Augmentation de capital : décision du 12 mars 2024 Cour d’appel de Paris RG n° 20/06600
Augmentation de capital : décision du 12 mars 2024 Cour d’appel de Paris RG n° 20/06600
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Copies exécutoires RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

délivrées aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D’APPEL DE PARIS

Pôle 5 – Chambre 8

ARRÊT DU 12 MARS 2024

(n° / 2024, 8 pages)

Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 20/06600 – N° Portalis 35L7-V-B7E-CBY2A

Décision déférée à la Cour : Jugement du 26 février 2020 -Tribunal de commerce d’EVRY – RG n° 2018F00392

APPELANTE

S.A. ABC ARBITRAGE, prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège,

Immatriculée au registre du commerce et des sociétés de PARIS sous le numéro 400 343 182,

Dont le siège social est situé [Adresse 2]

[Localité 3]

Représentée par Me Frédéric INGOLD de la SELARL INGOLD & THOMAS – AVOCATS, avocat au barreau de PARIS, toque : B1055,

Assistée de Me Jean-Luc LARRIBAU de l’AARPI LE 16 – Avocats, avocat au barreau de PARIS, toque : K0116,

INTIMÉE

S.A.S. ALCATEL LUCENT, prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège,

Immatriculée au registre du commerce et des sociétés d’EVRY sous le numéro 542 019 096,

Dont le siège social est situé [Adresse 1]

[Localité 4]

Représentée par Me Matthieu BOCCON GIBOD de la SELARL LEXAVOUE PARIS-VERSAILLES, avocat au barreau de PARIS, toque : C2477,

Assistée de Me Erwan POISSON du LLP ALLEN & OVERY LLP, avocat au barreau de PARIS, toque : J022,

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 19 juin 2023, en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant la cour composée en double-rapporteur de Madame Marie-Christine HÉBERT-PAGEOT, présidente de chambre, et de Madame Florence DUBOIS-STEVANT, conseillère,

Ces magistrates ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Madame Marie-Christine HÉBERT-PAGEOT, présidente de chambre,

Madame Florence DUBOIS-STEVANT, conseillère,

Madame Constance LACHEZE, conseillère.

Un rapport a été présenté à l’audience par Madame Marie-Christine HÉBERT-PAGEOT dans les conditions prévues à l’article 804 du code de procédure civile.

Greffier, lors des débats : Madame Liselotte FENOUIL

ARRÊT :

– Contradictoire

– par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

– signé par Marie-Christine HÉBERT-PAGEOT, présidente de chambre et par Liselotte FENOUIL, greffière, présente lors de la mise à disposition.

*

* *

FAITS ET PROCÉDURE:

La société Alcatel Lucent est une société française opérant dans le secteur des télécommunications, dont les actions étaient cotées en France sur le marché Euronext Paris.

Ayant souhaité dans les années 90 faire appel aux investisseurs des Etats-Unis sans passer par une cotation de ses actions sur le marché boursier américain, Alcatel Lucent a mis en place des American Depositary Receipts (ADR), sur le marché NYSE, ces ADR étant des certificats américains libellés en dollars, représentant un nombre défini d’actions émises par Alcatel Lucent sur le marché français. Pour ce faire, elle a conclu un contrat de dépôt (Deposit Agreement) avec une banque américaine JP.Morgan (la banque dépositaire) qui a émis des ADR librement négociables sur le marché américain, en contrepartie du dépôt d’actions Alcatel Lucent dans une banque française (la banque conservatrice).

Le 8 juin 2012, l’assemblée générale mixte des actionnaires d’Alcatel Lucent a voté une délégation de compétence au profit du conseil d’administration, afin de décider d’une augmentation de capital en numéraire par émission d’actions ordinaires.

Le 29 octobre 2013, le conseil d’administration d’Alcatel Lucent a approuvé le principe d’une augmentation de capital avec maintien du droit préférentiel de souscription (DPS) d’un montant annuel maximum de 2,3 millions d’euros. Pour ce faire, elle a émis un Prospectus, détaillant les conditions de l’augmentation de capital, comprenant une Note d’opération visée par l’AMF décrivant les caractéristiques des titres offerts et de l’augmentation de capital.

Le 3 novembre 2013, le directeur général d’Alcatel Lucent a initié l’opération d’augmentation de capital sur le marché Euronext Paris.

