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15 mai 2014
Cour d’appel d’Aix-en-Provence
RG n°
12/21869
COUR D’APPEL D’AIX EN PROVENCE
17e Chambre B
ARRÊT AU FOND
DU 15 MAI 2014
N°2014/314
Rôle N° 12/21869
[P] [R]
C/
SAS CLEAR CHANNEL FRANCE
Grosse délivrée le :
à :
Me Daniel RIGHI, avocat au barreau de DRAGUIGNAN
Me Emmanuel NOIROT, avocat au barreau de PARIS
Copie certifiée conforme délivrée aux parties le :
Décision déférée à la Cour :
Jugement du Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de GRASSE – section E – en date du 07 Novembre 2012, enregistré au répertoire général sous le n° 11/1750.
APPELANTE
Mademoiselle [P] [R], demeurant [Adresse 1]
représentée par Me Daniel RIGHI, avocat au barreau de DRAGUIGNAN
INTIMEE
SAS CLEAR CHANNEL FRANCE, demeurant [Adresse 2]
représentée par Me Emmanuel NOIROT, avocat au barreau de PARIS
*-*-*-*-*
COMPOSITION DE LA COUR
En application des dispositions des articles 786, 910 et 945-1 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 1er avril 2014 à 14h00, en audience publique, les avocats ayant été invités à l’appel des causes à demander à ce que l’affaire soit renvoyée à une audience collégiale s’ils n’acceptaient pas de plaider devant les magistrats rapporteurs et ayant renoncé à cette collégialité, l’affaire a été débattue devant Monsieur Jean-Pierre MASIA, Président de Chambre et Madame Ghislaine POIRINE, Conseiller, chargés d’instruire l’affaire.
Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour composée de :
Monsieur Jean-Pierre MASIA, Président de Chambre
Madame Ghislaine POIRINE, Conseiller
Madame Brigitte PELTIER, Conseiller
Greffier lors des débats : Madame Caroline LOGIEST.
Les parties ont été avisées que le prononcé public de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 15 Mai 2014
ARRÊT
Contradictoire,
Prononcé par mise à disposition au greffe le 15 Mai 2014
Signé par Monsieur Jean-Pierre MASIA, Président de Chambre et Madame Caroline LOGIEST, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
FAITS ET PROCÉDURE
Madame [P] [R] est entrée au service de la société CLEAR CHANNEL dans le cadre d’un contrat de travail à durée déterminée à compter du 19 décembre 2006 lequel a été poursuivi par un contrat de travail à durée indéterminée écrit, daté du 21 avril 2008 et ayant pris effet au 1er avril 2008, pour les fonctions d’attachée commerciale, statut cadre, niveau 1 de la convention collective nationale de la publicité. Elle a été rattachée par le contrat au secteur de la région [Localité 12].
Sa rémunération a été constituée d’une part fixe de 1401,40€ brut par mois outre une part variable et diverses autre primes détaillées au contrat et son annexe.
Par lettre du 21 avril 2011, elle a été convoquée à un entretien préalable en vue d’une éventuelle sanction disciplinaire et, par lettre du 6 juin 2011, l’employeur lui a notifié une mesure dite ‘rappel de consigne’ pour avoir, le 4 mars 2011, fait une offre commerciale au client Paradise Boutik inférieure au prix minimum fixé.
Par lettre du 13 juin 2011, la salariée a contesté ce grief.
Par lettre recommandée avec demande d’avis de réception du 19 août 2011, l’employeur a notifié à tous ses commerciaux, dont Madame [P] [R], une proposition de modification de son contrat de travail, modification que la salariée a refusée par lettre du 15 septembre 2011.
Par lettre recommandée avec demande d’avis de réception du 9 novembre 2011, la salariée a été convoquée à un entretien préalable en vue d’un éventuel licenciement pour faute grave.
Par lettre recommandée avec demande d’avis de réception datée du 22 novembre 2011 et distribuée le 24 novembre 2011, la salariée a notifié à son employeur son état de grossesse.
Par lettre recommandée avec demande d’avis de réception datée du 22 novembre 2011 et parvenue au greffe le 23 novembre 2011, la salariée a saisi le conseil de prud’hommes de NICE aux fins, d’une part, de voir prononcer la résiliation judiciaire de son contrat de travail aux torts de l’employeur pour le motif suivant: ‘résiliation judiciaire pour faute grave et licenciement malgré grossesse et pour refus de modification de contrat de travail’ et, d’autre part, obtenir diverses sommes.
