Augmentation de capital : décision du 15 février 2024 Cour d’appel de Pau RG n° 21/01758
Augmentation de capital : décision du 15 février 2024 Cour d’appel de Pau RG n° 21/01758
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PS/DD

Numéro 24/565

COUR D’APPEL DE PAU

Chambre sociale

ARRÊT DU 15/02/2024

Dossier : N° RG 21/01758 – N°Portalis DBVV-V-B7F-H4E3

Nature affaire :

Demande de paiement de créances salariales sans contestation du motif de la rupture du contrat de travail

Affaire :

[M] [T]

C/

S.A.S. ELF EXPLORATION PRODUCTION (ELF EP)

Grosse délivrée le

à :

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

A R R Ê T

Prononcé publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour le 15 Février 2024, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du Code de Procédure Civile.

* * * * *

APRES DÉBATS

à l’audience publique tenue le 06 Septembre 2023, devant :

Madame CAUTRES, Présidente

Madame SORONDO, Conseiller

Madame PACTEAU, Conseiller

assistées de Madame LAUBIE, Greffière.

Les magistrats du siège ayant assisté aux débats ont délibéré conformément à la loi.

dans l’affaire opposant :

APPELANT :

Monsieur [M] [T]

[Adresse 2]

[Adresse 2]

Représenté par Maître SERRE de la SELARL SERRE ODIN EMMANUELLI, avocat au barreau de PARIS

INTIMÉE :

S.A.S. ELF EXPLORATION PRODUCTION (ELF EP)

agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège.

[Adresse 1]

[Adresse 1]

Représentée par Maître CREPIN de la SELARL LEXAVOUE PAU-TOULOUSE, avocat au barreau de PAU, et Maître RAYMOND de la SELARL PRK & Associes, avocat au barreau de PARIS

sur appel de la décision

en date du 03 MAI 2021

rendue par le CONSEIL DE PRUD’HOMMES – FORMATION PARITAIRE DE PAU

RG numéro : F15/00149

EXPOSÉ DU LITIGE

M. [M] [T] a été embauché par la société nationale Elf Aquitaine Production (SNEAP), devenue la société anonyme Elf Exploration Production (Elf EP), à compter du 15 septembre 1982, selon contrat à durée indéterminée, en qualité d’ingénieur.

M. [M] [T] soutient avoir été détaché auprès de la société Total Fina Elf en octobre 2000.

M. [M] [T] a été convoqué à un entretien préalable fixé le 14 juin 2002.

Le 3 septembre 2002, la société Total Fina Elf a demandé l’autorisation de mettre à la retraite M. [M] [T] à l’inspecteur du travail, lequel, par décision du 11 octobre 2002, l’a refusée.

Saisi d’un recours hiérarchique formé par la société Total Fina Elf, le ministre du travail a, par décision du 27 mars 2003, annulé la décision de l’inspecteur du travail et accordé l’autorisation de mise à la retraite.

M. [M] [T] s’est vu notifier sa mise à la retraite et la rupture de son contrat de travail au 31 juillet 2003.

Le salarié a contesté la décision du 27 mars 2003 devant le tribunal administratif de Paris, puis devant la cour administrative de Paris, laquelle, par arrêt du 16 novembre 2009, a annulé le jugement du 17 janvier 2007 du tribunal administratif de Paris et la décision du ministre du travail. Cette décision a été confirmée par arrêt du Conseil d’Etat du 26 octobre 2011.

Le 14 décembre 2009, M. [M] [T] a été réintégré.

M. [M] [T] a saisi le conseil des prud’hommes de Pau le 5 janvier 2004. L’affaire a été radiée le 29 septembre 2008.

M. [M] [T] a demandé la réinscription de l’affaire au rôle le 6 janvier 2012. Une décision de radiation a été rendue le 25 mars 2013.

M. [M] [T] a demandé la réinscription de l’affaire au rôle le 24 mars 2015.

Entre temps, par décision du 3 avril 2012, l’inspecteur du travail a autorisé la mise à la retraite du salarié.

