Augmentation de Capital : Cour administrative d’appel de Paris, 9ème chambre, 31 mars 2023, 21PA01514

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Augmentation de Capital : Cour administrative d’appel de Paris, 9ème chambre, 31 mars 2023, 21PA01514
Ce point juridique est utile ?

s + 2,65% auprès de la succursale suisse d’une filiale luxembourgeoise du groupe, Alcoa Global Treasury Services Geneva Branch (AGTSGB), et a apporté cette somme à la société belge AWPB à titre d’augmentation de capital. Ce même jour, la société AWHB a vu ses statuts modifiés pour y inclure une activité financière et a été renommée Alcoa Finances and Services Belgium (ci-après AFSB). Le 14 octobre 2010, la société AFSB a octroyé un prêt de 261 millions d’euros à la société Alcoa Inversiones Espana SL (AIESL), filiale espagnole de la société américaine Alcoa Inc., tête du groupe, à un
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Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société par action simplifiée (SAS) Howmet a demandé au tribunal administratif de Montreuil de prononcer la décharge des impositions supplémentaires à l’impôt sur les sociétés et aux contributions sociales, ainsi que des pénalités correspondantes, mises à sa charge, d’une part, au titre des exercices 2011 et 2012, d’autre part, au titre des exercices 2010 et 2011 réalisés par la SAS Arconic Holding France, venant aux droits de la société Alcoa Holding France, filiale intégrée.

Par un jugement n° 1709196, 1801203 du 19 novembre 2020, le tribunal administratif de Montreuil a prononcé la décharge des impositions supplémentaires en droits et pénalités auxquelles la SAS Howmet a été assujettie à raison de la remise en cause de la déduction d’intérêts d’emprunts, sur le fondement de l’article L. 64 du livre des procédures fiscales, au titre des exercices 2011 et 2012, et a rejeté le surplus des demandes.

Procédure devant la Cour :

Par une requête et deux mémoires en réplique enregistrés le 23 mars, 28 septembre et 14 décembre 2021, le ministre de l’économie, des finances et de la relance, demande à la Cour :

1°) d’annuler les articles 1 et 2 jugement n°1709196,1801203 du 19 novembre 2020, du tribunal administratif de Montreuil. ;

2°) de remettre à la charge de la SAS Howmet les impositions litigieuses ;

3°) de rejeter le recours incident de la SAS Howmet.

Il soutient que :

– à titre principal, les sociétés Howmet et Alcoa Holding France ont participé à un montage artificiel destiné exclusivement à faire échapper à l’impôt sur les sociétés français les intérêts d’emprunt que ces sociétés devaient recevoir de la société belge AFSB sous le couvert d’augmentations de capital, relevant de l’abus de droit au sens de l’article L. 64 du livre des procédures fiscales ;

– à titre secondaire, les intérêts d’emprunt en cause doivent être réintégrés sur le fondement de l’article L. 64 du même livre au titre de la fraude à la loi fiscale constituée par les articles 209,1 et 39,1 du code général des impôts ;

– les conclusions présentées à titre incident par la SAS Howmet, portant sur les redressements notifiés à sa filiale intégrée la SAS Howmet Holding France au titre l’article 57 du code général des impôts, sont irrecevables, faute d’avoir été mentionnées dans la réclamation préalable ;

– la SAS Howmet n’établit pas que les honoraires dénommés ” managements fees ” correspondent à des prestations servies à la société Alcoa Holding France ou à ses filliales.

Par des mémoires, enregistrés les 30 juillet et 17 novembre 2021, la SAS Howmet, représentée par Me Rudeaux, avocat, conclut, à titre principal, au rejet de la requête du ministre, et, à titre incident, à l’annulation de l’article 3 du jugement du 19 novembre 2020 et à la décharge de l’imposition supplémentaire mise à sa charge au titre des exercices 2010 et 2011, à hauteur de 461 264 euros sur le fondement de l’article 57 du code général des impôts, ainsi qu’à ce que soit mise à la charge de l’Etat la somme de 5 000 euros sur le fondement de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient qu’aucun des moyens soulevés par le ministre n’est fondé et que son recours à titre incident est recevable ; que, s’agissant de ce recours incident, les premiers juges ont méconnu le règles gouvernant la charge de la preuve, et l’administration n’apporte pas la preuve lui incombant d’un avantage résultant de l’absence de réalité des prestations litigieuses ; qu’en produisant les factures et contrats concernés, elle apporte les justificatifs suffisants pour admettre la déductibilité des honoraires (” management fees “) acquittés.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

– le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

– le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l’audience.