Par lettre recommandée avec demande d’avis de réception datée du 9 décembre 2011, l’employeur l’a licenciée pour faute grave dans les termes suivants:
‘Par courrier recommandé du 9 novembre 2011, présenté et distribué le 15 novembre 2011, nous vous informions que nous envisagions une éventuelle mesure de licenciement, et nous vous convoquions à un entretien préalable fixé le 30 novembre 20 Il à 17 heures, dans nos locaux de [Localité 14], avec Monsieur [X] [Q]. Lors de cet entretien, vous étiez assistée d’un salarié de l’entreprise, Monsieur [I] [U], représentant du personnel.
Au cours de cet entretien, nous vous avons exposé les raisons qui nous amenaient à envisager une mesure de licenciement et avons entendu vos explications.
Vous avez en effet gravement contrevenu aux obligations contractuelles qui vous incombaient en abandonnant votre poste et en quittant sans autorisation votre secteur de prospection. Vous avez ainsi parcouru sur votre temps de travail au minimum 900 kilomètres à des fins personnelles. Pour rappel, vous occupez le poste d’Attachée commerciale au sein de la région [Localité 12] et plus précisément au sein du secteur géographique [Localité 4], [Localité 2] et [Localité 7]. A ce titre, vous devez, entre autres missions, au sein de ce secteur géographique;
– Assurer la promotion et la vente de nos lignes de produit;
– Prospecter toute nouvelle clientèle ;
– Réaliser des comptes rendus d’activité et des bilans hebdomadaires.
Pourtant, le 7 novembre 20 Il, nous avons reçu un avis de contravention pour une infraction commise avec votre véhicule de fonction de modèle Citroën C4 immatriculé 15 BLN 06.
II s’agît d’un excès de vitesse (97 kilomètres à l’heure au lieu de 90 kilomètres à l’heure) relevé sur la fraction d’autoroute A6 dans la commune d'[Localité 6] dans la direction [Localité 8] / [Localité 10].
La commune d'[Localité 6] et celle de [Localité 4] (la commune de votre secteur géographique de prospection commerciale la plus proche) sont distantes de 448 kilomètres, ce qui représente 4 heures IO de route s’il n’y a aucun trafic. La commune d'[Localité 6] et celle de [Localité 14] (votre établissement de rattachement) sont distantes de 465 kilomètres, ce qui représente 4 heures 12 de route s’il n’y a aucun trafic.
Cet excès de vitesse a été relevé le jeudi 27 octobre 2011 à 16 heures 36, c’est-à-dire pendant une journée de travail puisque vous n’aviez posé aucUn – Jour de congés payés ou de récupération au titre de la réduction du temps de travail. Vous n’étiez pas non plus en arrêt de travail.
Votre rapport d’activité et votre semainier Outlook mentionnent également qu’il s’agissait d’une journée de travail classique et votre hiérarchie n’a jamais reçu la moindre information relative à cette absence.
Nous vous rappelons qu’en application de l’article 4.2 de notre règlement intérieur « toute absence prévisible doit faire l’objet d’une autorisation préalable. Toute absence imprévisible doit être justifiée dans les meilleurs délais par tous moyens au responsable hiérarchique puis par écrit dans un délai de 48 heures. Par ailleurs, l’absence pour maladie devra également être justifiée par l’envoi d’un certificat médical dans les trois jours. Toute absence non justifiée peut faire l’objet d’une sanction. ».
Il faut également noter que le relevé de votre carte Total nous a permis de constater que vous avez également utiliser cet outil de travail pour le passage du télépéage au [Localité 5], le 27 octobre 2011 à 12 heures 42, pour un montant de 13,60 €. Ce péage est situé à 36 kilomètres de votre secteur de prospection sur l’autoroute A8 en direction d'[Localité 1] et qui permet d’aller vers [Localité 8] en passant par [Localité 13], [Localité 3] puis [Localité 9] .
Lors de l’entretien préalable, lorsque nous vous avons présenté les faits, vous avez fait preuve d’une insolence et d’une insubordination intolérables puisque vous vous êtes contentée d’affirmer que c’était vous qui étiez au volant de votre véhicule de fonction au moment de l’infraction et que vous étiez dans la région Lyonnaise pour « travailler et rencontrer un client », Ce client aurait pris en charge les montants de péages autoroutiers après celui du [Localité 5] (sic).
Consciente que cette carte télépéage permettait une traçabilité de vos trajets, vous l’avez en réalité désactivé, juste après le passage de ce péage … afin de dissimuler votre activité réelle.
Lorsque nous vous avons demandé de quel client il s’agissait, vous n’avez pas répondu et avez même prétendu avec arrogance que vous n’aviez pas à répondre. Vous n’avez évidemment présenté aucun rapport d’activité ni fait état d’un contrat conclu avec cet hypothétique client.