Le 11 avril 2012, la société Elf EP a notifié au salarié sa mise à la retraite avec rupture effective au 14 juillet 2012.

Par jugement du 24 avril 2017, le conseil des prud’hommes de Pau a ordonné une expertise confiée à M. [I] [R] avec mission de :

– reconstituer le salaire qu’aurait perçu le demandeur s’il n’avait pas été évincé en 2003,

– déterminer les sommes perdues par le demandeur au titre de l’intéressement, participation, possibilité d’obtention d’actions gratuites, du compte épargne-temps,

– déterminer les sommes perdues par le demandeur au titre de ses retraites tant par leur liquidation que par les cotisations à perte prélevées à partir de sa réintégration,

– déterminer le surcoût représenté par la nécessité de s’affilier à une mutuelle,

– procéder aux calculs d’actualisation des revenus perdus.

L’expert a déposé son rapport le 28 octobre 2019. Il a conclu que le manque à gagner a été couvert par la somme versée par la société ELF EP.

Par jugement du 3 mai 2021, le conseil des prud’hommes de Pau a :

– dit et jugé que les demandes formées tant à titre principal que subsidiaire par M. [M] [T] sont mal fondées et les a rejetées,

– débouté M. [M] [T] de l’ensemble de ses demandes,

– condamné M. [M] [T] à verser à la société Elf Exploration Production (ELF EP) la somme de 2.500 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,

– condamné chaque partie à ses propres dépens.

Le 27 mai 2021, M. [M] [T] a interjeté appel du jugement dans des conditions de forme et de délai qui ne sont pas contestées.

Dans ses conclusions adressées au greffe par voie électronique le 26 octobre 2022, auxquelles il y a lieu de se référer pour l’exposé des faits et des moyens, M. [M] [T] demande à la cour de :

– le dire et juger recevable et bien fondé en son appel,

– infirmer le jugement entrepris,

– condamner la société Elf Exploration Production lui verser les sommes de :

A titre principal :

. 735.332,14 euros bruts à titre de rappels de salaire pendant sa période d’éviction, outre 73.533,21 euros bruts au titre des congés payés y afférents,

A titre subsidiaire :

. 580.016,14 euros bruts à titre de rappels de salaire pendant sa période d’éviction, outre 58.001,61 euros bruts au titre des congés payés y afférents,

. 45.224,92 euros bruts au titre de l’intéressement-participation,

Juger que ces deux condamnations seront exécutées en deniers ou quittance,

. 40.230 euros à titre de dommages-intérêts, en réparation des 500 actions gratuites non attribuées,

. 57.551,86 euros à titre de dommages-intérêts, en réparation de la perte de chance de ne pas avoir pu souscrire aux offres d’actionnariat Total, de percevoir les plus-values et dividendes correspondants,

. 15.000 euros à titre de dommages-intérêts en réparation de la privation des activités, ‘uvres et subventions du comité d’entreprise,

. 441.097,20 euros à titre de dommages-intérêts, en réparation de la liquidation à perte de ses droits à la retraite,

. 50.000 euros à titre de dommages-intérêts, en réparation du préjudice subi du fait des multiples défaillances de la société lors de sa réintégration,

. 15.000 euros à titre de dommages-intérêts, en réparation de l’atteinte portée à l’exercice de ses fonctions syndicales et représentatives du personnel,

. 100.000 euros à titre de dommages-intérêts, en réparation de son préjudice moral et de santé,

– ordonner l’actualisation des sommes dues au titre des salaires, de l’intéressement-participation et de la liquidation à perte des droits à la retraite,

– ordonner la capitalisation des intérêts,

– condamner la société Elf Exploration Production à lui verser la somme de 10.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,

– condamner la société Elf Exploration Production aux entiers dépens.