Ont été entendus au cours de l’audience publique :

– le rapport de M. A… ;

– les conclusions de M. Sibilli, rapporteur public.

– et les observations de Me Rudeaux, pour la société SAS Howmet.

Une note en délibéré, enregistrée le 17 mars 2023, a été produite pour la SAS Howmet par Me Rudeaux.

Considérant ce qui suit

:

1. La SAS Howmet, (ci-après HSAS), en qualité de tête de groupe intégré fiscalement, et sa filiale intégrée la société Arconic Holding France (ci-après AHF), venant aux droits de la société Alcoa Holding France, ont fait l’objet de vérification de comptabilité sur la période du 1er janvier 2011 au 31 décembre 2012 pour la première et la période du 1er janvier 2009 au 31 décembre 2012 pour la seconde. L’administration a, d’une part, réintégré au bénéfice taxable des deux sociétés, au titre des exercices 2011 et 2012, sur le fondement de l’article L. 64 du livre des procédures fiscales, des intérêts reçus de la société belge Alcoa Wheels Product Belgium, devenue la société Alcoa Finance and Services Belgium (ci-après AFSB) sous couvert d’augmentations de capital, et, d’autre part, réintégré au bénéfice de la société AHF, au titre des exercices 2010 et 2011, des honoraires (” management fees “) versés à la société mère américaine, la société Alcoa Inc. Par jugement du 19 novembre 2020, le tribunal administratif de Montreuil a fait droit aux conclusions de la SAS Howmet en ce qui concerne les redressements fondés sur l’abus de droit et a rejeté le surplus des demandes. Le ministre de l’économie, des finances et de la relance demande régulièrement à la Cour l’annulation du jugement en tant qu’il a accordé la décharge des impositions fondées sur l’abus de droit et le rétablissement des impositions, pénalités et intérêts correspondants. La SAS Howmet demande pour sa part, à titre principal, le rejet de la requête du ministre et, à titre incident, l’annulation de l’article 3 du même jugement rejetant sa demande de décharge du surplus des impositions supplémentaires mises à sa charge au titre d’honoraires (” management fees “).

Sur la recevabilité des conclusions aux fins d’appel incident :

2. Aux termes de l’article L. 199 C du Livre des procédures fiscales : ” L’administration, ainsi que le contribuable dans la limite du dégrèvement ou de la restitution sollicités, peuvent faire valoir tout moyen nouveau, tant devant le tribunal administratif que devant la cour administrative d’appel, jusqu’à la clôture de l’instruction. Il en est de même devant le tribunal judiciaire et la cour d’appel “. Aux termes de l’article R. 190-1 du livre des procédures fiscales : ” Le contribuable qui désire contester tout ou partie d’un impôt qui le concerne doit d’abord adresser une réclamation au service territorial, selon le cas, de la direction générale des finances publiques ou de la direction générale des douanes et droits indirects dont dépend le lieu de l’imposition “.

3. Comme l’a à bon droit jugé le tribunal, dont il convient sur ce point d’adopter les motifs retenus au point 5 du jugement attaqué, la société HSAS était recevable à soulever tous moyens devant le tribunal et la Cour dans la limite du montant soulevé dans la réclamation préalable, pour un montant de 13 041 369 euros. En outre, en tant que le jugement entrepris l’a déchargée des impositions supplémentaires établies sur le fondement de l’article L. 64 du livre des procédures fiscales, et a rejeté sa demande portant sur le surplus du litige, elle est recevable à demander, s’agissant de ce surplus, lequel ne constitue pas un litige distinct, au titre de l’appel incident, la décharge des impositions contestées dans la limite du montant indiqué ci-dessus.