La SA ABC Arbitrage, société française spécialisée dans la maîtrise de l’ingénierie logicielle de trading et réalisant des opérations d’achat-vente sur des titres financiers de sociétés cotées, se prévalant de la détention d’ADR ayant pour actif sous-jacent les actions d’Alcatel Lucent, a sollicité le 5 novembre 2013 des informations auprès d’Alcatel Lucent afin d’obtenir des précisions sur les modalités d’attribution des DPS pour les détenteurs d’ADR, laquelle l’a renvoyée à contacter la Bank of America Merill Lynch, chef de file des banques garantes dans le cadre de l’augmentation de capital.

Le 11 novembre 2013, la Bank of America Merill Lynch a indiqué à ABC Arbitrage que les détenteurs d’ADR ne pouvaient pas se voir attribuer de droits préférentiels de souscription.

Le 5 décembre 2013, Alcatel Lucent a annoncé le succès de l’augmentation de capital, dont le montant final brut s’est élevé à 956.693.824, 80 euros (prime d’émission incluse), par émission de 455.568.488 actions nouvelles.

Se considérant abusivement exclue de l’exercice du droit préférentiel de souscription, ABC Arbitrage a adressé le 12 novembre 2013 à Alcatel Lucent, un courrier contestant la décision de non-attribution de ce droit et réclamé une indemnisation au titre des frais d’annulation de ses ADR, puis par acte du 25 mai 2018 a fait assigner Alcatel Lucent devant le tribunal de commerce d’Evry, pour obtenir réparation du préjudice qu’elle considère avoir subi du fait du refus illégitime d’Alcatel Lucent de lui attribuer des droits préférentiels de souscription.

Par jugement du 26 février 2020, le tribunal de commerce d’Evry a

– dit qu’Alcatel Lucent n’avait pas commis de faute lors de son augmentation de capital de novembre 2013 en refusant l’attribution de droits préférentiels de souscription à ABC Arbitrage en tant que détentrice d’ADR,

– débouté ABC Arbitrage de toutes ses demandes à l’égard d’Alcatel Lucent,

– débouté Alcatel Lucent de sa demande tendant à voir condamner ABC Arbitrage à lui payer 120.000 euros de dommages et intérêts,

– condamné ABC Arbitrage à payer à Alcatel Lucent une somme de 50.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’aux entiers dépens.

ABC Arbitrage a relevé appel de ce jugement le 27 mai 2020.

Par conclusions récapitulatives déposées au greffe et notifiées par RPVAle 20 mars 2023, la SA ABC Arbitrage demande à la cour de:

– juger que le refus fautif d’Alcatel Lucent SA de procéder à l’attribution directe à ABC Arbitrage SA des droits préférentiels de souscription attachés aux actions sous-jacentes d’Alcatel Lucent aux ADR qu’elle détenait, en violation de la Note d’opération afférente à l’augmentation de capital réalisée par Alcatel Lucent au mois de novembre 2013, lui a causé un préjudice financier, en conséquence, infirmer le jugement en ce qu’il a (i) dit qu’Alcatel Lucent n’avait pas commis de faute lors de l’augmentation de capital en lui refusant l’attribution directe de DPS en tant que détentrice d’ADR, (ii) l’a déboutée de toutes ses demandes envers Alcatel Lucent et (iii) l’a condamnée au paiement d’une indemnité procédurale de 50.000 euros et aux entiers dépens,

– à titre subsidiaire, juger que le refus fautif d’Alcatel Lucent de procéder à l’attribution directe à ABCArbitrage des droits préférentiels de souscription attachés aux actions sous-jacentes d’Alcatel Lucent aux American Depositary Receipts , en violation des dispositions d’ordre public du droit français, lui a causé un préjudice financier, en conséquence, infirmer le jugement de ces mêmes chefs,

– Statuant à nouveau:

– à titre principal, condamner Alcatel Lucent à réparer le préjudice qu’elle a subi à raison de ce refus fautif, en ce compris la perte de chance de n’avoir pu investir les sommes perdues pour les années postérieures à 2013, à hauteur de 161. 092.716 USD (soit 150.096.171 euros) à parfaire, décomposé comme suit:12.294. 228 USD (soit 10.633.300 euros) au titre de la perte subie à raison des frais de transaction et de l’écart de cours qu’elle a dû supporter pour pouvoir exercer les DPS qui lui revenaient et 148.798.488 USD (soit 139.462.871 euros) au titre du gain manqué à raison de la réduction conséquente de ses fonds propres employables sur les marchés financiers,

