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Embauche et évolution de M. [T]M. [T] a été embauché en tant que Chef de secteur par la société SEO du Maine le 2 avril 2001, avec un salaire de 18.000 Frs pour 169 heures de travail mensuelles. Son contrat a été transféré à la société d’étanchéité de l’Ouest le 1er octobre 2003, où il a été promu Chef d’agence avec un salaire de 3.200 euros. En janvier 2013, il a été promu Directeur d’agence avec un salaire de 6.092,40 euros. Accident sur le chantierLe 20 novembre 2017, un salarié intérimaire, M. [U], a subi une chute de 5 mètres sur un chantier Carrefour Market, entraînant des fractures. Cet incident a conduit à une enquête sur les conditions de sécurité sur le chantier. Licenciement de M. [T]M. [T] a été convoqué à un entretien préalable au licenciement le 11 janvier 2018, et a été licencié pour faute grave par lettre du 6 février 2018. Les reproches portaient sur des manquements aux règles de sécurité et une mise en danger des salariés. Action en justice de M. [T]M. [T] a saisi le conseil de prud’hommes de Lorient le 16 mai 2018, contestant son licenciement et demandant des dommages-intérêts, des rappels de salaires et d’autres indemnités. Il a formulé plusieurs demandes financières, totalisant des montants significatifs. Jugement du conseil de prud’hommesLe 4 juillet 2019, le conseil de prud’hommes a jugé le licenciement de M. [T] fondé, a débouté ses demandes et l’a condamné à verser 800 euros à la société SEO au titre de l’article 700 du Code de procédure civile. Appel et jugement correctionnelM. [T] a interjeté appel le 26 juillet 2019. Le 10 décembre 2020, le tribunal correctionnel de Quimper a reconnu M. [T] et la société d’étanchéité de l’Ouest coupables de blessures involontaires par violation d’une obligation de sécurité. La cour d’appel de Rennes a confirmé ce jugement le 10 mai 2022. Demandes de M. [T] en appelDans ses conclusions du 13 juin 2024, M. [T] a demandé la réforme du jugement de première instance, contestant la validité de la délégation de pouvoir et le caractère réel et sérieux de son licenciement, tout en réclamant des sommes importantes pour diverses indemnités. Réponse de la société SEOLa société SEO a demandé la confirmation du jugement de première instance, arguant que M. [T] était responsable de la sécurité sur les chantiers et que les manquements constatés justifiaient son licenciement. Elle a également contesté les demandes de M. [T] concernant les heures supplémentaires et le travail dissimulé. Décision de la courLa cour a confirmé la légitimité du licenciement pour faute grave, tout en infirmant certaines décisions du jugement de première instance concernant les heures supplémentaires et la contrepartie obligatoire en repos. M. [T] a été condamné à recevoir des sommes pour les heures supplémentaires et la perte de repos compensateur, tandis que la société SEO a été condamnée à payer des dépens. |
REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
ARRÊT N°438
N° RG 22/06342 –
N° Portalis DBVL-V-B7G-THKP
M. [B] [T]
C/
S.A.S. SOCIETE D’ETANCHEITE DE L’OUEST (SEO)
Sur appel du jugement du Conseil de Prud’hommes du 04/07/2029 de LORIENT – RG 18/00099
Infirmation partielle
Copie exécutoire délivrée
le :
à :
-Me Eric MARLOT
-Me Jean-David CHAUDET
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D’APPEL DE RENNES
ARRÊT DU 06 NOVEMBRE 2024
COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :
Président : Madame Nadège BOSSARD, Présidente de chambre,
Assesseur : Monsieur Hervé BALLEREAU, Président de chambre,
Assesseur : Mme Anne-Laure DELACOUR, Conseillère,
GREFFIER :
Monsieur Philippe RENAULT, lors des débats et lors du prononcé
DÉBATS :
A l’audience publique du 05 Septembre 2024
En présence de Madame [Z] [R], médiatrice judiciaire,
ARRÊT :
Contradictoire, prononcé publiquement le 06 Novembre 2024 par mise à disposition au greffe comme indiqué à l’issue des débats
APPELANT :
Monsieur [B] [T]
né le 04 Novembre 1969 à [Localité 6] (92)
demeurant [Adresse 10]
[Localité 2]
Représenté par Me Camille DELAHAYE substituant à l’audience Me Eric MARLOT de la SELARL MDL AVOCATS ASSOCIES, Avocats au Barreau de RENNES
INTIMÉE :
La S.A.S. SOCIETE D’ETANCHEITE DE L’OUEST (SEO) prise en la personne de son représentant légal et ayant son siège social :
[Adresse 3]
[Localité 4]
Ayant Me Jean-David CHAUDET de la SCP JEAN-DAVID CHAUDET, Avocat au Barreau de RENNES, pour postulant et représentée par Me Marion DEWERDT substituant à l’audience Me Christian BROCHARD, Avocats plaidants du Barreau de LYON
M. [T] a été embauché en qualité de Chef de secteur, statut cadre, suivant contrat de travail à durée indéterminée en date du 2 avril 2001 par la société SEO du Maine, entreprise spécialisée dans le domaine de l’étanchéité.
La rémunération était fixée à 18.000 Frs (2.744,08 suros) pour 169 heures mensuelles de travail.
Le contrat de travail a été transféré à la société d’étanchéité de l’Ouest à compter du 1er octobre 2003.
A cette occasion, M. [T] était promu au poste de Chef d’agence, coefficient 103 position B, 1er échelon, catégorie 2, avec un salaire mensuel de 3.200 euros.
Le 1er janvier 2013, M. [T] était promu au poste de Directeur d’agence avec un salaire mensuel de 6.092,40 suros.
Le 20 novembre 2017, sur un chantier Carrefour Market à [Localité 7] (Finistère), un salarié intérimaire, M. [U], employé en qualité d’étancheur, a fait une chute de 5 mètres qui lui causait des fractures au niveau des coudes.
Par lettre remise en main propre le 18 décembre 2017, M. [T] était convoqué à un entretien préalable au licenciement fixé le 11 janvier 2018.