Dans ses conclusions adressées au greffe par voie électronique le 30 novembre 2022, auxquelles il y a lieu de se référer pour l’exposé des faits et des moyens, la société Elf Exploration Production demande à la cour de :

– déclarer mal fondé l’appel formé par M. [M] [T] à l’encontre du jugement du 3 mai 2021 du conseil de prud’hommes de Pau,

– déclarer que la demande relative à une nullité de la mise à la retraite intervenue par lettre du 14 avril 2003 pour un motif prétendument discriminatoire se heurte à la prescription de cinq ans fixée par l’article L.1134-5 du code du travail et, partant, est irrecevable,

– déclarer que cette demande est, en tout état de cause, dépourvue de tout fondement,

– déclarer que la demande de rappel de salaires d’un montant de 735.332,14 euros bruts à titre principal et 580.016,14 euros bruts à titre subsidiaire, est en tout état de cause mal fondée, étant aussi rappelé que M. [M] [T] a perçu une indemnité d’éviction d’un montant brut de 339 881,46 euros le 2 avril 2012,

– déclarer aussi que la demande d’indemnité compensatrice de congés payés d’un montant brut de 73.533,21 euros bruts à titre principal, et 58.001,61 euros bruts à titre subsidiaire est forclose, au regard de la règle de prescription de trois ans des salaires et se heurte donc à une fin de non- recevoir,

– confirmer le jugement du 3 mai 2021 en toutes ses dispositions,

– en conséquence, débouter M. [M] [T] de l’ensemble de ses demandes,

– condamner M. [M] [T], en sus de la somme fixée par le jugement du 3 mai 2021, à lui verser la somme de 10.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

L’ordonnance de clôture est intervenue le 19 décembre 2022.

MOTIFS DE LA DÉCISION

I Sur l’indemnité d’éviction

En application de l’article L.2422-1 du code du travail, lorsque l’annulation d’une décision d’autorisation est devenue définitive, le salarié investi d’un des mandats mentionnés à l’article L.2422-1 a droit au paiement d’une indemnité correspondant à la totalité du préjudice subi au cours de la période écoulée entre son licenciement et sa réintégration, s’il en a formulé la demande dans le délai de deux mois à compter de la notification de la décision.

L’indemnité correspond à la totalité du préjudice subi au cours de la période écoulée entre son licenciement et l’expiration du délai de deux mois s’il n’a pas demandé sa réintégration.

Ce paiement s’accompagne du versement des cotisations afférentes à cette indemnité qui constitue un complément de salaire.

Ces dispositions sont applicables, par analogie, en cas d’annulation d’une autorisation de mise à la retraire.

Cette indemnité a la nature d’un complément de salaire et s’accompagne, à ce titre, du paiement des cotisations afférentes.

Le salarié licencié en vertu d’une autorisation administrative ultérieurement annulée, qui fait valoir ses droits à la retraite, ne peut demander sa réintégration dans l’entreprise, mais peut prétendre, en application de l’article L. 2422-4 du code du travail, à une indemnité égale aux rémunérations qu’il aurait dû percevoir de son éviction jusqu’à l’expiration du délai de deux mois à compter de la notification de la décision d’annulation, sous déduction des pensions de retraite perçues pendant la même période, sauf s’il atteint, avant cette date, l’âge légal de mise à la retraite d’office (Cass 8 juillet 2020 17-31291 et 18-16254). Dès lors, la Sa Elf EP est mal fondée à faire valoir que M. [T] ne peut prétendre à une indemnité que pour la période du 1er août 2003 au 31 mars 2004 au motif qu’il a fait liquider ses droits à la retraite à compter du 1er avril 2004.

De jurisprudence constante, il doit être déduit de l’indemnité l’ensemble des sommes perçues au titre d’une activité professionnelle ou visant à compenser la perte de revenus professionnels, telles les indemnités journalières de sécurité sociale, les indemnités de l’assurance chômage, les pensions d’invalidité ou les pensions de retraite.

En application de l’article L.1134-5 du code du travail, l’action en réparation du préjudice résultant d’une discrimination se prescrit par cinq ans à compter de la révélation de la discrimination. Or, ce n’est que par conclusions déposées au greffe du conseil de prud’hommes de Pau le 3 juin 2020 que M. [T] a invoqué le caractère discriminatoire de sa mise à la retraite pour prétendre à la non-déduction des revenus perçus pendant la période d’éviction. En conséquence, il y a lieu à déduction des salaires et pensions de retraite perçus pendant cette période.