– à titre subsidiaire, condamner Alcatel Lucent à réparer le préjudice qu’elle a subi à raison de ce refus fautif, en ce compris la perte de chance de n’avoir pu investir les sommes perdues depuis l’introduction de la présente instance, à hauteur de 49.766.709 USD (soit 45.754.758 euros) à parfaire, décomposé comme suit:

– 12.294.228 USD (soit 10.633.300 euros) au titre de la perte subie à raison des frais de transaction et de l’écart de cours qu’elle a dû supporter pour pouvoir exercer les DPS qui lui revenaient,

– 37.472.481 USD (35.121.458 euros) au titre du gain manqué à raison de la réduction conséquente de ses fonds propres employables sur les marchés financiers,

– en tout état de cause, débouter Alcatel Lucent de l’intégralité de ses demandes et conclusions et la condamner à lui verser la somme de 70.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’aux entiers dépens.

Par ses conclusions n°2 déposées au greffe et notifiées par RPVA le 2 mai 2023, la SAS Alcatel Lucent demande à la cour de :

– à titre principal, juger que ni la Note d’opération ni le contrat de dépôt ne prévoient l’attribution de droits préférentiels de souscription aux détenteurs d’American Depositary Receipts, que ni la qualité de résident français ni celle d’Investisseur Qualifié ne permettent à ABC Arbitrage de prétendre qu’elle aurait eu le droit de bénéficier de droits préférentiels de souscription, que les droits d’un détenteur d’American Depositary Receipts Alcatel Lucent ne sont nullement assimilables à ceux d’un actionnaire de la société Alcatel-Lucent, juger que le préjudice allégué par ABC Arbitrage ne peut avoir été causé par la moindre faute d’Alcatel-Lucent, que les préjudices réclamés ne sont pas justifiés et sont basés sur des calculs erronés, qu’ABC Arbitrage ne peut sérieusement solliciter l’actualisation de son prétendu préjudice, en conséquence confirmer le jugement,

– à titre reconventionnel, juger qu’ABC Arbitrage a fait preuve de mauvaise foi et d’une intention malicieuse et a agi en justice de manière abusive, en conséquence, condamner ABC Arbitrage à lui payer 120.000 euros de dommages et intérêts, à ce jour et sauf à parfaire, sur le fondement des articles 32-1 et 559 du code de procédure civile,

– en tout état de cause, rejeter les demandes, fins et conclusions d’ABC Arbitrage et la condamner à lui payer la somme de 100.000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’aux entiers dépens.

SUR CE

A l’annonce de l’augmentation de capital d’Alcatel Lucent, ABC Arbitrage qui détenait auprès de la banque Barclays des Contracts for Differences (CFD), instruments financiers permettant de spéculer sur les variations de la valeur d’un actif sous-jacent, a converti ces derniers sur des American Depositary Receipts (ADR) ayant comme actif sous-jacent des actions d’Alcatel Lucent. C’est à raison de la détention de ces ADR qu’elle soutient qu’elle est éligible à l’attribution directe de droits préférentiels de souscription

(DPS) lors de l’opération d’augmentation de capital, se fondant en cela sur la Note d’opération établie par Alcatel Lucent et subsidiairement sur l’Ordre public français. Tous ces fondements sont contestés par Alcatel Lucent, qui dénie à ABC Arbitrage la qualité d’actionnaire, de qualified institutional buyers et partant d’un droit à DPS.

En vue de la réalisation de l’augmentation de capital, Alcatel Lucent a émis un Prospectus visé par l’AMF le 3 novembre 2013, détaillant les conditions de l’augmentation de capital. Ce document comprend notamment une Note d’opération précisant les conditions de cette augmentation de capital, en particulier sa portée matérielle et géographique.

ABC Arbitrage se prévaut de l’article 5.1.3 de cette note, qui institue un régime dérogatoire applicable aux Qualified institutional buyers titulaires d’ADR Alcatel Lucent. Elle fait valoir qu’elle est ‘investisseur qualifié’ au sens de la directive Prospectus telle que transposée en droit français, et que cette notion est assimilable à celle de “qualified institutional buyers ” et que toute autre lecture de la Note d’opération conduirait à priver d’effet et de sens la référence de l’article 5.1.3 à l’article 5.2.1 de ladite Note. Elle ajoute qu’au vu de l’article 5.2.1 les titulaires de droits préférentiels de souscription ayant une adresse en France, et de ce fait résidant en France, ce qui est son cas, pouvaient participer à l’augmentation de capital et partant exercer les droits préférentiels de souscription qui leur revenaient.