Ces faits et votre attitude sont inacceptables puisque, en premier lieu, vous avez quitté votre poste de travail et vous vaquiez à vos occupations personnelles depuis 12 heures 25 (au minimum) alors que vous n’aviez justifié d’aucune absence pour l’après-midi. Vous n’avez jamais informé votre hiérarchie de cette absence injustifiée et nous n’en aurions jamais pris connaissance sans la réception de cet avis de contravention.
Vous avez en outre violé nos procédures internes en utilisant votre carte Total pour un déplacement personnel. En effet, la carte Total que nous mettons à votre disposition est un outil de travail qui vous permet de réapprovisionner votre véhicule de fonction en carburant, de le laver et de payer les péages dans le cadre de votre activité d’Attachée commerciale. Cette carte ne doit pas être utilisée dans le cadre privé. Vous avez donc détourné de son usage le matériel de l’entreprise mis à votre disposition pour l’exécution de votre contrat de travail.
Pour conclure, vous avez fait preuve d’une rare insolence et insubordination lors de l’entretien préalable puisque vous avez refusé de préciser à votre hiérarchie votre allégation d’activité professionnelle pendant l’après-midi du 27 octobre 2011. Les propos que vous avez tenus ne peuvent être que mensongers puisque vous ne pouvez pas prospecter des clients situés dans la région Lyonnaise et parce qu’il est grotesque de vouloir faire croire que vous étiez avec un client de votre secteur géographique et que ce dernier aurait pris en charge les frais de péage à la place de Clear Channel France. Vous n’avez d’ailleurs pas été en mesure de présenter la moindre note de frais d’une quelconque activité dans la région Lyonnaise avec cet hypothétique client.
Ces évènements entachent définitivement la loyauté qui doit présider à l’exécution du contrat de travail.
Nous ne sommes pas en mesure de tolérer de tels manquements, d’autant que nous vous avons déjà rappelé à l’ordre en juin dernier pour violation des règles tarifaires et non-respect des directives expresses de votre hiérarchie. Nous vous notifions donc par la présente votre licenciement à effet immédiat pour faute grave.
La date d’envoi de ce courrier marquera la date de rupture de votre contrat de travail.
Compte tenu de la gravité des faits reprochés, le licenciement prend effet immédiatement sans préavis ni indemnité de licenciement. En conséquence, nous vous remercions de vous mettre en relation avec votre hiérarchie afin d’organiser la restitution du matériel de l’entreprise encore en votre possession.
Votre certificat de travail, votre solde de tout compte, ainsi que votre attestation Pôle Emploi vous seront adressés dès leur établissement’.
Devant le conseil de prud’hommes de NICE, Madame [P] [R] a demandé que son licenciement soit déclaré nul et de nul effet et le paiement de diverses sommes.
Par jugement du 7 novembre 2012, le conseil de prud’hommes de NICE a dit que son licenciement pour faute grave était justifié , l’a déboutée de toutes ses demandes et a débouté l’employeur de ses demandes reconventionnelles en remboursement d’un trop versé au titre du reçu pour solde de tout compte et en paiement d’une indemnité au titre de l’article 700 du code procédure civile.
MOYENS ET PRÉTENTIONS DES PARTIES
Madame [P] [R] demande à la cour d’infirmer le jugement attaqué, statuer à nouveau et condamner la société intimée à lui payer les sommes de:
-5930,55€ au titre d’un solde indûment retenu sur le mois de décembre 2011;
-18684€ au titre de l’indemnité de préavis;
-1868,40€ au titre des congés payés s’y rapportant;
-10276€ au titre de l’indemnité de licenciement;
-56829€ à titre de dommages-intérêts suite à la nullité du licenciement;
-50000€ de dommages-intérêts pour préjudice moral et psychologique;
-140000€ de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse;
-5681,98€ au titre du rattrapage de salaire réel pour l’année 2010 pendant la période de congé de maternité et de maladie;
-5000€ au titre de l’article 700 du code procédure civile.
