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1. Attention à l’autorisation parentale : Il est recommandé de toujours obtenir le consentement des deux parents lorsqu’il s’agit de la participation de mineurs à des activités impliquant leur image ou leur vie privée, conformément aux dispositions de l’article 371-1, 372 et 372-2 du code civil. L’accord des deux parents est nécessaire, même si l’un des parents donne son consentement, pour éviter toute atteinte aux droits de l’enfant.
2. Attention à la protection de la vie privée et du droit à l’image : Il est recommandé de respecter les droits à la vie privée et à l’image des individus, en particulier des mineurs, conformément à l’article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales et à l’article 9 du code civil. Toute publication d’informations ou d’images relevant de la vie privée doit être autorisée de manière certaine et ne doit pas porter atteinte aux droits fondamentaux des personnes concernées. 3. Attention à l’évaluation du préjudice : Lors de l’évaluation du préjudice moral causé par une atteinte à la vie privée ou au droit à l’image, il est recommandé de prendre en considération la nature des atteintes, l’âge des personnes concernées, les circonstances de la diffusion des informations ou des images, ainsi que l’impact concret sur la vie quotidienne des individus. Il est essentiel de justifier de manière concrète et spécifique l’étendue du dommage allégué pour obtenir une réparation adéquate. |
→ Résumé de l’affaireL’affaire concerne une action en justice intentée par [W] [L], au nom de ses enfants mineurs [E] et [C] [U], contre la SARL HIKARI GROUPE et la SAS HIKARI pour atteinte au respect de la vie privée et au droit à l’image des mineurs dans un reportage diffusé à la télévision et en ligne. Le tribunal a été saisi de la question et les parties ont présenté leurs arguments lors d’une audience. Le jugement a été mis en délibéré pour le 14 février 2024.
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→ Les points essentielsSur le désistement des demandeurs envers la SARL HIKARI GROUPECompte tenu des écritures concordantes des parties en ce sens, il convient de constater le désistement d’instance et d’action de [W] [L], [E] et [C] [U], pris en la personne de leur représentante légale, envers la SARL HIKARI GROUPE. Sur les demandes présentées par [E] et [C] [U] au titre de l’atteinte au droit au respect de leur vie privée et à leur droit à l’imageLes demandeurs, [E] et [C] [U], ont affirmé que la diffusion d’un reportage intitulé “La vie de château au camping” sur la chaîne 6TER, montrant leur quotidien en vacances, constituait une atteinte à leur vie privée et à leur droit à l’image. Leur mère, [W] [L], n’avait pas donné son autorisation pour que ses enfants soient filmés, ce qui est requis par la loi. Sur la publication litigieuse et son contexteLe reportage en question, diffusé en juin 2021, montrait les enfants [E] et [C] [U] en vacances avec leur père [J] [U] et leurs grands-parents. [W] [L] a découvert la participation de ses enfants au reportage par une amie et a affirmé ne pas avoir été informée ni avoir donné son consentement pour cette diffusion. Sur les arguments de la SAS HIKARILa SAS HIKARI a soutenu qu’aucune faute n’avait été commise, arguant que [W] [L] devait être au courant du tournage et qu’elle ne s’était pas opposée à la diffusion. La société a également affirmé que le reportage était de nature “bon enfant” et ne causait aucun préjudice. Sur les atteintes à la vie privée et au droit à l’imageLes articles 8 de la Convention européenne des droits de l’homme et 9 du code civil garantissent le respect de la vie privée et de l’image. La diffusion du reportage sans l’autorisation de [W] [L] constituait une atteinte à ces droits, car les enfants apparaissaient dans des moments privés et identifiables. Sur les mesures sollicitéesLe tribunal a jugé que la diffusion du reportage causait un préjudice moral aux enfants [E] et [C] [U]. Compte tenu de leur jeune âge et de l’exposition de leur vie