Affaire Uber Eats : condamnation confirmée

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Affaire Uber Eats : condamnation confirmée
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Affaire Uber Eats : condamnation confirmée

Confirmation du jugement du conseil de prud’hommes de Paris

La cour a confirmé le jugement rendu par le conseil de prud’hommes de Paris en date du 25 avril 2022.

Condamnation aux dépens

En plus de confirmer le jugement, la cour a condamné M. [T] [I] aux dépens de l’affaire.

Indemnité à verser aux sociétés Uber Eats France et Uber Portier BV

La cour a également ordonné à M. [T] [I] de verser la somme de 1 000 euros à la société Uber Eats France et à la société Uber Portier BV, conjointement, à titre d’indemnité sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

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REPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D’APPEL DE PARIS

Pôle 6 – Chambre 2

ARRÊT DU 11 MAI 2023

(n° , 13 pages)

Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 22/09332 – N° Portalis 35L7-V-B7G-CGUHH

Décision déférée à la Cour : Jugement du 25 Avril 2022 -Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de PARIS – RG n° 20/05389

APPELANT

Monsieur [T] [I]

[Adresse 1]

[Adresse 1]

Représenté par Me Christophe LEGUEVAQUES, avocat au barreau de PARIS, toque: B0494

INTIMÉES

S.A.S. UBER EATS FRANCE

[Adresse 2]

[Adresse 2]

UBER PORTIER B.V Société de droit néerlandais

[Adresse 5]

[Adresse 5]

PAYS BAS

Tous deux représentés par Me Luca DE MARIA, avocat au barreau de PARIS, toque : L0018

COMPOSITION DE LA COUR :

L’affaire a été débattue le 09 Mars 2023, en audience publique, devant la Cour composée de :

M. Olivier FOURMY, Premier président de chambre

Mme Marie-Paule ALZEARI, Présidente de chambre

Mme Christine LAGARDE, Conseillère

qui en ont délibéré, un rapport a été présenté à l’audience par Monsieur [E] [Z] dans les conditions prévues par l’article 804 du code de procédure civile.

Greffière lors des débats : Mme CAILLIAU Alicia

ARRÊT :

– contradictoire

– mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du Code de procédure civile

– signé par Olivier FOURMY, Premier président de chambre et par CAILLIAU Alicia, greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

EXPOSÉ DU LITIGE

Les explications fournies et les documents présentés par les parties permettent de tenir pour

constants les faits suivants :

Le groupe Uber a élaboré et proposé une application dédiée à la livraison de nourriture.

A cet effet, les entités du groupe mettent en relation, par le biais d’une plate-forme et de l’application précitée d’une part, des restaurants qui souhaitent faire livrer des plats qu’ils préparent, d’autre part, des consommateurs qui souhaitent se faire livrer des plats à domicile et enfin, des coursiers qui effectuent les prestations de livraison.

Les commandes sont passées au moyen de l’application mobile ou du site intemet Uber Eats auprès des restaurants et sont livrées par les coursiers.

M. [T] [I] a procédé à son immatriculation au registre du commerce et des sociétés de Lyon, le 5 février 2016, pour l’activité suivante : « Transport routier de marchandises et/ou location de véhicules industriels avec conducteur au moyen de véhicules n’excédant pas 3,5 Tonnes de PMA. Livraison de repas à domicile et à vélo ».

M. [I] a exercé une activité professionnelle en relation avec le groupe Uber du 22 novembre 2016 au 9 mars 2020.

Le 31 juillet 2020, M. [I] a saisi le conseil de prud’hommes de Paris (‘CPH’) aux fins de constater le lien de subordination juridique permanente entre lui et la société Uber Eats (ci-après, la ‘Société’) et, notamment, voir requalifier le contrat de prestation de service en contrat de travail, constater le travail dissimulé et condamner la société Uber Eats France au paiement de diverses sommes.

M. [I] a par la suite mis dans la cause la société néerlandaise Uber Portier B.V.

Aucun accord n’ayant été trouvé lors du bureau de conciliation et d’orientation, l’affaire a été renvoyée devant le bureau de jugement.

Par jugement du 25 avril 2022, le conseil de prud’hommes de Paris :

– s’est déclaré incompétent au profit du tribunal de commerce de Paris

– a dit qu’à défaut d’appel dans le délai de 15 jours à compter de la date de signature de l’avis de réception de notification, l’affaire sera transmise à la juridiction compétente ci-dessus désignée, conformément à l’article 82 du code de procédure civile ;

– a réservé les dépens.

Selon déclaration du 11 juillet 2022, M. [I] a interjeté appel de ce jugement statuant exclusivement sur la compétence.

PRÉTENTIONS DES PARTIES

Par dernières conclusions transmises par RPVA le 7 novembre 2022, M. [I] demande à la cour de :

« – DECLARER RECEVABLE ET FONDE l’appel interjeté par M. [T] [I] du jugement du Conseil de prud’hommes du 25 avril 2022 statuant exclusivement sur la compétence ;

– INFIRMER le jugement du Conseil de prud’hommes de Paris rendu le 25 avril 2022, en ce qu’il s’est déclaré incompétent matériellement pour examiner les demandes de M. [T] [I] ;

– L’ANNULER au surplus.

Y faisant droit,

– ORDONNER que le statut d’auto-entrepreneur indépendant est inopposable à M. [T] [I] dans le cadre de son activité avec UBER EATS et UBER Portier B.V. ;

– DECLARER que M. [T] [I] démontre l’existence d’un lien de subordination juridique permanent dans le cadre de son activité avec UBER EATS et UBER Portier B.V ;

– DIRE ET JUGER que M. [T] [I] renverse la présomption de l’article L8221-6 du code du travail ;

– DECLARER que le Conseil de prud’hommes de Paris est compétent matériellement et territorialement pour connaître de cette affaire et de l’ensemble des demandes de M. [T] [I] ;

Par conséquent,

– RENVOYER l’affaire devant le Conseil de prud’hommes de Paris compétent matériellement et territorialement pour connaître de cette affaire et de l’ensemble des demandes de M. [T] [I] ;

En tout état de cause,

– CONDAMNER la société UBER EATS et la société UBER Portier B.V. à payer à M. [T] [I] la somme de 5 000 ‘ sur le fondement de l’article 700 du Code de procédure civile;

– CONDAMNER la société UBER EATS et la société UBER Portier B.V. aux dépens de la 1 ère instance et de la présente instance ».