Elle soutient, pour l’essentiel, que la procédure de licenciement était intervenue peu de temps après qu’elle ait refusé de façon motivée la modification de son contrat de travail et alors qu’elle était en arrêt maladie depuis le 14 novembre 2011 car son début de grossesse posait problème; qu’elle avait notifié sa grossesse à son employeur; qu’elle entendait contester avoir effectué un déplacement privé le 27 octobre 2011 à partir de 12 heures 25; qu’elle rappelait que son statut de cadre lui donnait un degré d’autonomie dans l’organisation de son emploi du temps; qu’elle pouvait parfaitement proposer à un client annonceur de son secteur, des campagnes publicitaires sur tout le territoire national puisque l’activité de l’entreprise s’étendait à toute la France; que de tels déplacements étaient déjà arrivés; qu’ainsi, le 27 octobre 2011, elle avait rencontré sur son secteur de [Localité 14] un client et apporteur d’affaires depuis trois ans, Monsieur [V]; que celui-ci ayant voulu visiter plusieurs panneaux à [Localité 6] et [Localité 8], il avait été décidé de façon impromptue de se rendre en région lyonnaise, Madame [R] ayant pour le reste de la semaine et le week-end posé deux jours de congés; qu’ il s’agissait bien d’un déplacement professionnel, le client qui l’accompagnait ce jour-là ayant acquitté lui même les télé-péages autoroutiers; que ce client avait attesté de ces faits; que le rapport d’activité ne devait renseigner que sur les contrats en cours signés mais jamais les tournées terrain ou les premiers contacts prospects; que dans ces conditions, elle estimait que le véritable motif de son licenciement résidait dans son refus d’accepter la modification de son contrat.
La SAS CLEAR CHANNEL demande à la cour de confirmer le jugement attaqué, de débouter l’appelante de toutes ses prétentions, le réformer en ce qu’il l’avait déboutée de sa demande reconventionnelle en remboursement, condamner Madame [P] [R] à lui rembourser le trop-perçu de 4176,88€ et à lui payer une somme de 3500€ au titre de l’article 700 du code procédure civile.
Elle fait valoir que la grossesse de la salariée ne lui avait été notifiée qu’après la convocation à l’entretien préalable; que le faute grave était établie puisque la salariée était en absence injustifiée le 27 octobre 2011; qu’à cette date, elle n’avait posé aucun congé ni jour de récupération; qu’elle était hors sa zone de prospection de sorte qu’elle n’était pas en train de travailler sur la région lyonnaise; que ni l’ agenda Outlook professionnel de la salariée ni son reporting commercial hebdomadaire ne faisaient d’ailleurs mention d’un tel rendez-vous l’après-midi; qu’aucun compte rendu n’avait été effectué; qu’elle n’avait ni informé sa hiérarchie de ce déplacement ni demandé l’autorisation; que si les fonctions exercées lui permettaient de disposer d’une certaine autonomie, la salariée restait cependant tenue par l’article 2 de son contrat de travail à une subordination hiérarchique à son directeur régional et son directeur commercial de région; qu’elle n’avait pas respecté les procédures internes concernant l’obligation, lors de chaque visite client organisée par un attaché commercial, d’informer les services techniques afin de préparer au mieux la visite en s’assurant du bon fonctionnement des panneaux sur la zone concernée; qu’elle aurait dû d’autant plus prévenir qu’elle se trouvait hors sa zone et que sa visite ne correspondait en rien aux visites habituelles des attachés commerciaux puisque les visites de prospection consistaient à vendre aux clients les réseaux publicitaires de la société CLEAR CHANNEL et n’étaient pas destinées à la simple présentation sur le terrain des dispositifs publicitaires; que si les commerciaux pouvaient être amenés exceptionnellement à effectuer une visite hors zone, cela nécessitait le respect d’une procédure particulière tenant à l’information préalable de la hiérarchie et à la préparation systématique de la visite; que la seule visite hors zone autorisée en 2011 avait été justifiée par l’impact financier du contrat en négociation; que tel n’avait pas été le cas en l’espèce; que le prétendu client avait son siège social à [Localité 14] dans la zone de Madame [R] mais n’avait aucun établissement dans la région lyonnaise; qu’un tel déplacement n’avait donné lieu à aucune suite commerciale ni engendré la moindre note de frais professionnels; qu’au contraire, la salariée avait désactivé sa carte télé-péage et avait tenté de dissimuler ce déplacement privé que l’employeur n’avait appris qu’après avoir reçu un avis de contravention; qu’au cours de l’entretien préalable, elle avait caché le nom du client. La société intimée s’explique également sur le trop versé au titre du reçu pour solde de tout compte.
SUR CE
Sur la nullité du licenciement
L’article L 1225-4 du code du travail interdit de licencier une salariée lorsqu’elle est en état de grossesse médicalement constatée et pendant l’intégralité des périodes de suspension de contrat de travail auxquelles elle a droit au titre du congé de maternité, qu’elle use ou non de ce droit, ainsi que pendant les quatre semaines suivant l’expiration de ces périodes. Toutefois, l’employeur peut rompre le contrat s’il justifie d’une faute grave de l’intéressée, non liée à l’état de grossesse, ou de son impossibilité de maintenir ce contrat pour un motif étranger à la grossesse ou à l’accouchement. Dans ce cas, la rupture du contrat de travail ne peut prendre effet ou être notifiée pendant les périodes de suspension du contrat de travail sus mentionnées.