A l’issue de cet entretien et par lettre recommandée avec demande d’avis de réception en date du 6 février 2018, M. [T] se voyait notifier son licenciement pour faute grave.
Il lui était en substance reproché des manquements aux règles de sécurité sur les chantiers placés sous sa responsabilité et une mise en danger des salariés, ainsi qu’une violation des règles relatives au travail des intérimaires.
M. [T] a saisi le conseil de prud’hommes de Lorient le 16 mai 2018 afin de voir juger son licenciement sans cause réelle et sérieuse et d’obtenir le paiement de diverses sommes à titre de dommages-intérêts, rappels de salaires et indemnités.
Au dernier état de ses demandes en première instance, il demandait :
‘ Condamner la SAS Société d’étanchéité de l’Ouest Seo à verser à M. [T] les sommes suivantes :
– 95.690 euros de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
– 50.950,07 euros d’indemnité de licenciement,
– 18.791,76 euros d’indemnité compensatrice de préavis,
– 1.879,17 euros de congés payés sur préavis,
– 127.026,08 euros de rappel d’heures supplémentaires de mai 2015 à janvier 2018,
– 12.706,60 euros de congés payés afférents,
– 42.529 euros d’indemnité pour travail dissimulé,
– 5.000 euros au titre de l’article 700 du Code de procédure civile,
‘ Ordonner la remise de l’attestation Pôle Emploi rectifiée, du certificat de travail rectifié et des bulletins de paie rectifiés de mai 2015 à février 2018 sous astreinte de 50 euros par jour de retard,
‘ Exécution provisoire,
‘ Intérêts aux taux légal.
Par jugement du 4 juillet 2019, le conseil de prud’hommes de Lorient a :
‘ Jugé que le licenciement pour faute grave de M. [T] était bien fondé,
‘ Dit que les demandes de M. [T] au titre d’heures supplémentaires ainsi que l’indemnité pour travail dissimulé étaient infondées,
‘ Débouté M. [T] de l’intégralité de ses demandes,
‘ Condamné M. [T] à verser la somme de 800 euros au titre de l’article 700 du Code de procédure civile à la SAS société d’étanchéité de l’Ouest Seo,
‘ Condamné M. [T] aux entiers dépens.
M. [T] a interjeté appel de cette décision par déclaration au greffe en date du 26 juillet 2019.
Par jugement rendu le 10 décembre 2020, le tribunal correctionnel de Quimper a reconnu M. [T] et la société d’étanchéité de l’Ouest, coupables de blessures involontaires par la violation manifestement délibérée d’une obligation de sécurité.
Le 10 mai 2022, la chambre correctionnelle de la cour d’appel de Rennes a confirmé ce jugement.
Après avoir fait l’objet d’un retrait du rôle le 6 janvier 2022, l’affaire a été réinscrite le 31 octobre 2022.
Dans ses dernières conclusions signifiées le 13 juin 2024, M. [T] demande à la cour de :
‘ Réformer le jugement du conseil de prud’hommes de Lorient du 4 juillet 2019,
En conséquence,
‘ Juger non valable et inopposable la délégation de pouvoir signée le 30 juin 2014,
‘ Juger le licenciement de M. [T] dépourvu de cause réelle et sérieuse,
‘ Condamner la SAS société d’étanchéité de l’Ouest à verser à M. [T] les sommes suivantes :
– 49.871,88 euros au titre de l’indemnité de licenciement,
– 21.264,63 euros à titre d’indemnité compensatrice de préavis,
– 2.126,46 euros à titre de congés payés y afférents
– 102.779,05 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
– 124.877,52 euros au titre des heures supplémentaires,
– 12.487,75 euros de congés payés afférents,
– 71.233,80 euros à titre de dommages et intérêts pour perte de la contrepartie obligatoire en repos
– 20.000 euros à titre de dommages et intérêts pour dépassements récurrents des durées maximales de travail,
– 42.529,26 euros au titre d’indemnité pour travail dissimulé,
– 4.000 euros sur le fondement de l’article 700 du Code de procédure civile,
‘ Débouter la SAS société d’étanchéité de l’Ouest SEO de toutes ses demandes, fins et conclusions,
‘ Condamner la SAS société d’étanchéité de l’Ouest SEO aux entiers dépens dont ceux éventuels d’exécution.
M. [T] fait valoir en substance que :
– Les conditions de validité de la délégation de pouvoir du 30 juin 2014 ne sont pas réunies ; elle n’est ni précise ni limitée et il s’agit pour le chef d’entreprise d’échapper à toute responsabilité pénale au sein de son entreprise ; or, les délégations générales sont prohibées ; l’article 2.4 de la convention collective nationale des cadres du bâtiment n’est pas respecté ; en outre, il ne disposait pas de l’autonomie suffisante pour garantir le respect des règles d’hygiène et de sécurité ;
– Il n’est pas démontré que M. [T] qui avait plus de 16 ans d’ancienneté sans passé disciplinaire ait gravement et personnellement manqué à ses obligations contractuelles ; la reconnaissance de sa responsabilité pénale pour une infraction involontaire n’entraîne pas nécessairement la caractérisation d’une faute personnelle grave justifiant son licenciement ; son rôle de directeur d’agence consistait à mettre à la disposition des conducteurs de travaux l’ensemble du matériel nécessaire à la sécurité individuelle et collective ; cette obligation a été respectée ainsi que cela ressort du compte-rendu de la commission de sécurité ; un PPSPS avait en outre été rédigé et précisait les conditions de sécurité du travail en hauteur ;
– Il est établi que le conducteur de travaux, M. [S], est passé outre toutes les directives de M. [T] qui était en congé le jour de l’accident ;
– La problématique du non-respect des délais de carence pour les salariés intérimaires était connue de la direction qui contrôlait les contrats signés en agence ; il n’a pas à supporter les conséquences d’un dysfonctionnement institutionnel de l’entreprise ; le délai de plus d’un mois qui s’est écoulé entre la lettre d’observation de la Direccte du 27 novembre 2017 et l’engagement de la procédure de licenciement est incompatible avec la notion de faute grave ;
– De très nombreuses heures supplémentaires étaient effectuées ; du fait de leurs fonctions, les directeurs d’agence travaillent au-delà de 35 heures par semaine, l’amplitude horaire étant de 7h à 20h ; en retirant une pause déjeuner de 2h, il travaillait 9h par jour soit 45h par semaine ; aucune information sur le droit à repos compensateur n’a été donnée malgré le dépassement systématique du contingent annuel ; la société SEO ne pouvait ignorer un dépassement systématique de l’horaire planifié et le travail dissimulé est dès lors établi.
