Affaire du vol de marchandises : Faute inexcusable du transporteur

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Affaire du vol de marchandises : Faute inexcusable du transporteur

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REPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

N° RG 19/07187 – N° Portalis DBVX-V-B7D-MUTD

Décision du Tribunal de Commerce de SAINT ETIENNE du 02 octobre 2019

Société AT NOU TRANSPORT SL

Société TRANS-BAUTISTA SL

Société ROYAL & SUN ALLIANCE INSURANCE PLC

C/

SAS BUBAK INDUSTRY

SAS BERT DU FOREZ

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D’APPEL DE LYON

3ème chambre A

ARRET DU 22 Juin 2023

APPELANTES :

Société AT NOU TRANSPORT SL société de droit espagnol

[Adresse 8]

[Localité 1]/Espagne

Société TRANS-BAUTISTA SL société de droit espagnol

[Adresse 7]

[Localité 2]/Espagne

Représentée par Me Séverine LAVIE, avocat au barreau de LYON, toque : 1190, postulant et ayant pour avocats plaidant Me Henri NAJJAR, avocat au barreau de PARIS et Me Frank FARHANA, avocat au barreau de MARSEILLE

Société ROYAL & SUN ALLIANCE INSURANCE PLC société de droit étranger

[Adresse 10]

[Localité 3] /Espagne

Représentée par Me Séverine LAVIE, avocat au barreau de LYON, toque : 1190, postulant et ayant pour avocat plaidant Me Franck DOLLFUS, avocat au barreau de PARIS

INTIMEES :

SAS BUBAK INDUSTRY agissant par son représentant légal en exercice, domicilié es qualité audit siège

[Adresse 4]

[Localité 6]

Représentée par Me Romain LAFFLY de la SELARL LAFFLY & ASSOCIES – LEXAVOUE LYON, avocat au barreau de LYON, toque : 938, postulant et ayant pour avocat plaidant la SCP D.LARDANS-P.TACHON-C.MICALLEF, avocat au barreau de MOULINS

SAS BERT DU FOREZ agissant poursuites et diligences par son représentant légal en exercice

[Adresse 11]

[Localité 5]

Représentée par Me Claire CHARROIN, avocat au barreau de LYON, toque : 845, postulant et ayant pour avocat plaidant Me Xavier DE RYCK, avocat au barreau de PARIS

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Date de clôture de l’instruction : 18 Octobre 2019

Date des plaidoiries tenues en audience publique : 26 Avril 2023

Date de mise à disposition : 22 Juin 2023

Audience tenue par Patricia GONZALEZ, présidente, et Marianne LA-MESTA, conseillère, qui ont siégé en rapporteurs sans opposition des avocats dûment avisés et ont rendu compte à la Cour dans leur délibéré,

assistées pendant les débats de Clémence RUILLAT, greffière

A l’audience, un membre de la cour a fait le rapport, conformément à l’article 804 du code de procédure civile.

Composition de la Cour lors du délibéré :

– Patricia GONZALEZ, présidente

– Marianne LA-MESTA, conseillère

– Aurore JULLIEN, conseillère

Arrêt contradictoire rendu publiquement par mise à disposition au greffe de la cour d’appel, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l’article 450 alinéa 2 du code de procédure civile,

Signé par Patricia GONZALEZ, présidente, et par Clémence RUILLAT, greffière, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.

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EXPOSÉ DU LITIGE

Le 28 novembre 2017, la Sas Bubak Industry a confié à la Sas Bert du Forez l’organisation du transport terrestre de sept colis au départ de [Localité 6] à destination de [Localité 9]. La société Bert du Forez a affrété les services de la société At Nou Transport SL qui s’est substituée la société Trans-Bautista SL. Cette dernière a pris en charge les marchandises selon lettre de voiture CMR n°06614.

Le jour du transport, le chauffeur du véhicule a été victime d’un vol au cours duquel 3 colis d’une valeur de 143.538,84 euros auraient été volés.

Par acte d’huissier du 23 avril 2018, la société Bubak Industry a assigné la société Bert du Forez devant le tribunal de commerce de Saint-Etienne afin d’obtenir l’indemnisation de son préjudice.

Par actes d’huissier des 23 avril 2018 et 5 juin 2018, la société Bert du Forez a appelé à la cause les société At Nou Transport SL et Trans-Bautista SL ainsi que leur assureur responsabilité, la société Royal & Sun Alliance Insurance PLC. Cette instance a été jointe à la précédente par jugement du 1 octobre 2018.