La société Alcatel Lucent réplique que la documentation relative à l’augmentation de capital, en particulier la Note d’opération, n’attribue aucun DPS aux détenteurs d’ADR, que ni le fait qu’ABC Arbitrage soit résidente française, ni la qualité d’investisseur qualifié qu’elle allègue ne lui conféraient le droit d’obtenir des DPS, que le droit de souscrire à l’augmentation de capital était réservé aux actionnaires existants et aux cessionnaires des DPS, dont elle ne faisait pas partie, dès lors que les ADR sont des titres financiers, spécifiques et autonomes des actions. Elle ajoute qu’il résulte de l’article 5.2.1 de la Note d’opération que les restrictions applicables à l’augmentation de capital dépendaient, non pas du pays où résidait l’investisseur, mais du pays dans lequel avait lieu la vente des actions. Elle ajoute que la notion de ” qualified institutional buyers “, notion de droit américain, ne peut être confondue avec la notion de droit communautaire ‘d’investisseur qualifié’, qui découle de la directive Prospectus.

La Note d’opération stipule:

– en son article 5.1.1 ‘ Conditions de l’offre’ que l’augmentation de capital sera réalisée avec maintien du DPS des actionnaires à raison de 8 actions nouvelles pour

41 existantes d’une valeur nominale de 0,05 chacune, chaque actionnaire recevant le

19 novembre 2013 un DPS par action enregistrée comptablement sur son compte-titres à l’issue de la journée comptable du 18 novembre 2013.

– en son article 5.1.3 (b) ‘ Droit préférentiel de souscription’ que la souscription des actions nouvelles à titre irréductible sera réservée, par préférence ‘- aux titulaires d’actions existantes enregistrées comptablement sur leur compte-titres à l’issue de la journée comptable du 18 novembre 2013; – aux cessionnaires des droits préférentiels de souscription.’, à raison de 8 actions nouvelles pour 41 actions existantes possédées.

ABC Arbitrage n’allègue pas avoir été enregistrée à la date du 18 novembre 2013 sur un compte-titres dans les livres d’Alcatel Lucent, lui conférant des DPS. ABC Arbitrage détenait, à la date de clôture de l’opération, des ADR qui résultaient de la conversion de ses CFD pendant la période de souscription à l’augmentation de capital. Si l’actif sous-jacent de ces ADR correspondait à des actions émises par Alcatel Lucent déposées par l’émetteur auprès d’une banque conservatrice en vertu d’un contrat de dépôt, les ADR sont des titres américains négociables sur le marché américain, ne se confondant pas avec les actions elles-mêmes.

L’article 5.1.3 (e) de la Note d’opération, relatif aux ‘American Depositary Receips’ prévoit que ‘les titulaires d’American Depositary Receips (les ‘ADR’), autres que les qualified institutional buyers (tels que visés à la section 5.2.1 c) de la présente Note d’Opération, n’ayant pas, compte tenu des modalités de réalisation de l’opération, la possibilité de se voir attribuer les droits préférentiels de souscription attachés aux actions sous-jacentes à leurs ADR, l’ensemble de ces droits préférentiels de souscription sera cédé sur le marché et le produit de cette cession sera réparti entre les titulaires des ADR concernés. [….] Le volume estimé de ces droits préférentiels de souscription, à la date de la présente Note d’opération, est approximativement de 21,8% du nombre total de droits préférentiels de souscription’.

Il est clair au vu de cette clause que les titulaires d’ADR n’avaient pas la possibilité de se voir attribuer des DPS, Alcatel Lucent ayant mis en place un système spécifique leur permettant de bénéficier du produit de cession des DPS attachés aux actions sous-jacentes à ces ADR, lesquels devaient être vendus par l’établissement dépositaire durant la période de souscription.

La clause sus visée réserve certes la situation des détenteurs d’ADR relevant des ‘Qualified institutional buyers’ et ABC Arbitrage soutient qu’elle bénéficie de ces dispositions particulières en sa qualité d’investisseur qualifié au sens de la directive Prospectus, notion qu’elle assimile à celle de qualified institutional buyers.