Par voie de conclusions signifiées le 29 mai 2024, la société d’Étanchéité de l’Ouest (SEO) demande à la cour de :
– Confirmer le jugement de première instance en ce qu’il a :
– jugé que le licenciement de M. [T] était bien fondé,
– dit que les demandes de M. [T] à titre d’heures supplémentaires ainsi que
d’indemnité pour travail dissimulé sont infondées,
– débouté M. [T] de l’intégralité de ses demandes,
– condamné M. [T] à verser la somme de 800 euros au titre de l’article 700
du Code de procédure civile,
– condamné M. [T] aux entiers dépens,
Y ajoutant,
‘ Juger que M. [T] ne rapporte pas la preuve du :
– dépassement du contingent annuel d’heures supplémentaires,
– non-respect des temps de repos quotidien et hebdomadaire,
‘ Le débouter de l’ensemble de ses demandes,
‘ Condamner M. [T] au versement de la somme de 2.000 euros au titre des dispositions de l’article 700 du Code de procédure civile,
‘ Le condamner aux entiers dépens de l’instance.
La société SEO fait valoir en substance que :
– Au titre de ses fonctions de directeur d’agence, M. [T] était chargé d’assurer la sécurité des salariés placés sous sa responsabilité ; le contrat de travail insiste sur l’importance du respect de la réglementation en la matière, s’agissant également de la main d’oeuvre externe ;
– L’absence de protections périphériques a été le facteur déterminant de l’accident du 20 novembre 2017 ; M. [T] n’a pas veillé à ce que ce dispositif de protection collective soit installé avant le démarrage des travaux ; le tribunal correctionnel a relevé de nombreux manquements de M. [T] dans l’accompagnement du chef de chantier ;
– La délégation de pouvoir est limitée géographiquement et comporte un important degré de précision permettant d’identifier les aspects de la réglementation dont M. [T] devait assurer le respect ; il ne s’agissait nullement de transférer l’ensemble des pouvoirs du président au directeur d’agence ; la cour d’appel statuant sur le recours formé contre le jugement correctionnel a retenu que M. [T] disposait du pouvoir nécessaire pour assumer pleinement la délégation de pouvoirs ;
– L’absence de M. [T] sur le chantier au jour de l’accident est insusceptible de remettre en cause la gravité des griefs relevés à son encontre ;
– L’engagement de la procédure disciplinaire, moins de deux semaines après que la société ait été informée des manquements de M. [T], n’a aucun caractère tardif ;
– Un contrôle de l’inspection du travail intervenu le 27 novembre 2017 dans l’agence dirigée par M. [T] a révélé de nombreuses violations de la réglementation applicable au travail temporaire ;
– Il n’a jamais été demandé à M. [T] d’accomplir des heures supplémentaires ; les éléments dont il se prévaut sont imprécis et ne sont pas vérifiables ; il ne démontre pas plus le non-respect de ses temps de repos.
La clôture de l’instruction a été prononcée par ordonnance du conseiller de la mise en état le 20 juin 2024 avec fixation de la présente affaire à l’audience du 05 septembre 2024.
Conformément aux dispositions de l’article 455 du code de procédure civile, la cour renvoie, pour un plus ample exposé des prétentions et moyens des parties, à leurs dernières conclusions régulièrement signifiées.
1- Sur la contestation du licenciement pour faute grave :
L’article L 1232-1 du code du travail subordonne la légitimité du licenciement à l’existence d’une cause réelle et sérieuse.
La cause doit ainsi être objective, exacte et les griefs reprochés doivent être suffisamment pertinents pour justifier la rupture du contrat de travail.
La faute grave privative du préavis prévu à l’article L 1234-1 du même code est celle qui rend impossible le maintien du salarié dans l’entreprise.
Elle suppose une réaction rapide de l’employeur, qui doit engager la procédure de licenciement dans un délai restreint, dès lors qu’il a connaissance des fautes et qu’aucune vérification n’est nécessaire.
La charge de la preuve de la faute grave repose exclusivement sur l’employeur.
En l’espèce, la lettre de licenciement en date du 6 février 2018 qui fixe les limites du litige est rédigée comme suit :
‘[…]
Nous avons eu à déplorer de votre part une succession d’agissements fautifs graves.
– Manquements aux règles de sécurité sur des chantiers dont vous aviez la responsabilité et mise en danger des salariés placés sous votre responsabilité.
Vous êtes tenu de garantir le respect de la réglementation en matière de sécurité dans le cadre de l’activité de l’agence dont vous avez la direction.
Nous avons eu à déplorer de nombreux manquements aux règles de sécurité sur des chantiers relevant de votre agence.
Le 20 novembre 2017, un accident est survenu sur le chantier du Carrefour Contact au [Adresse 1] à [Localité 7].
L’ampleur des risques constatés est très importante. L’agence que vous dirigez a fait l’objet d’une injonction de la CARSAT.
Outre le non respect des règles de sécurité, vous mettez en péril la santé des collaborateurs.
Cette situation est inadmissible au regard de vos responsabilités et de votre délégation de pouvoir.
– Violation des règles relatives au travail des intérimaires.
A la suite d’un contrôle en date du 27 novembre 2017, les services de l’inspection du travail de la DIRECCTE ont relevé le recours à des travailleurs temporaires en violation de la réglementation. Là encore, nous constatons que vous êtes défaillant dans l’exercice de vos obligations professionnelles. Vous êtes en effet tenu de gérer le personnel dans le respect des règles légales et d’entreprise. Cette situation n’est pas acceptable.
Ces griefs font suite à de récents faits qui ont nécessité un rappel à l’ordre d’avoir à respecter les règles de l’entreprise.