Par dernières conclusions transmises par RPVA le 28 février 2023, les sociétés Uber Eats France et Uber Portier B.V sollicitent la cour de :

« IN LIMINE LITIS

– CONSTATER que M. [I] échoue à renverser la présomption de non-

salariat qui lui est applicable ;

– CONSTATER que du fait des conditions d’utilisation de l’application Uber Eats, il ne

se trouvait pas dans un lien de subordination juridique permanent à l’égard des sociétés

Uber Portier BV et Uber Eats France ;

En conséquence,

– CONFIRMER le jugement dont il est fait appel en ce qu’il a déclaré la juridiction prud’homale incompétente pour connaître du litige ;

– DECLARER en tout état de cause que le Conseil de prud’hommes de Paris est

incompétent pour connaître du litige, au profit du Tribunal de commerce de Paris ;

– CONDAMNER M. [I] à verser aux sociétés Uber Portier BV et Uber Eats

France une somme de 1.000 euros sur le fondement de l’article 700 du Code de

Procédure Civile ;

– CONDAMNER M. [I] aux éventuels dépens ».

Pour un plus ample exposé des faits de la cause et des prétentions des parties, il est fait expressément référence aux pièces du dossier et aux écritures déposées, conformément aux dispositions de l’article 455 du code procédure civile.

EXPOSÉ DES MOTIFS

Sur le fondement des articles L.1411-1 et L. 1411-3 du code du travail, M. [I] rappelle que le conseil de prud’hommes est compétent pour tous les différends qui peuvent s’élever à l’occasion de tout contrat de travail entre les employeurs, ou leurs représentants, et les salariés qu’ils emploient, et règle les différends et litiges nés entre salariés à l’occasion du travail.

M. [I] conteste son statut de travailleur indépendant.

En premier lieu, son statut de commerçant, présumé par l’immatriculation au RCS, est en contradiction avec son activité réelle et il faut considérer que le statut d’entrepreneur indépendant lui est inopposable.

Par référence à l’article L. 121-1 du code de commerce, sont commerçants « ceux qui exercent des actes de commerce et en font leur profession habituelle ». La « qualité de commerçant est exclusive de tout lien de dépendance juridique entre le donneur d’ordre et le prestataire ». En l’espèce, l’inscription au RCS ne fait que répondre à une exigence qu’il a dû remplir dans l’unique but de travailler avec la société Uber Eats, comme en atteste la date de création de son auto-entreprise et la date à laquelle il a commencé à travailler pour la société. C’est pour garantir sa sécurité juridique que la société Uber Eats exige de ses livreurs qu’ils s’immatriculent au RCS, afin qu’ils soient présumés travailleurs indépendants et commerçants. Autrement dit, si le livreur souhaite accéder à l’application distributrice de courses, il doit se soumettre à cette obligation et ne dispose d’aucune alternative. M. [I] « déclare sur l’honneur que la création de (son) entreprise a été effectuée dans l’unique but de prester pour une plate-forme tel qu’UBER EATS » (sic).

M. [I] soutient que, dans le système organisé par le biais de la plate-forme Uber Eats, il ne bénéficiait d’aucun pouvoir de négociation que ce soit avec le consommateur final, le restaurant partenaire ou la société Uber Eats. Il en va de même pour l’ensemble des livreurs travaillant pour Uber Eats. Plus précisément, les livreurs ne peuvent pas négocier le prix fixe de la prestation effectuée. La société Uber Eats a la faculté de leur accorder des bonus assimilables à des primes, ce qui démontre qu’il ne s’agit pas d’une relation commerciale. En outre, M. [I] fait valoir que les livreurs doivent se conformer aux modalités d’exécution imposées par la société Uber Eats et sont soumis à un même contrat d’adhésion. Il présente un schéma, dont il résulte que la « facturation est renversée, ce n’est pas le prestataire qui facture sa prestation, mais le donneur d’ordre (UBER EATS) qui le rétribue et lui facture le service ».

En outre, la société Uber Eats n’hésite pas à user de son pouvoir de direction pour donner à ses travailleurs des directives. D’une part, la Charte de la communauté édictée par la société Uber Eats interdit formellement aux travailleurs qui effectuent les livraisons, de prendre contact ou de démarcher les clients ayant commandé. D’autre part, la société Uber Eats oblige chaque livreur à respecter les indications de livraison, à savoir : ne pas contacter le client, suivre le trajet indiqué et respecter les règles de conformité du sac de livraison et les outils de travail du travailleur.

M. [I] relève qu’il n’était pas indépendant dans l’exercice de son activité. D’une part, il ne disposait pas d’autonomie administrative dans le fonctionnement de son auto-entreprise. En effet, la société Uber Eats prenait en charge l’émission de factures pour les fournir au travailleur ayant effectué la livraison. D’autre part, il n’a jamais bénéficié d’une quelconque indépendance à l’occasion de l’exécution de ses prestations. En effet, lorsqu’il se connectait sur la plate-forme Uber Eats, il se trouvait géolocalisé en temps réel, ce qui permettait à la société de transmettre des directives concernant le trajet à suivre. Selon M. [I], cet élément est de nature à prouver qu’il se trouvait dans une situation de dépendance à l’égard de la société Uber Eats, la géolocalisation s’inscrivant dans un rapport entre un employeur et ses salariés.

