Conflit locatif et enjeux de bonne foi dans l’exécution des obligations contractuelles

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Conflit locatif et enjeux de bonne foi dans l’exécution des obligations contractuelles
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Contexte du Bail Commercial

La SC JULIEN a conclu un bail commercial avec la SAS CORTA le 1er décembre 2021, pour des locaux situés à [Adresse 2] à [Localité 5]. Le loyer annuel a été fixé à 70.000 euros HT, payable d’avance chaque mois. Madame [V] [U] et Monsieur [E] [J] se sont portés cautions solidaires de la SAS CORTA, renonçant au bénéfice de discussion et de division.

Commandement de Payer

En raison de loyers impayés, la SC JULIEN a délivré un commandement de payer le 7 mars 2024, réclamant la somme de 63.371,66 euros, tout en indiquant son intention de se prévaloir de la clause résolutoire. Ce commandement a été dénoncé aux cautions le 20 mars 2024, mais est resté sans effet.

Assignation en Référé

Le 30 avril 2024, la SC JULIEN a assigné la SAS CORTA et ses cautions en référé, demandant la résiliation du bail, l’expulsion de l’occupant, et une indemnité d’occupation provisionnelle de 89.828,89 euros. Elle a également sollicité le paiement de 63.371,66 euros pour loyers impayés, ainsi que d’autres frais.

Réponses de la SAS CORTA et des Cautions

La SAS CORTA et ses cautions ont demandé le rejet des demandes de la SC JULIEN, tout en réclamant 20.000 euros pour procédure abusive. Ils ont également contesté le montant de la dette locative, la fixant à 7.485,75 euros, et ont demandé des délais de paiement.

Examen des Clauses Résolutoires

Selon l’article L.145-41 du code de commerce, une clause résolutoire ne produit effet qu’un mois après un commandement infructueux. La SC JULIEN a délivré un commandement sans mentionner ce délai, ce qui soulève des questions sur sa validité.

Éléments de Contestation

La SAS CORTA a présenté des preuves de paiements effectués avant le commandement, totalisant 36.000 euros, ainsi qu’un virement de 3.485,75 euros. La SC JULIEN a contesté ces éléments, mais a reconnu avoir reçu des paiements en espèces, ce qui pourrait indiquer une mauvaise foi dans la délivrance du commandement.

Décisions du Tribunal

Le tribunal a décidé qu’il n’y avait pas lieu à référé sur les demandes de constatation de la clause résolutoire, d’expulsion et d’indemnité d’occupation. Cependant, il a condamné la SAS CORTA et ses cautions à payer 3.000 euros pour loyers impayés et 1.680 euros pour frais d’entretien, tout en rejetant les autres demandes et en n’appliquant pas l’article 700 du code de procédure civile.

REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

6 novembre 2024
Tribunal judiciaire de Draguignan
RG n°
24/03438
T R I B U N A L J U D I C I A I R E
D E D R A G U I G N A N
____________

O R D O N N A N C E D E R E F E R E

REFERE n° : N° RG 24/03438 – N° Portalis DB3D-W-B7I-KHYX

MINUTE n° : 2024/ 544

DATE : 06 Novembre 2024

PRESIDENT : Madame Laetitia NICOLAS

GREFFIER : M. Alexandre JACQUOT

DEMANDERESSE

S.C. JULIEN, dont le siège social est sis [Adresse 4]
représentée par Me Grégory KERKERIAN, avocat au barreau de DRAGUIGNAN

DEFENDEURS

S.A.S.U. CORTA, dont le siège social est sis [Adresse 3]
représentée par Me Grégory ROCA, avocat au barreau de DRAGUIGNAN (avocat postulant) et Me Joanna GRAUZAM, avocat au barreau de PARIS (avocat plaidant)

Madame [V] [U], demeurant [Adresse 1]
représentée par Me Grégory ROCA, avocat au barreau de DRAGUIGNAN (avocat postulant) et Me Joanna GRAUZAM, avocat au barreau de PARIS (avocat plaidant)

Monsieur [E] [J], demeurant [Adresse 1]
représenté par Me Grégory ROCA, avocat au barreau de DRAGUIGNAN (avocat postulant) et Me Joanna GRAUZAM, avocat au barreau de PARIS (avocat plaidant)