Par jugement contradictoire du 2 octobre 2019, le tribunal de commerce de Saint-Etienne a :

– dit que la société Bubak Industry a intérêt à agir,

– retenu l’existence d’une faute inexcusable de la part de la société Trans-Bautista SL,

– condamné la société Bert du Forez à payer la somme de 143.538,84 euros à la société Bubak Industry,

– dit non fondée la demande d’application des clauses et conditions de la police d’assurance de la société Royale & Sun Alliance Insurance PLC et l’a rejeté,

– condamné solidairement les sociétés At Nou Transport SL et Trans-Bautista SL et la société Royal & Sun Alliance Insurance PLC, en sa qualité d’assureur de ces dernières, à relever et garantir la société Bert du Forez de toutes les condamnations prononcées à son encontre dans la présente instance, y compris l’indemnité au titre de l’article 700 du code de procédure civile et les dépens,

– donné acte à la société At Nou Transport SL et à la société Trans-Bautista SL de ce qu’elles déclarent qu’une franchise contractuelle de 1.200 euros devra être appliquée en exécution du contrat d’assurant les liant à la société Royale & Sun Insurance PLC,

– débouté la société At Nou Transport SL, la société Trans-Bautista SL et la société Royal & Sun Alliance Insurance PLC du surplus de leurs demandes,

– condamné la société Bert du Forez à payer à la société Bubak Industry la somme de 1.500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

– débouté la société Bert du Forez de sa demande d’indemnité au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

– dit que les dépens sont à la charge de la société Bert du Forez,

– rejeté la demande d’exécution provisoire du jugement,

– débouté la société Bubak Industry et la société Bert du Forez du surplus de leurs demandes.

Les sociétés At Nou Transport SL, Trans-Bautista SL et Royal & Sun Alliance Insurance PLC ont interjeté appel par acte du 18 octobre 2019.

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Par conclusions notifiées par voie dématérialisée le 19 mars 2021, la société Royal & Sun Alliance Insurance PLC demande à la cour de :

– infirmer le jugement déféré dans toutes ses dispositions,

– juger fondée la demande d’application des clauses et conditions de sa police d’assurance,

– juger que la société Bubak Industry ne démontre pas son intérêt à agir,

– la débouter de toutes ses demandes, fins et conclusions,

– débouter la société Bert de Forez de son appel en garantie à son encontre,

– condamner tout succombant à lui payer la somme de 3.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,

subsidiairement,

– débouter la société Bubak Industry de sa demande de rejet de pièces,

– juger que la convention CMR est applicable en l’espèce,

– juger que le voiturier n’a pas commis de faute inexcusable,

statuant de nouveau,

– juger que les circonstances de l’événement constituent des circonstances que le transporteur ne pouvait pas éviter et aux conséquences desquelles il ne pouvait pas obvier ou, à défaut, d’un cas de force majeure,

– juger l’action de la société Bubak Industry mal fondée,

– débouter la société Bert du Forez de son appel en garantie à son encontre,

– condamner tout succombant à lui payer la somme de 3.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,

plus subsidiairement,

– limiter le préjudice indemnisable à la somme de 2.591,46 euros en application de la CMR,

encore plus subsidiairement,

– limiter le préjudice indemnisable à la somme de 3.750 euros en application du contrat type,

en tout état de cause,

– dire fondée la demande d’application des clauses et conditions de sa police d’assurance,

par conséquent,

si la cour, par impossible, confirmait la faute inexcusable du voiturier,

– juger que les garanties de RSA n’ont pas vocation à s’appliquer en cas de faute inexcusable de ses assurés,

très subsidiairement,

– juger irrecevable et mal fondée la demande en garantie des sociétés AT Nou Transport SL et Trans-Bautista SL à son encontre.

* * *

Par conclusions notifiées par voie dématérialisée le 22 mars 2021 fondées sur les articles 17.2, 23 et 29.1 de la convention CMR et l’article L. 133-8 du code de commerce, la sociétés At Nou Transport SL et la société Trans-Bautista SL demandent à la cour de :

– infirmer le jugement déféré en toutes ses dispositions,

et statuant à nouveau, de :

à titre principal,

– juger que la société Bubak Industry est irrecevable à agir à leur encontre pour absence de droit d’action,

à titre subsidiaire,

– juger qu’elles sont exonérées de toute responsabilité pour le préjudice allégué,

– en conséquence, débouter la société Bubak industry de l’ensemble de ses demandes, fins et conclusions et leur encontre,

à titre plus subsidiaire,

– juger que leur responsabilité pour le préjudice allégué ne saurait excéder la somme de 2.124,14 DTS ou son équivalent en euros, conformément à l’article 23 de la CMR, sinon, à titre très subsidiaire, la somme de 5.100 euros, sur la base du contrat type de transport de marchandises par route,

à titre infiniment subsidiaire,

– condamner la société Royal Sun Alliance Insurance PLC à les relever et garantir de toute condamnation prononcée à leur encontre,

en tout état de cause,

– condamner tout succombant à leur payer la somme de 10.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

– outre les entiers dépens.