privée, une indemnisation de 5.000 euros chacun a été accordée pour réparer ce préjudice. Sur la demande indemnitaire présentée par [W] [L][W] [L] a également demandé des dommages et intérêts pour le non-respect de ses prérogatives parentales. La SAS HIKARI, en tant que société de production, aurait dû obtenir l’autorisation des deux parents. Le tribunal a accordé à [W] [L] une indemnisation de 3.000 euros pour le préjudice moral subi. Sur les demandes accessoiresLe tribunal a décidé de laisser à la charge de chaque partie les frais exposés pour leur défense. Cependant, la SAS HIKARI a été condamnée à payer à [W] [L] la somme de 2.000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi que les entiers dépens. Les montants alloués dans cette affaire:
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→ Réglementation applicableArticles des Codes cités et leur texte
Code civil – Article 371-1 : – Article 372 : – Article 372-2 : – Article 9 : – Article 1240 : Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales – Article 8 : – Article 10 : Code de procédure civile – Article 700 : |
→ AvocatsBravo aux Avocats ayant plaidé ce dossier: – Maître Romain DARRIERE de la SELEURL ROMAIN DARRIERE, avocat au barreau de PARIS
– Me Marie-paule PIOLI, avocat au barreau de PARIS – Me Franck BERTON, avocat au barreau de LILLE – Me Yasmina BELMOKHTAR, avocat au barreau de LILLE |
→ Mots clefs associés & définitions– Désistement d’instance et d’action
– Atteinte au droit au respect de la vie privée et au droit à l’image – Publication litigieuse et son contexte – Consentement des parents pour la diffusion d’éléments de la vie privée des enfants – Droit à l’information des organes de presse – Limites du droit à l’information et respect de la vie privée – Autorisation nécessaire pour la diffusion d’images de mineurs – Atteinte au respect de la vie privée et au droit à l’image – Préjudice moral des enfants – Préjudice moral de la demanderesse en raison du non-respect de ses prérogatives en matière d’autorité parentale – Responsabilité de la société de production – Dommages et intérêts en réparation du préjudice moral – Frais de défense et dépens – Frais irrépétibles – Article 700 du code de procédure civile |
REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
■
MINUTE N° :
17ème Ch. Presse-civile
N° RG 21/14402 – N° Portalis 352J-W-B7F-CVQ3Y
SC
Assignation du :
18 Novembre 2021
[1]
[1] Expéditions
exécutoires
délivrées le :
République française
Au nom du Peuple français
JUGEMENT
rendu le 14 Février 2024
DEMANDERESSE
[W] [L], agissant tant en son nom personnel qu’en qualité de représentant légal de ses enfants mineurs :
– [E] [U], né le 5 mai 2014 à [Localité 5] (92)
– [C] [U], née le 11 décembre 2015 à [Localité 5] (92)
[Adresse 2]
[Localité 5]
représentée par Maître Romain DARRIERE de la SELEURL ROMAIN DARRIERE, avocats au barreau de PARIS, vestiaire D1753
DEFENDERESSES
S.A.R.L. HIKARI GROUPE
[Adresse 1]
[Localité 3]
représentée par Me Marie-paule PIOLI, avocat au barreau de PARIS, vestiaire P0266, avocat constitué, et par Me Franck BERTON, avocat au barreau de LILLE, avocat plaidant, substitué par Me Yasmina BELMOKHTAR, avocat au barreau de LILLE
S.A.S. HIKARI
[Adresse 1]
[Localité 3]
représentée par Me Marie-paule PIOLI, avocat au barreau de PARIS, vestiaire P0266, avocat constitué, et par Me Franck BERTON, avocat au barreau de LILLE, avocat plaidant, substitué par Me Yasmina BELMOKHTAR, avocat au barreau de LILLE
COMPOSITION DU TRIBUNAL
Magistrats ayant participé au délibéré :
Delphine CHAUCHIS, Première vice-présidente adjointe
Président de la formation
Sophie COMBES, Vice-Présidente
Delphine CHAUFFAUT, Juge
Assesseurs
Greffiers :
Viviane RABEYRIN, Greffier lors des débats, Virginie REYNAUD, Greffier à la mise à disposition
A l’audience du 6 décembre 2023 tenue publiquement devant Sophie COMBES, qui, sans opposition des avocats, a tenu seule l’audience, et, après avoir entendu les parties, en a rendu compte au tribunal, conformément aux dispositions de l’article 786 du code de procédure civile.