L’argument selon lequel le livreur a la possibilité d’accepter ou de refuser des prestations est inopérant puisqu’un auto-entrepreneur, par définition indépendant, dispose de la capacité de négocier les conditions de sa relation contractuelle. M. [I] fait un parallèle avec le statut d’intérimaire qui donne la possibilité d’accepter ou de refuser des missions d’intérim mais qui, une fois la mission acceptée, se trouve en permanence dans une relation de subordination juridique à l’égard de son employeur.

M. [I] écrit se trouver « entre deux statuts », ce lui de l’auto-entrepreneur et celui de salarié. Mais en l’occurrence, le statut de commerçant ou d’entrepreneur indépendant lui est inopposable et le conseil de prud’hommes a commis une erreur d’appréciation en se déclarant incompétent au profit du tribunal de commerce.

En deuxième lieu, la cour devra constater que l’existence d’un lien de subordination juridique permanent est établie.

M. [I] rappelle qu’il n’est pas contesté que, souhaitant travailler comme coursier pour la société Uber Eats, il a procédé, par obligation, à son inscription au RCS en qualité d’auto-entrepreneur. Bien qu’il soit présumé ne pas avoir été salarié de la société en application de l’article L. 8821-6, I, du code du travail, cette présomption simple peut être renversée en apportant la preuve de l’existence d’un lien de subordination juridique avec son donneur d’ordre.

A cet égard, le lien de subordination juridique « est caractérisé par l’exécution d’un travail sous l’autorité d’un employeur qui a le pouvoir de donner des ordres et des directives, d’en contrôler l’exécution et de sanctionner les manquements de son subordonné ». A la lumière de ces trois critères, la Cour de cassation considère que l’intégration à un service organisé est un indice permettant d’établir l’existence d’un lien de subordination.

En l’espèce, la société Uber Eats exerçait à son encontre un pouvoir de direction, de contrôle et de sanction.

S’agissant du pouvoir de direction, M. [I] fait valoir qu’il recevait des ordres et des directives relatives :

– à l’accès à la plate-forme : obligation de créer une entreprise, exigence d’une photographie de ‘profil’, fourniture d’une pièce d’identité ;

– à l’équipement : exigence d’un sac de livraison conforme et interdiction de livrer avec les véhicules non autorisés ;

– aux conditions générales d’utilisations ;

– aux conditions applicables aux coursiers indépendants : lorsque le livreur refuse un nombre de courses jugé trop élevé par la société, il est déconnecté unilatéralement de la plate-forme, le temps d’attente n’est jamais rémunéré par la société alors que le livreur, incité à rester sur son vélo et en ligne, ne peut vaquer librement à ses occupations personnelles ;

– à la ‘ Charte de la communauté’ : interdiction de contacter les clients une fois la livraison terminée et obligation de vérifier la pièce d’identité, l’âge du client et son potentiel état d’ébriété en cas de livraison de boissons alcoolisées ;

– aux livraisons : trajet obligatoire, temps de trajet impératifs pour le livreur sous peine d’être sanctionné financièrement, liberté horaire relative car le livreur ne peut pas exercer son activité en continu (la quasi-totalité des prestations de M. [I] sont effectuées entre 11h30 et 14h00 et 18h30 et 22h00), liberté de refuser de livrer relative, exigences de livraison, notation des livraisons, prix des courses déterminé unilatéralement par la société et sans possibilité de négociation. L’algorithme élaboré par la Société oblige le livreur à subir « un positionnement directif de » celle-ci.

S’agissant du pouvoir de contrôle et de surveillance, M. [I] soutient que l’ « organisation du travail des livreurs permet à UBER EATS de contrôler la bonne exécution des ordres et directives données au moyen de divers outils spécifiques ». Tout d’abord, les livreurs sont surveillés à l’aide du système de géolocalisation mis en place par la société Uber Eats, ce qui permet de suivre en temps réel la position du coursier et de comptabiliser à la fois les distances parcourues et le temps de parcours. Egalement, la société dispose d’un système de notation permettant de contrôler l’exécution de la prestation de travail et la qualité du service. Enfin, la société Uber Eats contrôle les équipements obligatoires par un système de validation, tant sur le sac de livraison que sur le véhicule. La Société contrôle également administrativement les livreurs « et la conformité des documents obligatoires ».

S’agissant du pouvoir de sanction, M. [I] observe que la société Uber Eats n’hésite pas à sanctionner les livreurs qui ne se conforment pas à ses instructions. A titre d’exemple, lorsque le livreur ne suit pas l’itinéraire imposé, il est sanctionné financièrement par la société. De même, le livreur peut voir son compte déconnecté ou désactivé par la société, ce qui le prive de travail et de rémunération. A titre d’exemple, lorsque le livreur refuse un certain nombre de courses, il est déconnecté de l’application et ne peut plus recevoir de courses.

Enfin, M. [I] explique qu’il était intégré au sein d’un service organisé par la société Uber Eats pour les motifs suivants :

– il ne pouvait pas constituer sa propre clientèle. En effet, le livreur à vélo n’est qu’un simple intermédiaire, et ne dispose pas, contrairement à Uber Eats, de fiches clients avec leurs coordonnées personnelles ;

– les tarifs pour chaque livraison étaient fixés unilatéralement par la société, dont les modalités de décompte étaient inconnues du livreur ;

– la gestion des livreurs se faisait au niveau local, s’agissant notamment de l’information concernant les primes et les conditions à remplir pour en bénéficier ;

– la Société contrôle le véhicule utilisé par les livreurs et se permet de sanctionner ceux qui n’informent pas la plate-forme d’un changement de véhicule.

– enfin, le lien de subordination est encore caractérisé par l’incitation à se connecter à des horaires indiqués, en raison d’une offre de demande que la société prévoit grâce à des offres marketing qu’elle propose elle-même, sans que les livreurs ne puissent négocier une augmentation du prix de leurs courses.