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Par conclusions notifiées par voie dématérialisée le 11 janvier 2021, la société Bubak Industry demande à la cour de :

– déclarer les appels des sociétés Trans-Bautista SL, At Nou Transport SL et Royal & Sun Alliance Insurance PLC recevables mais non fondés,

en conséquence,

– confirmer purement et simplement le jugement déféré,

– condamner solidairement les sociétés Trans-Bautista SL, At Nou Transport SL et Royal & Sun Alliance Insurance PLC à lui payer la somme de 5.000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile,

– condamner solidairement les sociétés Trans-Bautista SL, At Nou Transport SL et Royal & Sun Alliance Insurance PLC aux entiers dépens avec droit de recouvrement.

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Par conclusions notifiées par voie dématérialisée le 18 mars 2021 fondées sur les articles 17, 23.3 et 29 de la convention CMR du 19 mai 1956, la société Bert du Forez demande à la cour de :

– réformer le jugement entrepris en ce qu’il :

a retenu l’existence d’une faute inexcusable de la part de la part de la société Trans-Bautista SL,

l’a condamné en conséquence à payer la somme de 143.538,84 euros à la société Bubak Industry,

statuant à nouveau,

– débouter la société Bubak Industry de l’intégralité de ses fins, demandes et conclusions,

subsidiairement,

– juger qu’elle n’a commis aucune faute personnelle et que la société Trans-Bautista SL n’a commis aucune faute inexcusable,

en conséquence,

– juger que l’indemnité susceptible d’être mise à sa charge du fait de ses substitués ne saurait dépasser la contre-valeur en euros de 2.124,14 DTS et subsidiairement la somme de 5.100 euros,

en tout état de cause,

– confirmer le jugement entrepris en ce qu’il :

a dit recevable et bien fondé son appel en garantie à l’encontre des sociétés At Nou Transport SL, Trans-Bautista SL et leur assureur responsabilité la société Royal & Sun Alliance,

a condamné solidairement les sociétés At Nou Transport SL, Trans-Bautista SL et leur assureur responsabilité la société Royal & Sun Alliance à la garantir et la relever indemne des condamnations mises à sa charge au profit de la société Bubak Industry en principal, intérêts, dommages-intérêts, frais et dépens au titre du transport effectué le 28 novembre 2017,

– condamner la société Bubak Industry et / ou solidairement les sociétés At Nou Transport SL, Trans-Bautista SL et leur assureur responsabilité la société Royal & Sun Alliance à lui payer la somme de 5.000 euros par application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,

– condamner la société Bubak Industry et / ou solidairement les sociétés At Nou Transport SL et Trans-Bautista SL et leur assureur responsabilité la société Royal & Sun Alliance aux frais et dépens.

La procédure a été clôturée par ordonnance du 4 mai 2021, les débats étant fixés au 26 avril 2023.

Conformément aux dispositions de l’article 455 du code de procédure civile, la cour se réfère, pour un plus ample exposé des moyens et prétentions des parties, à leurs conclusions écrites précitées.

MOTIFS DE LA DÉCISION

A titre liminaire, il est précisé que le litige est soumis au nouveau droit des contrats issu de l’ordonnance du 10 février 2016 puisque le contrat litigieux est postérieur au 1er octobre 2016.

Sur l’intérêt à agir de l’expéditeur

Les sociétés At Nou Transport SL et Trans-Bautista SL soutiennent que la société Bubak industry ne démontre pas son intérêt à agir en ce que :

– l’expéditrice était vraisemblablement assurée pour l’expédition et cherche donc à obtenir une double indemnisation du préjudice,

– cette assurance devait exister compte tenu de la connaissance par la société Bubak industry de la dangerosité du lieu de livraison, de la valeur des marchandises de 220.089,30 euros, de sa prise en charge des risques dans un contrat de vente sous incoterm Cost and Freight, et des clauses limitatives et exclusives de responsabilité applicables au transport routier,

– la société Bubak industry doit produire une déclaration sur l’honneur attestant de l’absence de couverture des marchandises par une assurance, et la communication du nom et des coordonnées de son assureur durant la période concernée par le transport litigieux.