Les explications recueillies auprès de vous au cours de notre entretien du jeudi 11 janvier 2018 ne nous ont pas permis de modifier notre appréciation à ce sujet ; nous vous informons que nous avons, en conséquence, décidé de vous licencier pour faute grave.
[…]’
Indépendamment du fond de la discussion, M. [T] conteste d’une part la validité de la délégation de pouvoirs dont il était titulaire, d’autre part, le temps de réaction de l’employeur qu’il affirme avoir été trop long entre la lettre d’observations de la Direccte du 27 novembre 2017 et l’engagement de la procédure de licenciement.
1-1: Sur la question de la validité de la délégation de pouvoirs :
Pour contester le non-respect reproché de ses obligations professionnelles, M. [T] invoque en premier lieu le défaut de validité de la délégation de pouvoirs du 30 juin 2014, dont il sollicite qu’elle lui soit jugée inopposable.
Il convient de rappeler que la délégation de pouvoirs est l’acte par lequel une personne (le délégant) transfère une partie de ses pouvoirs à une personne subordonnée (le délégataire), lequel assumera les obligations et les responsabilités liées aux pouvoirs délégués.
Ce transfert de pouvoirs emporte transmission de la responsabilité pénale y afférente, de telle sorte qu’en cas de manquement à une obligation pénalement sanctionnée, le délégataire peut être jugé responsable en lieu et place du délégant.
La délégation de pouvoirs n’est valide que si le délégataire dispose de l’autorité, des moyens et de la compétence nécessaire pour assurer le respect de la réglementation au sein de l’entreprise dans le périmètre d’intervention délégué.
A ce dernier titre, la délégation de pouvoirs doit être limitée dans son objet et précise.
L’employeur ne peut donc valablement déléguer l’ensemble de ses pouvoirs au délégataire, sous peine de voir juger la délégation de pouvoirs ineffective.
L’article 2.4 de la convention collective nationale des cadres du bâtiment du 1er juin 2004 dispose :
‘Les entreprises formalisent par un écrit les délégations de pouvoirs données aux cadres, indiquant de manière précise :
– les pouvoirs transférés au délégataire et dans quels domaines ;
– les procédures ordinaires ou urgentes par lesquelles le délégataire rend compte de sa délégation ;
– les moyens matériels, humains et financiers dont dispose le délégataire pour assurer ses responsabilités ;
– le pouvoir de sanction dont il dispose ;
– la durée de la délégation, qui doit être en rapport avec la mission à effectuer et sa durée ;
– le cas échéant, les formations permettant au délégataire d’avoir les compétences requises.
Les mêmes règles s’appliquent aux subdélégations’.
En l’espèce, Monsieur [W], dirigeant social a consenti le 30 juin 2014 à M. [T] en sa qualité de directeur de l’agence de [Localité 5], une délégation de pouvoirs aux termes de laquelle il se voyait investi des pouvoirs de :
1- Représenter la société pour le compte de l’agence vis à vis des tiers
2- Gérer le personnel placé sous sa responsabilité
3- Consentir, traiter et signer tout marché pour le compte de l’agence dans la limite de 400.000 euros TTC
4- ‘Mettre en place toute procédure au sein de l’agence pour assurer et faire assurer l’application effective de la réglementation en vigueur, notamment, et sans que cette liste soit exhaustive, dans les domaines suivants :
4.1 De l’hygiène et de la sécurité des biens et des personnes, qu’il s’agisse du personnel rattaché à l’agence comme des tiers pouvant se trouver dans l’établissement ou sur l’un des chantiers relevant de vos activités,
4.2 du droit et de la durée du travail
4.3 de l’embauche de main d’oeuvre externe
4.4 de la circulation et du transports routiers
4.5 du droit des marchés publics et privés
4.6 de la réglementation économique, des prix et de la concurrence
4.7 du droit de l’environnement (…)’.
A titre liminaire, il doit être observé qu’il ne ressort pas des termes des décisions de première instance et d’appel rendues dans le cadre du contentieux pénal engagé suite à l’accident du travail dont a été victime M. [U], salarié intérimaire, le 20 novembre 2017, que M. [T] ait alors mis en cause la validité de la délégation de pouvoirs dont il était investi dans le cadre de ses fonctions de directeur d’agence.
Ensuite et contrairement à ce que soutient le salarié, il apparaît que la délégation de pouvoirs litigieuse est limitée et précise, qu’elle ne transfère nullement au salarié l’intégralité des pouvoirs du président de la S.A.S. SEO, ne visant que les pouvoirs confiés limitativement sur les plans matériel et géographique au directeur de l’agence de [Localité 5], au nombre desquels figurent le soin de faire assurer l’application des règles en matière d’hygiène et de sécurité, mais également celles relatives à l’embauche de main d’oeuvre externe.
L’attestation de M. [A], ancien directeur de l’agence de [Localité 9], qui indique qu’il ‘n’avait pas la liberté d’embaucher le personnel qu’il souhaitait sans faire une demande d’autorisation à la direction de SEO (…)’ est dénuée de portée pour considérer que M. [T] ait pour sa part été soumis aux mêmes règles, d’autant qu’il oeuvrait dans une agence distincte et que quand bien même l’aval de la direction de la société aurait été nécessaire pour procéder à des recrutements, il n’existe aucun lien entre une telle pratique et l’autonomie dont disposait le salarié, par le fait de la délégation qui lui était consentie, quant aux pouvoirs visant à faire respecter les règles d’hygiène, de sécurité et d’initier le recours à de la main d’oeuvre externe.
Par ailleurs, M. [T] se prévaut d’une subdélégation de pouvoirs qu’il a consentie à M. [L], conducteurs de travaux, le 30 juin 2014, alors que cette subdélégation dont il est signataire et qui reprend mot pour mot les termes de la délégation dont il était lui-même titulaire, ne s’applique pas à M. [S], conducteur de travaux présent sur le chantier le jour de l’accident survenu au préjudice de M. [U], dont l’employeur affirme sans être utilement contredit qu’il ne disposait quant à lui d’aucune subdélégation compte-tenu de sa récente embauche, les faits étant survenus alors que ce conducteur de chantier était encore en période d’essai.