M. [T] a fait liquider ses régimes de retraite au troisième trimestre 2004 et au dernier trimestre 2006 et il n’y pas lieu de déduire de l’indemnité des pensions qu’il aurait perçues s’il les avait faits liquider dès le 1er août 2003.

A) Sur la perte de rémunérations

Au vu des bulletins de paie d’août 2002 à juillet 2003, M. [T], qui était classé groupe 18 échelon 03 coefficient 796, a perçu pendant les 12 mois précédant sa mise à la retraite un revenu global brut de 102.999,68 € (août 2002 = 6.435,62 €; septembre 2002 = 9.422,75 € ; octobre 2002 = 6.951,41 € ; novembre 2002 = 6.906,21 € ; décembre 2002 = 12.531,33 € ; janvier 2003 = 7.161,35 € ; février 2003 = 6.994,02 € ; mars 2003 = 9.705,44 € ; avril 2003= 9.037,30 € ; mai 2003 = 6.966,95 € ; juin 2003 = 10.116,48 € ; juillet 2003 = 10.770,82 €). L’évolution théorique de sa rémunération ne peut être alignée sur celle de M. [O], ingénieur classé groupe 18 échelon 02, qui a bénéficié de deux avancements en 2004 (échelon 03) et 2008 (coefficient 04), et il ne peut être présumé de l’évolution de carrière de M. [T] en l’absence de mise à la retraite, étant observé qu’il ressort du rapport d’expertise que de 2003 à 2011, sur 116 cadres classés au groupe 18, seuls 28 ont bénéficié d’un avancement ou d’une promotion. Au regard de l’évolution de la grille des salaires de la convention collective, il est à retenir un revenu brut théorique de 709.491,75 €, soit :

août 2003 à décembre 2003 42.916,53 €

(102.999,68 / 12 X 5)

2004 + 2,2 % 105.265,67 €

2005 + 2,2 % 107.581,51 €

2006 + 2,5 % 110.271,05 €

2007 + 3 % 113.579,18 €

2008 + 2,2 % 116.077,92 €

2009 + 2,3 % 113.799,89 €

(118.747,71 € / 12 X 11,5)

Il est constant que M. [T] a perçu, postérieurement à sa mise à la retraite, un revenu d’activité salariée de 6.908,96 €, et, au vu des justificatifs produits, et, pour les périodes pour lesquelles il n’a pas fourni de justificatif, de ceux des périodes immédiatement antérieures ou postérieures, il est à considérer qu’entre sa mise à la retraite et sa réintégration, il a perçu des pensions et rentes d’un montant brut de 366.700,51 €, soit :

régime général : 79.181,55 €

1er avril 2004 1.111,20 01/04//2004 au 31/12/2005 23.335,20

1er janvier 2006 1.153,82 année 2006 13.845,84

1er janvier 2007 1.174,58 année 2007 14.094,96

1er janvier 2008 1.187,47 01/01/2008 au 13/12/2019 27.905,55

IREC : 52.719,91 €

1er avril 2004 au 31/12/2004 6.748,67

(8.998,23 / 12 X 9)

2005 8.998,23

2006 9.154,39

2007 9.309,55

2008 9.451,44

2009 9.057,63

(9.451,44 / 12 X 11,5)

URC : 168.582,39 €

1er avril 2004 au 31/12/2004 21.581,46

(28.775,28 / 12 X 9)

2005 28.775,28

2006 29.276,21

2007 29.769,82

2008 30.219,38

2009 28.960,24

(30.219,38 / 12 X 11,5)

CNP Assurances (Revie 420403 A/3/YBO et Revie 420403 B/3/YBO) : 32.597,60 €

août 2004 à décembre 2004

(6.064,67 / 12 X 5) 2.526,95

2005 6.064,67

2006 6.064,67

2007 6.064,67

2008 6.064,67

2009 5.811,97

(6.064,67 / 12 X 11,5)

CREA : 33/619,06 €

octobre 2006 à décembre 2008 sur la base d’une pension 23.569,83

de 2.618,87 € au 4ème trimestre 2008

(2.618,87 X 9)