La société Royal & Sun Alliance réitère la position des sociétés At Nou Transports et Trans-Bautista SL. Elle ajoute que l’existence d’un certificat d’assurance est usuellement nécessaire pour souscrire un crédit documentaire tel que celui souscrit en l’espèce.

La société Bubak industry rétorque qu’elle a un intérêt à agir en ce que :

– elle conteste avoir souscrit un contrat d’assurance ad valorem pour les marchandises expédiées,

– elle conteste également avoir reçu paiement pour les marchandises par son acquéreur. Ce dernier bénéficiait d’un crédit documentaire à 30 jours, et n’a pas réglé la facture correspondant aux marchandises volées qu’il n’a pas reçues.

La société Bert du Forez, ne s’exprime pas sur l’intérêt à agir de l’expéditeur.

Il est relevé en premier lieu qu’il n’est pas justifié de ce que la souscription d’une assurance ad valorem serait en l’espèce obligatoire de sorte que l’expéditeur n’a pas à s’expliquer sur l’absence de souscription d’une telle assurance.

En second lieu, la société expéditrice n’a pas à rapporter la preuve négative de son absence de souscription d’une assurance spécifique et les appelantes ne rapportent pas le moindre élément de preuve démontrant qu’une telle assurance aurait couvert le transport, étant relevé qu’aucun assureur ne forme d’action récursoire.

Enfin, les appelantes ne procèdent que par affirmation lorsqu’elles font valoir que le prix du transport aurait été acquitté et n’offrent aucune preuve, le tribunal de commerce ayant à juste titre relevé que la marchandise n’a pas été remise au destinataire qui n’avait dès lors pas à en acquitter le prix.

Le jugement est en conséquence confirmé en ce qu’il a rejeté la fin de non recevoir tirée de l’absence d’intérêt à agir.

Sur l’applicabilité de la Convention CMR sur le contrat de transport international de marchandises par route du 19 mai 1956

La société Bubak industry fait valoir que la CMR a vocation à s’appliquer lorsque le pays d’expédition et le pays de livraison sont distincts mais que le transport litigieux est interne à la France. Par conséquent, elle conteste la validité de la clause par laquelle les parties ont entendu soumettre leurs rapports contractuels à cette convention puisque seules les dispositions du code de commerce ont vocation à s’appliquer.

Les sociétés At Nou Transport SL et Trans-Bautista SL répliquent que les parties peuvent convenir de soumettre un transport intérieur à la CMR, sous réserve des règles d’ordre public. De fait, la lettre de voiture établie en vue du transport litigieux en date du 28 novembre 2017 et signée par les sociétés Bubak industry et Trans-Bautista SL prévoit que ce transport est soumis à la CMR. Les dispositions de la CMR sont donc applicables à l’espèce.

La société Royal & Sun Alliance réitère la position des sociétés At Nou Transports et Trans-Bautista SL.

De même, la société Bert du Forez réitère la position des sociétés At Nou Transports et Trans-Bautista SL.

Il est constant que la convention CMR s’applique en principe lorsque le pays d’expédition et le pays de livraison sont distincts.

Toutefois, si tel n’est pas le cas en l’espèce puisque les lieux d’expédition et de livraison sont situés sur le territoire français, rien n’interdit aux parties de conclure un tel contrat de transport exécuté sur le territoire français dès lors qu’il n’est pas porté atteinte à une règle d’ ordre public.

Il résulte des termes de la lettre de voiture que les parties ont expressément entendu soumettre le transport litigieux aux dispositions de la CMR (case CMR cochée) et la société expéditrice échoue à rapporter la preuve de l’absence de validité de la clause, ne procédant que par affirmation sans rapport de preuve.

Le jugement est infirmé en ce qu’il n’a pas retenu l’application de la CMR, qui est applicable au présent litige.