Ainsi que le soutient Alcatel Lucent, l’appellation qualified institutional buyers correspond à une notion de droit américain, définie par l’US Securities Act, tandis que l’appellation investisseur qualifié trouve son origine dans le droit communautaire et la Directive 2003/71/CE relative à la qualité d’investisseurs souscrivant des actions nouvelles dans les Etats membres de l’Espace Economique Européen.

La Note d’opération emploie d’ailleurs distinctement ces deux notions.

La dénomination qualified institutional buyers est évoquée à l’article 5.1.3 (e) à propos des ‘American Depositary Receips’ notion renvoyant aux règles américaines. La référence que fait l’article 5.1.3 (e) à l’article 5.2.1(c) doit être restituée dans le contexte de ce second article intitulé’Catégorie d’investisseurs potentiels -Pays dans lesquels l’offre sera ouverte -Restrictions applicables à l’offre, qui, après avoir rappelé en ses points (a) et (b) que la souscription des actions nouvelles est réservée aux titulaires initiaux des DPS ainsi qu’aux cessionnaires de ces DPS et que l’offre est ouverte au public exclusivement en France, précise en son point (c) les restrictions applicables à l’offre en considération des situations géographiques. Sont ainsi prévues des restrictions concernant les Etats-membres de l’Espace économique européen autres que la France, les Etats-Unis d’Amérique ainsi que d’autres Etats, avec des dispositions spécifiques propres à chaque situation. C’est à propos de la restriction relative aux Etats-membres de l’Espace économique européen, que la Note d’opération précise que les actions nouvelles ou les DPS peuvent être offerts dans ces Etats uniquement: (1) à des investisseurs qualifiés, tels que définis par la Directive Prospectus tel qu’amendé, le cas échéant, par la transposition de la Directive Prospectus dans l’Etat Membre concerné;[….] L’expression Directive Prospectus signifie la Directive 2003/71/CE et inclut toute mesure de transposition dans chaque Etat Membre’. La notion communautaire d’investisseur qualifié ne concerne donc pas le régime des restrictions applicables aux Etats-Unis d’Amérique.

Il n’y a pas lieu d’interpréter les dispositions de la Note d’opération visée par l’AMF ni d’assimiler la notion d’investisseur qualifié dont se prévaut ABC Arbitrage à la notion de qualified institutional buyers.

C’est dès lors de manière inopérante qu’ABC Arbitrage, dont la qualité d’investisseur qualifié au sens du droit européen n’est pas discutée, se prévaut du renvoi à l’article 5.2.1(c) pour soutenir qu’elle doit être assimilée à un qualified institutional buyers. Elle manque en conséquence à établir qu’elle relève de la catégorie des qualified institutional buyers.

Surabondamment, il sera relevé que la situation particulière réservée au qualified institutional buyers ne donnait pas directement droit à l’attribution de DPS.En effet, la notice d’offre IPPM (International Private Placement Memorandum) précise que si on est un qualified institutional buyers souhaitant participer à l’augmentation de capital, il faut donner instruction de retirer les actions sous-jacentes du programme ADR avant la date d’enregistrement pour l’attribution des DPS de souscription et suivre la procédure décrite dans’Procédure pour l’exercice des droits par un QIB aux Etats-Unis d’Amérique’.

Manque également de pertinence le moyen pris de ce qu’ABC Arbitrage a son siège social en France, ce critère géographique étant insuffisant à établir la qualité d’actionnaire ou de cessionnaire des DPS détachables. En effet, la qualité d’actionnaire et le fait que l’offre est réservée au marché français constituant des conditions cumulatives, le simple fait qu’ABC Arbitrage dispose d’un siège social en France ne suffit pas à la rendre éligible à l’attribution de DPS.

Subsidiairement, ABC Arbitrage soutient qu’en tant que détenteur d’ADR elle était éligible à l’attribution de DPS en vertu de l’ordre public français. Elle expose que seule la lex societatis, soit le droit français, est applicable à la question de l’attribution des droits préférentiels de souscription et qu’ainsi le contrat de dépôt, soumis au droit new-yorkais, ne peut lui être opposé afin de lui refuser le droit à attribution de DPS, que le juge français doit appliquer, dans une situation comportant des éléments d’extranéité, les règles françaises de droit international privé, qui font dépendre la loi applicable de l’objet du litige, qui porte sur l’attribution du DPS qui est un droit d’ordre public reconnu aux actionnaires de sociétés par actions par le droit français. Elle ajoute que les prérogatives qui lui sont reconnues dans le contrat de dépôt se rattachent à sa qualité d’actionnaire.