En l’espèce, Madame [P] [R] a notifié à son employeur par lettre recommandée datée du 22 novembre 2011 son état de grossesse médicalement constatée. La procédure de licenciement initiée le 9 novembre 2011 par l’envoi de la lettre de convocation à l’entretien préalable a abouti à la notification du licenciement pour faute grave par lettre du 9 décembre 2011. La salariée ne bénéficiant à cette date que de la protection relative instituée par l’article susvisé, il appartient à l’employeur de démontrer la faute grave, le doute profitant à la salariée.
La faute grave est définie comme la faute qui résulte d’un fait ou un ensemble de faits imputables au salarié qui constitue une violation des obligations résultant du contrat de travail ou des relations de travail d’une importance telle qu’elle rend impossible le maintien du salarié pendant la durée du préavis. Elle implique donc une réaction immédiate de l’employeur qui doit engager la procédure de licenciement dès qu’il en a connaissance et qu’aucune vérification n’est nécessaire.
La lettre de licenciement reproche à la salariée d’avoir, le 27 octobre 2011, manqué à ses obligations contractuelles en commettant un abandon de poste et en quittant sans autorisation son secteur de prospection , d’avoir ainsi parcouru sur son temps de travail au minimum 900 kilomètres à des fins personnelles puisque la salariée n’avait posé aucun jour de congés payés ou de RTT et n’était pas non plus en arrêt de travail. Il lui est aussi reproché d’avoir, le 27 octobre 2011 à 12 heures 42 , dans le but d’éviter toute traçabilité, désactivé sa carte de télé-péage après le péage du [Localité 5], situé hors son secteur géographique sur l’A8 dans le sens sud-nord, ainsi que d’avoir, en violation des procédures internes, utilisé ce jour-là ladite carte Total pour régler le carburant alors qu’elle vaquait à des occupations personnelles. Il lui est enfin reproché d’avoir fait preuve d’arrogance, insolence, insubordination et mensonges aux questions posées par son employeur lors de l’ entretien préalable du 30 novembre 2011.
Il résulte donc des énonciations de la lettre de licenciement qui fixe les limites du litige que l’élément principal et déterminant du licenciement de Madame [R] a été constitué par le fait de s’être rendue, le 27 octobre 2011, à [Localité 8] hors son secteur géographique défini par son contrat, pour des motifs personnels pendant son temps de travail, aux frais de l’employeur et sans autorisation de ce dernier.
Si Madame [R] ne conteste pas la matérialité de ce déplacement en région lyonnaise, elle soutient en revanche avoir consacré sa matinée du 27 octobre 2011 aux clients de sa zone géographique et avoir effectué l’après-midi même le déplacement à [Localité 8] pour des motifs professionnels tenant à la demande impromptue d’un client apporteur d’affaires, Monsieur [V], qui souhaitait se rendre sur les lieux. Elle produit à cet effet deux attestations de clients (les sociétés Century 21 et LDPG) qui rapportent qu’elle se trouvait bien dans sa zone géographique à [Localité 2], dans la matinée du 27 octobre 2011, pour y rencontrer ces deux clients. Madame [R] produit aussi une lettre datée du 16 décembre 2011 de Monsieur [Y] [V] à l’entête de la société What’s up Communications Medias située à [Localité 14] dans laquelle celui-ci atteste avoir effectué une tournée en région lyonnaise avec Madame [R], le 27 octobre 2011. Monsieur [V] rapporte avoir effectué le trajet dans le véhicule professionnel de Madame [R] jusqu’à [Localité 8]- [Localité 11] pour un rendez-vous à 16 heures avec un des annonceurs de l’agence, être monté ensuite dans le véhicule du client, avoir suivi le véhicule de Madame [R] jusqu’au centre commercial Carrefour d'[Localité 6] afin d’y voir les panneaux correspondant aux produits ‘Focus Mall 2″ et ‘Focus Mall 8″ , être ensuite tous retournés sur [Localité 8] pour ‘tourner’ sur une partie des panneaux qui composent le réseau ‘Distinction Lux [Localité 8] Centre’, avoir pris congé du client vers 19 heures et avoir été raccompagné par Madame [R] à la gare de [Localité 8] à 19 heures 30 puisqu’elle partait dans une autre direction. Monsieur [V] termine sa lettre en indiquant: ‘cet annonceur est intéressé par l’affichage depuis plusieurs années, ne le voyant pas régulièrement, cette opportunité de lui proposer une visite et surtout une expertise des produits Mall était, je le pense, à saisir.’ Cette lettre est corroborée par des échanges de mails entre Monsieur [V] et Madame [R] des 22 et 23 novembre 2011 faisant référence au suivi de la tournée du 27 octobre 2011. Il est également produit des documents commerciaux concernant des panneaux publicitaires et leurs emplacements situés à [Localité 6], documents qui portent le nom commercial de la société CLEAR CHANNEL et la mention ‘votre contact CLEAR CHANNEL:[P] [R]’.
