Et, généralement, toutes opérations financières, commerciales, industrielles, immobilières ou mobilières, pouvant se rattacher directement ou indirectement à l’un des objets spécifiés ou à tout objet similaire ou connexe ou de nature à favoriser le développement du patrimoine social.’».
La situation Sirene, à la date du 26 février 2023, indique que l’entreprise a pour activité principale exercée «’les activités des sièges sociaux’» et qu’elle est située à [Localité 9].
Contrairement à ce qu’avancent les salariées qui se contentent d’indiquer que «’l’activité était identique, à savoir la vente’», il ressort des éléments précédents que l’organisation, les activités et le lieu d’exploitation des sociétés Jill et GSTI sont différents et ne permettent pas d’assurer la permutation de tout ou partie de leurs personnels.
Ainsi, la société Jill n’avait pas à solliciter des possibilités de reclassement auprès de la société GSTI pour Mmes [I] et [B].
D’une troisième part, la cour observe que la société Jill ne verse pas aux débats son propre registre du personnel.
Certes, ce document était sollicité par les salariées au titre de la contestation du motif économique du licenciement.
Toutefois, en l’absence de plan de sécurisation de l’emploi validé par la Direccte, ce document reste indispensable pour permettre à la cour de vérifier l’absence de possibilité de reclassement au sein de l’entreprise, ainsi que les licenciements et les embauches sur la période.
A défaut de justifier de son propre registre, pourtant sollicité par les salariées, la société Jill échoue à démontrer avoir mené des recherches sérieuses et loyales de reclassement à l’égard de Mmes [I] et [B].
Par conséquent, les licenciements de Mmes [I] et [B] doivent être déclarés sans cause réelle et sérieuse
Le jugement entrepris est donc confirmé à ce titre.
1.3 – Sur les prétentions afférentes à la rupture du contrat de travail
En application de l’article L.’1235-3 du code du travail, si le licenciement d’un salarié survient pour une cause qui n’est pas réelle et sérieuse, le juge peut proposer la réintégration du salarié dans l’entreprise, avec maintien de ses avantages acquis’; et, si l’une ou l’autre des parties refuse cette réintégration, le juge octroie au salarié une indemnité à la charge de l’employeur, dont le montant est compris entre les montants minimaux et maximaux que cet article prévoit.
Mme [I] disposait d’une ancienneté, au service du même employeur, de quinze ans et peut donc prétendre, par application des dispositions précitées, à une indemnisation du préjudice né de la perte injustifiée de son emploi comprise entre 3 et 13 mois de salaire.
Mme [B] disposait d’une ancienneté, au service du même employeur, de vingt-neuf ans et peut donc prétendre, par application des dispositions précitées, à une indemnisation du préjudice né de la perte injustifiée de son emploi comprise entre 3 et 20 mois de salaire.
Les salariées, qui sollicitent respectivement 13,5 et 23 mois et de salaire, s’abstiennent d’expliciter les montants sollicités au regard des montants maximaux prévus par l’article L. 1235-3 précité et plus généralement de justifier de leur situation au regard de l’emploi suite à leur licenciement.
Au regard de l’ensemble de ces éléments, procédant à une appréciation souveraine des éléments de fait soumis, le moyen tiré de l’inconventionnalité des barèmes se révèle inopérant dès lors qu’une réparation adéquate n’excède pas la limite maximale fixée.
Par conséquent, par réformation du jugement entrepris quant au quantum, il convient de condamner la SAS Jill à verser à Mme [I] la somme de 25’000’euros bruts et à Mme'[B] la somme de 33’000’euros bruts au titre des dommages et intérêts en réparation de leurs préjudices, les salariées étant déboutées du surplus de leurs prétentions.
2 – Sur les demandes accessoires
La société Jill, partie perdante à l’instance au sens des dispositions de l’article 696 du code de procédure civile, doit être tenue d’en supporter les entiers dépens de première instance et d’appel.
Il serait par ailleurs inéquitable, au regard des circonstances de l’espèce comme des situations économiques des parties, de laisser à la charge de Mme [I] et Mme [B] l’intégralité des sommes qu’elles ont été contraintes d’exposer en justice pour la défense de leurs intérêts, de sorte qu’il convient de confirmer le jugement déféré en ce qu’il a condamné la SAS Jill à leur payer à chacune la somme de 1’500’euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile et, y ajoutant, de la condamner à leur verser à chacune la somme de 1’500’euros au titre des frais irrépétibles exposés en cause d’appel.
En conséquence, la demande indemnitaire de la société au titre des frais irrépétibles qu’elle a engagés est rejetée.
PAR CES MOTIFS’:
La cour, statuant publiquement, contradictoirement, dans les limites de l’appel et après en avoir délibéré conformément à la loi’;
CONFIRME le jugement entrepris en ce qu’il a’:
– Prononcé le licenciement sans cause réelle et sérieuse de Mme [I] et de Mme [B],
– Condamné la SAS Jill à verser à Mme [P] [B] la somme de 1’500,00 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
– Condamné la SAS Jill à verser à Mme [D] [I] la somme de 1 500,00 € au titre de l’article’700 du code de procédure civile,
– Condamné la SAS Jill au paiement des entiers dépens.
L’INFIRME pour le surplus’;
Statuant de nouveau des chefs du jugement infirmés et y ajoutant,
CONDAMNE la SAS Jill à payer les sommes suivantes’:
– 25’000’euros bruts (vingt-cinq mille euros) à Mme [D] [I] au titre des dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse’;
– 33’000’euros bruts (trente-trois mille euros) à Mme [P] [B] au titre des dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse’;
DÉBOUTE la SAS Jill de sa demande au titre de l’article 700 du code de procédure civile’;
CONDAMNE la SAS Jill à payer à Mme [I] et à Mme [B], chacune, la somme de’1’500’euros (mille cinq cents euros) au titre de l’article 700 du code de procédure civile’:
CONDAMNE la SAS Jill aux entiers dépens d’appel.
Prononcé publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.
Signé par M. Frédéric BLANC, Conseiller faisant fonction de Président de section, et par Mme Carole COLAS, Greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
La Greffière Le Président