Sur l’appel principal du ministre :

4. D’une part, aux termes de l’article L. 64 du livre des procédures fiscales, dans sa rédaction applicable aux exercices 2011 et 2012 : ” Afin d’en restituer le véritable caractère, l’administration est en droit d’écarter, comme ne lui étant pas opposables, les actes constitutifs d’un abus de droit, soit que ces actes ont un caractère fictif, soit que, recherchant le bénéfice d’une application littérale des textes ou de décisions à l’encontre des objectifs poursuivis par leurs auteurs, ils n’ont pu être inspirés par aucun autre motif que celui d’éluder ou d’atténuer les charges fiscales que l’intéressé, si ces actes n’avaient pas été passés ou réalisés, aurait normalement supportées eu égard à sa situation ou à ses activités réelles. / En cas de désaccord sur les rectifications notifiées sur le fondement du présent article, le litige est soumis, à la demande du contribuable, à l’avis du comité de l’abus de droit fiscal. L’administration peut également soumettre le litige à l’avis du comité. / Si l’administration ne s’est pas conformée à l’avis du comité, elle doit apporter la preuve du bien-fondé de la rectification (…) “. Il résulte de ces dispositions que, lorsque l’administration use des pouvoirs que lui confère ce texte dans des conditions telles que la charge de la preuve lui incombe, elle est fondée à écarter comme ne lui étant pas opposables certains actes passés par le contribuable dès lors qu’elle établit que ces actes ont un caractère fictif, ou bien, à défaut, recherchent le bénéfice d’une application littérale des textes à l’encontre des objectifs poursuivis par leurs auteurs et n’ont pu être inspirés par aucun motif autre que celui d’éluder ou d’atténuer les charges fiscales que l’intéressé, s’il n’avait pas passé ces actes, aurait normalement supportées eu égard à sa situation et à ses activités réelles. L’administration fiscale apporte cette preuve par la production de tous éléments suffisamment précis attestant du caractère fictif des actes en cause ou de l’intention du contribuable d’éluder ou d’atténuer ses charges fiscales normales. Dans l’hypothèse où l’administration s’acquitte de cette obligation, il incombe ensuite au contribuable, s’il s’y croit fondé, d’apporter la preuve de la réalité des actes contestés ou de ce que l’opération litigieuse est justifiée par un motif autre que celui d’éluder ou d’atténuer ses charges fiscales normales.

5. D’autre part aux termes de l’article 38 du code général des impôts : ” Sous réserve des dispositions des articles (…), le bénéfice imposable est le bénéfice net, déterminé d’après les résultats d’ensemble des opérations de toute nature effectuées par les entreprises, y compris notamment les cessions d’éléments quelconques de l’actif, soit en cours, soit en fin d’exploitation “. Aux termes de l’article 39 du code général des impôts : ” 1. Le bénéfice net est établi sous déduction de toutes charges (…) “. Aux termes de l’article 209 du code général des impôts : ” I. Sous réserve des dispositions de la présente section, les bénéfices passibles de l’impôt sur les sociétés sont déterminés d’après les règles fixées par les articles 34 à 45,53 A à 57,237 ter A et 302 septies A bis et en tenant compte uniquement des bénéfices réalisés dans les entreprises exploitées en France (…) “.

6. Il résulte de l’instruction que, le 11 octobre 2010, la société luxembourgeoise Alcoa Luxembourg a apporté à sa filiale, la société française Howmet (ci-après HSAS), l’intégralité des titres de sa filiale belge, la société Alcoa Wheel Products Belgium (ci-après AWPB), titres qui ont été intégralement apportés le même jour par la société HSAS à sa filiale française AHF pour une valeur nette comptable de 21 803 747 euros. Le 12 octobre 2010, la société AHF a contracté un prêt de 240 millions d’euros à un taux Euribor 3 mois + 2,65% auprès de la succursale suisse d’une filiale luxembourgeoise du groupe, Alcoa Global Treasury Services Geneva Branch (AGTSGB), et a apporté cette somme à la société belge AWPB à titre d’augmentation de capital. Ce même jour, la société AWHB a vu ses statuts modifiés pour y inclure une activité financière et a été renommée Alcoa Finances and Services Belgium (ci-après AFSB). Le 14 octobre 2010, la société AFSB a octroyé un prêt de 261 millions d’euros à la société Alcoa Inversiones Espana SL (AIESL), filiale espagnole de la société américaine Alcoa Inc., tête du groupe, à un taux Euribor 3 mois + 1,65%. Par la suite, la société HSAS a contracté, le 21 novembre 2011, un emprunt de 100 millions d’euros à un taux Euribor 3 mois + 3,17% auprès de la succursale AGTSGB et a augmenté le capital de la société AHF pour un même montant. Le même jour, la société AHF a augmenté le capital de la société AFSB pour un montant de 135 millions d’euros, le montant supplémentaire de 35 millions provenant de la distribution de dividendes d’autres sociétés françaises auprès d’AHF. Le 22 novembre 2011, la société AFSB a accordé un prêt à la société espagnole pour un montant de 165 millions d’euros à un taux Euribor 3 mois + 1,65%, le montant supplémentaire de 30 millions d’euros provenant des remboursements des échéances du premier prêt et de fonds prélevés sur le compte courant que la société AFSB détient auprès de la société AGTS.