Il doit en outre être observé que dans le cadre de l’enquête pénale et ainsi que cela ressort tant du jugement du tribunal correctionnel de Quimper du 10 décembre 2020 que de l’arrêt de la chambre des appels correctionnels de la cour de céans du 11 mai 2022, M. [T] déclarait expressément que M. [S] n’avait pas reçu de délégation de pouvoirs de sa part, ‘contrairement au second conducteur de travaux présent dans l’agence’.
M. [T], directeur d’agence depuis près de cinq ans lorsque l’accident du travail est survenu, dont le contrat de travail mentionnait dès l’embauche le 2 avril 2001 l’importance du respect des règles relatives à la sécurité et qui avait une expérience de la fonction imposant une connaissance et un respect des dites règles rappelées dans l’attestation susvisée de M. [A] en ce qui concerne les équipements de sécurité devant être présents sur les chantiers, disposait manifestement de l’autorité, des moyens et de la compétence nécessaires pour assurer le respect de la réglementation au sein de l’entreprise dans le périmètre d’intervention qui lui était délégué.
Sa demande tendant à ce que la délégation de pouvoirs du 30 juin 2014 lui soit déclarée inopposable sera rejetée.
1-2 : Sur le délai dans lequel a été engagée la procédure disciplinaire :
M. [T] reproche à la société SEO d’avoir tardé à engager la procédure de licenciement plus d’un mois après une lettre d’observations de la Direccte.
Il ajoute que la convocation à l’entretien préalable n’est pas assortie d’une mise à pied conservatoire.
Il doit en premier lieu être relevé que l’accident survenu le 20 novembre 2017 a donné lieu à l’ouverture d’une enquête diligentée par les agents de la Direccte ainsi qu’à une analyse des causes de l’accident à l’initiative du CHSCT, dont les conclusions ont été remises le 27 novembre 2017.
Participait à la réunion exceptionnelle du CHSCT le contrôleur de sécurité mandaté par la Carsat, organisme qui identifiait des risques exceptionnels formalisés dans une mesure d’injonction en date du 4 décembre 2017 listant les risques constatés et les mesures de prévention devant être prises.
Il résulte de cette chronologie qu’en engageant la procédure disciplinaire le 18 décembre 2017, la société SEO n’a pas agi dans un délai excessif et de nature à remettre en cause le caractère de gravité allégué de la faute du salarié.
Le moyen doit être écarté.
1-3: Sur le fond :
L’autorité de la chose jugée au pénal sur le civil s’attache à ce qui a été définitivement, nécessairement et certainement décidé par le juge pénal sur l’existence du fait qui forme la base commune de l’action civile et de l’action pénale, sur sa qualification ainsi que sur la culpabilité de celui à qui le fait est imputé.
A ce titre, il est constant que la décision du juge pénal qui condamne un salarié est revêtue de l’autorité de la chose jugée et s’impose au juge prud’homal pour l’appréciation du caractère réel et sérieux du licenciement.
Toutefois, la décision du juge pénal ne s’impose au civil qu’en ce qui concerne la réalité des faits et leur imputabilité au salarié, ce qui ne prive nullement le juge prud’homal du pouvoir d’apprécier la gravité de la faute reprochée, dès lors qu’il ne remet pas en cause la réalité et le sérieux du licenciement.
En l’espèce, il résulte des termes des décisions rendues respectivement les 10 décembre 2020 et 11 mai 2022 par le tribunal correctionnel de Quimper et par la cour de céans statuant en matière correctionnelle, que le 20 novembre 2017, M. [U], travailleur intérimaire qui était affecté au chantier de construction d’un magasin de l’enseigne Carrefour à [Localité 8], a chuté d’une hauteur de 5 à 6 mètres alors qu’il était en train de manipuler une tôle en hauteur, sans qu’ait été installé un filet de protection à l’intérieur du bâtiment, sans qu’aucune protection n’ait été mise en place autour du même bâtiment, la victime étant par ailleurs dépourvue de casque et de harnais de sécurité.
Plus généralement, les agents de la Direccte intervenus sur le lieu de l’accident constataient que les salariés intervenant pour le compte de la société SEO ne bénéficiaient d’aucune protection collective ou individuelle en contravention avec les dispositions de l’article R4534-85 du code du travail.
En outre, il était constaté que le conducteur de travaux supervisant le chantier, M. [S], disposait d’à peine plus de deux mois d’ancienneté, qu’il était encore en période d’essai au moment de l’accident et qu’il avait une expérience manifestement insuffisante pour encadrer les opérations, M. [T] ayant lui-même observé qu’à la différence d’un autre conducteur de travaux expérimenté, M. [S] n’avait pour sa part reçu aucune délégation de pouvoirs.
M. [T] convenait encore que dans un tel contexte, ‘M. [S] se contentait de faire -ce qu’il lui – demandait’ et qu’il ‘n’était pas possible de lui demander d’être autonome’.
Or, également entendu, M. [S] déclarait ‘avoir demandé à M. [T] des précisions sur la sécurité à mettre en place mais n’avoir reçu que des réponses évasives à défaut de consignes claires’.
L’ensemble de ces considérations a permis au juge correctionnel, confirmé en appel, de considérer que ‘la sécurité du chantier relevait donc de la seule responsabilité de M. [T] à qui il appartenait de s’assurer du respect de l’ensemble des dispositions applicables et notamment, s’agissant de travaux sur toiture, de la mise en place de la protection périphérique imposée par les textes’.
En outre, bien que directeur d’agence et disposant à ce titre du pouvoir d’affecter un conducteur de travaux plus expérimenté sur un chantier en considération de l’importance du chantier et des risques devant être appréhendés, il a été relevé que M. [T] a fait le choix ‘d’attribuer un chantier d’ampleur à un conducteur de travaux nouvellement embauché et insuffisamment expérimenté qui se trouvait toujours en période d’essai au jour de l’accident et ne bénéficiait d’aucune subdélégation de pouvoir lui permettant de s’assurer du respect des règles de sécurité sur les lieux’.