Les sociétés Uber Eats et Uber Portier B.V soutiennent que la présomption de non-salariat prévue à l’article L.8221-6 du code du travail est applicable en l’espèce.

Un contrat de partenariat liant une plate-forme numérique à un professionnel indépendant, portant sur l’utilisation d’une application électronique de mise en relation avec des clients, ne peut pas être qualifié de contrat de travail lorsqu’il n’emporte aucune obligation, pour le professionnel, d’accomplir un travail pour le compte de la plate-forme ou de se tenir à la disposition de cette dernière. Autrement dit, l’absence de toute obligation directe ou indirecte, non seulement d’utiliser les services de la plate-forme, mais encore de répondre aux sollicitations de celle-ci lorsque le coursier s’y connecte, est incompatible avec l’existence d’un contrat de travail.

En l’espèce, plusieurs caractéristiques des conditions d’exercice des coursiers utilisant l’application Uber Eats sont exclusives de tout lien de subordination et font obstacle, à elles seules, à la reconnaissance d’un contrat de travail :

– la Société n’a aucun contrôle sur la durée, ni sur les horaires de travail des coursiers utilisant l’application. Ces derniers n’ont aucune obligation de présence ou de durée de connexion. Ils se connectent à l’application si et quand ils le souhaitent et organisent leur planning à leur convenance ;

– les coursiers qui utilisent l’application Uber Eats n’ont aucune obligation d’accepter les livraisons qui leur sont proposées ;

– la société Uber Eats n’a aucun contrôle sur l’activité des coursiers utilisant l’application. Ces derniers peuvent avoir toute autre activité quelle qu’elle soit et utiliser d’autres applications, même concurrentes ;

– les coursiers ne sont pas captifs d’Uber Eats. Ils n’ont pas à verser de redevance ou payer un abonnement pour pouvoir utiliser l’application Uber Eats.

Selon les sociétés, l’ensemble de ces éléments attestent la liberté totale des coursiers s’agissant à la fois de la possibilité de travailler ou non et du temps qu’ils souhaitent consacrer à leur activité de travailleurs indépendants.

Les critères permettant de caractériser le lien de subordination juridique ne sont pas remplis en l’espèce. M. [I] n’a reçu aucune instruction ou consigne de la part de la société s’agissant des livraisons qu’il a effectuées via Uber Eats.

De plus, les sociétés intimées contestent exercer un pouvoir disciplinaire propre à un employeur. A cet égard, la déconnexion d’un compte coursier utilisant l’application ne correspond pas à l’exercice d’un pouvoir de sanction par un employeur mais à la faculté donnée à n’importe quel acteur économique de rompre un partenariat commercial si ses termes et conditions, fixés au moment de sa conclusion, ne sont pas respectés par son cocontractant. La déconnexion d’un compte coursier ne peut se produire que dans des cas limités correspondant à des situations dans lesquelles le coursier a manqué à l’une des obligations auxquelles il avait souscrit lors de son inscription. Ce qui est pris en compte pour déterminer si un coursier respecte ses obligations contractuelles, ce n’est pas son taux d’acceptation mais son taux d’annulation lorsque celui-ci est élevé. Il convient alors de distinguer d’une part, l’existence d’un lien de subordination caractérisé notamment par le fait que l’employeur ait le pouvoir de donner des ordres et des directives, de contrôler l’exécution de ces ordres et directives et de sanctionner les manquements et, d’autre part, le fait de vérifier a posteriori le respect d’un cahier des charges accepté lors de la signature du contrat.

En troisième lieu, sur le pouvoir de contrôle, les sociétés intimées soutiennent que la géolocalisation est inhérente au fonctionnement de l’application et n’est utilisée que pour garantir la sécurité des utilisateurs et assurer l’efficacité des services proposés.

S’agissant du système de notation, ce n’est pas Uber Eats qui contrôle l’exécution de la prestation de livraison, mais les clients qui évaluent a posteriori la qualité de la prestation. La Société utilise ces évaluations pour s’assurer de la qualité des partenariats conclus avec les livreurs, qualité dont dépend son image de marque et son attractivité pour les clients, les livreurs et les restaurants. Enfin, ni la détermination unilatérale du prix de la prestation ni la mise en place de bonus ou de primes ne peuvent constituer un indice de l’existence d’un contrat de travail.

Les sociétés intimées contestent avoir mis en place un service organisé au sein duquel elles détermineraient unilatéralement les conditions de travail des livreurs. A cet égard, elles rappellent que la Cour de cassation a jugé que, le fait d’effectuer son travail au sein d’un service organisé, ne constitue pas un indice de l’existence d’un lien de subordination juridique lorsqu’il est établi que le travailleur est libre d’exercer son activité comme il l’entend, n’est astreint à aucune contrainte horaire, ni à aucune directive autre qu’organisationnelle.

Sur ce,

A titre préliminaire, il convient de relever que, dans ses écritures, M. [I] se limite à indiquer que les « sociétés UBER EATS France SAS et UBER Portier B.V. seront communément appelées (…) ‘UBER EATS’ », en se bornant à indiquer que la Société « appartient au même groupe que la société de droit néerlandais UBER Portier B.V. ».

La cour précise, à toutes fins, que la société Uber Portier BV est la présidente de la société Uber Eats France SAS.

Par ailleurs, la cour n’a pas à statuer sur des demandes de ‘dire’, ‘juger’, ‘déclarer’ ou ‘constater’ qui ne constituent pas, hors les cas prévus par la loi, des prétentions au sens de l’article 4 du code de procédure civile.

Cela étant précisé, aux termes de l’article L. 8221-6 du code du travail, sont présumées ne pas être liées avec le donner d’ordre par un contrat de travail, les personnes physiques dans l’exécution de l’activité donnant lieu à leur immatriculation au répertoire des métiers.