Sur la force majeure

La société Bubak industry conteste la caractérisation de la force majeure, qui implique la réunion de trois critères cumulatifs que sont l’extériorité, l’imprévisibilité et le caractère irrésistible en soulignant que la charge de la preuve reposant sur celui qui s’en prévaut, la force majeure ne pourrait être retenue que dans la mesure où le transporteur aurait pris toutes les précautions utiles afin d’éviter la réalisation du dommage mais que le dommage est la conséquence de plusieurs fautes du transporteur. Par ailleurs, elle fait valoir que la notion issue de l’article 17.2 de la CMR de décharge de responsabilité du transporteur du fait des ‘circonstances que le transporteur ne pouvait pas éviter et aux conséquences desquelles il ne pouvait pas obvier’ doit être assimilée à la force majeure. En l’espèce, la réunion des trois critères de la force majeure n’est pas démontrée.

Les sociétés At Nou Transport SL et Trans-Bautista SL font valoir qu’elles sont déchargées de leur responsabilité par application de l’article 17.2 de la CMR. Les circonstances que le transporteur ne pouvait pas éviter et aux conséquences desquelles il ne pouvait pas obvier sont caractérisées en l’espèce. C’est le cas notamment lorsque l’agression se produit en circulation. La plainte du conducteur relate les circonstances de l’agression par plusieurs personnes, avec jets de projectiles, tentative d’ouverture de la porte du camion, et des véhicules bloquant l’avant et l’arrière du camion. L’expert mandaté par le commissionnaire de transport confirme ce déroulement. En outre, le transporteur ignorait la valeur importante de la marchandise.

La société Royal & Sun Alliance réplique que la force majeure décharge le transporteur de sa responsabilité. L’agression qu’a subi le chauffeur présente un caractère irrésistible car l’attaque s’est produite en cours de circulation. La responsabilité du transporteur ne peut donc pas être retenue.

La société Bert du Forez ne s’exprime pas sur la force majeure.

Sur ce,

Selon l’article 17 de la convention CMR, le transporteur est responsable de la perte totale ou partielle, ou de l’avarie, qui se produit entre le moment de la prise en charge de la marchandise et celui de la livraison, ainsi que du retard à la livraison. Le transporteur est déchargé de cette responsabilité si la perte, l’avarie ou le retard a eu pour cause une faute de l’ayant droit, un ordre de celui-ci ne résultant pas d’une faute du transporteur, un vice propre de la marchandise, ou des circonstances que le transporteur ne pouvait pas éviter et aux conséquences desquelles il ne pouvait pas obvier.

Selon ordre de transport du 24 novembre 2017, il a été demandé à la société Bert du Forez le transport de sept colis d’un poids total de 4,5 tonnes (marchandises décrites comme des pièces diverses), le transbordement étant interdit.

La lettre de voiture précisait que le transport était ‘non stop direct [Localité 9]’.

Il résulte des pièces de la procédure que le chauffeur a procédé à une déclaration de vol le 29 novembre 2017 en expliquant qu’il devait se rendre sur la zone acti-sud de [Localité 9] mais qu’il s’est perdu dans les quartiers nord, qu’il est ‘tombé dans un genre de camp’, que son camion a été bloqué (par une camionnette devant et une autre derrière), qu’il a reçu des projectiles (cailloux et patates), que le ou les auteurs ont ouvert la porte arrière du camion qui n’était pas fermée du fait d’une livraison, qu’il avait réussi à prendre la fuite, s’était arrêté plus loin et avait alors constaté qu’on lui avait dérobé trois caisses en bois dont il ignorait le contenu sur les sept transportées, que les sangles qui tenaient les caisses avaient été sectionnées.

Rien n’établit que le chauffeur n’ait pas compris les questions qui lui étaient posées, les parties qui l’invoquent ne procédant que par affirmations sur ce point et les circonstances précises telles que relatées par le procès-verbal n’ont pu être portées à tort par les services de police.

L’audition de l’employeur devant les services de police espagnols plusieurs mois après celle devant les services de police français et postérieure de quatre mois à l’assignation en justice apparaît particulièrement tardive et manifestement effectuée pour les besoins de la cause. Elle est donc particulièrement douteuse elle ne peut être prise en compte sur les circonstances du vol.

La pièce 5 de l’assureur établie dans des conditions indéterminées n’est pas plus probante.

Ensuite, il est manifeste que le transporteur n’a pas pris toutes les précautions utiles, ce qui résulte de ses propres déclarations, puisqu’il n’a pas respecté l’obligation de trajet direct, qu’il reconnaît être rentré sans un camp, qu’il déclare avoir effectué une autre livraison et ne pas avoir fermé la porte du camion.

Ces circonstances que le transporteur pouvait éviter excluent la force majeure.