Il était relevé que la procédure d’enquête révélait qu’outre l’absence d’instructions précises données quant aux dispositifs de sécurité devant être mis en place, M. [T] n’avait assisté à aucune réunion aux côtés de M. [S] et l’avait laissé seul pour établir un plan particulier de sécurité et de protection de la santé (PPSPS), qui s’était avéré incomplet, n’identifiant pas précisément le risque de chute de hauteur, lacunaire sur la question des moyens de prévention devant être mise en oeuvre et avait été curieusement modifié et signé de M. [T] au lendemain de l’accident ‘car on s’était rendu compte qu’il n’était pas en corrélation avec le chantier… la mise en place de la sécurité n’était pas vraiment stipulée sur le PPSP primaire’ (M. [S]), M. [T] arguant pour sa part de ce ‘qu’une mise à jour était nécessaire’.
Il était encore relevé que M. [T] n’avait pas pris attache avec M. [S] bien qu’il soit chargé de le superviser, qu’il ne s’était pas déplacé sur les lieux le jour du démarrage du chantier pour vérifier la mise en place des protections périphériques et qu’il ne comptait de toutes façons pas le faire, ayant posé un jour de congé à cette date, sans toutefois prévoir de se faire substituer par toute autre personne ayant autorité, telle que le second conducteur de travaux.
L’ensemble de ces éléments ont permis à la juridiction pénale de retenir à la charge de M. [T] la violation délibérée d’une obligation de sécurité ou de prudence dans le cadre du travail qu’il ne pouvait ignorer vu la configuration des lieux et son expérience de professionnel du bâtiment, ce manquement étant directement lié à un accident du travail qui aura causé à sa victime huit semaines d’incapacité totale de travail.
Les éléments objectifs ainsi résumés de la procédure pénale permettent de retenir un manquement fautif grave de M. [T] aux obligations qui résultaient de son contrat de travail, étant ici rappelé qu’alerté dès son embauche au mois d’avril 2001 sur l’importance du respect des règles de sécurité, le salarié avait signé le 8 septembre 2003 une convention de transfert à l’occasion de la reprise des actifs de la société SEO du Maine par la société d’étanchéité de l’Ouest, dans laquelle il était de nouveau insisté sur l’importance du respect des dites règles imposant à l’intéressé un suivi législatif et réglementaire en la matière.
Sans qu’il soit utile d’entrer dans le débat relatif au second grief visé dans la lettre de licenciement sur une violation des règles relatives au travail des intérimaires, il est établi que les fautes commises par M. [T] en regard de l’accident du travail du 20 novembre 2017 qui vont bien au-delà d’une simple négligence dans le suivi d’un chantier, en ce qu’elle relèvent d’une violation délibérée des règles de sécurité professionnelles commise par un directeur d’agence expérimenté qui n’a pas hésité à laisser sans encadrement un conducteur de travaux inexpérimenté, caractérisent autant de manquements graves justifiant la rupture immédiate du contrat de travail.
Il sera encore observé que le caractère de gravité de la faute ne saurait se mesurer à l’aune de l’absence de mise en oeuvre d’une mesure de mise à pied conservatoire.
Au cas d’espèce, le choix de l’employeur de ne pas notifier au salarié une telle mesure conservatoire ne retire en effet rien au caractère objectif de gravité des faits objet du licenciement.
Le jugement entrepris sera confirmé en ce qu’il a débouté M. [T] de sa demande tendant à voir juger son licenciement sans cause réelle et sérieuse et de ses demandes subséquentes en paiement d’une indemnité de licenciement, d’une indemnité compensatrice de préavis, des congés payés y afférents et de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.
2- Sur la demande en paiement d’un rappel de salaire pour heures supplémentaires :
Selon l’article L3121-27 du code du travail, la durée légale de travail effectif des salariés à temps complet est fixée à trente-cinq heures par semaine.
En application de l’article L3121-28 du même code, toute heure accomplie au-delà de la durée légale hebdomadaire ou de la durée considérée comme équivalente est une heure supplémentaire qui ouvre droit à une majoration salariale ou, le cas échéant, à un repos compensateur équivalent.
L’article L3121-54 du code du travail dispose que la forfaitisation de la durée du travail doit faire l’objet de l’accord du salarié et d’une convention individuelle de forfait établie par écrit.
Selon l’article L. 3171-4 du code du travail, en cas de litige relatif à l’existence ou au nombre d’heures de travail accomplies, l’employeur fournit au juge les éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié. Au vu de ces éléments et de ceux fournis par le salarié à l’appui de sa demande, le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d’instruction qu’il estime utiles. Si le décompte des heures de travail accomplies par chaque salarié est assuré par un système d’enregistrement automatique, celui-ci doit être fiable et infalsifiable.
Ainsi, la preuve des heures supplémentaires effectuées n’incombe spécialement à aucune des parties et si l’employeur doit être en mesure de fournir des éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié, il appartient cependant à ce dernier de présenter préalablement au juge des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu’il prétend avoir accomplies afin de permettre à l’employeur d’y répondre utilement en produisant ses propres éléments.