Alcatel Lucent fait valoir que, par principe, les stipulations du contrat de dépôt ne peuvent déterminer la qualité d’actionnaire d’ABC Arbitrage, que seule la lex societatis, en l’occurrence la loi française, détermine la qualité d’actionnaire et que le droit français ne décerne pas la qualité d’actionnaire à un porteur d’ADR, s’agissant de titres inconnus de la loi française, et réserve la qualité d’actionnaire aux seuls porteurs d’actions.Elle ajoute qu’en tout état de cause, aucune des stipulations du contrat de dépôt ne confère la qualité d’actionnaire à ABC Arbitrage.

La loi applicable à une personne morale, la lex societatis, est s’agissant de la SAS Alcatel Lucent qui a son siège social en France, la loi française. C’est cette loi qui régit donc l’acquisition de la qualité d’actionnaire et aucunement le contrat de dépôt ( Deposit Agreement) soumis au droit new yorkais.

Si la loi française reconnaît aux actionnaires de sociétés par actions le droit à un DPS, encore faut-il que la qualité d’actionnaire soit établie par cette même loi. Or, Alcatel Lucent soutient exactement que la loi française ne reconnaît pas la qualité d’actionnaire aux porteurs d’ADR, titres américains inconnus du droit français, et qu’un ADR est un titre financier, spécifique, distinct de son actif sous- jacent qu’est l’action. C’est la banque dépositaire qui peut être considérée en droit français comme ayant la qualité d’actionnaire. Le moyen subsidiaire, tiré de l’Ordre public français n’est en conséquence pas fondé.

Il s’ensuit qu’ABC Arbitrage, qui n’établit pas avoir été éligible à l’attribution directe du DPS, n’est pas fondée à reprocher à Alcatel Lucent de l’avoir privée de ce droit. Le jugement sera en conséquence confirmé en ce qu’il a débouté ABC Arbitrage de l’ensemble de ses demandes.

– Sur la demande reconventionnelle en dommages et intérêts pour procédure abusive

Alcatel Lucent sollicite la condamnation d’ABC Arbitrage au paiement d’une somme de 120.000 euros de dommages et intérêts au titre de la procédure abusive, sur le fondement des articles 32-1 et 559 du code de procédure civile et 1240 du code civil, arguant que l’appelante a agi dans une intention malicieuse cinq années après s’être contentée d’adresser quelques emails et courriers à la fin de l’année 2013 pour faire état d’un préjudice de plus de 150 millions d’euros.

ABC Arbitrage conteste avoir fait preuve de mauvaise foi arguant avoir simplement agi pour être rétablie dans ses droits.

C’est à juste titre que les premiers juges ont, au regard de la complexité de l’affaire, débouté Alcatel Lucent de sa demande de dommages et intérêts pour procédure abusive. L’appel relevé par ABC Arbitrage, quand bien même il a donné lieu à confirmation du jugement déféré, n’a pas dégénéré en abus de droit, de sorte que la cour, y ajoutant, déboutera Alcatel Lucent de sa demande de dommages et intérêts pour appel abusif.

– Sur les dépens et l’article 700 du code de procédure civile

ABC Arbitrage, partie perdante en première instance et en appel sera condamnée aux entiers dépens et ne peut en conséquence prétendre au paiement d’une indemnité procédurale.

La cour confirmera le jugement du chef des dépens et de la condamnation d’ABC Arbitrage au paiement d’une indemnité procédurale de 50.000 euros et y ajoutera une indemnité de 15.000 euros au titre des frais irrépétibles exposés en appel.

PAR CES MOTIFS,

Confirme le jugement en toutes ses dispositions,

Y ajoutant,

Déboute la société Alcatel Lucent de sa demande en paiement de dommages et intérêts et d’amende civile pour appel abusif,

Condamne la société ABC Arbitrage aux dépens d’appel et à payer à la société Alcatel Lucent une indemnité procédurale de 15.000 euros au titre des frais irrépétibles exposés en appel,

Déboute la société ABC Arbitrage de sa demande sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

La greffière,

Liselotte FENOUIL

La présidente,

Marie-Christine HÉBERT-PAGEOT

 


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