Sur la faute inexcusable et la limitation de garantie

La société Bubak industry fait valoir sur le fondement de l’article L.133-8 du code de commerce que le transporteur a commis une faute inexcusable, soit une faute délibérée qui implique la conscience de la probabilité du dommage et son acceptation téméraire sans raison valable en ce que :

– le compte-rendu des événements à retenir est celui de la plainte initiale, déposée par le chauffeur accompagné d’un traducteur auprès de la police française le 29 novembre 2017,

– le contexte du dépôt de la rectification de la plainte auprès de la police espagnole le 27 août 2018, 4 mois après la saisine du tribunal de commerce, et après intervention la société Trans Bautista SL, indiquant des erreurs dans le dépôt de plainte initial, fait douter de sa véracité et doit donc être écartée.

– l’ordre de transport contenait les mentions « transbordement interdit », « plancher complet et direct » et la feuille de route, co-signée par l’expéditeur et le transporteur, établie le jour de la prise en charge de la marchandise porte bien la mention « NON STOP, direct [Localité 9] ». Or, ces consignes n’ont pas été respectées. Le chauffeur s’est arrêté avant le vol pour effectuer une livraison et il a sciemment laissé la porte de la remorque déverrouillée,

– le chauffeur aurait dû éviter le lieu réputé dangereux où le vol a pris place en choisissant un autre itinéraire,

– l’ignorance par le conducteur de la valeur de la marchandise est sans importance,

– la faute inexcusable du transporteur empêche de retenir une quelconque limitation de garantie.

Les sociétés At Nou Transport SL et Trans-Bautista SL répliquent que la faute inexcusable n’est pas établie puisque :

– la faute inexcusable du transporteur suppose la réunion de quatre critères cumulatifs : faute délibérée, conscience de la probabilité d’un dommage, acceptation téméraire des suites pouvant résulter de cette faute, acceptation de ces suites sans raison valable,

– l’imprudence ou la négligence ne constituent pas une faute inexcusable,

– la connaissance de la valeur et du caractère sensible de la marchandise constitue un élément essentiel dans l’appréciation des risques,

– la rectification auprès de la police espagnole le 27 août 2018 de la plainte initiale doit être prise en compte. Elle est corroborée par le relevé de géolocalisation du véhicule,

– le transporteur n’a pas effectué de livraison préalablement au vol, mais un simple arrêt réglementaire sur une aire d’autoroute. Il a donc respecté la consigne ‘non stop [Localité 9]’,

– la société Bubak Industry affirme que le lieu du vol est un site dangereux, mais n’a jamais prévenu les sociétés At Nou Transport SL et Trans-Bautista SL de ce risque,

– le transporteur ignorait la valeur de la marchandise.

La société Royal & Sun Alliance conteste également l’existence d’une faute inexcusable de la part du transporteur. Elle reprend les quatre critères nécessaires de la faute inexcusables, et fait valoir qu’elles font défaut :

– le transporteur ignorait la valeur de la marchandise,

– le dépôt de plainte initial comportait des erreurs car le conducteur comprend mal le français et s’était mal exprimé auprès de la police française, d’où la rectification apportée le 27 août 2018,

– ll n’y a pas eu de livraison préalable à [Localité 9], comme confirmé par le relevé de géolocalisation du véhicule, mais un arrêt réglementaire sur une aire de repos,

– la porte de la remorque était fermée,

– le conducteur étranger ignorait la dangerosité du site du vol situé à proximité du lieu de livraison, et donc ignorait la probabilité du dommage,

– la charge de la preuve repose sur la société Bubak Industry.

La société Bert du Forez fait valoir que les critères de la faute inexcusable font défaut puisque :

– le conducteur, étranger, ne pouvait pas savoir que le site était dangereux et il ignorait la valeur des marchandises,

– le transporteur n’a pas reçu de mise en garde particulière de la part de l’expéditeur,

– le contexte du premier dépôt de plainte, en langue espagnole, par un conducteur roumain ne parlant pas français aidé pour la traduction par une personne travaillant dans la zone d’activité du lieu de livraison, explique les erreurs du procès-verbal,

– il ne pouvait pas y avoir d’autre chargement ni de livraison préalable au vol, car la société Bubak Industry a commandé un ‘plancher complet’ et aucune réserve n’a été émise lors de la mise à bord. Les consignes ont donc été respectées,

– Le caractère délibéré de la faute n’est pas établi.