7. L’administration, sur qui repose la charge de la preuve sur le fondement des dispositions de l’article L. 64 du livre des procédures fiscales, le Comité de l’abus de droit ayant estimé, dans son avis du 10 novembre 2016, que les opérations en litige ne constituaient pas un abus de droit au sens de ces mêmes dispositions, fait valoir que le montage en cause a procuré à la société Howmet (HSAS) et à sa filiale intégrée AHF un avantage consistant en la déduction, de son bénéfice imposable, d’intérêts d’emprunt sous couvert d’augmentations de capital de sa filiale belge AFSB ayant permis l’octroi de prêts à la filiale espagnole du groupe Alcoa, la société AIESL. Cet avantage résulte de la succession des opérations mentionnées au point 6 du présent arrêt, devant être regardée comme un montage artificiel recherchant le bénéfice d’une application littérale des articles 38, 39 et 209 du code général des impôts. L’administration fait valoir, à cet égard, que ces deux opérations ont permis, par l’utilisation du régime fiscal des ” intérêts notionnels ” en Belgique, que le produit des intérêts d’emprunts perçus par la société belge AFSB ait été acquis en franchise d’impôt par les sociétés françaises HSAS et AHF pour les exercices 2011 et 2012, soit par le versement de dividendes exonérées en vertu du régime d’imposition applicable aux sociétés mères-filles, soit grâce au régime des plus-values sur cession de titres dans l’hypothèse où AHF cèderait les titre de sa filiale. Ainsi, en l’absence des opérations d’augmentation du capital de la société belge AFSB, ces prêts, s’ils avaient été directement accordés par HSAS et HAF à la société espagnole AIESL, auraient augmenté le résultat imposable de l’intégration fiscale en France. En conséquence, l’administration a regardé les augmentations de capital à la société belge comme constitutives de prêts dont elle a rattaché les intérêts, pour des montants équivalents aux montants déduits, au bénéfice taxable des sociétés HSAS et AHF.

8. Pour caractériser la situation d’abus de droit, le ministre soutient tout d’abord que les opérations en cause constituent un montage artificiel. La société HSAS fait valoir, à cet égard, que les opérations concomitantes d’emprunts et d’augmentations de capital de la filiale belge sont motivées par la demande des actionnaires du groupe Alcoa d’accroître le volume de distribution des dividendes, et ont permis, à cette fin, de mobiliser les capitaux disponibles auprès des filiales françaises du groupe au profit de filiale espagnole AIESL en situation déficitaire, contribuant ainsi à renforcer leur poids au sein du groupe, au moyen d’emprunts permettant d’exercer un effet de levier en accroissant le rendement des capitaux ainsi investis, cet effet étant maximisé par l’interposition de la filiale belge AFSB bénéficiaire du régime fiscal des intérêts notionnels. Toutefois, le ministre établit que, contrairement à ce que soutient la société en défense, le bilan financier de cette opération pour les sociétés françaises intégrées HSAS et AHF, au titre des ressources mobilisées estimées par la société à 409 875 679 euros, comparées à l’accroissement d’actif net de la filiale belge (430 561 200 euros), est en réalité neutre, compte tenu du coût du rachat initial de la filiale belge auprès de la holding luxembourgeois pour 22 615 506 euros, aucune augmentation du ” droit de gage ” des sociétés AHF et AFSB à raison de leurs augmentations de capital n’étant par ailleurs justifiée. D’autre part, l’administration fait valoir que l’interposition, en vue du financement de la filiale espagnole AIESL, de la société belge AFSB à laquelle a été adjointe une activité de financement, ne s’est pas traduite par un accroissement de la capacité de financement de la filiale espagnole, les prêts à cette dernière société trouvant leur origine dans les apports en capital par voie d’emprunt des sociétés françaises HSAS et AHF pour un montant total de 340 millions d’euros, et dans la mobilisation de réserves en capital de la SAS Howmet et de ses filiales françaises pour 57 millions d’euros, incluant les 22 premiers millions investis lors de l’acquisition de la filiale belge auprès de sa société mère, et la différence entre le montant prêté par la succursale suisse AGTSGB aux sociétés françaises et celui prêté par la société belge AFSB à la filiale espagnole AIESL provenant du remboursement des échéances du premier prêt accordé et des fonds détenus en compte courant par la société belge auprès de la succursale suisse. Le ministre observe, en outre, sans être contredit, que la société AFSB assure un simple rôle d’intermédiaire, les trois personnes qui composent le service financier de la société AFSB n’étant pas en mesure de justifier de la détermination des taux d’intérêts pratiqués à l’égard de la société espagnole, qui leur ont été dictés par la société mère luxembourgeoise, et la structure capitalistique de la société, dont 95 % des dettes sont couverts par les fonds propres, ne correspondant pas à celle d’une société financière. Enfin, l’existence de complémentarités entre les sociétés françaises HSAS et AHF, et la filiale espagnole AIESL, n’est nullement établie, les opérations en litige ne pouvant être regardées comme ayant permis de renforcer ces complémentarités, ni de générer, au profit de la filiale espagnole, un accroissement de financement par rapport à celui qu’elle aurait pu obtenir de la succursale suisse AGTSGB, ou des conditions plus favorables, les financements obtenus de la société belge AFSB lui ayant d’ailleurs été remboursés dès 2013. Par suite, eu égard aux éléments qui précèdent, le ministre établit que la succession d’opérations d’emprunt des sociétés françaises HSAS et AHF, précédées ou suivies immédiatement d’apports de capitaux à la société belge AFSB pour des montants équivalents en vue de consentir des prêts à la filiale espagnole AIESL, revêt un caractère artificiel.