1er trimestre 2009 2.618,87

2ème trimestre 2009 2.622,48

3ème trimestre 2009 2.622,48

4ème trimestre 2009 2.185,40

(2.622,48 / 3 X 2,5)

Il résulte donc de ces éléments une perte de rémunérations de 335.882,28 € (709.491,75 – 366.700,51 ‘ 6.908,96). La Sa Elf EP justifie avoir versé à M. [T] une somme de 297.614,82 € par chèque du 2 avril 2012. Elle demeure donc redevable d’une somme de 38.267,46 €, qu’elle sera condamnée à lui payer.

B) Sur la demande de congés payés sur la perte de rémunérations

M. [T] invoque la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union Européenne (CJUE 25 juin 2020 C- 762/18 et C 37-19) reprise ensuite par la cour de cassation, tandis que la société Elf EP excipe de la prescription de cette demande et au fond, objecte que la période d’éviction n’ouvre pas droit à acquisition de congés payés et que de surcroît, le calcul de l’indemnité d’éviction a pris en compte y compris la période que le salarié aurait passé en congés payés pendant l’année civile.

En application de l’article D.3141-7 du code du travail, le paiement des indemnités dues pour les congés payés est soumis aux règles applicables au paiement des salaires, et, suivant l’article L.3245-1 du code du travail, le délai de prescription de l’action en paiement du salaire est de trois ans. Or, il est établi que M. [T] a formé une demande d’indemnité pour congés payés sur la perte de rémunérations par conclusions reçues par le greffe du conseil de prud’hommes de Pau le 3 juin 2020, donc au-delà du délai de prescription de 3 ans. Cette demande sera en conséquence déclarée irrecevable.

C) Sur la demande de 45.224,92 € au titre de la participation et de l’intéressement

Il résulte du décompte de la somme de 297.614,82 € versée par chèque du 2 avril 2012 par la société Elf EP que cette dernière a admis que M. [T] a subi une perte de 45.224,92 € au titre de la participation et de l’intéressement entre le 1er août 2003 et le 14 décembre 2009. Ce préjudice est donc caractérisé et ouvre droit à indemnisation.

D) Sur la demande de 40.230 € en réparation de 500 actions gratuites non attribuées

M. [T] soutient que tous les salariés ont reçu au moins une fois des actions gratuites dites « de performance » entre 2003 et 2009, à hauteur d’environ 500 actions s’agissant de ceux de sa catégorie. Il ne fournit aucun élément propre à étayer ses dires. Cette demande sera rejetée.

E) Sur la demande de 57.551,86 € en réparation de la perte de chance de souscrire aux offres d’actionnariat, de percevoir les plus-values et les dividendes correspondant

La perte de chance réparable suppose la disparition actuelle et certaine d’une éventualité favorable. La réparation doit être mesurée à l’aune de la chance perdue et ne peut être égale à l’avantage qu’aurait procuré cette chance si elle s’était réalisée.

La société Elf EP justifie (pièce 57 et 59) que le Règlement du Plan d’Epargne de Groupe ‘ Actionnariat (PEG-A) dispose en son article 3 que « les retraités peuvent participer aux augmentations de capital sous réserve qu’ils aient effectué au moins un versement avant leur retraite ou pré-retraite et qu’ils aient toujours des sommes placées sur le Plan d’Epargne » et que cette possibilité était ouverte à M. [T] pour avoir souscrit à une augmentation de capital à hauteur de 21.200 € en 2002. M. [T] soutient que sa situation financière était telle après son départ en retraite qu’il lui était impossible d’épargner, sans cependant fournir aucun élément relativement à sa situation patrimoniale à son départ en retraite. Cette perte de chance n’est donc pas démontrée. Cette demande sera rejetée.