DEBATS : Après avoir entendu à l’audience du 18/09/2024, les parties comparantes ou leurs conseils ont été avisées que la décision serait rendue le 16/10/2024 et prorogée au 23/10/2024 et 06/11/2024. L’ordonnance a été rendue ce jour par la mise à disposition de la décision au greffe.

copie exécutoire à
Me Grégory KERKERIAN
Me Grégory ROCA

copie dossier

délivrées le

Envoi par Comci à Me Grégory KERKERIAN
Me Grégory ROCA

EXPOSE DU LITIGE

Suivant acte sous seing privé du 1er décembre 2021 à effet de 1er novembre 2021, la SC JULIEN a donné à bail commercial à la SAS CORTA des locaux situés dans un ensemble immobilier, [Adresse 2] à [Localité 5], moyennant paiement d’un loyer annuel de 70.000 euros HT charges comprises, payable annuellement et d’avance le 1er jour de chaque mois.

Madame [V] [U] et Monsieur [E] [J] se sont portés cautions solidaires de la SAS CORTA, avec renonciation au bénéfice de discussion et de division.

La SAS CORTA ayant laissé certains loyers impayés, la SC JULIEN lui a fait délivrer le 7 mars 2024, un commandement de payer la somme de 63.371,66 euros, au principal, visant la clause résolutoire et lui manifestant son intention de s’en prévaloir.

Par actes de dénonce à caution du 20 mars 2024, le commandement de payé délivré à la SAS CORTA a été dénoncé à Madame [V] [U] et Monsieur [E] [J].

Ce commandement étant demeuré infructueux, par actes séparés du 30 avril 2024, auxquels il est expressément fait référence pour un plus ample exposé des faits, de ses moyens, prétentions et demandes, la SC JULIEN a fait assigner la SAS CORTA, Madame [V] [U] et Monsieur [E] [J], en référé devant le président du tribunal judiciaire de Draguignan, aux fins de voir constater la résiliation du bail, prononcer l’expulsion de l’occupant et de fixer une indemnité d’occupation provisionnelle à hauteur de 89.828,89 euros TTC arrêtée au 1er janvier 2025. Il est sollicité en outre leur condamnation in solidum au paiement des sommes de 63.371,66 euros TTC, à titre de provision à valoir sur les loyers, frais et accessoires impayés arrêtés au 1er janvier 2024, de 5.000 euros sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile et aux dépens, frais de commandement inclus.

Par conclusions notifiées par RVPA le 12 septembre 2024, la SC JULIEN a réitéré ses demandes et sollicité en outre, la condamnation in solidum la SAS CORTA, Madame [V] [U] et Monsieur [E] [J] au paiement de la somme de 3.312 euros à titre de provision à valoir sur l’entretien de la climatisation et du puit de lumière.
Elle a sollicité par ailleurs de dire et juger qu’en cas de suspension des effets de la clause résolutoire, le paiement de la dette devra intervenir en 12 termes égaux pour l’année 2024 et en un terme annuel d’avance pour le loyer 2025.

Par conclusions notifiées par RPVA le 18 septembre 2024, la SAS CORTA, Madame [V] [U] et Monsieur [E] [J] ont sollicité, à titre principal, le rejet des demandes ainsi que la condamnation du demandeur au paiement de la somme de 20.000 euros pour procédure abusive, préjudice moral et financier et à titre subsidiaire, juger que la dette locative s’élève à la somme de 7.485,75 euros et les charges à la somme de 1.380 euros par an, sollicitant des délais de paiement ainsi que la suspension des effets de la clause résolutoire. Il est sollicité en tout état de cause, le rejet de la demande tendant à l’acquisition de la clause résolutoire, ainsi que la condamnation du demandeur à verser à la SAS CORTA la somme de 5.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile et aux dépens.
A l’audience, le paiement de la somme de 20.000 euros a été demandé à titre provisionnel.

SUR QUOI,

Aux termes de l’article L.145-41 du code de commerce, toute clause insérée dans le bail prévoyant la résiliation de plein droit ne produit effet qu’un mois après un commandement demeuré infructueux. Le commandement doit, à peine de nullité, mentionner ce délai.