9. Le ministre soutient, en outre, que les opérations en litige, eu égard aux caractéristiques mentionnées au point précédent, n’ont poursuivi aucun but autre que fiscal. Si la société HSAS fait valoir, en premier lieu, que l’apport en capital à la société belge a permis de créer un effet de levier, il ne résulte pas de l’instruction, eu égard aux éléments mentionnés au point précédent, que le rendement des fonds propres des sociétés françaises, investis dans la société belge, ait été accru par l’endettement contracté. En deuxième lieu, si elle fait valoir que le financement de la société espagnole permettait d’accroître la complémentarité entre les activités des sociétés françaises du groupe et l’activité de la filiale espagnole, il ne résulte pas de l’instruction que l’intermédiation de cette filiale belge ait été utile à cette fin. En dernier lieu, si elle fait valoir que les opérations en cause ont permis une diversification des financements de la filiale espagnole, il résulte de l’instruction que celle-ci bénéficiait, antérieurement aux opérations en litige, de financements de la succursale suisse du groupe dont il ne résulte pas de l’instruction que les conditions eussent été moins avantageuses, et que, dès 2013, les prêts qui lui ont été accordés par la filiale belge AFSB ont été remboursés à cette dernière, la filiale belge ayant en retour prêté à la succursale suisse.

10. Il résulte de ce qui précède, sans qu’il soit besoin d’examiner l’autre moyen de la requête, tiré de la fraude à la loi au titre des articles 209,1 et 39,1 du code général des impôts, que l’administration doit être regardée comme apportant la preuve qui lui incombe de l’existence d’un ensemble d’opérations caractérisant un abus de droit au sens de l’article L. 64 du livre des procédures fiscales, sans qu’il soit besoin qu’elle établisse une contrariété à l’intention du législateur, en raison du caractère artificiel du montage tel qu’analysé au point 8 précédent. C’est dès lors à bon droit qu’elle a estimé que les intérêts déduits, au titre des exercices 2011 et 2012, par les sociétés HSAS et AHF, n’avaient pu avoir pour contrepartie le financement d’opérations d’augmentation de capital destinés à valoriser les participations de ces sociétés dans des filiales européennes du groupe Alcoa, mais visaient exclusivement à réduire les bénéfices imposables de ces sociétés en France. Elle a pu ainsi, à bon droit, réintégrer les intérêts en cause en estimant qu’ils déguisaient une opération de transfert de financement de France vers la Belgique et rapporter, à leur bénéfice imposable, les intérêts correspondants aux intérêts déduits.

11. Le ministre de l’économie, des finances et de la relance est ainsi fondé à demander l’annulation du jugement du tribunal administratif de Montreuil du 19 novembre 2020, ainsi que le rétablissement des impositions et pénalités correspondantes.