En l’espèce, Monsieur [T] soutient qu’il n’était soumis à aucune convention de forfait et qu’il a été contraint, pour les besoins de sa mission, de multiplier les heures supplémentaires excédant 35 heures par semaine. Il précise que son amplitude horaire était de 7h à 20h, et qu’en retirant une pause déjeuner de 2h, il travaillait habituellement 9h par jour soit 45h par semaine. Il produit au soutien de sa demande :
– Le décompte de ses heures supplémentaires sur les années 2015, 2016 et 2017 pour un total de 596,25 heures supplémentaires représentant un rappel de salaire de 124 877,52 euros calculé sur le salaire brut de base soit 6 092,40 euros pour 151,67 heures ;
– Le listing de 24 fax adressés à des horaires variables compris entre au plus tôt 7h13 et au plus tard 20h20, sur une période comprise entre le 2 janvier 2017 et le 15 janvier 2018 ;
– Un calendrier sous forme de tableau de type ‘Excel’ faisant état du nombre d’heures effectuées pour chaque semaine comprises entre avril et décembre 2015, dont le volume horaire moyen hebdomadaire est fixé à 50,28 heures ;
– La copie de pages d’agenda pour la période de janvier à mars 2017 ;
– L’attestation de Monsieur [X] [I], conducteur de travaux agence SEO [Localité 5], déclarant ‘avoir constaté pendant ma période de collaborateur avec Monsieur [T], du mois d’octobre 2003 jusqu’à novembre 2013, que Monsieur [T] était présent régulièrement à l’agence à partir de 7h30/7h45 le matin et quittait son poste entre 19h00 et 20h00 tous les soirs’;
– L’attestation de Monsieur [E] [M], ancien directeur commercial de la société SEO, déclarant ‘il m’arrivait fréquemment de joindre au téléphone Mr [T] vers 7h30 le matin et de rester le soir au bureau avec lui jusqu’à 20h pour faire le point sur les devis en cours. […] Je confirme que Mr [T], comme d’ailleurs l’ensemble des responsables d’agence de la société SEO, ne comptait pas leurs heures, étant très tôt entre 7h et 7h30 dans leurs agences et en terminant leurs journées entre 19h et 20h, ils effectuaient tous plus de 45 heures de travail hebdomadaire’ ;
– L’attestation de Monsieur [D] [A], ancien chef d’agence de l’agence de [Localité 9] de la société SEO, déclarant ‘en tant que chef d’agence j’effectuait régulièrement 50 heures de travail hebdomadaire de 7h45 à 19h00, comme tous les chefs d’agence de la société SEO’ ;
– L’attestation de Monsieur [J] [F], ancien conducteur de travaux à l’agence SEO [Localité 5], déclarant ‘j’ai constaté que Mr [T] [B] embauchait vers 7h45 le matin et quittait l’agence le soir vers 19h – 20h’.
Les éléments apportés par le salarié étant suffisamment précis pour permettre un débat contradictoire, il appartient à l’employeur de répondre en produisant de son côté les éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié.
A ce titre, la société SEO soutient que Monsieur [T] n’a jamais sollicité le paiement de quelconques heures supplémentaires pendant la durée de son contrat de travail. Elle précise qu’il n’avait jamais été demandé à ce dernier d’accomplir des heures supplémentaires au cours des relations contractuelles. Elle indique également qu’au regard de son niveau de responsabilité, Monsieur [T] ne recevait pas de directives quant à l’organisation de la durée du travail et que le chiffrage opéré par ce dernier dans les documents qu’il produit est arbitraire et infondé.
La société produit les bulletins de paie de Monsieur [T] sur une période d’août 2015 à février 2018 ne faisant mention d’aucune heure supplémentaire et sur lesquels il est indiqué, pour chaque jour de présence, un temps de travail effectif de 7 heures.
Elle critique les témoignages dont se prévaut M. [T] au motif que les témoins n’étaient pas présents sur la période au cours de laquelle l’intéressé prétend avoir effectué des heures supplémentaires.
L’argument tiré de l’absence de sollicitation du salarié quant à l’exécution d’heures supplémentaires ne résiste pas à l’examen, dès lors qu’il n’est produit par l’employeur aucun élément justificatif des heures de travail effectivement accomplies par M. [T], tandis que ce dernier fait état d’horaires excédant régulièrement la durée légale du travail, ce dont l’employeur avait acquis la connaissance sans opposer la moindre réaction.
De même, l’absence de réclamation du salarié pendant le temps d’exécution du contrat de travail est inopérant pour déchoir l’intéressé de son droit à solliciter les rappels de salaires qui peuvent lui être dus dans les limites de la prescription triennale des salaires.
Ainsi, force est de constater qu’au-delà de considérations à caractère général, la société SEO ne justifie pas des heures de travail effectivement réalisées par M. [T].
Le contrat de travail initial, indiquant une rémunération mensuelle brute ‘pour le temps nécessaire à l’exercice de vos fonctions’, ne prévoit pas de convention de forfait. La convention de transfert du 8 septembre 2003 précise que le salarié ‘percevra un salaire brut de 3 200 euros pour un horaire hebdomadaire correspondant à la durée légale du travail’.
A ce titre, il sera retenu, en application de l’article L3121-27, que Monsieur [T] était censé effectuer ses missions sur une base hebdomadaire contractuelle de 35 heures.
Il doit cependant être observé que, comme le relève l’employeur, l’heure soit matinale (7h13) soit tardive (20h20) d’envoi de 24 fax sur une période d’environ 1 an est peu significative alors que ces mêmes envois matinaux ou tardifs ne sont pas allégués pour 2015 et qu’un seul de ceux qui sont produits concerne l’année 2018.
En outre, l’agenda produit pour une partie de l’année 2017 ne comporte aucune indication d’horaires, mais fait uniquement mention de noms et/ou lieux de rendez-vous.
Le décompte des heures supplémentaires est global et ne comporte aucun détail par semaine civile, tandis que le calendrier Excel de l’année 2015 couvrant la période des mois d’avril à décembre mentionne invariablement 10,75 heures par jour, ce qui n’apparaît pas cohérent eu égard aux nécessaires fluctuations propres à l’organisation du travail d’un directeur d’agence dans une entreprise de bâtiment, ce que corroborent les attestations de témoins précités qui évoquent des horaires variables d’arrivée et de départ.
Au résultat de l’ensemble de ces éléments, la cour a la conviction que M. [T] a effectué 703 heures supplémentaires entre les mois d’avril 2015 et décembre 2017 (174 heures supplémentaires en 2015, 267 heures supplémentaires en 2016 et 262 heures supplémentaires en 2017) représentant un rappel de salaire de 39.048,90 euros brut que la société SEO sera condamnée à lui payer, outre 3.904,89 euros brut au titre des congés payés y afférents.
Le jugement entrepris sera infirmé de ce chef.
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3- Sur la demande au titre de la contrepartie obligatoire en repos :
Selon l’article L3121-30 du code du travail, les heures effectuées au delà du contingent annuel ouvrent droit à une contrepartie obligatoire sous forme de repos. Les heures prises en compte pour le calcul du contingent annuel d’heures supplémentaires sont celles accomplies au delà de la durée légale.
L’article D3121-24 du même code fixe le contingent annuel à 220 heures.
En vertu de l’article L3121-38 du code du travail, à défaut d’accord, la contrepartie obligatoire sous forme de repos mentionnée à l’article L3121-30 est fixée à 50 % des heures supplémentaires accomplies au-delà du contingent annuel pour les entreprises de vingt salariés au plus, et à 100 % de ces mêmes heures pour les entreprises de plus de vingt salariés.