En l’occurrence, M. [I] exerçait en qualité d’auto-entrepreneur et il existe donc, en ce qui le concerne, dans la relation avec la Société, une présomption de non-salariat qu’il lui appartient de renverser s’il entend voir caractériser l’existence d’un contrat de travail.

Celle-ci peut être établie lorsque la personne physique concernée fournit directement ou par personne interposée, des prestations à un donneur d’ordre dans des conditions qui la placent dans un lien de subordination juridique permanente vis-à-vis de ce dernier.

L’existence d’une relation de travail ne dépend ni de la volonté exprimée par les parties ni de la dénomination qu’elles ont donnée à leur convention, mais des conditions de fait dans lesquelles est exercée l’activité, le contrat de travail étant caractérisé par l’existence d’une prestation de travail, d’une rémunération et d’un lien de subordination entre l’employeur et le salarié.

Le lien de subordination est caractérisé par l’exécution d’un travail sous l’autorité d’un employeur qui a le pouvoir de donner des ordres et des directives, d’en contrôler l’exécution et de sanctionner les manquements de son subordonné. Peut constituer un indice de subordination le travail au sein d’un service organisé lorsque l’employeur en détermine unilatéralement les conditions d’exécution.

La cour relève, aussi, pour faire écho à certains développements des conclusions de la Société, qu’il n’existe pas, en droit français, de statut juridique autre que celui de salarié ou de travailleur indépendant. Comme l’a écrit le rapporteur dans l’affaire ‘Voxtur’ (Soc., 13 avril 2022, pourvoi n° 20-14.870 ; ci-après, ‘arrêt Voxtur’) : « Quand bien même le droit du travail n’offre qu’une alternative entre le travail indépendant et le travail salarié, sans statut intermédiaire au contraire des droits espagnol, italien ou encore britannique, démontrer l’absence de réelle indépendance économique ne suffit toutefois pas à caractériser l’existence d’un contrat de travail ».

Par ailleurs, s’il a pu être déduit de certaines décisions de la Cour de cassation que le fait d’exercer une activité dans le cadre d’un service organisé, de type plate-forme, avait pour corollaire nécessaire que cette activité devait s’interpréter comme un travail salarié, force est de constater qu’à supposer cette jurisprudence constante, elle ne saurait avoir pour effet d’anéantir la présomption d’indépendance résultant de la loi rappelée plus haut.

Enfin, la Cour de justice de l’Union européenne, dans son ordonnance du 22 avril 2020, relative précisément à un coursier britannique déclaré comme travailleur indépendant, propriétaire de son véhicule et de son téléphone et utilisant les services d’une application fournie par une plate-forme, a jugé que la directive 2003/88/CE du Parlement européen et du Conseil, du 4 novembre 2003, « doit être interprétée en ce sens qu’elle s’oppose à ce qu’une personne engagée par son employeur présumé sur le fondement d’un accord de servie précisant qu’elle est entrepreneure indépendante soit qualifiée de ‘travailleur’ au sens de cette directive, lorsqu’elle dispose des facultés :

– de recourir à des sous-traitants ou des remplaçants pour effectuer le service qu’elle s’est engagée à fournir ;

– d’accepter ou de ne pas accepter les différentes tâches offertes par son employeur présumé ou d’en fixer unilatéralement un nombre maximal ;

– de fournir ses services à tout tiers, y compris à des concurrents directs de l’employeur présumé, et

– de fixer ses propres heures de ‘travail’ dans le cadre de certains paramètres, ainsi que d’organiser son temps pou s’adapter à sa convenance personnelle plutôt qu’aux seuls intérêts de l’employeur présumé, dès lors que, d’une part, l’indépendance de cette personne n’apparaît pas fictive et d’autre part, il n’est pas permis d’établir l’existence d’un lien de subordination entre ladite personne et son employeur présumé ».

Il convient donc d’analyser à la lumière de ce qui précède les faits de la cause, tels qu’ils résultent des moyens et pièces soumis par les parties.

En l’espèce, la cour doit tout d’abord observer que la décision d’une personne de rejoindre une société qui se présente comme une plate-forme de services relève du libre-arbitre de cette personne. En d’autres termes, le contrat de cette personne avec la plate-forme a été passé sans qu’aucune contrainte d’aucune sorte ne puisse être invoquée, la circonstance que la personne ait pu se trouver dans une situation économique ou financière difficile étant indifférente.

Dans cette perspective, l’existence d’une coïncidence entre la date de création, par une personne physique, d’une entreprise, fût-elle individuelle, et la date de signature du contrat avec une plate-forme est, en elle-même, indifférente. La jurisprudence démontre, d’ailleurs, qu’il ne peut pas en être tiré de conséquence, la qualité de salarié, ou pas, d’une plate-forme ayant pu être reconnue alors que, dans certaines hypothèses, la personne concernée avait créé son entreprise bien avant de conclure avec la plate-forme.

Le fait que M. [I] ait immatriculé son entreprise la même année que celle de la signature de son contrat avec la plate-forme Uber ne constitue pas un indice de travail salarié. Deux éléments doivent ici être soulignés.

D’une part, M. [I] a créé son entreprise plus de neuf mois avant d’entrer en relation avec la Société.

D’autre part, ainsi qu’il résulte de l’activité qu’il a souscrite au RCS, il ne s’agissait en aucune manière, au moment de la création de l’entreprise, de se limiter à la livraison de repas à domicile et en vélo mais de se livrer également au transport de marchandises « au moyen de véhicules n’excédant pas 3,5 Tonnes de PMA ».

En d’autres termes, non seulement le choix de M. [I] de devenir auto-entrepreneur ne se limitait pas à la perspective d’exercer comme livreur à vélo mais il englobait celle, beaucoup plus large, du transport de marchandises à l’aide d’un véhicule motorisé, lequel n’était pas limité à un scooter ou une motocyclette, ce qui lui permettait donc, s’il le souhaitait, de sous-traiter tout ou partie de son activité.