F) Sur la demande de 15.000 € au titre de la privation des activités, ‘uvres et subventions du comité d’entreprise

En application de l’article R.432-2 du code du travail dans sa rédaction en vigueur jusqu’au 1er mai 2008, les activités sociales et culturelles mises en ‘uvre par le comité d’entreprise bénéficient aux salariés ou anciens salariés de l’entreprise et M. [T] ne fournit aucun élément propre à établir qu’il lui était, comme il l’allègue, interdit d’accès dans les locaux de l’entreprise. Ce préjudice n’étant pas caractérisé, la demande sera rejetée.

G) Sur la demande de 441.097,20 € au titre de la liquidation à perte des droits à retraite

M. [T] invoque un préjudice tenant à la liquidation des droits à retraite avant l’âge de 70 ans. L’expert a déterminé une perte de 158.405 € par rapport à l’hypothèse d’un départ à la retraite à 70 ans avec une espérance de vie à 83 ans. Cependant, d’une part, antérieurement à sa mise à la retraite en 2003, M. [T] n’entendait pas partir à la retraite à 70 ans puisqu’il ressort du procès-verbal de réunion du 24 janvier 2012 du comité d’entreprise appelé à donner son avis sur la seconde demande d’autorisation de mise à la retraite qu’il a déclaré lors de cette réunion : « Ayant fait vivre mes parents, dépourvus de retraite car agriculteurs, j’avais de lourds engagements financiers. Tout était planifié pour un départ en retraite à 65 ans [soit le 3 avril 2007], pas pour une éviction forcenée à 60 ans ». De même, il est caractérisé que M. [T] remplissait les conditions pour une mise à la retraite par l’employeur au 31 juillet 2003. En effet, suivant l’article 1 du protocole d’accord concernant diverses dispositions relatives à la retraite du 2 juin 1998, la mise à la retraite était possible à l’initiative de l’employeur si étaient remplies les conditions ci-après :

« – bénéficier d’une pension de vieillesse à taux plein au sens du chapitre 1er du titre V du livre III du code de la sécurité sociale,

– remplir les conditions d’ouverture à la pension de vieillesse, c’est à dire avoir 60 ans, dans les conditions actuelles. »

Or, au 31 juillet 2003, M. [T] avait 60 ans passés (61 ans et 3 mois), s’il n’en avait pas été justifié lors de la consultation du comité d’entreprise, au vu de la notification de sa retraite du régime général qu’il produit, il disposait à cette date d’un nombre de trimestres cotisés au régime général supérieur à 150 trimestres, nombre de trimestres cotisés alors nécessaire pour bénéficier d’une retraite à taux plein. Il doit en outre être considéré qu’il a perçu en 2012 une indemnité de mise à la retraite de 91.561,02 €, et qu’il a cumulé ses revenus salariaux et des pensions de retraite pendant près de trois ans. Au vu de ces éléments, la réalité d’un préjudice s’agissant de la liquidation des droits à pension du fait de l’annulation de la décision d’autorisation de mise à la retraite n’est pas avérée. Cette demande sera rejetée.

H) Sur la demande de 15.000 € pour atteinte aux fonctions de représentation du personnel et syndicales

M. [T] soutient que son éviction a déstabilisé le comité d’entreprise de l’établissement de [Localité 3] de l’unité économique et sociale Amont Holding, le comité central d’entreprise et le syndicat Sictame, victimes d’un délit d’entrave. Même à le supposer avéré, il ne s’agit cependant pas là d’un préjudice personnel à M. [T]. Cette demande sera rejetée.

I) Sur la demande d’indemnisation d’un préjudice moral et de santé

M. [T] établit par la production de plusieurs attestations, de certificats médicaux et d’ordonnances qu’il a présenté, consécutivement à sa mise à la retraite le 31 juillet 2003, un syndrome dépressif et divers problèmes de santé (apnée du sommeil, hypertension artérielle). Il lui sera alloué en réparation de son préjudice moral une somme de 20.000 €.