JUGEMENT
Mis disposition au greffe
Contradictoire
En premier ressort
Vu l’assignation délivrée le 18 novembre 2021 à la SARL HIKARI GROUPE à la requête de [W] [L], de [E] et [C] [U], respectivement nés le 5 mai 2014 et le 11 décembre 2015, pris en la personne de leur représentante légale, [W] [L], au visa de l’article 9 du code civil, au motif qu’il avait été porté atteinte au respect dû à la vie privée et au droit à l’image des mineurs dans un reportage intitulé “La vie de château au camping”, diffusé les 10, 17 et 25 juin 2021 dans l’émission “Vive le camping” sur la chaîne de télévision 6TER et mis en ligne sur le site internet 6PLAY, produit par la SARL HIKARI GROUPE, ainsi qu’aux prérogatives d’autorité parentale de [W] [L],
Vu la décision du juge des tutelles de Nanterre, en date du 21 juillet 2022, autorisant [W] [L] “en qualité de représentante légale des mineurs [[E] et [C] [U]] à poursuivre et engager une procédure judiciaire pour le compte de ses deux enfants mineurs aux fins de réparation de l’atteinte à leur droit à la vie privée et de leur droit à l’image”,
Vu l’assignation en intervention forcée délivrée le 16 janvier 2023 à la SAS HIKARI à la requête de [W] [L], de [E] et [C] [U], pris en la personne de leur représentante légale, [W] [L], aux fins de jonction avec la procédure initiée par l’assignation délivrée le 18 novembre 2021, enregistrée sous le numéro RG 21/14402,
Vu la jonction, le 15 février 2023, des deux affaires sus-citées par le juge de la mise en état au sein de la procédure RG 21/14402,
Vu les dernières conclusions, notifiées le 6 septembre 2023, auxquelles il est renvoyé pour un plus ample exposé des moyens et prétentions, par lesquelles [W] [L], [E] et [C] [U] demandent au tribunal :
– de constater leur désistement d’instance et d’action envers la SARL HIKARI GROUPE,
– de rejeter la demande formée par la SARL HIKARI GROUPE sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,
– de condamner la SAS HIKARI à verser à [E] et [C] [U], pris en la personne de leur représentante légale, la somme de 10.000 euros chacun en réparation de leur préjudice moral résultant de l’atteinte à leur vie privée, et la somme de 10.000 chacun en réparation de leur préjudice moral résultant de l’atteinte à leur droit à l’image,
– de condamner la SAS HIKARI à verser à [W] [L] la somme de 10.000 euros en réparation de son préjudice moral résultant de l’atteinte à ses prérogatives d’autorité parentale,
– de condamner la SAS HIKARI à verser à [W] [L] la somme de 5.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile en sa qualité de représentante légale de ses enfants mineurs, et la somme de 5.000 euros en ce qu’elle agit en son nom personnel, ainsi qu’aux dépens,
Vu les dernières conclusions, notifiées le 25 septembre 2023, auxquelles il est renvoyé pour un plus ample exposé des moyens et prétentions, par lesquelles la SAS HIKARI demande au tribunal :
– de débouter [W] [L], [E] et [C] [U] de leurs demandes dès lors qu’elle n’a commis aucune faute et que leur préjudice n’est pas démontré,
– de condamner [W] [L] à lui verser la somme de 3.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux dépens,
Vu les dernières conclusions, notifiées le 16 octobre 2023, auxquelles il est renvoyé pour un plus ample exposé des moyens et prétentions, par lesquelles la SARL HIKARI GROUPE demande au tribunal :
– de constater le désistement d’instance et d’action des demandeurs à son égard,
– de condamner [W] [L] à lui verser la somme de 3.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux dépens,
Vu l’ordonnance de clôture en date du 18 octobre 2023,
Les parties ont oralement soutenu leurs écritures lors de l’audience du 6 décembre 2023.