Ainsi, ces pièces permettent de retenir, ou à tout le moins de considérer comme crédible, la version de Madame [R] qui affirme qu’après avoir consacré sa matinée du 27 octobre 2011 aux clients de sa zone géographique elle avait accepté, à la demande de dernière minute de la société What’s up Communications Medias située dans sa zone géographique, peu important que cette société n’ait été en définitive qu’un client potentiel, de se rendre à [Localité 8] pour y faire une tournée, ceci pouvant expliquer l’absence de rendez-vous programmé. Si la salariée restait soumise au pouvoir de direction de l’employeur, il convient de rappeler aussi que Madame [R] avait le statut cadre, qu’à ce titre, elle disposait d’un niveau de responsabilité et d’autonomie qui l’autorisaient à organiser son emploi du temps comme elle l’estimait utile et nécessaire à l’exécution de sa mission et que d’ailleurs cette autonomie avait été reconnue par le contrat de travail qui n’avait pas fixé des horaires de travail mais un forfait en jours.
En l’état des justificatifs apportés par Madame [R] sur les motifs de son déplacement à [Localité 8] dans l’après-midi du 27 octobre 2011, il doit être considéré que le motif tiré d’un abandon de poste pendant son temps de travail pour se consacrer à un déplacement personnel aux frais de l’employeur , notamment par l’utilisation indue de la carte Total, n’est pas avéré . Le fait d’avoir désactivé la carte de télé-péage et de ne pas avoir présenté de demande de remboursement de frais professionnels ne sauraient dans ces circonstances être objectivement retenues à charge contre Madame [R] qui soutient que le client, ce que ce dernier a confirmé, avait voulu prendre en charge les frais de péage jusqu’à [Localité 8]. En tout état de cause, il ne peut pas se déduire de cette désactivation la preuve d’une volonté de tromper l’employeur.
Toute l’argumentation développée dans les écritures de la société intimée concernant le non-respect des procédures internes applicables en cas de visite exceptionnelle hors de sa zone géographique par un attaché commercial est inopérante, ce grief n’étant pas visé en tant que tel par la lettre de licenciement. Si Madame [R] ne conteste pas être sortie de sa zone géographique sans avoir prévenu sa hiérarchie ni sollicité son autorisation préalable, il convient cependant de constater là encore que le grief tiré d’une prospection hors zone géographique sans autorisation n’est pas non plus visé dans la lettre de licenciement qui ne mentionne le défaut d’autorisation d’absence qu’au soutien du grief tiré de l’abandon de poste dont la cour vient de dire qu’il n’était pas fondé. Le défaut de compte rendu d’activité pour l’après-midi du 27 octobre 2011n’est pas non plus visé comme le motif du licenciement.
Le grief tiré de l’arrogance, l’insolence, l’insubordination et les mensonges dont la salariée aurait fait preuve pendant l’entretien préalable du 30 novembre 2011 à l’occasion de ses réponses aux questions posées par l’employeur ne saurait davantage être retenu comme une faute grave, l’employeur reprochant en réalité à sa salariée son système de défense et une dénégation des faits alors que rien ne démontre que les propos qui auraient été tenus auraient été mensongers et auraient dépassé la limite de la liberté d’expression et du droit de se défendre. A cet égard, il convient de se reporter au compte rendu dressé par le conseiller assistant la salariée lors de l’entretien préalable et qui rapporte de façon très circonstanciée que Madame [R] était au cours de cet entretien ‘très perturbée eu égard à son état de santé avec une grossesse difficile’ et que, tout en affirmant s’être rendue à [Localité 8] pour des motifs professionnels qu’elle avait décrits, elle s’était réservée le droit d’apporter ultérieurement les preuves qu’elle estimait utiles, que l’entretien avait été particulièrement éprouvant pour elle, ‘moralement et physiquement’ et que l’attitude de Monsieur [Q] qui représentait l’employeur avait été d’une ‘grande agressivité’ alors qu’à cet instant de l’entretien l’état de grossesse de la salariée était connu.