Sur l’appel incident de la SAS Howmet :

12. Aux termes de l’article 57 du code général des impôts dans sa rédaction alors en vigueur : ” Pour l’établissement de l’impôt sur le revenu dû par les entreprises qui sont sous la dépendance ou qui possèdent le contrôle d’entreprises situées hors de France, les bénéfices indirectement transférés à ces dernières, soit par voie de majoration ou de diminution des prix d’achat ou de vente, soit par tout autre moyen, sont incorporés aux résultats accusés par les comptabilités. Il est procédé de même à l’égard des entreprises qui sont sous la dépendance d’une entreprise ou d’un groupe possédant également le contrôle d’entreprises situées hors de France (…) “. Aux termes de l’article 39 du même code : ” 1. Le bénéfice net est établi sous déduction de toutes charges, celles-ci comprenant, sous réserve des dispositions du 5, notamment : 1° Les frais généraux de toute nature, les dépenses de personnel et de main d’œuvre (…). Toutefois les rémunérations ne sont admises en déduction des résultats que dans la mesure où elles correspondent à un travail effectif et ne sont pas excessives eu égard à l’importance du service rendu. Cette disposition s’applique à toutes les rémunérations directes ou indirectes, y compris les indemnités, allocations, avantages en nature et remboursements de frais (…) “.

13. La société Alcoa Inc, dont le siège est aux Etats-Unis, détenant 100 % du capital de la société luxembourgeoise Alcoa Lux, qui elle-même détient intégralement la SAS Howmet (ci-après HSAS), société mère intégrante à 100 % de la SAS Arconic Holding France (ci-après AHF), a signé avec cette dernière une convention de prestation de services en date du 1er janvier 2008, sur le fondement de laquelle la société Alcoa Inc. a facturé à celle-ci des prestations de services (” management fees “) informatiques, de marketing, de gestion du personnel et de direction, pour des montants de 574 137 euros en 2009, 372 275 euros en 2010, 812 225 euros en 2011, et de 623 523 euros en 2012. La SAS AHF a estimé que le coût lié à ces prestations de services était déductible de son résultat imposable au titre des exercices clos de 2009 à 2012. L’administration a remis en cause la déductibilité de ces prestations pour les exercices 2009 à 2012. Toutefois, dans son avis de mise en recouvrement du 22 décembre 2016, le service vérificateur a abandonné le rehaussement pour l’exercice 2012, mais a maintenu celui-ci pour les exercices 2009 à 2011, en estimant pour l’exercice 2009 que la société AHF aurait dû refacturer ces charges aux filiales françaises du groupe, véritables bénéficiaires des prestations de service réalisées pour cet exercice, ce qui a été accepté par la société, et, pour les exercices 2010 et 2011, qu’elles devaient être regardées comme des transferts de bénéfices au sens des dispositions de l’article 57 du code général des impôts, faute pour la SAS AHF de justifier de la réalité des prestations facturées.

14. Les dispositions précitées de l’article 57 du code général des impôts instituent, dès lors que l’administration établit l’existence d’un lien de dépendance et d’une pratique entrant dans leurs prévisions, une présomption de transfert indirect de bénéfices qui ne peut utilement être combattue par l’entreprise imposable en France que si celle-ci apporte la preuve que les avantages qu’elle a consentis ont été justifiés par l’obtention de contreparties. En l’espèce, il est constant que les sociétés AHF et Alcoa Inc. entretiennent un lien de dépendance au sens des dispositions précitées de l’article 57 du code général des impôts.

15. Il résulte de l’instruction et notamment de la convention de prestation de services mentionnée au point 13 ci-dessus que la société Alcoa Inc. a entendu répartir entre ses filiales à l’étranger divers frais de prestation de service, consistant notamment en des frais de systèmes d’information, d’achats et, notamment en 2011, de développement des compétences du personnel, n’ayant pas été exposés au profit d’une filiale particulière et donnant lieu à une facturation annuelle, déterminée, en l’espèce, s’agissant de la filiale française AHF, sur la base d’un taux de 8 % du total des prestations en cause. L’administration, sans remettre en cause la méthode par laquelle le prix des prestations a été déterminé, a estimé que, la preuve de la réalité des prestations rendues par la société Alcoa Inc. au profit de la SAS AHF n’étant pas apportée, cette dernière devait être regardée comme procuré à la société Alcoa Inc. un avantage constitutif d’un transfert de bénéfices au sens de l’article 57 du code général des impôts.