L’affaire a été mise en délibéré au 14 février 2024, par mise à disposition au greffe.
Sur le désistement des demandeurs envers la SARL HIKARI GROUPE
Compte tenu des écritures concordantes des parties en ce sens, il convient de constater le désistement d’instance et d’action de [W] [L], [E] et [C] [U], pris en la personne de leur représentante légale, envers la SARL HIKARI GROUPE.
Sur les demandes présentées par [E] et [C] [U] au titre de l’atteinte au droit au respect de leur vie privée et à leur droit à l’image
Sur la publication litigieuse et son contexte
Il ressort des écritures des demandeurs, non contestées sur ce point par la SAS HIKARI, ainsi que de la décision sus-citée du juge des tutelles de Nanterre, que [W] [L] a eu deux enfants, [E] et [C], respectivement nés le 5 mai 2014 et le 11 décembre 2015, avec [J] [U] dont elle est séparée depuis le mois de juin 2018, et que les deux parents exercent l’autorité parentale en commun à leur égard.
[W] [L] explique dans ses écritures avoir pris connaissance en juin 2021, grâce au message d’une amie (sa pièce n°15), de la participation de ses enfants à un reportage intitulé “La vie de château au camping”, diffusé dans l’émission “Vive le camping” sur la chaîne de télévision 6TER. Elle précise que ce reportage, diffusé les 10, 17 et 25 juin 2021 et mis en ligne sur le site internet 6PLAY (pièce n°3, extrait du site de l’INA ; pièce n°2, copies d’écran du reportage extraites du site internet 6PLAY), a été tourné au cours de l’été 2019 et montre le quotidien de deux familles, dont celle de son ancien compagnon, la famille [U], en vacances au camping [6], près du château de [Localité 4]. Elle indique que le reportage “ met en scène [J] [U] déposant ses deux enfants, [E] et [C], au camping pour une semaine de vacances en mobile home avec leurs cousins et leurs grands-parents” et que durant cette semaine, les deux enfants ont été filmés au cours de leurs activités au sein et à l’extérieur du camping.
[W] [L] affirme ne pas avoir autorisé que ses enfants soient ainsi filmés alors que cet acte n’étant pas considéré comme usuel au sens de l’article 372-2 du code civil, la société de production aurait dû solliciter l’accord des deux parents et ne pas se contenter de celui de [J] [U]. Elle considère dès lors que ce reportage, qui montre les deux enfants dans des moments de leur vie privée, n’a pas été valablement autorisé et que sa diffusion constitue une atteinte à la vie privée et au droit à l’image de [E] et [C] [U]. Elle précise que ce reportage cause un important préjudice aux deux enfants dès lors que [E] est présenté de façon “humiliante” comme “ingérable”, qu’ils sont filmés dans leur intimité familiale, en tenue d’été et en maillot de bain.
Elle précise avoir adressé le 8 juillet 2021, via son conseil, une mise en demeure au groupe M6 qui, par courrier du 13 juillet 2021, lui a transmis les coordonnées de la société “HIKARI PRODUCTION”, productrice du reportage, et lui a indiqué que la participation de ses enfants au sein du reportage ne serait plus diffusée (sa pièce n°5).
La SAS HIKARI soutient n’avoir commis aucune faute dès lors que [W] [L] était nécessairement informée de l’existence du reportage réalisé en 2019, ses enfants n’ayant pu taire pendant si longtemps le fait d’avoir été filmés pendant leurs vacances, et qu’elle ne s’était pas opposée à sa diffusion intervenue deux ans plus tard, en juin 2021. Elle ajoute que le reportage étant “bon enfant”, ne montrant personne sous un jour défavorable, et n’étant plus diffusé depuis le mois de juillet 2021, les demandeurs ne justifiaient d’aucun préjudice.