Le salarié qui n’a pas été en mesure, du fait de son employeur, de formuler une demande de contrepartie obligatoire en repos a droit à l’indemnisation du préjudice subi et cette indemnisation comporte à la fois le montant de l’indemnité calculée comme si le salarié avait pris son repos et le montant des congés payés afférents.
En l’espèce, Monsieur [T] indique qu’il n’a jamais été informé de son droit au repos compensateur, ce qui n’est pas contesté par la société, laquelle invoque principalement que ce dernier ne démontre pas l’existence d’un préjudice à son endroit.
Or, c’est à l’employeur de justifier qu’il a satisfait à son obligation d’information envers le salarié au titre de l’ouverture du droit à la contrepartie en repos trimestriel. Cette preuve n’est pas rapportée par l’employeur à l’égard de Monsieur [T] dont les bulletins de salaire ne font aucune mention de repos compensateurs.
Monsieur [T] a réalisé 47 heures supplémentaires en 2016 au delà du contingent annuel et 42 heures supplémentaires au delà du contingent annuel en 2017.
Il est établi que la société SEO emploie habituellement plus de 20 salariés.
Sur la base d’un taux horaire de 40,16 euros et en tenant compte de l’incidence des congés payés, le préjudice subi de ce chef justifie que soit alloué à Monsieur [T], au titre de l’indemnité pour perte de repos compensateur, la somme de 1.907,09 euros nets.
Le jugement entrepris sera infirmé de ce chef.
4- Sur la demande au titre des dépassements des durées maximales de travail:
Selon l’article L3121-20 du code du travail, au cours d’une même semaine, la durée maximale hebdomadaire de travail est de quarante-huit heures.
L’article L3121-22 du même code précise que la durée hebdomadaire de travail calculée sur une période quelconque de douze semaines consécutives ne peut dépasser quarante-quatre heures, sauf dans les cas prévus aux articles L. 3121-23 à L. 3121-25.
Le seul constat par le juge d’un dépassement de la durée maximale de travail ouvre droit à réparation, sans qu’il soit nécessaire pour le salarié de rapporter la preuve d’un préjudice.
M. [T] affirme qu’il a ‘dépassé très fréquemment la durée maximale de travail de 44 heures sur 12 semaines consécutives, voire de 48 heures sur une semaine, ayant pu atteindre plus de 53 heures de travail sur la semaine’.
Toutefois, cette affirmation est fondée sur une évaluation dont la cour n’a retenu qu’une partie dans une proportion telle qu’il n’est pas constaté que les durées effectives de travail du salarié aient dépassé 48 heures sur la semaine et que la durée hebdomadaire de travail calculée sur une période quelconque de douze semaines consécutives ait dépassé quarante-quatre heures.
Il convient dès lors, par voie de confirmation du jugement entrepris, de débouter M. [T] de sa demande.
5- Sur la demande d’indemnité pour travail dissimulé :
En vertu des dispositions de l’article L 8221-5 du Code du travail, le fait se soustraire intentionnellement à l’accomplissement de la déclaration préalable à l’embauche ou de mentionner sur le bulletin de paie un nombre d’heures de travail inférieur à celui réellement accompli, est réputé travail dissimulé.
En application de l’article L 8223-1 du même code, en cas de rupture de la relation de travail, le salarié auquel un employeur a eu recours en commettant les faits visés à l’article L 8221-5, a droit à une indemnité forfaitaire égale à six mois de salaire.
En l’espèce, il n’est pas établi, au vu des circonstances de la cause et des éléments produits, que quand bien même il s’est montré négligent dans le suivi des horaires et de la charge de travail de M. [T], l’employeur ait intentionnellement omis de mentionner sur le bulletin de salaire du salarié les heures supplémentaires non payées et non récupérées.
Le salarié est donc débouté de sa demande en paiement de l’indemnité pour travail dissimulé par voie de confirmation du jugement entrepris.
6- Sur les dépens et frais irrépétibles :
En application des dispositions de l’article 696 du code de procédure civile, la société SEO, qui succombe pour partie, sera condamnée aux dépens de première instance et d’appel.
Elle sera en conséquence déboutée de sa demande d’indemnité pour frais irrépétibles fondée sur l’article 700 du même code.
Le jugement entrepris sera également infirmé en ce qu’il a condamné M. [T] à payer à la société SEO la somme de 800 euros en application de ce même texte.
L’équité commande en revanche de condamner la société SEO à payer à M. [T] une indemnité d’un montant de 2.500 euros sur ce même fondement juridique.
LA COUR,
Infirme le jugement rendu par le conseil de prud’hommes de Lorient en ce qu’il a débouté M. [T] de ses demandes au titre des heures supplémentaires et de la contrepartie obligatoire en repos et en ce qu’il a condamné M. [T] à payer la somme de 800 euros à la société d’étanchéité de l’Ouest sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;
Statuant à nouveau des chefs de jugement infirmés,
Condamne la société d’étanchéité de l’Ouest (SEO) à payer à M. [T] les sommes suivantes :
– 39.048,90 euros brut à titre de rappel de salaire sur heures supplémentaires
– 3.904,89 euros brut à titre de congés payés sur rappel de salaire
– 1.907,09 euros à titre d’indemnité pour perte de la contrepartie obligatoire en repos ;
Confirme pour le surplus le jugement entrepris, à l’exception de ses dispositions relatives aux dépens ;
Y ajoutant,
Déboute M. [T] de sa demande tendant à ce que la délégation de pouvoir du 30 juin 2014 lui soit déclarée inopposable ;
Condamne la société d’étanchéité de l’Ouest (SEO) à payer à M. [T] la somme de 2.500 euros à titre d’indemnité sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;
Déboute la société d’étanchéité de l’Ouest (SEO) de sa demande fondée sur l’article 700 du code de procédure civile, tant en première instance qu’en appel ;
Condamne la société d’étanchéité de l’Ouest (SEO) aux dépens de première instance et d’appel.
LE GREFFIER, LE PRÉSIDENT.