L’article 835 du code de procédure civile prévoit par ailleurs : « le président du tribunal judiciaire ou le juge des contentieux de la protection dans les limites de sa compétence peuvent toujours, même en présence d’une contestation sérieuse, prescrire en référé les mesures conservatoires ou de remise en état qui s’imposent, soit pour prévenir un dommage imminent, soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite.
Dans les cas où l’existence de l’obligation n’est pas sérieusement contestable, ils peuvent accorder une provision au créancier, ou ordonner l’exécution de l’obligation même s’il s’agit d’une obligation de faire. ».

Il est constant que si les clauses résolutoires s’imposent aux juges, leur application reste subordonnée aux exigences de la bonne foi, par application de l’article 1134 du code civil, de sorte que la mauvaise foi du bailleur dans la mise en œuvre de la clause résolutoire neutralise ses effets.

Par ailleurs, il est admis que le commandement de payer une somme que le créancier savait indue a été délivré de mauvaise foi.

En l’espèce, si la SAS CORTA ne rapporte pas la preuve que les parties ont convenu d’un échéancier pour lui permettre d’apurer sa dette pour l’année 2024, il résulte du grand livre des comptes clients de la SC JULIEN (pièce 14) que le paiement du loyer était demandé mensuellement par termes de 7.485,75 euros, de sorte que cet accord entre les parties ne peut être exclu.

S’agissant des sommes commandées, la SAS CORTA soutient à l’appui d’échanges de SMS versés aux débats qu’elle a effectué, avant que le commandement de payer ne lui soit délivré, plusieurs paiements en espèce pour un montant total de 36.000 euros, outre les virements bancaires qu’elle a effectué et qui, selon elle, n’ont pas été pris en compte dans l’acte.

La SC JULIEN conteste la production de ces échanges, sans pour autant demander à ce que les pièces soient écarter des débats, dont il ressort que « des enveloppes » de « 5.000 » et « 3.000 » euros ont été mises à disposition de Monsieur [T] [O], gérant de la SC JULIEN (pièce adverse n° 21).

D’ailleurs, elle ne conteste pas pour autant avoir perçu les sommes alléguées en espèce et bien que la SC JULIEN fait valoir que ce mode de paiement est interdit pour de tels montants, en vertu des articles L.112-6 et L.112-7 du code monétaire et financier, il n’en reste pas moins qu’elle a fait délivrer un commandement de payer, comprenant des sommes qui vraisemblablement n’étaient plus dues.

En outre, même si cet élément ne devait pas être pris en compte pour apprécier la validité du commandement de payer, la SAS CORTA justifie avoir effectuer un virement bancaire d’un montant de 3.485,75 euros, le 22 février 2024, soit antérieurement à la délivrance du commandement de payer et qui n’a pas été déduit des sommes commandées, alors que ce versement figure dans les pièces versées par la SC JULIEN, de sorte que la mauvaise foi du bailleur est caractérisée.

De toute évidence, compte-tenu du virement bancaire du 22 février 2024, même si le bailleur n’en avait pas eu connaissance le jour où il a fait délivrer le commandement, les causes du commandement de payer se heurte à une contestation sérieuse.

Par conséquent, il n’y a lieu à référé sur les demandes tendant à la constatation de la clause résolutoire et qui en découlent, soit la demande d’expulsion et sur l’indemnité d’occupation.

Sur la demande de provision, la SC JULIEN fonde sa demande à hauteur de 63.371,66 euros TTC sur la somme commandée, il résulte du décompte les loyers impayés arrêtés au 24 juin 2024 (pièce 14), qui tient compte des versements intervenus les 22 février 2024, 11 mars, 10, 13, 20, 21 mai 2024 et le paiement de la somme de 4.485,75 euros intervenu fin juin, que le solde restant dû à cette date s’élève à la somme de 3.000 euros.