*
Il ressort des extraits des sites internet de l’INA et 6play.fr communiqués par les demandeurs (pièces n°2 et 3) que le reportage intitulé “La vie de château au camping”, a été diffusé les 10, 17 et 25 juin 2021 dans l’émission “Vive le camping” sur la chaîne de télévision 6TER puis mis en ligne sur le site internet de la chaîne.
Il ressort en outre des termes du courrier en réponse adressé le 13 juillet 2021 par le groupe M6 ainsi que des activités respectives des sociétés HIKARI GROUPE et HIKARI (pièces n°2 et 3 de la SARL HIKARI GROUPE) que ce reportage a été produit par la SAS HIKARI, ce qu’elle ne conteste d’ailleurs pas.
Si contrairement à ce qui est annoncé dans leurs écritures et le bordereau joint, les demandeurs ne communiquent aucune clé USB contenant l’enregistrement du reportage, ils produisent plusieurs copies d’écran issues du site internet 6play.fr (pièce n°2 déjà citée), portant en sur-impression le logo “Vive le camping” et l’intitulé “La vie de château au camping”, comportant des extraits du reportage et montrant ses protagonistes dans diverses positions et activités :
– des enfants sortant d’une voiture, un homme (A) tenant la porte et un autre homme plus âgé (B) se tenant à côté,
– l’homme (A) tenant une petite fille dans ses bras, laquelle embrasse sur la joue l’homme (B),
– l’homme (A) courant vers un petit garçon tombé de son vélo puis le tenant dans ses bras et lui essuyant le visage,
– l’homme (A) soignant le petit garçon,
– un petit garçon et une petite fille, vêtus de tenues d’été, assis côte à côte,
– l’homme (A) assis à côté de la petite fille,
– l’homme (B) tenant la petite fille, vêtue d’un maillot de bain, dans ses bras et l’entourant d’une serviette.
Il ressort des écritures des demandeurs que les enfants seraient [E] et [C] [U], l’homme (A), leur père, [J] [U], et l’homme (B) leur grand-père, ce qui n’est pas remis en cause par la société défenderesse.
Sur les atteintes à la vie privée et au droit à l’image
Les articles 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales et 9 du code civil garantissent à toute personne, quelles que soient sa notoriété, sa fortune, ses fonctions présentes ou à venir, le respect de sa vie privée et de son image.
L’article 10 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales garantit l’exercice du droit à l’information des organes de presse dans le respect du droit des tiers.
La combinaison de ces deux principes conduit à limiter le droit à l’information du public d’une part, pour les personnes publiques, aux éléments relevant de la vie officielle, et d’autre part, aux informations et images volontairement livrées par les intéressés ou que justifie une actualité ou un débat d’intérêt général. Ainsi chacun peut s’opposer à la divulgation d’informations ou d’images ne relevant pas de sa vie professionnelle ou de ses activités officielles et fixer les limites de ce qui peut être publié ou non sur sa vie privée, ainsi que les circonstances et les conditions dans lesquelles ces publications peuvent intervenir.
Si comme rappelé ci-dessus, chacun peut consentir à la diffusion d’éléments ressortant de sa vie privée ou de son image, cette autorisation, s’agissant de mineurs, doit être accordée par les deux parents dès lors que l’autorité parentale, définie à l’article 371-1 du code civil, est exercée en commun, comme prévu à l’article 372 de ce code. En effet, le choix quant à l’exercice et la mise en oeuvre des droits de la personnalité de l’enfant ne pouvant être considéré comme un acte usuel au sens de l’article 372-2 du code civil, l’accord de l’un des parents ne permet pas au tiers de bonne foi de présumer de l’accord de l’autre.
Il ressort des copies d’écran ci-dessus décrites que le reportage filmé montre [E] et [C] [U] dans des moments familiaux et de loisir, en compagnie de leurs proches, à l’occasion de vacances dans un camping dont le nom et la localisation sont précisés, autant d’éléments relevant de leur vie privée et concernant leur droit à l’image puisqu’il apparaissent à l’écran. Les demandeurs sont identifiables dès lors que sur les extraits du reportage figurant sur les copies d’écran, leur visage n’est pas flouté.