Il peut être ajouté ici, s’agissant de la référence à des véhicules n’excédant pas 3,5 tonnes de PMA, que M. [I] cite, comme élément de preuve d’un pouvoir de directive de la Société, la circonstance qu’elle attire l’attention des livreurs sur les règles spécifiques entourant la livraison à l’aide d’engins motorisés.

En tout état de cause, celui qui contracte est réputé savoir à quoi il s’engage.

A cet égard, force est de relever que la plate-forme se montre totalement transparente dans les obligations qu’elle entend poser à son cocontractant pour lui offrir ses services. Le contrat est clair, les annexes également, notamment la charte de la communauté Uber (ci-après, la ‘Charte’).

En d’autres termes, au moment de s’engager, M. [I] ne pouvait rien ignorer de ce à quoi il s’engageait pour pouvoir bénéficier des services offerts par Uber.

Car, il importe de le souligner, l’activité que M. [I] se proposait d’exercer est celle de livreur de repas (ou assimilés). Or, cette activité peut s’exercer de différentes manières et notamment en qualité de salarié de l’entreprise qui fabrique les repas (et peut, à cette occasion, les livrer en même temps que des boissons qu’elle achète par ailleurs à des fournisseurs).

Le choix fait par M. [I] traduit qu’il n’a pas voulu être salarié, ce qui est légitime en soi.

Autrement dit, l’engagement de M. [I] traduit la volonté de gagner sa vie en bénéficiant des services apportés par la plate-forme, lesquels ne peuvent aller sans contrepartie, notamment en termes de rémunération. Mais, en tout état de cause, M. [I] n’apporte pas d’éléments permettant de considérer que les ressources que lui ont procuré son activité de livreur utilisant la plate-forme Uber seraient, sinon dérisoires, du moins manifestement disproportionnées, en sa défaveur, au regard des engagements respectifs des parties. Bien plus, il ne le plaide même pas.

Il résulte directement de ce qui précède qu’en contractant avec la société Uber, M. [I] s’est engagé à respecter un certain nombre d’obligations, lesquelles lui permettent de bénéficier des services de la plate-forme, au premier rang desquels la possibilité d’exercer sa profession sans avoir à rechercher de clients.

A cet égard, il importe de souligner que M. [I] ne se trouve, par le contrat, dans aucune obligation de ne transporter ou livrer des marchandises que dans le cadre de sa relation avec la Société. Il reste libre de ne pas se ‘connecter’ ou de se déconnecter de l’application ‘Uber’, à tout moment. Il peut donc, s’il le souhaite, développer une clientèle personnelle, sous la seule réserve de respecter les dispositions légales ou réglementaire en vigueur, lesquelles ne dépendent pas de Uber.

Bien évidemment, toute la logique, bien plus, l’essence même du principe du recours à la plate-forme, au moins dans un premier temps, est non pas de développer une clientèle personnelle, par définition difficile à créer, mais d’être assuré de pouvoir, dans un délai raisonnable à partir du moment où l’on contracte et où l’on se connecte, effectuer des livraisons et donc, réaliser un chiffre d’affaires permettant une rémunération. Et encore, dans le cas de M. [I], convient-il de renvoyer à ce qui précède, s’agissant de l’activité déclarée au RCS, dont il peut être tirée que l’activité de livreur de repas est secondaire et non principale.

Dès lors, prendre l’obligation d’installer l’application Uber sur un téléphone portable comme élément de sujétion ne fait aucun sens puisque le service auquel on a délibérément choisi d’adhérer ne peut pas fonctionner autrement (en fait, il n’existerait tout simplement pas).

M. [I] ne disconvient d’ailleurs pas qu’il lui était loisible de se déconnecter à tout moment.

Il reproche cependant à Uber de lui interdire, de fait, d’avoir une clientèle personnelle, au motif qu’il lui est interdit de solliciter les clients qu’il transporte pour recueillir les données personnelles qui permettraient de les recontacter.

La cour ne peut, là encore, que constater que la société Uber est légitime à vouloir protéger sa ‘ressource client/consommateur’ puisque, par définition là encore, si elle n’a pas de client/consommateur, elle n’a aucune chance de réaliser un chiffre d’affaires puisqu’aucun livreur n’aura d’intérêt à contracter avec elle.

La clientèle personnelle que M. [I] peut développer ne doit donc pas, en principe, être la même que celle procurée par les facilités qu’offre la plate-forme. A supposer, ce que là encore M. [I] ne démontre pas, que Uber lui aurait reproché d’avoir frauduleusement happé une clientèle, Uber aurait été fondée, comme dans le cadre de l’exécution de tout contrat commercial, à en tirer toutes les conséquences prévues par le contrat.

Il ne s’agit pas d’un pouvoir de direction ni de contrôle ni de sanction mais du droit de tout contractant de se défendre de la mauvaise exécution du contrat par son co-contractant.

Par ailleurs, M. [I] n’apporte pas le moindre élément de preuve permettant de considérer qu’il a sollicité des restaurateurs ou des préparateurs de repas pour pouvoir les livrer, ce que rien ne lui interdisait ni ne lui interdit, ni qu’il aurait été empêché en quoi que ce soit de proposer à des clients de leur livrer des repas qu’il aurait obtenus auprès de restaurateurs librement choisis par lui.

En d’autres termes, de même qu’un restaurateur est libre de ne pas avoir recours aux services de la Société, de même un livreur indépendant ne se trouve dans aucune obligation de travailler avec celle-ci, encore moins de ne travailler qu’avec elle.

Il ne fait pas davantage de sens de reprocher à Uber de déconnecter de son application le livreur qui refuse trop de courses d’affilée.