La société Royal & Sun Alliance fait valoir que le transporteur doit être déchargé de sa responsabilité, sur le fondement de l’article 17.2 de la CMR puisqu’il a dû prendre un détour face à un pont trop bas et un passant lui a indiqué le chemin à suivre pour atteindre le lieu de livraison. Le déroulement de l’agression est exposé dans la plainte du conducteur qui est confirmée par le rapport de l’expert. Le transporteur ignorait la valeur de la marchandise. L’agression de l’espèce est un guet-apens, commis en réunion avec violence qui ne pouvait pas être prévisible lors de la conclusion du contrat.

La société Bert du Forez fait valoir que le transporteur doit être déchargé de sa responsabilité, sur le fondement de l’article 17.2 de la CMR. Le chauffeur étranger ignorait la dangerosité du site à proximité du lieu de livraison. Les circonstances de l’agression du chauffeur, indépendamment de la valeur de la marchandise transportée que le chauffeur ignorait, caractérisent des circonstances qu’il ne pouvait pas éviter et aux conséquences desquelles il ne pouvait pas obvier.

Sur ce,

L’article 23 de la CMR limite l’indemnisation à 8,33 unités de compte par kilogramme du poids brut manquant. Le poids de la marchandise manquante s’élève à 255 kilos. L’indemnité maximale ne saurait dépasser 2124,14 Droit de Tirage Spécial (DTS), ou son équivalent en euros.

Selon l’article 29 de la CMR :

1. Le transporteur n’a pas le droit de se prévaloir des dispositions du présent chapitre qui excluent ou limitent sa responsabilité ou qui renversent le fardeau de la preuve, si le dommage provient de son dol ou d’une faute qui lui est imputable et qui, d’après la loi de la juridiction saisie est considérée comme équivalente au dol.

2. Il en est de même si le dol ou la faute est le fait des préposés du transporteur ou de toutes autres personnes aux services desquelles il recourt pour l’exécution du transport ces préposés ou ces autres personnes agissent dans l’exercice de leurs fonctions. Dans ce cas, ces préposés ou ces autres personnes n’ont pas davantage le droit de se prévaloir, en ce qui concerne leur responsabilité personnelle, des dispositions du présent chapitre visées au paragraphe 1er.

Selon l’article L133-8 du Code de commerce, Seule est équipollente au dol la faute inexcusable du voiturier ou du commissionnaire de transport. Est inexcusable la faute délibérée qui implique la conscience de la probabilité du dommage et son acceptation téméraire sans raison valable. Toute clause contraire est réputée non écrite.

Il découle des termes de l’audition du chauffeur devant les services de police rappelées supra que ce dernier, alors que les moyens de guidage par GPS précis et tenant notamment compte du gabarit du véhicule, permettaient un trajet direct dans risques, n’a pas respecté l’obligation de transport direct et s’en retrouvé dans une zone manifestement à risque, avec, notamment du fait d’une livraison qui n’aurait pas dû avoir lieu, une porte arrière ouverte permettant un vol aisé.

Ces circonstances caractérisent une faute délibérée impliquant la conscience de la probabilité du dommage et son acceptation téméraire sans raison valable au sens des dispositions citées supra.

En conséquence, le jugement est confirmé en ce qu’il a retenu la faute inexcusable qui permet d’écarter les limitations de garantie.

Le contrat CMR s’appliquant au présent litige, les clauses d’un autre contrat ‘contrat type de transport de marchandises par route’ alléguées par les sociétés At Nou transport et Trans-Bautista n’ont pas vocation à s’appliquer pour contrer l’indemnisation de l’entier préjudice, étant précisé qu’en tout état de cause, ce contrat type comporte les mêmes dispositions en manière de faute inexcusable.

Sur l’indemnisation de la société Bubak industry

Ainsi que vu supra, la société Bubak industry a droit à la réparation de l’intégralité de son préjudice.

La société Bert du Forez, en sa qualité de commissionnaire de transport, est garantie des avaries et pertes de marchandises ainsi que des faits de ses substitués. Sa responsabilité est engagée en l’espèce du fait de ses substitués.

En conséquence, le montant des marchandises volées s’élevant à la somme de 143.538,84 euros d’après un rapport non contesté, le jugement est confirmé en ce qu’il a condamné la société Bert du Foretz au paiement de cette somme à la société Bubak industry.

Sur l’appel en garantie contre les sociétés At Nou Transport SL et Trans-Bautista SL

La société Bert du Forez fait valoir que la responsabilité des sociétés At Nou Transport SL de son fait ou du fait de ses substitués et Trans-Bautista SL de son fait est susceptible d’être engagée, le vol s’étant produit au cours du transport dont elles avaient la charge. Par conséquent, elle appelle en garantie et à la relever ces deux sociétés ainsi que leur assureur responsabilité la société Royal & Sun Alliance, afin de les voir juger responsables du sinistre, et sollicite leur condamnation solidaire.