Il apparaît que la SAS HIKARI ne justifie d’aucune autorisation de [W] [L] en vue de la réalisation de ce reportage. Sa supputation selon laquelle cette dernière était nécessairement informée de l’existence du documentaire ne saurait se substituer à une autorisation qui, si elle peut être expresse ou tacite, doit être certaine s’agissant de droits de la personnalité. Il convient par ailleurs de préciser que les pièces communiquées par les demandeurs, à savoir l’attestation du “rédacteur en chef de l’agence de presse HIKARI” ayant “supervisé la production” du reportage où sont évoqués les seuls accords de [J] [U] et de ses enfants pour être filmés (pièce n°13) ainsi que l’échange de messages des 16 et 17 juin 2021 où une amie de [W] [L] attire son attention sur le reportage que celle-ci indique découvrir, confortent les déclarations de [W] [L] qui affirme que son autorisation n’a pas été sollicitée.
Dès lors, le consentement de [E] et [C] [U] pour que soient diffusés leur image ainsi que des éléments relevant de leur vie privée n’étant pas valable, il doit être considéré que ce reportage porte atteinte au droit au respect de leur vie privée et à leur droit à l’image, sans que cela ne soit rendu nécessaire par un débat d’intérêt général ou un rapport avec l’actualité.
Sur les mesures sollicitées
Si la seule constatation de l’atteinte à la vie privée et au droit à l’image ouvre droit à réparation, le préjudice étant inhérent à ces atteintes, il appartient au demandeur de justifier de l’étendue du dommage allégué, le préjudice étant apprécié concrètement, au jour où le juge statue, compte tenu de la nature des atteintes et des éléments versés aux débats.
Il sera ici précisé que le dommage résultant pour [E] et [C] [U] du reportage litigieux sera évalué de façon globale, le préjudice causé par l’atteinte à la vie privée étant indissociable de celui causé à leur droit à l’image, s’agissant d’un documentaire audiovisuel.
En l’espèce, pour évaluer l’étendue du préjudice moral des demandeurs consécutif à la publication litigieuse, il convient de prendre en considération leur jeune âge et le fait qu’ils subissent l’exposition de leurs activités de loisir et de leur intimité familiale, dans un reportage où ils apparaissent non floutés à l’écran, ce reportage ayant été diffusé à trois reprises puis mis en ligne quelques semaines sur le site internet de la chaîne.
En revanche, il ne peut être pris en considération l’opinion de [W] [L] quant à la présentation de [E] [U] comme “turbulent” ou “ingérable”, seule l’atteinte au respect de la vie privée étant ici concernée et non la réputation de l’intéressé.
Il apparaît en outre, au vu des extraits du documentaire figurant sur les copies d’écran, que ce dernier montre les demandeurs dans des activités et tenues estivales usuelles, sans qu’il soit justifié d’images dévalorisantes ou dégradantes.
Il sera enfin relevé qu’il n’est communiqué aucune pièce permettant de déterminer le ressenti de [E] et [C] [U] à l’égard du reportage ainsi que son incidence sur leur quotidien.
Au regard de l’ensemble de ces éléments, il conviendra d’allouer à [E] et [C] [U], à titre de dommages et intérêts en réparation de leur préjudice moral, la somme de 5.000 euros chacun au titre de l’atteinte faite au droit au respect de leur vie privée et à leur droit à l’image au sein du reportage intitulé “La vie de château au camping”.
Sur la demande indemnitaire présentée par [W] [L]
[W] [L] sollicite le versement de dommages et intérêts, en son nom personnel, en raison du non-respect, par la SAS HIKARI, de ses prérogatives en matière d’autorité parentale à l’égard de ses enfants mineurs. Elle affirme avoir été marquée par cette situation et produit en ce sens une attestation de l’amie l’ayant informée de l’existence du reportage (sa pièce n°14).