Outre qu’il s’agit d’une politique générale dont M. [I] ne démontre pas qu’elle lui a été appliquée, Uber n’est pas une entreprise philanthropique et ne peut raisonnablement espérer réaliser un bénéfice si elle n’est pas assurée que les personnes qui ont recours, de leur côté, à la plate-forme, trouveront dans les meilleurs délais un véhicule pour les transporter.

L’ensemble du système étant basé sur des algorithmes de mises en relation, la plate-forme servant d’intermédiaire entre le client et le chauffeur, seul un taux raisonnable d’acceptation des courses justifie que l’on soit maintenu dans le système, sauf à ce que, mathématiquement, le temps d’attente du client s’allonge sans cesse.

Or c’est précisément l’engagement de rapidité, tant à l’égard du client qu’à l’égard du système, qui en permet l’efficience. Contrairement à ce que suggère M. [I], il ne s’agit pas pour Uber de sanctionner un chauffeur, il s’agit de permettre que continue de fonctionner un système gagnant-gagnant : pour le livreur (qui trouve des clients dans les délais les plus rapides), pour le client (qui obtient dans les délais les plus rapides le repas commandé) et pour la Société (son chiffre d’affaires est directement fonction du nombre de livraisons réalisées).

A cela, il faut ajouter que le livreur qui est automatiquement ‘déconnecté’ par la plate-forme peut se reconnecter presqu’immédiatement.

La cour relève, d’ailleurs, qu’un des rares éléments soumis par M. [I] pour démontrer le lien de dépendance dans lequel il se trouvait, est un échange de messages (la date n’est pas précisée mais vu la mention figurant sur le document, sans doute 2016, au plus tard 2017) dans lequel M. [I] se plaint d’avoir eu une mauvais taux de connexion alors qu’il avait, vainement selon lui, répondu positivement à des offres de livraison adressées par la Société.

La cour peut, certes, noter que la réponse de la Société n’est guère satisfaisante, qui invite M. [I] à réinstaller l’application, utiliser un autre téléphone (avec la même carte SIM) ou autres. Mais M. [I] ne fournit aucune indication sur les suites qu’il a entendu donner à cette difficulté, dont il ne fournit au demeurant aucun autre exemple.

M. [I] considère qu’est aussi un élément de direction et de contrôle exercé par Uber, le fait qu’il doive être géolocalisé en permanence pour travailler.

Outre que, comme il a déjà été indiqué, rien dans le contrat en cause n’interdit à M. [I] d’exercer comme chauffeur sans recourir à la plate-forme, donc sans être géolocalisé par elle, l’essence même du fonctionnement de la plate-forme tient, encore une fois, à sa capacité à réagir le plus rapidement possible à la demande d’être transporté. Le seul moyen technique connu qui permette d’y aboutir est la géolocalisation, seul moyen de tendre vers un idéal en terme de délai de prise en charge d’un client potentiel par un livreur potentiel.

La géolocalisation par Uber n’est pas un moyen de contrôle en soi, il est un outil d’optimisation, au bénéfice, comme il a été décrit plus haut, de tous les acteurs concernés, y compris le restaurateur.

En tout état de cause, M. [I] ne démontre en aucune mesure que les différentes circonstances précédemment décrites l’auraient placé dans une situation moins favorable que si elles n’avaient pas existé, étant encore une fois indiqué que c’est lui qui a choisi de contracter avec Uber.

S’agissant du chiffre d’affaires, M. [I] fait valoir qu’il n’établit pas de facture mais qu’elles le sont par Uber.

Cette présentation est quelque peu fallacieuse. En effet, en s’engageant, M. [I] a accepté qu’Uber gère la facturation et prélève des frais de service, lui reversant le solde.

Il n’en résulte aucunement qu’il est payé par Uber, il se trouve seulement que, comme cela est le cas dans d’autres contrats commerciaux, le paiement par le client au créancier s’effectue par l’intermédiaire d’un tiers, au demeurant et encore une fois, librement choisi.

M. [I] fait par ailleurs valoir que la qualité de sa prestation est contrôlée par Uber qui peut le sanctionner, par déconnexion ou désactivation, si le livreur ne suit pas l’itinéraire imposé ou s’il refuse un certain nombre de courses.

Sur ce dernier point, la cour a déjà expliqué plus haut ce qu’il en est.

Quant à devoir suivre un itinéraire imposé, outre que M. [I] ne soumet aucun élément permettant de démontrer qu’il aurait été sanctionné pour ne pas avoir respecté un itinéraire quelconque, il est constant que le montant de la facture globale dépend de la distance que le livreur doit parcourir (le kilométrage total apparaît d’ailleurs sur les récapitulatifs fiscaux annuels produits par M. [I]). Le livreur ne se trouve pas privé de son libre-arbitre, consistant à pouvoir choisir un itinéraire alternatif mais, comme déjà indiqué plus haut, tout le système repose sur un souci d’optimisation qui est favorable à chacun. Il faut ajouter que la Société est, par définition, fondée à souhaiter que ses partenaires respectent les règles du code de la route et la suggestion d’un itinéraire comme la géolocalisation permettent de satisfaire cet objectif sans atteindre la liberté du livreur d’effectuer ses livraisons conformément aux lois et règles applicables.

Enfin, l’intérêt bien compris de toutes les parties est que l’itinéraire choisi soit le plus rapide mais, encore une fois, dans le respect des règles applicables.

S’agissant du contrôle de la qualité proprement dite de la prestation, il peut être observé, d’une part, que le fait qu’un client particulier soit mécontent de la performance d’un artisan se résout, pour le moins fréquemment, par une diminution de la somme convenue voire la résiliation pure et simple du contrat, d’autre part que, là encore, M. [I] ne démontre pas avoir vu sa rémunération baisser du fait de la mauvaise qualité alléguée de sa prestation.

Si Uber a choisi d’élaborer une Charte, en contractant avec cette société, M. [I] a accepté de la respecter. C’est son libre choix.