16. Si les dispositions précitées de l’article 57 du code général des impôts permettent la réintégration, aux bénéfices imposables d’une société passible de l’impôt sur les sociétés français, des bénéfices transférés à une société étrangère liée par tous moyens, il incombe à l’administration d’établir l’existence d’un avantage résultant, notamment, de la déduction de frais généraux n’ouvrant pas droit à déduction au titre des dispositions précitées de l’article 39-1 du code général des impôts.

17. Si l’administration fait valoir que la nature des prestations de service est trop imprécise, il résulte de l’instruction que, comme mentionné au point 15 du présent arrêt, ces prestations ont donné lieu à des factures annuelles, déterminées à partir d’une répartition, entre filiales du groupe, des fonctions ” systèmes d’information “, ” Achats ” et ” Ressources humaines et gestion des talents ” incombant au siège américain du groupe et exercées au profit de l’ensemble des filiales du groupe, notamment de la filiale française AHF en exécution de la convention de prestation de services du 1er janvier 2008 mentionnée ci-dessus. Par ailleurs, si l’administration soutient qu’eu égard à la nature de holding pure, dépourvue d’activité commerciale, de la SAS AHF, celle-ci n’a pu bénéficier d’aucune contrepartie aux prestations facturées, la SAS Howmet fait valoir, sans être contestée sur ce point, qu’elle fait assurer par le siège américain, pour son compte, au même titre que d’autres filiales du groupe, certaines prestations rendues au bénéfice de l’ensemble du groupe. Toutefois, il résulte de la convention de prestation de services du 1er janvier 2008 que celle-ci recouvre des services rendus, tant directement par la société mère Alcoa Inc. à la société française bénéficiaire, qu’indirectement par d’autres filiales du groupe, sans qu’il résulte de l’instruction que les coûts facturés intègrent des coûts indirects effectivement supportés par la société mère, ou des coûts indirects devant être pris en charge par les filiales intermédiaires qui ont pu contribuer à leur réalisation. En outre, si la SAS Howmet soutient que les frais en litige n’incluent pas des frais exposés au seul profit des actionnaires de la société mère, elle ne justifie pas de ses allégations autrement qu’en se référant à une étude d’un cabinet de conseil américain ayant déterminé la fraction des frais de siège engagés au profit des actionnaires. Dans ces conditions, et alors même que la commission départementale des impôts directs et des taxes sur le chiffre d’affaires a estimé que les sommes en cause correspondaient à des prestations réelles, l’administration doit être regardée comme apportant la preuve de l’existence d’un avantage, constituant un transfert de bénéfices au sens des dispositions précitées de l’article 57 du code général des impôts, la SAS Howmet ne justifiant d’aucune prestation individuelle exercée à son profit par la société Alcoa Inc., ou d’une répercussion, par voie de facturation interne ou de toute autre façon, du coût de prestations qu’elle aurait exercées au bénéfice des sociétés françaises de son groupe. Par suite, c’est à bon droit que l’administration a réintégré les charges en litige au bénéfice de la SAS AHF, sa filiale intégrée.

18. Il résulte de ce qui précède que la SAS Howmet n’est pas fondée à se plaindre de ce que c’est à tort que, par l’article 3 du jugement attaqué, le tribunal administratif de Montreuil a rejeté le surplus de ses conclusions aux fins de décharge d’impositions. Ses conclusions tendant à l’attribution des frais exposés au cours de l’instance sur le fondement de l’article L. 761-1 du code de justice administrative, doivent, par suite, également être rejetées.

D E C I D E :

Article 1er : Les articles 1 et 2 du jugement du 19 novembre 2020 du tribunal administratif de Montreuil sont annulés.

Article 2 : Les impositions et pénalités établies sur le fondement des dispositions de l’article L. 64 du livre des procédures fiscales au titre des exercices 2011 et 2012 sont remises à la charge de la SAS Howmet.

Article 3 : Les conclusions d’appel incident présentées par la SAS Howmet sont rejetées.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique et à la société par actions simplifiée (SAS) Howmet.

Délibéré après l’audience du 10 mars 2023, à laquelle siégeaient :

– M. Carrère, président

– M. Simon, premier conseiller,

– Mme Boizot, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe de la Cour, le 31 mars 2023.

Le rapporteur,

C. A…Le président,

S. CARRERE

La greffière,

E. LUCE

La République mande et ordonne au ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l’exécution de la présente décision.

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N° 21PA01514


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