La SAS HIKARI ne présente aucune observation à ce titre.
La SAS HIKARI, en tant que société de production professionnelle, comme cela ressort de l’extrait du registre national du commerce et des sociétés produit par la SARL HIKARI GROUPE (pièce n°3), ne pouvait ignorer que la réalisation d’un documentaire impliquant la participation de mineurs nécessitait l’autorisation des deux parents, s’agissant d’une application usuelle des articles 371-1, 372 et 372-2 du code civil.
En méconnaissant des prérogatives de [W] [L] en matière d’autorité parentale, la SAS HIKARI a commis une faute, de nature à engager sa responsabilité au sens de l’article 1240 du code civil, causant un préjudice direct et personnel à la demanderesse.
Il apparaît, au vu de l’attestation sus-citée, que la demanderesse s’est montrée “très émue et touchée face à cette situation et [lui] a dit être attristée de voir ses propres enfants, encore si petits, filmés et diffusés sur un reportage télévisé de cette ampleur sans qu’elle n’en ait eu connaissance”.
Au regard de l’ensemble de ces éléments, il conviendra d’allouer à [W] [L], à titre de dommages et intérêts en réparation de son préjudice moral, la somme de 3.000 euros au titre de l’atteinte porté à ses prérogatives en matière d’autorité parentale.
Sur les demandes accessoires
Compte tenu du désistement intervenu et des circonstances dans lesquelles les demandeurs ont été conduits à attraire la SARL HIKARI GROUPE dans la présente instance, il n’est pas inéquitable de laisser à la charge de chacune des parties les frais exposés pour sa défense et non compris dans les dépens. Il ne sera dès lors pas fait droit à la demande présentée par la SARL HIKARI GROUPE à l’encontre des demandeurs.
Il serait en revanche inéquitable de laisser aux demandeurs la charge des frais irrépétibles qu’ils ont dû exposer pour la défense de leurs intérêts vis-à-vis de la SAS HIKARI. Il y aura lieu en conséquence de condamner la société défenderesse à payer à [W] [L] la somme de 2.000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile, sans qu’il y ait lieu de distinguer, s’agissant d’une même instance, si elle agit en son nom ou en tant que représentante légale de ses enfants mineurs.
Enfin, la SAS HIKARI sera condamnée aux entiers dépens.
Statuant, après débats publics, par mise à disposition au greffe, par décision contradictoire et en premier ressort :
Constate le désistement d’instance et d’action de [W] [L], [E] et [C] [U], pris en la personne de leur représentante légale, [W] [L], envers la SARL HIKARI GROUPE,
Condamne la SAS HIKARI à verser à [E] et [C] [U], pris en la personne de leur représentante légale, [W] [L], la somme de CINQ MILLE EUROS (5.000 €) chacun en réparation du préjudice moral résultant de l’atteinte faite au droit au respect de leur vie privée et à leur droit à l’image au sein du reportage intitulé “La vie de château au camping”, diffusé les 10, 17 et 25 juin 2021 dans l’émission “Vive le camping” sur la chaîne de télévision 6TER et mis en ligne sur le site internet 6PLAY, outre les intérêts au taux légal à compter de la présente décision,
Condamne la SAS HIKARI à verser à [W] [L] la somme de TROIS MILLE EUROS (3.000 €) en réparation du préjudice moral résultant de l’atteinte à ses prérogatives en matière d’autorité parentale à l’égard de ses enfants mineurs, [E] et [C] [U], outre les intérêts au taux légal à compter de la présente décision,
Déboute les parties du surplus de leurs demandes,
Condamne la SAS HIKARI à verser à [W] [L] la somme de DEUX MILLE EUROS (2.000 €) sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,
Dit n’y avoir lieu à l’application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile au bénéfice de la SARL HIKARI GROUPE et rejette par conséquent sa demande en ce sens,
Condamne la SAS HIKARI aux dépens.
Fait et jugé à Paris le 14 Février 2024
Le GreffierLa Présidente