M. [I] n’est pas fondé à considérer l’obligation dans laquelle il se trouvait d’utiliser un sac isotherme dont les dimensions minimales s’imposaient. En effet, outre qu’il relève du simple bon sens que des denrées alimentaires soient livrées dans des contenants adaptés, le choix par M. [I] de recourir à la Société lui épargnait, de fait, de devoir rechercher les restaurateurs ou préparateurs des repas qu’il allait livrer. Le format du sac à utiliser ne traduit ainsi non pas un pouvoir de direction ou de contrôle mais la nécessité pour la Société de pouvoir satisfaire les exigences du client-restaurateur/préparateur de repas dans le meilleur intérêt du livreur qui se trouve ainsi assuré de pouvoir assurer la prestation.

M. [I] ne peut davantage reprocher à la Société d’adresser aux livreurs des recommandations sanitaires ou de tenir compte de l’évaluation des clients/consommateurs.

Sur le premier point, les circonstances sanitaires récentes suffiraient à considérer qu’il est de l’intérêt de tous qu’un minimum de règles sanitaires soient respectées. Dans le cas d’un livreur de repas comme M. [I], dont au demeurant rien ne permet de considérer qu’il aurait entendu s’exonérer de telles règles, ce qui rend le débat quelque peu vain, en tout cas les observations inopérantes, l’important est que le client/consommateur soit satisfait pour qu’il ait à nouveau recours à la livraison. Il faut ainsi, pour reprendre une formule célèbre, non seulement que les règles sanitaires aient été respectées mais que le client/consommateur (comme le client/restaurateur, d’ailleurs) puissent avoir la perception qu’elles l’ont été.

Sur le second point, il peut être rappelé que la pratique de l’évaluation des prestations commerciales tend à se répandre, souvent même sans être sollicitée, de telle sorte que c’est le professionnel le mieux noté qui est le plus fréquemment choisi, système qui ne peut, dans cette perspective, que lui être profitable, étant souligné que, dans le cas présent, Uber ne saurait être tenue pour responsable de l’évaluation faite puisqu’elle l’est par le passager.

Certains des arguments développés par M. [I] sont dépourvus de toute portée.

Il ne fait ainsi aucun sens de reprocher à la Société de gérer les livreurs au niveau local : si M. [I] entend exercer la livraison à vélo, étant basé à [Localité 4], il est pour le moins difficile d’imaginer la pertinence que la Société lui fournisse des informations sur la région parisienne ou la région bordelaise, par exemple, étant au demeurant souligné que, s’il l’avait souhaité, le seul fait qu’il se soit connecté à l’application depuis [Localité 6] ou [Localité 3] aurait suffi à ce qu’il pût avoir accès aux informations locales.

Il est tout aussi inepte de reprocher à la Société d’inciter les livreurs à se connecter à des horaires déterminés alors que les horaires en question sont ceux des repas. Outre que cet argument de M. [I] suffit à lui seul à démontrer qu’il était libre de se connecter ou non et de le faire comme il l’entendait, et donc de développer une clientèle personnelle, ainsi qu’il a déjà été discuté plus haut, il est manifeste que le client/restaurateur comme le client/consommateur ont un intérêt majeur à ce que des livreurs soient disponibles pendant les heures de repas.

M. [I] considère aussi que la pratique de ‘récompenses’ caractérise le pouvoir de direction et de contrôle de la Société à son égard.

Outre que, comme M. [I] a pu le citer lui-même, « (f)ormellement, la récompense n’exprime aucune interdiction ou impératif, mais plutôt une invitation, une direction à suivre », les pratiques commerciales sont multiples qui consistent pour l’un des contractants à offrir une récompense au co-contractant dont il juge la performance meilleure que celle d’un autre co-contractant ou, d’ailleurs, plus importante qu’attendue habituellement.

En définitive, et sans qu’il soit indispensable de suivre plus avant M. [I] dans les méandres de ses prétentions et explications qui, toutes, renvoient aux considérations qui précèdent, la cour doit considérer soit que le pouvoir de direction, de contrôle et de sanction qu’il reproche à la société Uber d’exercer correspond aux mécanismes fondamentaux qui sont de nature à assurer que le système profite au mieux à chacune des parties dans le libre choix qu’elles ont fait de contracter ensemble ; soit que le pouvoir allégué de la société Uber n’est pas démontré, en tout état de cause qu’il n’est pas démontré qu’il ait entraîné pour M. [I] les conséquences alléguées, qui l’aurait empêché d’exercer de façon autonome sa profession de livreur ou de transporteur, dans les termes de l’activité qu’il avait déclarée au RCS.

En d’autres termes, si la Société, comme chaque co-contractant est fondé à le faire dans le cadre d’une opération commerciale, exerce une forme de contrôle de l’exécution de la prestation, elle n’exerce ni pouvoir de direction ni pouvoir de sanction au sens des dispositions du code du travail.

Il résulte de l’ensemble de ce qui précède qu’aucun lien de subordination de M. [I] à la Société n’est établi et, partant, qu’aucun contrat de travail n’a lié M. [I] à Uber Eats.

C’est donc à juste titre que le conseil de prud’hommes de Paris s’est déclaré incompétent.

Le jugement entrepris sera confirmé.

Sur les dépens et l’article 700 du code de procédure civile

M. [I], qui succombe à l’instance, sera condamné aux dépens.

Il sera condamné à payer à la société Uber Eats France et à la société Uber Portier BV, prises ensemble, la somme de 1 000 euros à titre d’indemnité sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS :

La cour, statuant publiquement par arrêt contradictoire,

Confirme le jugement, en date du 25 avril 2022, du conseil de prud’hommes de Paris ;

Y ajoutant,

Condamne M. [T] [I] aux dépens ;

Condamne M. [T] [I] à payer à la société Uber Eats France et à la société Uber Portier BV, prises ensemble, la somme de 1 000 euros à titre d’indemnité sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

La greffière, Le président,

 


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