Le jugement est confirmé en ce qu’il a été fait droit à cette demande, le vol étant intervenu lors des opérations de transport confiées à ces sociétés par la société Bert du Forez.

Sur l’appel en garantie de l’assureur

La société Royal & Sun Alliance fait valoir :

– sur le fondement du contrat d’assurance souscrit auprès d’elle par les sociétés At Nou Transport SL et Trans-Bautista SL, qu’une franchise de 1.200 euros est applicable au sinistre,

– sur le fondement conjoint du contrat d’assurance et de l’article 52 de la loi espagnole 50/1980 du 8 octobre 1980 sur le contrat d’assurance, que les garanties de l’assureur sont exclues en cas de négligence grave de l’assuré, qui serait caractérisée en l’espèce en cas de faute inexcusable du transporteur.

Les sociétés At Nou Transport SL et Trans-Bautista SL font valoir qu’il est indiscutable que la société Royal & Sun Alliance est intervenue en l’espèce en tant que leur assureur responsabilité civile et doit donc être condamnée à les relever et les garantir de toute condamnation.

La société Bert du Forez réplique que les conditions de la négligence grave telle que définie à l’article 25 de la police d’assurance ne sont pas remplies en l’espèce :

– Le chauffeur a été agressé

– Les stipulations de la police d’assurance sont d’interprétation stricte et ne peuvent pas être étendues à des cas non énumérés. Or, le véhicule ne se trouvait pas en situation d’arrêt de moins de deux heures ou de plus de quatre heures, qui sont les circonstances d’application de l’article 25 de la police d’assurance.

– la garantie de la société Royal & Sun Alliance devra être accordée à ses assurés,

– la société Bert du Forez est fondée à former une action en garantie contre les sociétés At Nou Transport SL et Trans-Bautista SL, ainsi que leur assureur la société Royal & Sun Alliance.

Sur ce,

Il est constant que les sociétés At Nou transport et Trans-Bautista sont co-assurées par une police d’assurance Royal Sun Alliance España.

Cette police prévoit une franchise de 1.200 euros par sinistre vol mais l’assureur n’en fait pas état dans le dispositif de ses conclusions. Elle stipule également que l’assureur n’est pas obligé de réparer les effets du sinistre dans certaines circonstances dont la grave négligence de l’assuré.

Les sociétés assurées ne discutent pas concrètement l’exclusion de garantie, seule la société Bert du Forez concluant au rejet de la déchéance de garantie.

L’article 25 des conditions spéciales de la police applicable prévoit une exclusion de garantie en cas de négligence grave de la part du transporteur. Il précise cependant ce qui est considéré comme négligence grave et les circonstances du vol, objet du présent litige, ne rentrent pas dans celles décrites et qui se rapportent uniquement aux périodes d’arrêt du véhicule selon leur durée. Ces clauses sont d’application stricte et inapplicables en l’espèce.

Par ailleurs, il est constant que l’assureur n’a pas rejeté sa garantie puisqu’il se prévaut d’un protocole d’accord conclu avec ses assurées et visant notamment ce sinistre. Ce protocole n’est en outre pas opposable au tiers qui exerce n’action directe.

Il en découle que le jugement est confirmé en ce qu’il a condamné la société Royal & Sun Alliance à garantie.

Sur les dépens et l’article 700 du code de procédure civile

Les dépens d’appel sont in solidum à la charge des sociétés At Nou transport, Trans-Bautista et Royal Sun Alliance et l’équité commande de les condamner à verser en outre la somme de 3.000 euros à la société Bubak industry en cause d’appel.

Les autres demandes sur le même fondement sont rejetées.

PAR CES MOTIFS

La cour statuant dans les limites de l’appel,

Infirme le jugement déféré en ce qu’il a rejeté l’application de la CMR, et statuant à nouveau, dit que la convention CMR s’applique au présent litige.

Confirme le jugement querellé pour le surplus.

Y ajoutant,

Condamne in solidum les sociétés At Nou Transport et Trans-Bautista aux dépens d’appel, ces derniers avec droit de recouvrement, et à payer à la société Bubak industry la somme de 3.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

Rejette les autres demandes au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

LA GREFFIERE LA PRESIDENTE

 


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