Même si le loyer est dû annuellement et d’avance le 1er de chaque année, au vu des versements intervenus depuis le début de l’année 2024, en l’absence d’un décompte complémentaire permettant de justifier la part manquante du loyer échu au 31 décembre 2024, la part non sérieusement contestable de la créance s’élève à la somme de 3.000 euros, de sorte qu’il sera fait droit à la demande à hauteur de ce montant, à titre de provision à valoir sur les loyers et charges arrêtés au 24 juin 2024, somme à laquelle, Madame [V] [U] et Monsieur [E] [J] seront condamnés in solidum avec la SAS CORTA en leur qualité de cautions solidaires, au vu de la demande formulée en ce sens.

S’agissant de la demande de délai de paiement, au vu du montant relativement faible de la demande à laquelle il est fait droit, il n’y a lieu à référé sur ce chef de demande.
Sur la demande de provision à valoir sur les frais d’entretien, la SC JULIEN produit un rappel factures qu’elle a elle-même établi le 5 septembre 2024 d’un montant de 3.312 euros TTC, sans qu’il ne soit mentionné le détail des sommes demandées (soit 2 x 1.656 euros).

Pour autant, le remboursement des frais d’entretien n’étant pas contesté et sur la base des factures établies par la société « Clim Var Froid » au titre de l’entretien de la climatisation pour 2023 et 2024 et de la société « Transparence » au titre de l’entretien trimestriel des puits de lumière pour la période du mois d’avril à septembre 2023, s’élevant à la somme globale de 1.680 euros TTC (pièces 15 et 20), il sera fait droit à la demande à hauteur de ce montant, correspondant à la part non sérieusement contestable de la créance.

Sur la demande de provision à titre reconventionnel, à valoir sur les dommages et intérêts pour procédure abusive et son préjudice moral, la SAS CORTA soutient à l’appui de témoignages (pièces 20 et 23) que Monsieur [E] [J] a fait une tentative de suicide, suite à une dépression, notamment liée au harcèlement qu’il estime avoir subi de la part de son propriétaire.

Toutefois, compte-tenu d’une part qu’il est établi que certains loyers sont demeurés impayés et d’autres parts, en l’absence d’élément corroborant les échanges de SMS, permettant d’appuyer ses prétentions ainsi qu’en l’absence de pièce médicale permettant de justifier son état de santé et par conséquent d’établir que la tentative de suicide est liée à un éventuel harcèlement, l’obligation se heurte à une contestation sérieuse, de sorte qu’il n’y a lieu à référé sur la demande.

La SAS CORTA, Madame [V] [U] et Monsieur [E] [J], qui succombent à une partie des demandes seront condamnés in solidum aux dépens et conserveront la charge de leurs frais irrépétibles, sans que l’équité ne commande de faire droit à la demande fondée sur l’article 700 du code de procédure civile formulée contre eux.

PAR CES MOTIFS

Nous, juge des référés, statuant par ordonnance de référé mise à disposition au greffer, contradictoire et en premier ressort,

Vu l’article L.145-41 du code de commerce,
Vu l’article 835 du code de procédure civile,
Vu l’article 700 du code de procédure civile,

DISONS n’y avoir lieu à référé sur les demandes tendant à la constatation de la clause résolutoire et qui en découlent, soit la demande d’expulsion et sur l’indemnité d’occupation ;

CONDAMNONS in solidum la SAS CORTA, Madame [V] [U] et Monsieur [E] [J] à payer à la SC JULIEN la somme de 3.000 euros, à titre de provision à valoir sur les loyers et charges arrêtés au 24 juin 2024 ;

CONDAMNONS in solidum la SAS CORTA, Madame [V] [U] et Monsieur [E] [J] à payer à la SC JULIEN la somme 1.680 euros TTC, à titre de provision à valoir sur les frais d’entretien de climatisation et des puits de lumières ;

DISONS n’y avoir lieu à référé sur la demande de délais de paiement ;

DISONS n’y avoir lieu à référé demande de provision à titre reconventionnel, à valoir sur les dommages et intérêts ;

DISONS n’y avoir lieu à référé pour le surplus des prétentions ;

CONDAMNONS in solidum la SAS CORTA, Madame [V] [U] et Monsieur [E] [J] à payer à la SC JULIEN aux dépens ;

DISONS n’y avoir lieu à application de l’article 700 du code de procédure civile.

Ainsi jugé et prononcé par mise à disposition au greffe, les jours, mois et an susdits.

LE GREFFIER LA PRESIDENTE


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