La faute grave est d’autant moins démontrée que le licenciement de Madame [R] est intervenu quelques semaines à peine après que celle-ci ait refusé, dans une lettre du 15 septembre 2011, une modification de son contrat de travail, le conseiller assistant Madame [R] ayant interpellé en vain le représentant de l’employeur sur cette situation. .
L’employeur qui a été informé de la grossesse médicalement constatée de sa salariée et qui a procédé à son licenciement sans établir l’existence d’une faute grave a procédé à un licenciement qui doit être déclaré nul.
Sur les conséquences de la nullité du licenciement
-Sur la moyenne des salaires pour 2011
Madame [R] reproche à l’employeur d’avoir indûment retenu diverses sommes et de ne lui avoir rien versé au titre du mois de décembre 2011 ce qui avait eu pour effet de faire baisser la moyenne de son salaire brut mensuel La société CLEAR CHANNEL réplique qu’en application d’un document intitulé ‘Annexe portant sur les conséquences en termes de rémunération en cas de rupture de contrat en cours d’année’ en cas de départ d’un commercial, sa rémunération est calculée en fonction du pourcentage de chiffre d’affaires enregistré au moment de son départ et selon le barème prévu selon ce document.Se fondant sur un pourcentage de chiffre d’affaires de 81,21% et appliquant le barème en question, la société intimée soutient que la salariée ne devait percevoir que 30% de ses primes mensuelles, trimestrielles et semestrielles.
Toutefois, il sera constaté, comme le soutient Madame [R], que le document sur lequel se fonde la société intimée n’a aucune valeur contractuelle en ce qu’il ne comporte aucune signature de la salariée et qu’il n’est pas démontré que la salariée aurait accepté que la part variable de sa rémunération soit calculée selon les modalités fixées dans ce document qui ne porte même pas d’ailleurs une quelconque date. Le seul document opposable aux deux parties reste le contrat de travail et son annexe du 21 avril 2008. Il sera également ajouté que conformément au contrat de travail, la prime mensuelle d’activité versée en 2011 devait être calculée en fonction des résultats enregistrés en 2010 de sorte qu’aucune réduction ne pouvait être opérée en 2011 . Ainsi, Madame [R] justifie par ses tableaux et décomptes établis sur la base de son contrat de travail et de son annexe du 21 avril 2008 que sa rémunération de décembre 2011 aurait dû être de 4952,92€. Par ailleurs, les pièces et décomptes de l’employeur ne permettent pas de justifier du solde négatif d’un montant de 5930,55€ figurant sur le bulletin de décembre 2011. La société intimée sera donc condamnée à payer cette somme. Après réintégration de ces sommes, la rémunération annuelle de Madame [R] doit être fixée à la somme totale de 74740,50€, somme équivalente en définitive à sa rémunération annuelle 2010 qui avait été de 76299,78€. Par conséquent, la moyenne mensuelle brute calculée sur la base des 12 derniers mois s’élève bien à la somme de 6228€ brut au jour de la rupture.
-Sur les demandes en paiement
Le 26 avril 2012, Madame [R] a donné naissance à son enfant [J]. La salariée a droit au paiement des salaires qu’elle aurait perçus pendant les périodes de suspension du contrat auxquelles elle avait droit en application des articles L 1225-17 et suivants du code du travail et les quatre semaines suivant l’expiration de ces périodes étant précisé qu’il convient d’y ajouter deux semaines supplémentaires prévues par la convention collective au titre du congé de maternité. Ainsi, le décompte produit par la salariée démontre qu’elle aurait dû percevoir pendant cette période un montant total de 51663€ au titre de ses salaires outre les congés payés s’y rapportant soit la somme de 5166€.
La salariée qui ne demande pas sa réintégration a droit également aux indemnités de rupture ainsi qu’à des dommages-intérêts réparant intégralement le préjudice causé par son licenciement qu’il appartient à la cour d’apprécier souverainement mais dont le montant doit être, en application de l’article L1235-3 du code du travail, au moins égal à six mois de salaire. En conséquence, la salariée est fondée à obtenir le paiement des sommes de 18684€ au titre du préavis, 1868,40€ au titre des congés payés s’y rapportant et celle de 10276€ au titre de l’indemnité conventionnelle de licenciement, ces quantum n’ayant pas été discutés. S’agissant des dommages-intérêts, la salariée bénéficiait d’une ancienneté reprise par son contrat de travail au 19 décembre 2006 soit 5 ans au jour de son licenciement. Elle est née en 1974. Elle a perçu de pôle-emploi une indemnité journalière de 88,83€ à compter du 10 décembre 2012 mais elle ne justifie pas de ses recherches particulières d’un emploi. Par ailleurs, il convient de prendre en compte les circonstances déjà rapportées dans lesquelles l’entretien préalable s’était tenu et le fait qu’immédiatement après son licenciement, elle avait présenté un état anxio-dépressif réactionnel attesté par un certificat médical. Tous ces éléments amènent la cour à condamner la société intimée à lui payer la somme de 42000€ de dommages-intérêts toutes causes de préjudices confondues.