J) Sur les intérêts des condamnations prononcées et leur capitalisation

La détermination du préjudice subi par M. [T] revêtait une complexité certaine puisque le premier juge a eu besoin de recourir à une mesure d’expertise ; la durée de la procédure tient en revanche pour partie à son comportement étant observé qu’une radiation a été prononcée le 25 mars 2013, qu’il a fait réinscrire l’affaire deux ans moins un jour après, et que l’expert a souligné la difficulté à obtenir de sa part les pièces nécessaires à la réalisation de sa mission. Au vu de ces éléments, il convient de fixer le point de départ des intérêts au taux légal sur les condamnations prononcées au titre de la perte de rémunérations, de l’intéressement et de la participation à compter du 6 janvier 2012, date de la première réinscription de l’affaire au rôle, en application de l’article 1231-7 du code civil.

La somme de 20.000 € pour préjudice moral portera intérêts au taux légal à compter du présent arrêt.

En application de l’article 1343-2 du code civil, les intérêts échus seront capitalisés par année entière à compter du présent arrêt.

II Sur la demande d’indemnisation au titre des conditions de la réintégration

Les seules pièces que produit M. [T] pour critiquer les conditions de sa réintégration sont :

– sa demande de réintégration par courrier en date du 4 décembre 2009, à laquelle il a été donné suite très rapidement puisqu’il a été réintégré le 14 décembre 2009, alors même qu’il aurait été loisible à la Sa Elf EP de refuser cette réintégration puisqu’il avait fait valoir ses droits à la retraite ;

– un échange de mails du 2 février 2011 relativement à une demande de formation, d’où il résulte que M. [T], qui sollicitait initialement une formation Excel, a accepté une formation bureautique suggérée par l’employeur ;

– des échanges de mails des 9, 19 mars 2012 relativement au solde de son compte Droit Individuel Formation, qui a été rectifié ; M. [T] a fait, le 22 mars 2012, une demande de formations « Mind Mapping 1 » et « Mind Mapping 2 » ;

– des échanges de mails d’août et septembre 2010 et février 2011 d’où il résulte qu’après rectification de son ancienneté, une prime d’ancienneté au titre de 30 ans d’activité lui a été attribuée ;

– des décisions de la commission paritaire conventionnelle ingénieurs/cadres du 28 juin 2010 et 27 juin 2011 relatives à une demande d’avancement et deux courriers de l’employeur des 2 juillet 2010 et 7 juillet 2011 lui notifiant le maintien de sa classification, étant observé que sur ce point, la société Elf EP justifie que la classification 18 échelon 03 est l’une des plus élevées de la classification des ingénieurs.

Au vu de ces éléments, M. [T] ne caractérise pas de manquement de l’employeur sur ce point. Sa demande sera rejetée.

III Sur les autres demandes

La Sa Elf EP sera condamnée aux dépens exposés en première instance et en appel, et à payer à M. [T] une somme de 6.000 € en application de l’article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort,

Infirme le jugement du conseil de prud’hommes de Pau du 3 mai 2021 hormis sur la non attribution de 500 actions gratuites, la perte de chance de souscrire aux offres d’actionnariat, de percevoir les plus-values et les dividendes correspondant, la privation des activités, ‘uvres et subventions du comité d’entreprise, la liquidation à perte des droits à la retraite, l’atteinte aux fonctions de représentation du personnel et syndicales, et les conditions de la réintégration,

Statuant de nouveau sur les points infirmés et y ajoutant,

Déclare irrecevable car prescrite la demande de congés payés sur la perte de rémunérations,

Condamne la Sa Elf EP à payer à M. [M] [T] les sommes de :

– 38.267,46 € au titre de la perte de rémunérations, avec intérêts au taux légal à compter du 6 janvier 2012,

– 45.224,92 € au titre de perte de participation et d’intéressement, avec intérêts au taux légal à compter du 6 janvier 2012,

– 20.000 € en réparation de son préjudice moral, avec intérêts au taux légal à compter du présent arrêt,

Dit que les intérêts échus des condamnations ci-dessus seront capitalisés par année entière à compter du présent arrêt,

Condamne la Sa Elf EP aux dépens exposés en première instance et en appel,

Condamne la Sa Elf EP à payer à M. [M] [T] la somme de 6.000 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

Arrêt signé par Madame CAUTRES, Présidente, et par Madame LAUBIE, greffière, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

LA GREFFIÈRE, LA PRÉSIDENTE,

 


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