Sur le rattrapage du salaire 2010
Madame [R] expose qu’à l’occasion d’un précédent congé maternité s’étant déroulé du début du mois de février 2010 à la fin du mois de juillet 2010, son employeur s’était fait subroger à elle pour percevoir les indemnités journalières de sécurité sociale, la convention collective prévoyant au bénéfice de la salariée que l’ensemble des sommes versées (prestations et indemnités complémentaires) atteigne un total de 100% du salaire réel. Elle ajoute qu’ à l’époque son salaire réel, constitué d’un fixe et d’une partie variable, avait été calculé sur la base des 12 derniers mois précédant l’arrêt de travail soit sur la période de février 2009 à janvier 2010 mais qu’en définitive elle avait subi sur la période de février 2010 à juillet 2010, selon décompte produit aux débats, une perte de 5681,98€ dont elle demandait le paiement.
La société intimée réplique que la convention collective n’imposait le maintien du salaire à100% que pendant la période d’absence pour maternité et à 80% pour la période d’arrêt maladie, que l’appelante s’était basée sur la période de rémunération de février 2009 à juillet 2009 laquelle n’était toutefois pas représentative de la rémunération moyenne puisqu’il fallait prendre en compte, conformément à une circulaire du 27 juin 1978 la période de paie précédant l’absence du salarié et qu’en outre certaines primes devaient être exclues de cette période de référence.
L’article 65 de la convention collective dispose que pendant la période de congé de maternité égale à 18 semaines, la salariée ayant au moins un an d’ancienneté à la date présumée de l’accouchement a droit à la perception d’une indemnité complémentaire à la charge de l’employeur, calculée de telle sorte que l’ensemble (prestations plus indemnité complémentaire) atteigne un total de 100% du salaire réel. La période visée par Madame [R] ne concerne que son congé maternité. Les dispositions conventionnelles restant silencieuses sur l’assiette de calcul de la période de référence, il convient de prendre en compte le salaire correspondant à la période précédant l’absence de la salariée c’est à dire le salaire moyen perçu par elle sur les 12 derniers mois, en ce compris la part variable de rémunération, et non pas le salaire perçu par elle sur la période de février 2009 à juillet 2009. Au vu des bulletins de salaires produits aux débats, il apparaît que Madame [R] a bien bénéficié de la règle conventionnelle du maintien de 100% de son salaire réel de sorte qu’elle sera déboutée.
Sur la demande reconventionnelle
Pour les motifs qui précèdent concernant le calcul du salaire brut moyen et celui du salaire de décembre 2011 et la société intimée ne justifiant pas avoir trop versé à l’occasion de la rupture du contrat de travail, sa demande reconventionnelle en remboursement de la somme de 4176,88€ sera rejetée.
Sur l’article 700 du code procédure civile
L’équité commande d’allouer à l’appelante une indemnité de 1500€ au titre de l’article 700 du code procédure civile.
PAR CES MOTIFS
LA COUR, statuant par décision prononcée par mise à disposition au greffe, contradictoirement et en matière prud’homale.
Reçoit Madame [P] [R] en son appel.
Réforme le jugement le conseil de prud’hommes de Nice du 7 novembre 2012 en ce qu’il a statué sur les demandes afférentes à la nullité du licenciement.
Statuant à nouveau.
Dit que le licenciement de Madame [P] [R] est nul.
Condamne la SAS CLEAR CHANNEL à payer à Madame [P] [R] les sommes de:
-51663€ à titre de rappel de salaire pour la période couverte par la nullité;
-5166€ à titre des congés payés s’y rapportant;
-42000€ de dommages-intérêts toutes causes de préjudices confondues au titre du licenciement nul;
-18684€ au titre de l’indemnité compensatrice de préavis;
-1868,40€ au titre des congés payés s’y rapportant;
-10276€ au titre de l’indemnité conventionnelle de licenciement.
Confirme le jugement pour le surplus et, y ajoutant, condamne la SAS CLEAR CHANNEL à payer à Madame [P] [R] les sommes de:
-5930,55€ au titre du solde de décembre 2011;
-1500€ au titre de l’article 700 du code procédure civile.
Déboute les parties de leurs autres demandes.
Condamne la SAS CLEAR CHANNEL aux dépens de première instance et d’appel.
LE GREFFIER LE PRESIDENT